Le dinner de Teignmouth

Par Raph

Jason avait treize ans quand la forêt l’avait englouti. Lui et Orion allaient à ce collège de campagne qui accueillait tous les gamins des villages environnants. Il fallait s’y rendre en vélo, et les deux frères adoraient cette liberté, cette indépendance qu’avaient été obligés de leur céder leurs parents. Ils avaient seulement deux ans d’écart, et à se soutenir l’un l’autre depuis la naissance, ils étaient non seulement proches, mais aussi confiants et audacieux, ignorant de la solitude et de nombre d’angoisses. Orion, ce qu’il préférait, c’était les gens. Un collège presque aussi peuplé que Teignmouth, fourmillant de gens de son âge, de personnalités à découvrir, d’amis à se faire. Jason préférait de loin les longs trajets à vélo, quand les roues se couvraient de l’ocre des feuilles et du brun tourbeux du sentier. Il aimait la forêt et ses grands arbres, son silence lourd d’un sens caché quasi-mystique, les pans de fourrure qu’il apercevait parfois au loin dans un éclair, réfugiés la seconde d’après sous un buisson ou derrière l’écorce des arbres.

Et puis, ça avait été tout bête. Un soir, Orion avait fait un détour. L’un de ses nombreux amis avait reçu une nouvelle console, ou un nouveau panier de basket, et lui avait proposé de venir y jouer chez lui. Leurs parents rentraient tard ce soir-là, Orion avait accepté, avait tourné à un embranchement, avait laissé Jason seul sur son vélo, dans un sentier forestier. C’était à dix minutes de trajet de chez eux, mais Jason n’était jamais rentré. Il avait mis huit ans à rentrer, se corrige mentalement Orion. Il ne se fait pas à l’idée que Jason soit revenu. Qu’il soit là, au rez-de-chaussée, avec ses vêtements boueux et son regard mort. Il ne saisit pas vraiment pourquoi, mais ça le met foutrement en colère. À peine arrivé, il s’est réfugié à l’étage, sans un mot pour personne. Ses parents étaient de toute façon obsédés par Jason. Est-ce que c’est ce qu’il aurait dû ressentir aussi ? Il n’y a rien en lui ; son cœur bat normalement, sa tête est froide. Aucun tremblement, aucune angoisse. Simplement de l’irritation. Est-ce qu’il faudrait aller lui parler ? Lui dire « tu m’as manqué » ? Jason lui a manqué pendant huit ans, Orion a vécu avec le poids de son absence, avec cette ombre constante. Mais maintenant Jason est revenu et l’ombre est toujours là, son corps toujours aussi lourd. Il a appris à ne plus pleurer son frère, mais il ne s’est jamais préparé à son retour. Comme s’il avait toujours été impensable qu’il puisse réapparaître. « Merde », il souffle. Est-ce que tu dis ça pour toi ou pour ton frère ? Aucune idée. Le sens s’est enfui devant la silhouette de Jason. De son long voyage il ne leur ramène que l’absurde et le silence. Les mains pleines de terre et l’émotion échappée. Il ne pouvait pas leur faire pire cadeau. « Merde ». Ça aurait peut-être été plus simple si tu étais resté mort.

*

J’ai nettoyé le sang sur le canapé avant que Maman et Louise ne rentrent. Ce n’est pas complètement parti, et il y a quelques taches foncées que j’ai dissimulées sous un coussin. Je ne voulais pas vraiment que Jason ait laissé des traces de son passage chez moi, sans trop pouvoir expliquer pourquoi. Si j’avais pu, j’aurais même omis de parler de lui à ma famille, mais l’affaire allait certainement secouer le village pour quelques mois, alors il n’y avait aucun moyen qu’elles n’entendent pas parler de sa visite impromptue dans leur maison.

Quand la porte s’est ouverte pour la troisième fois de la soirée, je faisais semblant de lire un livre, la main posée sur la page et l’esprit chez Jason et Orion, à me demander à quoi ressemblerait l’ambiance chez eux ces prochains jours. Ça allait sûrement être très gênant pour eux quatre.

