Le goût du pouvoir

Par Jibdvx

Les deux hommes se faisaient face. Non, c'était un monstre qu'Elio affrontait. Le visage de Donovan était exsangue, l'éclairage rouge du vieux temple creusait ses traits de crevasses obscures et tous les muscles de sa mâchoire étaient tendus à l'extrême. De sa bouche grande ouverte dépassaient une multitude de dents aussi affûtées que des lames. Mais le plus terrifiant était ses yeux. Deux billes brillantes comme des rubis et brûlantes d'une haine glacée. Sa carrure, déjà imposante, semblait avoir doublée. Il arquait le dos à la manière d'un félin prêt à bondir, fixant le jeune homme de ses prunelles ardentes. Elio s'aperçut que du sang gouttait de la main droite du Comte et il s'était visiblement brisé les doigts en frappant le sol du temple. Mais Donovan ne semblait pas éprouver la moindre douleur, seul demeurait son expression meurtrière.

Le chevalier recula d'un pas et raffermit sa prise sur son arme. Il préférait rester sur la défensive. Le Comte releva lentement sa main blessée à la hauteur de son visage, sans pour autant quitter Elio des yeux. Les articulations du membre endommagé craquèrent alors que ses doigts retrouvaient peu à peu leur mobilité. Le chevalier observa, médusé, la main du Comte cicatriser à une vitesse hallucinante. En quelques secondes, on aurait juré que rien ne s'était passé, il n'y avait même pas de cicatrice ! Sur son socle étrange, le masque tressauta, le rire pouvait se lire sur sa face de pierre.

Impressionnant n'est-ce pas ? Arthur fut le seul de sa lignée à avoir compris ce que j'avais à lui offrir. L'immortalité, le pouvoir, la beauté éternelle, n'est-ce pas là ce que chaque humain désire ? Humain, il ne l'est plus. Voilà cinq années que lui et sa famille ont rejeté votre nature frêle et imparfaite. Mais une démonstration vaut mieux qu'un long discours...

Donovan disparut.

Elio se retourna, son épée fendant l'air. Mais elle ne rencontra que le vide. Le chevalier regarda de tous les côté, il était difficile de discerner quoi que ce soit dans le clair obscur rougeâtre du lieu. Il lui sembla entendre le sifflement d'un courant d'air, un frisson lui parcourut l'échine.

« Où est-il passé ? » se demanda Elio en tournant lentement sur lui même.

Une idée lui traversa l'esprit, il arrêta son manège et leva la tête pour scruter les méandres obscurs du plafond de la structure. Là haut, perchés à plus d'une dizaine de mètres du sol, deux points rouge sang incandescents le fixaient. Un feulement retentit dans les hauteurs et quelque chose fondit sur lui à toute vitesse. Elio esquissa un sourire, une attaque par au-dessus, bien qu’impressionnante, n'était pas imparable. Il changea de posture et attendit le dernier moment pour frapper. Il devait voir le visage de son adversaire.

Cela ne dura que quelques instants. Le chevalier détendit son bras juste avant l'impact, son épée décrivit un arc de cercle argenté. Elio sentit la résistance de la lame tranchant la chair, il entendit un grésillement, comme de l'eau froide versée sur une poêle trop chaude, puis une odeur de brûlé lui monta aux narines. Il devait voir son visage. Son regard tomba alors dans celui, incarnat, d’Artémis Donovan. Son visage fin et d'une pâleur extrême exprimait la stupeur. Sa bouche grande ouverte passa à quelques centimètres du visage du jeune homme qui put admirer de magnifiques rangées de dents blanches et pointues.

« Mais alors, où est le...? »

Il n'eut pas le temps de se rendre compte de ce qui lui arrivait. Quelque chose émergea des ombres du temple et l'attrapa violemment à la gorge. C'était comme avoir le cou pris dans un étau, il se sentit soulevé du sol et plaqué contre une colonne. Sa tête heurta la pierre et des étoiles lui dansèrent devant les yeux, sa respiration fut coupée sous le choc. Le Comte le tenait de sa seule main gauche, son visage déformé était redevenu à peu près humain, il avait presque l'air calme.

— Attendez ici, lui dit-il d'un ton glacial.

Donovan lui décocha un simple coup de point dans les côtes. Elio entendit ses os se briser et une douleur vive lui déchira le ventre. Un goût de fer lui monta à la bouche, ça n’annonçait rien de bon. L'emprise sur sa gorge disparut et il glissa le long de la colonne pour tomber en position assise. Il toussa bruyamment et cracha un peu de sang en se tenant l'abdomen. Aucun doute, il avait plusieurs côtes brisées. À peine put-il relever la tête qu'un second coup de poing en plein visage le fit s’effondrer au sol, la joue contre le granit froid.

