Le manoir de Bréchéliant

A la cinquième tentative, elle renonça, maudissant la technique.

« Tu es sûre que c’est la bonne adresse ? »

En guise de réponse, elle fusilla son mari du regard. Il lut à voix haute :

 « Chemin du val sans retour ».

Il ajouta : « Tu me diras avec un nom pareil, pas étonnant que le GPS fasse la gueule. » Pendant ce temps, Merlin avait déplié sur la banquette arrière une carte routière, trouvée  par bonheur dans un des nombreux guides touristiques que sa mère avait achetés pour préparer leur voyage. Un voyage, qui devait être en quelque sorte comme l'adresse,  "sans retour". Un aller simple pour le pays des druides.

« Les bonnes vieilles méthodes, tu as raison fiston," le félicita son père.

"Direction Paimpont et ensuite la baraque de mémé", lança-t-il comme un cri de départ empreint d'un peu de dépit.

Après de longues heures de route, la mère de Merlin annonça avec enthousiasme : « Plus que quelques kilomètres et on arrive chez nous. »

Son époux ne put s’empêcher de rajouter : « Disons chez ta Mère-Grand. Zut ! On a oublié la galette et le petit pot de beurre ! ». Il se retourna pour adresser  un clin d'oeil à Merlin, qui  eut bien envie de surenchérir en précisant : « Chez l’ancêtre ». Lui, il imaginait son arrière mamie, comme un genre de momie honnie de toute la famille pour d’obscures raisons. Même prononcer son nom semblait poser problème, alors on ne le prononçait jamais, de ce fait Merlin ignorait jusqu’à ce détail, qui était loin d’en être un.

« Comment je devrai l’appeler ta mémé ? 

- Tu sais tu la verras très peu, mon chéri, mais si tu la croises, contente-toi d’Awena. »

Sa mère lui expliqua alors que c’était une vieille dame un peu sauvage, et qu’ils feraient « manoir » à part. Son père soupira,ce qui lui arrivait rarement en public. Cette cohabitation fantomatique était loin de le ravir. Mais la perspective de ne plus avoir de loyer à payer et l’opportunité de passer d’un 50 mètres carrés à une vie de château avaient fini par le convaincre.

En plus, en Bretagne, la magie coulait de source. Ca tombait bien la magie, c’était son fond de commerce surtout pour les fêtes d’anniversaire. Il avait déjà quelques idées pour adapter ses tours à la sauce celtique ou alors pour transformer le manoir en « escape game ». Sa femme aussi pensait à un plan B au cas où son idée de food truck ferait un flop. Pourquoi pas des chambres d’hôtes dans leur nouvelle demeure ?

Trouver le manoir ne fut pas une mince affaire, les panneaux se faisaient de plus en plus rares, les villages devenaient des hameaux, les hameaux des lieux-dits. Il était temps de demander de l’aide. La voiture s’arrêta devant un couple à l’air sympathique. Leur jovialité disparut dès que le nom « Val sans retour » fut prononcé, et ils semblèrent tout à coup très pressés. La scène se reproduisit à chaque fois que l’infortunée famille arrêta un habitant du coin pour qu'il lui indique le chemin. Mêmes mots, même effet. Il existait des attrape rêves, ce nom semblait posséder l’étrange pouvoir d’attraper les sourires et même de les muer en peur. Enfin, après bien des détours, un hasard  peut-être pas si heureux que cela, finit par les mener jusqu’à leur destination.

Lorsqu’il aperçut le vieux portail rouillé devant lequel son épouse Marie, arrêta la voiture, l’idée de « l’escape game » parut une évidence à Léonard tellement l’endroit avait un côté « flippant » sans même encore y avoir pénétré. Lorsqu’elle vit l’entrée du domaine, Marie oublia tout projet dans l’hôtellerie.

Ce portail était si haut qu’on distinguait à peine la cime de quelques arbres. Des pointes en jaillissaient comme des flèches lancées à la verticale vers les nuages menaçants. Sur l’une d’entre elles, un gros chat noir ressemblait à un funambule aguerri. Il fixait un oiseau posté sur un des chênes qui dépassait. On aurait dit une chouette. Mais l’idée paraissait bien farfelue. Une chouette en plein jour !