« Viens nous aider, Lyce ! a fait ma mère en ouvrant grand la porte. J’ai récupéré des encombrants sur le chemin du retour, on a besoin de toi pour porter le fauteuil à l’intérieur. Ce truc pèse un âne mort. »

Un samedi à vingt-trois heures. J’ai soupiré, maudissant ma mère et son enthousiasme. Ça nous a bien pris vingt minutes pour sortir tout ce qu’elle avait récupéré. Elle était super heureuse à l’idée de tout retaper, et nous on savait très bien qu’elle ne le ferait jamais mais ça nous fait toujours un peu sourire, Louise et moi, de la voir s’emballer pour un rien. J’ai attendu qu’on soit tous rentrés pour leur raconter. Elles m’ont pas cru d’abord – pourtant, je fais jamais de blagues, et sûrement pas d’aussi mauvaises. Quand je leur ai montré les taches de sang sur le canapé, elles ont arrêté de fixer sur moi leurs airs sceptiques et elles se sont abîmées dans un long silence. Avec leurs yeux flous et leur moues confuses, j’ai cru revoir Jason. Puis Louise a relevé la tête et a dit :

– Et Jane, elle a essayé de suivre les gouttes de sang ?

– Non, j’ai dit. Il y avait quelques gouttes sur le perron mais avec sa lampe-torche, elle n’a réussi à rien voir dans l’herbe. Elle a dit qu’elle repasserait demain matin avec des hommes pour exploiter cette piste-là et comprendre d’où vient Jason.

– On pourrait peut-être aller regarder aussi, pour voir si on trouve quelque chose ce soir.

– Hors de question, l’a coupée maman. Ce soir, on ferme tout à double tour, au cas où les détraqués responsables de l’enlèvement de Jason soient dans le coin. Et demain, on se lèvera tôt pour aider la police de notre mieux.

– Je vois pas pourquoi les mecs qui ont kidnappé Jason viendraient errer près de chez nous, maman. Ce serait assez stupide de leur part.

Là, maman et Louise ont commencé à se disputer, alors je me suis levé et leur ai souhaité bonne nuit. Louise est montée à l’étage peu après moi, et j’ai entendu Maman s’affairer au rez-de-chaussée pendant un long moment, avant que le sommeil ne me cueille en plein milieu de mes rêves à moitié éveillés, où Jason et Orion dessinaient des flèches sur les troncs des arbres, en utilisant le sang qui gouttait de leurs bras.

Je me suis réveillé dans une fourmilière. Louise et maman étaient déjà debout, et je les entendais parler avec différentes voix que je ne connaissais pas. Je me suis habillé en écoutant. Un éclat de voix de Jane, une réponse de son adjoint, un gars quelconque dont j’oublie toujours le nom. Les autres, impossible de les reconnaître. Sûrement des agents d’autres bourgades, rapatriés ici en urgence. En descendant, j’ai salué les policiers d’un sourire, me suis glissé jusqu’à la machine à café. J’espérais qu’ils ne me demanderaient pas de raconter encore une fois l’arrivée de Jason chez moi, mais ça n’a pas manqué. Une des femmes que je ne connaissais pas m’a coincé dans la cuisine, un bloc-notes à la main, et m’a prié de recommencer mon récit depuis le début. J’ai reconnu dans ses mains le carnet de Jane, et j’ai compris qu’ils voulaient vérifier la cohérence de mon récit. Comme si on pouvait mentir à notre shérif, à ses deux mètres de haut et à sa mine intimidante. J’ai trouvé ça un peu marrant, que je sois là, en caleçon, avec à la main la tasse « Sleeping beauty » de Louise. J’ai essayé de faire une blague là-dessus, mais l’agent face à moi n’a pas ri du tout.

– Cette affaire est très sérieuse, monsieur, elle a dit en dardant sur moi un regard accusateur.

