Le livre des souvenirs

Par Elf

Piccola Luce continuait sa route, rayonnante malgré le gris du temps. Il pleuvait doucement, elle se mit à danser, sautant au dessus des flaques, virevoltant sur les trottoirs mouillés, faisant voler les gouttes autour d’elle. Luce décida de sortir de la ville, délaissant les rues pavées et les immeubles ternes. Après quelques minutes de marches, l’intrépide s’émerveilla de l’herbe – malgré qu’elle soit monochrome – et gambada sur le petit chemin de campagne en fredonnant une chansonnette entêtante. Si elle avait eu des ailes comme Libero, elle se serait envolée. Qu’est-ce qu’elle se sentait légère après la discussion avec l’homme-oiseau ! Sa première mission anti-gris était un succès, elle espérait qu’il trouvera de nouvelles connaissances, qu’il pourra enfin dire au revoir à sa solitude.

Les épis de blé autour de Luce dansaient au rythme d’un doux vent, en marchant, elle les effleurait de ses doigts. Elle cueillit des fleurs aux nuances de gris, mais aux pétales douces et légères. A son contact, elles devinrent bleu, rouge, jaune, blanche ou violette. L’aventurière s’en réjouit, le sourire grandiose. Quelques arbres poussaient au milieu des champs, et Piccola Luce crut voir des silhouettes assises sous un chêne. Curieuse, elle s’avança, écartant les épis de son visage. En s’approchant, elle discerna deux personnes, un garçon et une fille contemplant un livre. Ils levèrent la tête en entendant le bruissement des plantes sous les pas de Luce. Cette dernière leva sa main en signe de salut.

- Bonjour ! s’exclama le garçon.

- Bonjour à vous deux !

La fille sourit timidement, serrant son t-shirt orangeâtre nerveusement. Piccola Luce s’arrêta en face d’eux. Le garçon à la peau noire se mit à jouer avec ses cheveux d’ébènes.

- Que faites-vous de beau ? demanda tranquillement l’aventurière tout en s’asseyant.

La fille tritura le coin de la page du gros livre.

- Nous lisons, souffla-t-elle.

- C’est merveilleux ! Quelle est l’histoire ?!

Le garçon ferma le livre et le tourna vers Luce qui s’en saisit. Celle-ci caressa la reliure rouge vive. Les lettres or formaient le mot « Vies » d’une calligraphie arrondie.

- Comme c’est beau… et énorme !

Elle ouvrit délicatement le livre. La première page bruissa légèrement tandis qu’une odeur d’orange s’échappait.

- Mmmmh… c’est vraiment merveilleux, soupira Luce.

Elle leva les yeux vers les deux enfants. Ils avaient la mine gênée.

- Pourquoi ne parlez-vous pas ?

Le garçon eut un sourire crispé.

- Je ne sais pas.

Luce fronça les sourcils.

- Ah. Et bien, quels sont vos prénoms ? Moi, je suis Piccola Luce.

A sa dernière phrase, elle leva le menton, fière d’elle. Les deux enfants se regardèrent. La fille ébouriffa ses cheveux courts auburn, puis murmura :

- Je suis Timi, et lui, Vacci. Mais…

Elle se tut.

- Mais… ? réitéra Luce.

Le garçon nommé Vacci soupira.

- Nos prénoms nous rappellent ce que nous ne serons plus… Trop de souvenirs.

Luce resta interloquée. Timi montra le livre.

- Tout est dedans. Tout.

L’aventurière se ressaisit :

- Tout quoi ?

- L’avant… chuchota la fille d’une voix cassée, le bonheur.

- Que s’est-il passé ? questionna Luce.

Vacci récupéra le livre, feuilleta les pages ou s’entremêlaient textes, dessins et images, représentant des sourires, des scènes d’amour et de joie. Enfin, il s’arrêta. Sur la feuille qu’il montra, une énorme tâche d’encre noir s’écrasait sur une photo. Vacci continua de feuilleter le livre, plus aucune images ou textes, seulement la flaque sombre qui s’estompait légèrement.

- Tout a été gâché, entaché. Tout ce qui pouvait suivre. Tout salit. Nous ne pouvons pas poursuivre le livre.

Timi étouffa un sanglot. Luce était désemparée.

- Vous êtes enfermés dans votre passé.

Ils hochèrent la tête, les lèvres tremblantes. Timi retourna au début du livre et inspira.

- Luce. Sens cette douce odeur d’orange. C’est si agréable, si apaisant. Regarde ces images souriantes. Lis ces écrits délicats et joyeux. Ces souvenirs… sont tellement réconfortants. Je me souviens de cette bicyclette que j’utilisais toujours pour aller en ville…

Piccola s’émerveilla quelques instants des innombrables petits bonheurs qui s’entassaient dans le livre. Mais elle secoua la tête rapidement, et toussota pour attirer l’attention des deux enfants qui admiraient leurs souvenirs.

- Il reste beaucoup de pages blanches, déclara l’aventurière, il faudrait les remplir.

Timi ouvrit de grands yeux.

- Mais la tâche a tout saccagé !

- Et alors ?