Sur le mur en pierres apparentes que l’on devinait plus qu’on ne le voyait à cause du lierre envahissant, trônait une plaque ancienne où l’on pouvait lire :

« Manoir de Bréchéliant, visiteurs passez votre chemin. » L'écriture en majuscules déliées était aimable, le message beaucoup moins.

Pas très engageant, pensa Merlin.

Comme si elle avait lu dans son esprit, sa mère s’empressa de dire.

« Pour nous, c’est différent. Nous sommes de la famille ».

On aurait cru qu’elle cherchait à conjurer le mauvais sort qu’aurait jeté cette formule, ou alors à atténuer ces mots abrupts, qui leur souhaitaient en quelque sorte la « malvenue ».

Jusque là le paysage avait été joli. Des maisons aux teintes pâles aux volets bleus avaient égayé le trajet. Mais là, tout à coup, l’ombre avait envahi le décor. L’atmosphère était devenue étrangement lourde.

« Tu crois qu’il y a l’électricité et l’eau chaude ? finit par demander Merlin pour chasser le mutisme de ses parents.

- Enfin, mon chéri le manoir date certes du XVIème mais Awena a fait de gros travaux depuis, fit mine de s’indigner sa mère. »

Elle sortit de la voiture pour signaler leur présence, mais chercha en vain un interphone, une sonnette ou une cloche à faire tinter. Soudain, le chat qui était perché quelques mètres plus haut fit un bond prodigieux et disparut en poussant un miaulement lugubre. L’oiseau sur l’arbre observait toujours, spectateur muet.

« On peut peut-être engager un héraut », lança Léonard par la fenêtre de la voiture.

« Oyez, oyez nobles seigneurs, gentes dames, belles damoiselles du manoir de Bréchéliant, après cinq heures de route la famille Petitbond aimerait bien …

- Aller aux toilettes ! hurla Merlin. » Est-ce que cette expression d'une envie pressante constituait en quelque sorte le "abracadra "local pour ouvrir les portes des lieux ?

En tout cas, c’est à ce moment là que le portail donna signe de vie, il grinça et très lentement se mit en mouvement pour laisser entrer les visiteurs. La manœuvre s’éternisa comme si elle  n’avait pas été réalisée depuis longtemps et qu’un mécanisme grippé mettait du temps à reprendre du service. Pourtant, c’était bel et bien un homme qui devait pousser l’énorme structure d’acier.

Etonnamment celui qui apparut sur le seuil de la propriété après avoir ouvert les grilles n’avait rien d’un colosse. C’était un vieil homme, armé d’un râteau, et qui affichait un air renfrogné.

« Bonjour Monsieur, je suis Marie la ..

- Je sais, répondit-il sèchement. »

Comme la suite des présentations tardait. Merlin, un brin curieux, prit la parole.

« Et vous, vous êtes qui ?

- Tugdual, le jardinier de madame Awena. »

Le garçon se demanda si tous les gens du coin portaient des prénoms bretons Si c’était le cas, peut-être que le sien passerait inaperçu. Tugdual, on aurait cru le nom d’un chevalier de la table ronde, bien qu’à sa connaissance aucun ne ce soit jamais nommé ainsi.

Toute la famille remonta en voiture impatiente de voir leur future demeure, qui pour l’instant demeurait invisible à cause des chênes majestueux qui se dressaient de chaque côté du chemin menant à la bâtisse. C’était comme si ces arbres centenaires faisaient une haie d’honneur aux invités avant de dévoiler le clou du spectacle.

Finalement au bout du chemin qui serpentait, ils finirent par le découvrir . Séduisant. Contrairement à ce qu’ils avaient redouté en leur for intérieur, il n’avait rien de lugubre et paraissait en bon état. Il possédait une tour, qui abritait sans doute un escalier en pierre, comme Merlin avait pu en voir dans les films. Les murs d’un joli blanc contrastaient harmonieusement avec l’ardoise des toits. Sa mère lui avait parlé d’un pigeonnier transformé en bibliothèque. Toutes ses nouveautés lui arrachèrent un sourire et décrispèrent la famille. La première impression n’était décidément pas toujours la bonne.