Ça commençait déjà à me fatiguer, toutes ces histoires. « Ils feraient mieux d’aller comprendre ce qui est arrivé à Jason avant qu’il ne soit revenu ici », j’ai pensé en regardant par la fenêtre. D’autres uniformes gesticulaient dehors, fouillant le terrain à la recherche de je ne sais quel indice. J’ai repensé aux traces de sang, et j’ai deviné qu’ils les avaient trouvées, puisque plusieurs endroits étaient marqués de piquets aux bandes fluos. Ils faisaient un trajet rectiligne, reliant en pointillés ma maison à l’orée de la forêt. Plus de doute possible.

Jason avait disparu en forêt il y a huit ans, et hier seulement il en était ressorti.

Après mon énième compte-rendu de la soirée d’hier, Jane est venue nous dire qu’ils allaient encore rester quelques heures chez nous, et qu’ils risquaient de devoir revenir dans les prochains jours. J’ai failli lui demander s’ils comptaient retourner tout le terrain pour voir si Jason n’aurait pas aussi laissé des indices sous terre, mais ma mère m’a coupé en affirmant que ça ne gênait pas du tout et que nous étions ravis d’aider la police. Au regard qu’on a échangé avec Louise, rien n’était moins sûr. Maman a bien vu qu’on ne partageait pas du tout son avis, alors elle s’est levée et nous a proposé d’aller manger au dinner, « un peu pour fêter le retour de Jason et un peu pour ne pas rester dans les pattes de Jane ». J’ai pas osé dire que je n’étais pas trop sûr qu’il y ait grand-chose à fêter dans le retour de Jason. Elles découvriraient son état bien assez tôt.

Le dinner de Teignmouth est un coin plutôt crasseux. Les plombs flanchent une fois par mois, les tables sont grasses, le parking plein de serviettes en papier et couvercles en plastique qui se collent à vos semelles. Mais c’est aussi le centre névralgique du village, là où on se retrouve tous pour discuter, sortir, partager les nouvelles. Dans ma naïveté, j’avais pensé que personne ne serait encore au courant du retour de Jason, qu’il était encore trop tôt pour que l’information ait fait le tour du village. J’avais sous-estimé Teignmouth. À la seconde où on est entrés, tout le monde nous a fixé d’un air faussement indifférent. Les conversations se sont taries, troquées contre quelques œillades bouffées par la curiosité. Je les connaissais, les gens du village, et je savais qu’ils ne tiendraient pas longtemps à ce petit jeu. Moins que nous, en tout cas. Alors on s’est assis tous les trois et Emily est venue prendre notre commande quasi-immédiatement. C’était une fille de mon âge, mais on ne s’était presque jamais parlé. Elle avait été très amie avec Orion au lycée, mais maintenant qu’il était à l’université, je ne savais pas vraiment s’ils se fréquentaient encore. Elle avait toujours envers moi cette moue un peu condescendante, ce petit sourire de pitié distante, alors j’avais du mal à la trouver attachante. Elle n’a pas arrangé cette impression aujourd’hui, quand elle nous servait avec empressement, avec déférence presque, qu’elle s’adressait à moi comme si on était amis. Est-ce qu’elle croyait qu’elle s’attirerait nos faveurs si rapidement, qu’on lui confierait tout ce que nous savions de l’affaire pour prix de ses larges et faux sourires ? J’ai pas pu empêcher mes airs méprisants quand je me suis adressé à elle pour la commande, et je m’en suis voulu tout de suite après, de me venger aussi bassement comme ça. J’ai rajouté « s’il te plaît » et j’ai baissé la tête. Pas formidable, comme rattrapage, mais mieux que rien. Elle a pas eu trop l’air de s’en formaliser, et a résumé notre commande avec une voix sautillante (je n’avais jamais compris comment elle faisait ça, d’arriver à insuffler autant d’enthousiasme joyeux dans son ton) avant de repartir en cuisine. Ma mère et Louise ne prêtaient aucune attention aux regards appuyés des gens tout autour, mais moi ça me mettait franchement mal à l’aise. Je pressentais déjà que les journées suivantes allaient beaucoup ressembler à celle-là. J’ai eu soudain très envie de me recoucher. J’ai arrêté d’écouter ma mère et ma sœur qui recommençaient à se disputer (à propos, cette fois, des policiers qui avaient investi la maison ; je soupçonnais Louise d’avoir un peu d’herbe dans sa chambre et de s’inquiéter qu’un des agents ne la fouille, comme si la fumette de ma sœur pouvait les intéresser en ce moment).

