Le petit palmier

A l’angle de deux jolies rues de maisons pittoresques, un petit palmier se dressait fièrement sur un tertre, au milieu d’une avalanche de fleurs de couleurs. L’une des deux voies longeait la mer, l’autre s’enfonçait dans les profondeurs de la ville. Au-delà de la chaussée qui donnait sur le golfe, la plage de sable fin s’étendait jusqu’aux confins de la baie. Les lieux étaient paisibles la plupart du temps. Seule la saison d’été amenait plus de promeneurs et de vacanciers dans les alentours. 

 

La ville cultivait les massifs municipaux et entretenait le petit palmier qui laissait retomber son panache feuillu avec grâce. L’endroit était joli. Il y avait un banc de pierre sur le trottoir d’en face où s’arrêtaient parfois quelques personnes fatiguées qui prenaient un peu de repos avant de poursuivre leur promenade. 

 

Un beau jour, alors que le soleil dardait des rayons brûlants et que les vagues de la mer scintillaient au loin, une tractopelle arriva près du tertre. Elle ouvrit une large gueule et se mit à ricaner en regardant le palmier.

 

– Hey ! Regarde ce que je vais faire de toi ! s’écria-t-elle.

 

Et elle fonça vers le palmier. Elle le força à plier jusqu’à terre, cassa le tronc sous ses assauts brutaux, déterra les racines et jeta l’arbre par terre dans un grand craquement.

 

Le palmier gémit de douleur et se rompit. Ses racines éjectées du sol se dressèrent dans l’air comme des bras torturés au milieu des fleurs écrasées. Mais la tractopelle ne s’arrêta pas là. Elle creusa encore et encore la terre pour extraire tout le système racinaire enfoncé  profondément. Trop brutale et sans aucune once de finesse, elle ne fit pas attention aux quelques fruits qui s’échappèrent de l’arbre en tombant. Ils furent bientôt mêlés à la terre retournée.

 

Quand la cruelle tractopelle fut partie après son terrible meurtre, le tertre demeura un certain temps en l’état. Le sol non arrosé se dessécha rapidement. Enfin plusieurs jours plus tard, un camion vint ramasser ce qui restait de l’arbre qui se mourait sans eau et sans terre. Puis une palissade fut montée qui dissimula le carré de terre en bataille et les fleurs pourries.  

 

Un matin, au bout de quelques semaines, des engins de chantier arrivèrent bruyamment et se garèrent autour de la clôture. Une nouvelle semaine passa. Des travaux démarrèrent enfin. Il y eut un bruit indescriptible pendant des jours et des jours. Marteaux piqueurs, bétonnière,  grue de levage, pelles et autres outillages s’en donnèrent à cœur joie. Un petit bâtiment s’éleva bientôt à l’angle de la rue derrière la palissade. C’était une sorte de petit kiosque prétentieux avec des colonnades, dont le toit en rotonde dépassait. 

 

Les passants qui voyaient le moignon de béton au-dessus du mur, imaginaient qu’il pouvait tourner sur lui-même pour observer, voire même espionner ce qui se passait dans le quartier. Tout le monde pensait que la boule agglomérée qui surplombait ressemblait à un oeil. 

 

La palissade fut enfin déconstruite. Les engins partirent tous et le quartier retrouva sa tranquillité. Les jardiniers de la ville qui autrefois entretenaient les massifs de fleurs du petit tertre revinrent. Ils remirent de la bonne terre tout autour du kiosque flambant neuf, firent des plantations et ajoutèrent même deux ou trois arbustes. Au bout de quelques semaines, l’ancien petit tertre avait retrouvé une nouvelle jeunesse.

 

Exactement à l'endroit où s'élevait quelques mois auparavant le petit palmier jaillit un jour une minuscule petite pousse. Personne ne la vit au milieu de l’abondante végétation qui entourait le kiosque. Elle se dressa et s’éleva délicatement. Et rapidement une jolie feuille s’épanouit. Les passants ne remarquaient pas cette petite excroissance qui vivait sa vie sans bruit.         

 

Le palmier poussait vite. Bientôt il trouva sa place au milieu du jardin. 

 

Les gens qui défilaient sur le trottoir finirent par l’apercevoir et se réjouirent de son retour. L’injustice de la destruction du petit palmier avait choqué tout le monde. Les enfants s’amusaient à le voir pousser et grandir et mesuraient sa taille avec des bouts de bois en riant de plaisir. Personne ne prenait garde au kiosque voisin qui ne servait à rien. Il était sale, plein de bouteilles de plastique vides, de journaux en décomposition, de mégots de cigarettes, de papiers gras froissés et de morceaux de verre brisé. Les parents interdisaient aux enfants de monter les marches vers la plate-forme où s’amoncelaient les déchets dangereux. 

 

Quand les jardiniers revinrent pour l’entretien du petit parc à la belle saison, ils découvrirent le palmier en pleine croissance et décidèrent de ne pas l’enlever. Il avait si belle allure ! 

 

Quelques années plus tard , les habitants qui avaient connu le petit palmier se demandaient encore comment il avait pu renaître de ses cendres au même endroit. Peut-être était-ce juste le miracle de la nature et du hasard.

 

Quant au kiosque de béton, un violent orage avait arraché son œil. Depuis, il avait aussi une colonnade brisée et son toit penchait dangereusement. Nul ne doutait qu’un jour il s’écroulerait et qu’une tractopelle viendrait débarrasser les lieux de son vilain cadavre.

 

– Tu m’as eu, disait le kiosque au petit palmier. 

 

Celui-ci ne répondait pas. Il humait le vent de mer qui faisait frémir son feuillage élégant, sourd aux remarques désagréables de son voisin en pleine décrépitude. 

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Nathalie
Posté le 11/12/2022
Bonjour Belisandre,

C'est triste car nous savons que dans la vraie vie, malheureusement, c'est bien l'homme et son besoin de destruction qui gagne, et pas un palmier. Enfin, les contes, c'est fait pour rêver, pas vrai, alors rêvons :)
Belisade
Posté le 12/12/2022
Bonjour Nathalie,
Tu as malheureusement raison. A l'origine, l'arbre qui a été abattu par une pelleteuse existait au fond de mon jardin. C'était un cèdre qui avait plus de 100 ans. C'est quelque chose d'insupportable, il a été défoncé en une journée. Et j'ai superposé cette horrible image de l'arbre assassiné à un lieu que j'ai vu cet été, la plage décrite, et à un petit palmier. Je ne sais pas trop pourquoi. Mais en quelque sorte pour moi, c'est un hommage au cèdre.
Et si un jour l'homme disparait, la nature reprendra ses droits. Elle est beaucoup plus forte que nous ! C'est pourquoi le petit palmier est re né de ses cendres ...
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