La vieille grille, la mise en garde, le jardinier grognon n’étaient là que pour protéger cette petite merveille de la curiosité d’éventuels visiteurs. C’est ce doux sentiment de soulagement qu’éprouvait chacun d'entre eux, lorsqu’ils dirigèrent tous étrangement au même moment leurs regards vers une fenêtre entourée de belles moulures où grimpait un rosier, comme un amant qui rejoindrait sa belle pour lui conter fleurette.

C’est là qu’ils l’aperçurent et que leur sang se glaça.

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Maëwa Le Goff
Posté le 10/04/2023
Côme pour le précédent, ce texte est très bien ecrit. On y retrouve une pointe d'humour mélé aux détails et au ressenti de Merlin. C'est une lecture très agréable.
Baladine
Posté le 26/02/2022
Re ! Très beau va et vient entre inquiétude et des détails qui se veulent rassurants. Ca dynamise, à notre plus grand plaisir, le thème de l'arrivée au manoir magico-hanté-où-il-va-se-passer-des-choses-surnaturelles. Belle pointe à la fin du chapitre.
Une toute petite coquille : on écrit "conter fleurette" et non "compter".
A bientôt
Laure Imésio
Posté le 01/03/2022
Bonjour Claire,
Merci de partager tes impressions de lecture. J'espère que tu découvriras avec plaisir la suite. Je vais corriger la coquille. A bientôt pour nos lectures croisées.
Achayre
Posté le 23/01/2022
Hello,
une petite visite par ici après ton passage son mon texte :)
J'aime beaucoup l'univers que tu nous propose, le côté fantastique mêlé à l'humour. Je m'attend à voir se déployer tout un tas de choses farfelues pour le plaisir du lecteur. Tu as tout ce qu'il faut pour débuter un récit jeunesse original.
Par contre, que c'est court. Court, court, court... et souvent proche du résumé :/ Je sais que l'exercice d'écriture est long et que l'on a toujours envie d'avancer vite vers les éléments clés, mais tu dois absolument prendre le temps de développer ton récit. Ton univers est riche, tu as largement la matière pour lui donner de l'épaisseur, de l'ambiance.
En dessous de 2000 mots, tu es sur un chapitre court, en dessous de 1000, c'est un interlude. Prend ton temps, laisse ta plume grandir et ton texte avec elle :)