En jouant distraitement avec le menu déchiré, j’ai laissé ma tête vagabonder un peu à travers le paysage vide que laissait voir la vitre mouchetée de traces de gras. Temps gris, parking gris. C’était comme si le jour nous rejetait brutalement dans une réalité vide, pour nous dire que tout ce qui était arrivé hier était décidément mystique, et que lui s’en lavait les mains. J’ai eu envie de dire « Merde » encore, parce que c’était le seul mot qui me semblait avoir un peu de substance face à toute cette histoire. Parce qu’avec l’effacement de la nuit, j’avais l’impression que tout le reste avait disparu aussi, que ça avait fondu dans les formes ternes du matin. Que Jason était reparti dans les bois, que son sang s’était lavé du perron et du canapé, que le vent ne faisait pas frissonner la canopée à ce rythme si étrange, qu’Orion n’avait jamais eu ce regard de confusion terrible sur sa face, que leur mère ne s’était jamais effondrée dans mon salon, que leur père n’avait jamais serré mes mains dans les siennes.

C’est là qu’il est apparu sur le parking gris du dinner. Le père de Jason et Orion. Comme pour me donner tort, à déchirer à grands pas le voile invisible qui avait recouvert ce moment entre hier soir et aujourd’hui. Comme pour plaquer contre la face du jour la preuve ultime que tout ce qui est onirique finit bien par se dépêtrer de la nuit. Il marchait en direction du dinner. Ma mère l’a vu aussi et même elle a arrêté de parler, pour mieux l’observer jeter en avant ses longues jambes frêles vers nous. Avant qu’il n’entre, c’était tout le bâtiment qui, le regardant s’approcher, s’était recueilli dans un silence complet, de ceux qu’on réserve aux traîtres ou aux gens endeuillés.

Il a pas eu l’air de remarquer quoi que ce soit quand il a poussé la porte. Ou alors, il était au-dessus du regard des autres. Le père de Jason et Orion, c’est un homme grand, mince, au corps sec mais aux mots toujours doux, jamais trop forts, rarement désagréables. Il est allé jusqu’au comptoir, a pris un café. C’est un homme qui fait partie intégrante de Teignmouth ; on le trouve au dinner tous les midis, au bar tous les soirs. Il travaille dans la seule usine qui soit à moins de trente minutes de route, comme la plupart des travailleurs du village ; ils se connaissent tous et partagent cette solidarité hermétique dont ma famille – et ma professeure de mère – est exclue. Il a bu son café, très lentement. Tout le monde le fixait et personne ne s’approchait de lui. Ça m’a frappé de déceler, en dévisageant les clients du dinner, une nuance de peur dans leurs rétines. Comme si le malheur qui éloignait soudain ses griffes de cet homme, comme si l’aspect mystique que revêtait l’affaire risquait de les toucher, de faire basculer les codes de leur monde dans un chaos fait d’inexplicable, de silence, d’illogismes. Et puis sans prévenir, ma mère s’est levée. Elle a marché droit jusqu’à lui et a pris le siège vide à son côté. Elle supporte mal la tension, ma mère. « Quelle conne », a chuchoté Louise.

