le feu et le vent

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Les mots proposés étaient : soleil, lumière, feuilles mortes et rythme. J'ai donc décidé de mettre sur ces mots là une histoire qui pourrait s'entendre en écoutant "La valse d'Amélie Poulain".

C’était comme si jamais rien au monde n’avait existé. Un mouvement fin et fort se fit, lentement, brisant la quotidienne du vent. La feuille frôla follement le vent avec tendresse ; pour l’heure, ils étaient amants. Sous la lumière complice d’un soleil d’automne, une feuille rousse et vivace jouait avec le vent une histoire d’amour éphémère. Prenant le rythme d’une valse, elle se laissait guider, d’un côté, puis de l’autre, ballottant doucement, tournoyant tranquillement, pour le début de leur rêve. Mais elle ne pouvait bouger plus ; le vent si avide pouvait vociférer et vouloir autant, la feuille pour vivre devait demeurer vissée à sa branche. Bien que rousse, il lui restait tant à faire, tant à voir : elle ne se sentait pas prête à se dégager de son perchoir. Ainsi, cette valse cassée, dansée qu’à moitié, les enivrait avec tristesse ; la danse perdurait, incomplète.

 

Mais la patience du vent ne vaut pas un vœu. Se lassant de la tranquillité de sa valse de bac à sable, d’un coup sec il délogea la feuille rousse, cette feuille d’érable si sage et si veule de son cocon familial. Laissant tomber en un coup de vent tous ses soucis et ses peurs, la feuille abandonna. Ballottant passionnément, fervemment, elle était au gré du vent, jouet de ses plaisirs. L’intensité de leur amour brûla alors la lumière du soleil ; la musique s’emballa dans leurs tournoiements incessants, comme si une feuille aussi légère ne pouvait que voler. Ils tourbillonnaient ensemble, promptement, se rapprochant, s’éloignant, dans un même mouvement qui ne pouvait que les rassembler. Le vent était complet ; cette feuille rousse lui donnait vie, force, apparence. Avec elle, il était visible, il était aimé. Mais dans l’aveuglement de cette passion dévorante, la feuille ne pouvait s’en sortir indemne. Tournoyant à en perdre la tête, sa tige autrefois si fixe ne trouvant plus le nord, sa douce chair phytomorphique se laissait mordre par ce vent violent. Des bouts d’elle-même, comme des morceaux de sa robe, s’échappaient hors de la danse infernale. Au fond, elle savait sans doute qu’elle rêvait pour la dernière fois. La valse s’engrenait, s’intensifiait, paroxysmique. Le vent devenait tempête, violente et destructrice, s’enivrant de sa force et de sa forme, la poussant à sa fin. Plus rien au monde ne semblait avoir d’importance ; tout n’existait que pour cette forme difforme et sauvage que le vent prenait avec cette simple feuille, victime de son humeur baladeuse. Les sons devenaient plus rapides, plus fort, s’enchaînant jusqu’à n'être un cri qui vibrait entre les deux êtres. La valse se transformait en un appel à l’aide.

 

Puis ; tout s’arrêta. Le vent tourna, une dernière fois. Et il s’en alla. Brutalement, comme si rien n’avait eu lieu. La feuille se trouva seule, dans les airs, douce et triste. Son vent mélancolique l’avait quitté. Le son de la valse résonnait encore à ses oreilles, mais désormais plus rien n’existait. Comme si tout était sans importance. Et la feuille blessée, sans ailes, ne pouvait que se laisser tomber, lentement, vers un univers dont elle ignorait tout. Après toute la force vitale dont elle avait fait preuve, ses sensations l’abandonnaient, détachée de l’arbre qui lui avait donné le plaisir d’observer les rayons de soleil durant si longtemps. La feuille, seule, ne tournait plus, ne volait plus ; tout mouvement l’avait quitté, alors qu’elle sombrait au sol avec toute la lourdeur de son petit corps écarté comme un parachute troué. Et si bien rythmé qu’était cette valse, elle comprit en un dernier soupir que le vent était ainsi, sans distinction, avec toutes les feuilles de passage. Le soleil eut un dernier reflet sur elle, avant que tout devienne noir.

 

Elle tomba sans un bruit sur l’herbe verte. Elle ne bougea pas plus. Entouré de centaines d’autres feuilles d’érable, toutes similaires, quelque chose en elle venait de la quitter. Le vent la frôla de près, caressant la terre, plusieurs fois, comme pour relancer une ultime danse. Mais la valse était cassée ; plus rien ne prit. Tout l’abandonna alors ; c’était une simple feuille morte qui avait touché le sol.

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Cherry
Posté le 03/04/2021
Pouiny !
Ce petit conte est si beau, destructeur, poétique et poignant. J'ai beaucoup aimé cette personnification que symbolise la feuille et le vent. On aurait dit deux danseurs amoureux avant que l'homme ne se délaisse de la femme. Tu sais quoi ? J'ai mis "La valse d'Amélie Poulain" et j'ai lu en même temps que la mélodie. C'était un agréable petit moment de joie. Cette musique s'accorde à merveille avec ton histoire.

A bientôt !
Pouiny
Posté le 03/04/2021
Merci beaucoup ! Je suis content qu'on ressente le lien entre la musique et l'histoire ^^ Et c'est vrai qu'on pourrait personnifier, et aller plus loin que ce que j'appelle vent et feuille ^^

Merci pour ce retour, ça fait très plaisir ! :D
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