Plein de courage à toi !
Laure Imésio
Posté le 23/01/2022
Merci d'avoir pris le temps d'une petite visite. Les relations de "bon voisinage", c'est important.:) Plus sérieusement, merci pour tes remarques encourageantes et tes conseils à propos de la longueur des chapitres. C'est vrai que je redoutais de tomber dans les longueurs ou de décourager un jeune public avec des chapitres plus longs. Ta dernière phrase résume bien la "philosophie" à suivre, je vais essayer de m'en inspirer pour la suite. A bientôt!
Niels
Posté le 16/01/2022
J'aime beaucoup la malice et l'humour qui imprègnent le récit ! La lecture est agréable et on n'a qu'une seule envie : continuer ! Tout le mystère qui entoure cette grand-mère, la méfiance des locaux, le manoir, le jardinier...on a envie de se plonger dans cet univers et d'en savoir plus !
Laure Imésio
Posté le 22/01/2022
Bonsoir Niels,
Merci pour ce commentaire qui me touche beaucoup. Ça me fait très plaisir que tu apprécies le ton et l'univers de cette histoire. A bientôt j'espère !
sifriane
Posté le 30/08/2021
Chapitre toujours aussi agréable à lire. Le style est simple, fluide mais prenant. On se sent bien avec cette famille. C'est drôle et touchant, j'aime beaucoup
Laure Imésio
Posté le 30/08/2021
Merci Sifriane, je doute pas mal alors ton commentaire me fait très plaisir. A bientôt.
Bleumer
Posté le 25/08/2021
Toujours aussi agréable à lire avec beaucoup d'humour et une ambiance qui se construit peu à peu. Je m'empresse de lire la suite afin de connaître les prochains rebondissements!
Laure Imésio
Posté le 28/08/2021
Coucou Bleumer,
Merci pour ce commentaire encourageant. J'espère que la suite ne te décevra pas. A bientôt.
Juliette Pin
Posté le 24/08/2021
On sent vraiment une grosse différence avec le premier chapitre, après une multitude d'information, ici l'histoire se construit branche par branche et c'est très agréable à lire.
C'est fluide, compréhensible et j'aime beaucoup la façon dont sont ajoutées les pointes d'ironie et d'humour.
Cela me donne envie d'en savoir plus.
Laure Imésio
Posté le 28/08/2021
Coucou Juliette,
Merci encore de livrer tes impressions chapitre après chapitre. Ca fait plaisir de savoir que l'aventure te plait. A bientôt.
Romanticgirl
Posté le 06/08/2021
Ce chapitre est très intéressant. Le portrait de la grand-mère au début donne envie de la rencontrer comme on a envie de tourner la page quand on imagine qu'elle apparaît à la fenêtre à la fin du chapitre. Ton écriture est toujours aussi précise et très drôle. Quelques remarques orthographiques : "son arrière manie" son arrière mamie ?, "des attrapes rêves" des attrape rêves ?, "Etonnement" étonnamment, "leur fort intérieur" for. A bientôt !
Laure Imésio
Posté le 13/08/2021
Bonjour Romanticgirl,
Merci pour ton retour positif sur l'histoire, honte à moi en revanche pour ce coupable relâchement orthographique ! Je vais de cette touche corriger tout ça. Je te ferai également un retour de mes impressions sur ton roman, à partir du chapitre où j'avais arrêté ma lecture, avant de reprendre depuis le début. A bientôt.
Riviera
Posté le 17/07/2021
Deuxième chapitre tout aussi efficace et fluide ! L'écriture est simple mais prenante. Je maintiens néanmoins mon commentaire sur le premier chapitre: il y a beaucoup de verbes ternes qui pourraient facilement être remplacés par d'autres qui enrichiraient le texte.
En revanche, il y a des petits soucis de ponctuation qui peuvent casser le rythme de la lecture. Par exemple :
"A la cinquième tentative, elle renonça maudissant la technique"
Il manque une virgule après "elle renonça"
"Un voyage, qui devait être en quelque sorte comme l'adresse, "sans retour""
Il manque une virgule avant "comme l'adresse"
"Lorsqu’il aperçut le vieux portail rouillé devant lequel son épouse Marie, arrêta la voiture, l’idée de « l’escape game » parut une évidence"
Il y a une virgule en trop, entre "Marie" et "arrêta".
Il y a également une petite coquille : "Lui, il imaginait son arrière manie"

Ce sont des petites choses qui n'ont l'air de rien mais qui, je pense, mériterait une petite relecture pour fluidifier tout ça.

En tout cas, je suis curieuse de rencontrer cette fameuse arrière grand-mère, et continuerai avec plaisir à découvrir les aventures de Merlin :)
Laure Imésio
Posté le 18/07/2021
Bonjour Riiviera,
Merci beaucoup pour le temps que tu as consacré à ce commentaire précis. C'est vrai que je me laisse parfois emporter par mes idées, au point d'en oublier quelques respirations dans le texte. Je vais tenir compte de tes judicieuses remarques. A bientôt.
Riviera
Posté le 18/07/2021
Bonjour Laure!
Pas de soucis, c'est normal. C'est même super positif, ça veut dire que tu es vraiment pris dans ton histoire et tes personnages, et ça reste ça finalement le plus important. Et puis, les beta-lecteurs ça sert à ça ! Repérer les petites coquilles qu'on ne voit plus à force d'avoir le nez dans notre texte. Bonne soirée ! :)
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