Je trouve, moi, qu’elle s’est plutôt bien débrouillée. Elle a commencé à demander au père de Jason comment ils allaient, a proposé son aide. On savait tous qu’aujourd’hui, Jane avait emmené Jason dans l’hôpital le plus proche pour lui faire passer toute une batterie de tests, vérifier qu’au-delà de son mutisme, la machinerie de son corps n’était pas trop cabossée. Elle a assuré que les résultats prouveraient la « parfaite santé » de Jason et a dit qu’elle ne pouvait pas attendre qu’on jette enfin la lumière sur toute cette affaire. Le père hochait la tête doucement, remerciait à voix basse. Il a eu une petite moue quand ma mère a mentionné l’absence de blessures chez Jason (« un vrai miracle ») et j’ai très bien compris qu’il pensait à ses yeux vides, à son expression morne, à son mutisme. J’ai fermé les yeux et je me suis rappelé son regard quand il s’était retourné vers la forêt avant de partir. La seule fois de la soirée où il avait eu l’air d’exprimer quelque chose. L’indice d’un regret presque, d’une hésitation. Je me suis demandé tout d’un coup si la forêt manquait à Jason. S’il était heureux d’être revenu entre les siens, ces hommes et femmes qui les fixaient en silence, son frère qui n’osait pas l’approcher, sa mère qui pleurait. Est-ce que sa joie gagnait face au trouble ? Ma mère a couvert encore son interlocuteur de politesses et d’attentions, sous le regard désapprobateur des autres – à Teignmouth, on trouve plus délicat de laisser les autres s’occuper en privé de leur malheur. Elle a parlé des policiers qui étaient encore chez nous. Jane nous avait demandé la plus grande discrétion, mais ma mère n’est pas très bonne à ce jeu-là, et j’ai eu peur un instant qu’elle ne divulgue toute l’enquête de la police à l’entièreté du village. Mais elle n’a rien dit de plus.

Quand elle est revenue s’asseoir à notre table, elle a repris la conversation là où on l’avait laissée. Ce n’est que dans la voiture qu’elle a dit, d’une voix très douce : « il avait l’air sacrément fatigué ». Elle ne l’a pas formulé, parce qu’elle sait que moi et Louise on grogne toujours quand elle a des élans religieux, mais à son expression, j’ai deviné qu’elle allait prier pour eux ce soir, quand on serait couchés.

Quelques policiers finissaient de ranger leur matériel quand on est rentrés. Le gros de leurs forces était déjà parti, et ils nous ont expliqué qu’il leur faudrait probablement revenir, surtout si Jason leur donnait plus d’indices sur ce qui lui était arrivé. J’ai soupiré de soulagement quand le dernier a passé la porte.

Et le dimanche s’est écoulé lentement, coincé sous les lourds nuages et cette paralysie bizarre qui nous enserrait tous depuis hier. J’ai hésité à envoyer un message à Orion, parce que je me demandais comment allait Jason, mais je me suis dit qu’il devait déjà en recevoir des tonnes, et que je ne le connaissais pas assez pour ça. J’ai regardé mon écran un long moment ; quand même, j’aurais payé cher pour savoir ce qu’il se passait chez eux. Et puis ma mère est venue me faire un laïus sur les cours demain et l’importance de laisser Orion tranquille (on avait un cours en commun), et ça a fait dégonfler tout mon intérêt. Elle a cette force, parfois, de me lasser en quelques mots.

La soirée a été super longue, personne ne parlait, alors je suis vite reparti dans ma chambre, et comme j’arrivais à me concentrer sur rien, je suis allé me coucher. D’habitude, j’ai toujours un sommeil très lourd, alors ça m’a vachement surpris de me réveiller en plein milieu de la nuit. À travers la fenêtre, les étoiles et la lune brillaient beaucoup ; je me rappelle que ça m’a marqué, de les voir luire aussi intensément. À cause d’un mouvement à la limite de mon champ de vision, j’ai tourné la tête. Il y avait quelqu’un dans un coin de ma chambre. J’ai arrêté de respirer. Comme paralysé. Même mon cerveau semblait sur pause, et j’ai pu qu’observer la silhouette face à moi. Engoncée dans l’obscurité. Je ne discernais rien d’autre que le reflet des lumières nocturnes qui rebondissait sur ses pupilles. Des ténèbres en forme de corps et deux petits points lumineux là où devaient se trouver les yeux. J’aurais pu penser n’importe quoi à ce moment-là, mais tout ce que je me suis dit, c’est que c’était quand même sacrément cliché. Et puis une soudaine conviction a couru sur mon échine comme un frisson, quelque chose de reconnaissable dans l’expression des yeux, et j’ai essayé d’appeler l’ombre.