À travers ses paupières mi-clauses, Elio vit le Comte s'en retourner vers le corps d'Artémis. Il se pencha et ramassa un gros objet rond par terre, un peu plus loin. Le chevalier se congratula en silence malgré le brouillard qui lui obscurcissait l'esprit. Au moins il n'avait pas manqué son coup. Donovan murmura quelque chose. Elle lui répondit.

Touchant. Si je le pouvais, je verserais une larme. Dommage...

Le Comte serra la chose contre son cœur tout en la berçant.

L'aventure peut se terminer ici pour toi, tout dépend de ton choix.

Elio se releva péniblement sur son séant. Le masque était posé à côté de lui, le fixant de ses orbites vides.

Mais fait vite, le temps commence à manquer.

Donovan s'arrêta, revint vers le corps de sa femme, le souleva et remis la tête, qu'il avait toujours dans la main, en place. Puis il allongea délicatement Artémis contre les marches menant à l'affreux autel. Elio hésita et s'agenouilla en grognant face au masque, les bras ballants. Il avait gardé son épée.

— J'ai déjà choisis, articula-t-il.

Puis il leva haut son épée en alliage d'argent, la pointe en direction de l'odieux faciès de pierre.

— Fascinant.

Elio ne pouvait plus bouger le bras. Il tourna la tête et vit le Comte penché sur lui. Donovan lui arracha son épée des mains et la jeta un peu plus loin, hors d'atteinte. Il souleva une nouvelle fois le chevalier, par le col, sans aucune difficulté et le porta jusqu'au corps d'Artémis. Elio ne se débattit pas, il se contenta de fixer Donovan avec fierté. La Comtesse était comme endormie, toujours aussi belle. Exception faite d'une large cicatrice lui barrant la nuque. Les bords de la blessure étaient rouges et gonflés, comme une brûlure.

— Je trouve votre courage fascinant chevalier, dit le Comte. Alors que votre heure à sonné, vous faites face à la mort sans aucune crainte. Vous me rappelez l'obstination de mes ancêtres, enfermés dans leurs convictions, ils sont morts en idiots.

— Mieux vaut mourir en idiot que vivre comme un monstre, cracha le jeune homme.

— Ne soyez pas hypocrite. Vous préféreriez vivre pour toujours mais ce pouvoir vous effraie.

— Qui voudrait d'un tel pouvoir ? Elio détailla Donovan des yeux et sourit.

— Peu importe, soupira le Comte. Votre sang servira à soigner ma tendre épouse. Réjouissez-vous, vous aurez au moins pu sauver une personne cette nuit...

Arthur Donovan ouvrit la bouche, découvrant son sourire carnassier.

— Pourquoi avez vous quitté votre lit ? J'avais tout prévu : des comtes falsifiés, de faux témoignages et même une fausse attaque ! Vous seriez rentré auprès de votre roi pour le presser de renforcer la sécurité sur les routes et la suite n'était plus de votre ressort. Alors pourquoi sortir fouiller en pleine nuit ?

Une petite voix s'éleva de derrière le Comte.

— C'est un peu de ma faute papa...

Elio sourit de plus belle. Christiane se tenait près de l'autel, l'épée du chevalier dans une main et le masque coincé sous son petit pied. L'artefact tremblait comme pour chercher à se soustraire à l'emprise de la petite fille.

— Mais c'est lui qui me l'avait demandé, rajouta Christiane en pointant l'objet maudit avec l'arme d'Elio.

Et crois bien que je m'en serais abstenu si j'avais su que tu me désobéirais, sale gamine !

Donovan n'accordait plus la moindre importance au chevalier qu'il tenait toujours suspendu à bout de bras.

— Christiane, dit-il, affreusement calme. Pose cette épée, elle est très dangereuse pour nous et remet notre Seigneur sur son trône. Sinon, je vais devoir me fâcher.

Il fit un pas vers la petite. Toute l'attention du Comte était fixée sur le masque.

— Est-ce que c'est vrai papa ? Que nous sommes des monstres comme ceux des histoires que tu me raconte pour me faire peur ? Il m'a parlé en pensée, il m'a dit ce que tu as fait aux habitants du village et à beaucoup d'autres personnes. Mais je n'ai pas voulut y croire. Est-ce que c'est vrai papa ?

Les yeux des Christiane étaient embués de larmes, la lame de l'épée d'argent tremblait à quelques millimètres du masque.

Honore ta part du marché Donovan ! Si tu ne veux pas finir comme tes ancêtres, débarrasse moi de ta fille sur le champs !

Le Comte s'approcha encore. Il tendit son autre main vers sa fille. Ses yeux avait retrouvé leur teinte cramoisie et il découvrit ses dents pointus.

— Maman et moi, nous avions remarqué que tu changeais papa. Tu restais de plus en plus longtemps dans ton bureau et tu partais de plus en plus loin chaque semaine. Tu ne voulais pas nous dire ce que tu faisais mais... maintenant je sais. Et je ne veux pas que tu continue à faire souffrir les autres pour nous protéger.