- Bah, elle restera toujours sur les pages, soupira Vacci, on peut pas l’effacer.

Luce haussa un sourcil.

- Vous pouvez l’égayer, vous pouvez l’entourer de décorations, de joie. Vous pouvez continuer le livre, elle ne prend pas toute la place !

- Je ne crois pas… souffla la fille.

Piccola Luce se mit debout, la moue boudeuse.

- Bien sûr qui si ! Il est moche ton livre s’il est inachevé ! Je veux connaître la suite ! Vous allez pas ressasser les mêmes souvenirs inlassablement, faut en créer d’autres ! Cette flaque noire n’est pas belle, mais est là, il faut vivre avec ! Acceptez-le !

Les deux enfants baissèrent piteusement la tête.

- Tu penses vraiment que la tâche ne gâchera pas encore tout ?

- Oui.

- Tu crois vraiment que l’on peut continuer le livre avec ?

- Oui.

- Il sera quand même beau ?

- Bien sûr.

Vacci tourna la tête vers Timi. Elle acquiesça timidement. Alors, sous leurs yeux éblouis, une nouvelle page se dessina. Deux enfants en t-shirt de couleur chaude, et une petite fille camouflé sous un grand chapeau bleu azur, sous un arbre automnal, observaient un livre rouge. Une tâche noire flottait au dessus d’eux, mais des petits croquis l’embellissaient. Quelques lettres s’écrivirent comme une légende : « C’est le moment de tourner la page ».

Luce sourit, dissimulant presque ses yeux sous ses pommettes pendant que les enfants suivirent les mots inscrits fébrilement. L’aventurière se leva, épousseta son pantalon, et réajusta son couvre-chef. Luce sortit une palette de peinture à espoir, la déposa sous l’arbre, et renfila son sac à dos puis repartit dans les épis blé. Un papier volant s’écrasa sur son visage, elle le rattrapa, dessus, elle discerna deux enfants souriants, assis sous un arbre où le feuillage accumulait des projets d’avenir aux effluves orangées.

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mariedeloin
Posté le 19/12/2020
Tu trouves toujours de belles idées, très poétiques et délicates.
On aimerait croiser ta "Luce" quand ça ne va pas...
J'aurais bien aimé ce chapitre plus long, pour développer et me délecter encore de l'idée.
Elf
Posté le 19/12/2020
Héhé, merci ♥
Oh, j'imagine qu'il y a quelques petites Luce un peu partout, sans qu'on s'en aperçoive réellement... Des petits rayons qui s'en vont et s'en viennent...
Encore merci !
Isapass
Posté le 04/12/2020
Encore une très jolie idée ! Décidément, elles t'inspirent, ces cartes, c'est chouette. J'aime beaucoup que Luce ne se prenne pas trop au sérieux malgré les "exploits" qu'elle accomplit. Du coup, ton histoire prend la forme d'un conte délicat où la morale (les morales) sont suggérées et non assénées, et c'est bien.
Par contre j'ai remarqué quelques problèmes de concordance des temps, notamment au niveau de ton utilisation du futur. Comme tu racontes au passé, tous les futurs devraient être des conditionnels.
Mais c'est vraiment la seule chose que j'ai notée (et pourtant je suis spécialiste du pinaillage).
Bravo pour cette adorable Luce !
Elf
Posté le 04/12/2020
Alala, merci, encore merci ! Tes mots me touchent !
Oh, oui, je ne voulais pas quelque chose de trop lourd, ou moralisateur... juste faire passer quelques petits messages ça et là, qu'on peut ignorer.
Ah, mince, je vais corriger ce problème ! Merci de l'avoir relevé !

Merci ♥
The Pighead
Posté le 02/08/2020
Alors, Elf, question : est-ce que t'as lu dans mes pensées pour trouver l'inspiration ? Because I feel attacked.

Plus sérieusement, en tant que personne ayant beaucoup, BEAUCOUP de mal à ne pas rester bloquée dans un passé quelque peu idéalisé et à tourner la page au sujet de certaines choses, je relate beaucoup trop à Timi et Vacci. Genre, vraiment. Et c'est la principale raison de pourquoi ce nouveau chapitre est, encore une fois, très bien. C'est simple, mais chapeau bas !
Elf
Posté le 02/08/2020
Nooooon, je n'ai pas encore le don de télépathie XD
Je suis contente que tu puisse comprendre Timi et Vacci et que ça te plaise <3 (je ne sais pas trop quel sujet aborder à chaque fois, et quand j'ai trouvé, ils en font qu'à leur tête, et ça change un peu x) C'est un peu simpliste, parce que je sais que dans la réalité, c'est un long travail pour se détacher du passé, et je suis soulagée que ça ne paraisse pas 'banalisé'...
J'espère que tu sauras toi aussi tourner la page et décorer de nouvelles avec des couleurs, des odeurs, des sourires, à aimer l'avenir ;) (n'oublie pas, tourner la page ne veut pas dire l'arracher du livre, on peut toujours relire une histoire cents fois en l'adorant encore et encore, mais il reste encore d'autres chapitres à découvrir... <3)
Peace :)
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