– Jason ?

Le son de ma propre voix m’a réveillé. J’étais toujours dans mon lit. Dehors, la nuit était noire. J’ai appuyé sur l’interrupteur, et ma chambre s’est révélée dans la lumière crue. Blanche, vide. C’était le cauchemar le plus réaliste que j’aie jamais fait. J’avais le cœur qui battait, fort, qui luttait contre la réalité logique et démunie que m’imposaient mes yeux. Il m’a fallu un bon moment pour me rendormir, la tête résolument tournée à l’opposé de l’endroit où j’avais cru voir l’ombre de Jason.

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Alice_Lath
Posté le 13/07/2021
À nouveau, je me suis laissée saisir avec plaisir par ton récit haha tellement de mystères et si peu de réponses ! Perso, je pense que c'était bien Jason dans la chambre. En tout cas, Lyce a du courage de se rendormir en tournant le dos à là où était l'ombre, perso j'aurais pas pu quitter le coin des yeux hahaha J'aime beaucoup à nouveau l'efficacité de ton style narratif, qui est vraiment à un niveau pro et qui se lit avec régal, de même que le sous-texte poétique avec les images oniriques et réelles
Raph
Posté le 15/07/2021
Hello ! Oui ahah, j'aime bien garder mes histoires un peu floues pour laisser un peu d'espace à l'interprétation !
Carrément, je suis pas sûr que j'aurais pu non plus
Merci beaucoup waouh, ça fait plaisir !
Liné
Posté le 23/11/2020
Je suis toujours autant embarquée !

J'aime ce mélange des genres que tu proposes : en surface, il y a l'enquête, la disparition, et les questions "qu'est-il arrivé à Jason, par qui et pourquoi ?". On se les pose forcément. Mais on s'attarde aussi, et beaucoup, sur les ressentis : le retour qui laisse tout de même un vide, celui du personnage blessé à vie, la réaction des habitants, l'attente, la réalité absurde, le temps qui passe sans qu'aucune réponse concrète ne pointe le bout de son nez...

Au final, ça me donne l'impression d'une atmosphère pesante, voilée, avec des personnages qui ont tous une part de responsabilité - même infime ou symbolique.
Raph
Posté le 24/11/2020
Hello et merci pour ton passage !!
Ravi que tu aies apprécié - et que l'ambiance te parle !
C. Kean
Posté le 23/11/2020
Je ne l'ai peut-être pas encore bien perçu le sens du changement très bref de point de vue avec Orion au début du chapitre, mais il apporte quelque chose de très intéressant et rajoute au malaise du retour de Jason. Peut-être, juste, ce "merde" qu'il se dit, il revient ensuite dans la narration de Lyce, et ça donne un effet de chevauchement des deux pensées qui n'est pas très heureux car pas très accompagné (et je vois mal comment le faire). Mais ce "merde" s'ancre tellement avec Orion que le retrouver chez Lyce fait "perdre" quelque chose.
J'ai beaucoup aimé la scène du dinner, particulièrement l'attention et l'observation portée aux habitants et ce rapprochement entre le silence du traitre et celui du deuil.

Niveau forme, j'ai trouvé pas mal de répétition au cours de la lecture qui ont pu la rendre un peu plus maladroite. Je n'ai pas pensé à les relever individuellement, mais tu as des logiciels qui font ça très bien. Généralement elles apparaissent sur des petits mots : "chez", "eux", "dans"...