Elle planta son regard dans celui d'Elio, qui commençait à manquer d'air.

— Christiane...

Donovan avançait toujours, reprenant peu à peu sa posture féline.

Assez de sensiblerie ! Fait le !

— Papa... fit Christiane en pleur.

— Brise la malédiction Christiane, croassa Elio. Libère ta famille.

— La ferme ! hurla le Comte.

Il lança le chevalier en travers du temple comme s'il avait s'agit d'un vulgaire bout de bois. Elio rasa le sol de pierre sur plusieurs mètres et roula sur lui même en protégeant ses côtes meurtries tant bien que mal. Un bref instant, il vit Donovan se précipiter sur sa fille, l'écume aux lèvres et les mains tendues vers le visage de Christiane. Elle abattit son bras en voyant son père se ruer vers elle en jetant un dernier regard en direction du chevalier étendu sur le sol, impuissant.

Il y eut un crépitement, suivi d'un bruit semblable à du verre brisé en mille morceaux et une obscurité totale envahit le temple.

Le pacte de sang a été rompu. Le tribut doit être payé.

Elio sentit un froid intense gagner toute la salle. Il plissa les yeux pour tenter de voir ce qui se passait mais rien n'y fit. Puis trois voix s'élevèrent dans les ténèbres elles étaient lointaines, comme si elle provenaient de différents endroits et de partout à la fois, mais l'une d'elles avait un timbre plus audible que les deux autres.

— Il a toujours été trop impatient...

— CELA CONTRARIE NOS PLAN.

— Aucunement. Faites moi confiance.

— Que fait on de l'autre ?

— Son heure n'est pas encore venue. Finissons en. J'emporte ses restes, ils me seront utiles.

— Fais comme bon te semble, comme toujours.

Les voix se turent. Elio se retrouva seul dans l'obscurité. Il réussit à se relever en tâtonnant. Heureusement, sa blessure était moins grave que ce qu'il croyait. Ou alors il ne ressentait tout simplement pas la douleur.

Au bout d'un temps infini, il trouva enfin l'entrée du temple et l'escalier. Il monta les marches dégoûtantes une à une. À côté de ce qu'il avait vécu là-dessous, c'était une promenade de santé. Il poussa la porte vermoulue en grognant sous l'effort. Il entendit de l'agitation. Il y avait foule dans le manoir. Il remonta le couloir à pas lent et déboucha dans l'entrée, où s'était attroupée une vingtaine de personne parmi lesquelles Elio reconnut les gardes qu'il avait croisé la veille. Il y avait aussi Constance, la servante des Donovan, qui était en tête du cortège. Quand le chevalier émergea du couloir, tous se tournèrent vers lui.

— Messire ! s'exclama Constance en accourant dans sa direction. Vous l'avez fait ! Vous nous avez sauvé de la sorcellerie des Donovan ! Vous êtes un héros !

Avant de s'écrouler sur le tapis, exténué, Elio murmura :

— Si seulement...

***

— Et vous dîtes qu'il ne reste plus aucune trace de la famille Donovan ?

Achab le Juste faisait les cent pas en s'appuyant sur sa canne à pommeau d'or sertie de pierres précieuses.

— C'est exact votre Altesse. Après que les villageois m'eurent recueilli et soigné, nous fouillâmes le temple à la recherche d'indices. Il ne restait que mon épée. Le masque maudit et les Donovan s'étaient volatilisés. Sans doute emmenés par les trois individus que j'ai entendu.

Achab fouragea dans son épaisse barbe, toussa dans son mouchoir et repris, pensif.

— Concernant ces trois voix, êtes vous absolument certain de ce que vous avez entendu ? Après une telle épreuve...

— Je suis absolument sûr de ce que j'ai entendu mon Roi, mais vous n'avez que ma parole.

Le vieux roi eut un petit sourire malicieux.

— Si je ne pouvais me fier à votre parole, je ne vous aurais pas choisis pour cette mission. Vous avez brillé Sire Elio Kalos. Vous avez mis fin à la malédiction qui pesait sur ce village et grâce à vous, il renaît de ses cendres.

— Je n'ai fait que mon devoir votre majesté, répondit Elio en s'inclinant.

Achab le Juste s'approcha du jeune homme et posa sa main noueuse sur son épaule.

— Votre père aurait été fier de vous.

— Je m'efforce d'appliquer ses leçons chaque jour Majesté.

— Excellent, chevalier. Car je vous charge d'une autre mission : partez enquêter. Découvrez ce qu'était cet artefact maléfique et retrouvez la trace de nos trois inconnus. Je sens que de la résolution de ce mystère dépendra l'avenir des Royaumes.

Elio se releva.

— À vos ordre votre Altesse !

Dans un claquement de cape, le chevalier s'en retourna vers de nouveaux périples.

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