J'ai également relevé cette phrase : "Comme si le malheur qui éloignait soudain ses griffes de cet homme, comme si l’aspect mystique que revêtait l’affaire risquait de les toucher, de faire basculer les codes de leur monde dans un chaos fait d’inexplicable, de silence, d’illogismes." : je la trouve très frustrante parce que le deuxième "comme" vient faire obstacle, le lecteur a déjà compris et rejoint ton idée et image du malheur comme une griffe qui pourrait en saisir d'autre, et la suite "comme si l'aspect mystique que revêtait l'affaire risque des les toucher" c'est bien moins fort et imagé, et ça vient casser l'effet du première "comme" et l'état de symbiose où le lecteur se trouver. Un peu comme si tu mettais une rallonge alors qu'on n'est que deux à dîner : la distance que tu rajoutes sépare quelque chose.

Autrement j'aime toujours beaucoup la façon dont tu mènes cette histoire et l'atmosphère pesante qui s'y déploie. On sent Lyce pris au piège de quelque chose, de ses pensées mais aussi de cette image de Jason. Comme si la contagion était possible, et sans doute l'est-elle à sa manière.
Raph
Posté le 24/11/2020
Hello C. Kean !!
Ce n'est pas la première fois qu'on me fait remarquer que le point de vue d'Orion arrive étrangement. Et tu as tout à fait raison sur cette phrase, je vais l'actualiser !
Merci pour ton retour en tout cas :)
EryBlack
Posté le 14/11/2020
Tu fais ressurgir quantité de cauchemars anciens avec ce chapitre. Et j'aime toujours tout ! Le microcosme de cette petite ville a l'air très intéressant, la narration est toujours top ; je trouve ça chouette d'avoir un personnage principal qui n'est pas dans le feu de l'action, mais qui se questionne, à la lisière. Et c'était bien aussi d'avoir le point de vue d'Orion, c'était frappant, très humain, tout ce qu'il a exprimé. Oh là là franchement je suis de plus en plus accrochée... Mon copain m'a fait remarqué (parce que je suis allée lui confier mon enthousiasme après ton premier chapitre) que ça ressemblait un peu à l'intrigue de Stranger Things et de Dark, deux séries Netflix que j'ai beaucoup appréciées. Je n'y avais pas pensé, mais c'est vrai qu'il y est question de disparitions d'enfants aussi ! Est-ce que tu connais ces séries, est-ce qu'elle font partie de tes sources d'inspiration, ou pas du tout ?

J'ai relevé une seule chose niveau style : répétition de "se rendre quelque part" au tout début du chapitre.

Merci encore pour cette histoire, à très vite !
Raph
Posté le 14/11/2020
Merci encore pour tes retours aussi gentils !
Le point de vue d'Orion casse peut-être un peu la narration, mais j'ai quand même choisi de le conserver, content que ça te plaise alors !!
Et je n'ai jamais vu Dark, mais j'ai regardé Stranger Things il y a un moment oui, j'avais beaucoup apprécié aussi mais n'y ai pas du tout pensé en écrivant cette histoire ahah ; en effet maintenant que tu en parles, il y a quelques similitudes.
Merci aussi pour la répétition, je corrige de ce pas !!
Raza
Posté le 13/11/2020
Bravo encore pour ce chapitre si vivant. L'arrivée du fantastique est bien amenée, tu as laissé ce qu'il fallait dans le 1er pour qu'on ne soit pas trop surpris... Si je devais chipoter j'ai trouvé parfois le temps de certains verbes étrange, mais c'était plus une impression lointaine qu'une conviction grammaticale.
Raph
Posté le 14/11/2020
Et merci encore ! :)
Pour la concordance des temps, tu as très probablement raison, c'est un peu mon cheval de Troie ahah !
Rachael
Posté le 07/08/2020
Bon, finalement je me suis laissée happer par la suite. Ça se développe bien, avec cette ambiance un peu collante, la curiosité de tous qui est bloquée par un silence auto-imposé, et le regard du narrateur qui lui, en sait un peu plus que les autres. Je trouve très sympa ce parti pris narratif à la première personne, ce qui n'empêche pas des incursions vers d'autres points de vue comme celui d'Orion au début.
Je souscris à ce que dit Itchane, ce serait plus réaliste que Jason fasse un détour par un hôpital, surtout qu'en plus il est blessé. D'ailleurs cela n'empêche pas ses parents de l'y suivre, mais il me semble logique que la police préfère qu'il soit examiné d'abord. Après si ça te pose vraiment problème pour une raison ou un autre, tu peux t'en affranchir.
Raph
Posté le 08/08/2020
Rebonjour Rachael !
Ravi de voir que l'histoire a pu t'intéresser !!
Bon, vous avez carrément raison sur ce point, si ça fait sortir le lecteur du récit alors il faut une phrase là-dessus, c'est rajouté !
itchane
Posté le 24/06/2020
Hello !

J'ai beaucoup aimé ce nouveau chapitre, on sent très bien le malaise de ce Jason revenu mais pas du tout lui-même, cette fois ce n'est pas via les descriptions du personnage mais dans les silences du père au dinner.

J'ai d'ailleurs aussi beaucoup aimé la tendresse du narrateur pour sa mère, quand cette dernière prend sur elle d'aller parler au père. La sœur est très critique mais le héro, lui, trouve qu'elle ne s'en est pas si mal tirée, j'ai trouvé cet réflexion très touchante et riche en psychologie de personnages.

Comme Atreyu, j'ai moi aussi eu du mal à comprendre le changement de point de vue du début de chapitre, j'étais partie pour faire exactement la même remarque : )

Par ailleurs, dans le scénario pur, j'ai un doute sur le fait que Jason soit envoyé directement chez lui après son retour. Je ne suis pas experte, mais je m'imagine plutôt que dans ce genre de cas, le jeune retrouvé soit plutôt envoyé automatiquement à l’hôpital pour être mis en observation et soutien psychologique, avec toute une équipe de spécialistes, psychologues, policiers, etc., pour tenter de comprendre, plutôt que de le renvoyer si vite dans sa famille sans même savoir si cette dernière pourrait avoir un lien avec la disparition ou pas... c'est à vérifier mais en l'état j'ai un doute sur la crédibilité de ce retour en famille si rapide.

Pour le reste, j'aime toujours autant l'ambiance et le mystère, j'ai hâte de continuer ma lecture, bravo ! : )
Raph
Posté le 26/06/2020
Hello ! Merci beaucoup pour ton retour :)
Je voulais vraiment faire une sorte de huis-clos pour augmenter le côté anxiogène de la nouvelle, peut-être un peu au mépris du réalisme, est-ce que ça gêne vraiment à la lecture ?
Et vous aviez tout à fait raison pour le changement de point de vue, c'est mieux comme ça !
Merci encore !
itchane
Posté le 01/07/2020
Hello,

hmmmm, j'avoue que moi ça me gêne un peu parce que le reste du récit s'inscrit dans un quotidien par ailleurs très banal et réaliste ; c'est d'ailleurs ce décalage avec l'arrivé d'une forme de fantastique (ou pas ? : P ) qui est frappant. Mais peut-être que d'autres avis complémentaires seraient à rechercher pour avoir le ressenti de plusieurs lecteur.rices sur le sujet : )
Je ne sais pas si ce serait si difficile à changer - dans le cas où tu essayerais de le faire -, le flou pourrait peut-être être facilement entretenu en signifiant simplement qu'après un temps passé en observation à l’hôpital il a rejoint sa famille, sans trop dire si c'était long ou pas... je ne sais pas si ça décalerait de trop le reste des événements ou pas pour la suite ^^

À toi de voir, en fonction des autres commentaires que tu recevras peut-être sur la question, ça peut toujours rester comme c'est pour l'instant : )
Raph
Posté le 03/07/2020
Oui, pas bête ! mentionner peut-être un examen de routine peut rendre la chose plus crédible, je vais y penser ! Merci beaucoup :)
Atreyu Norska
Posté le 16/06/2020
Salut !

J'aime beaucoup l'ambiance que tu arrives à instaurer, et tout le mystère autour de Jason et de la forêt qui s'épaissit rend l'histoire encore plus intrigante !

J'ai juste une suggestion, au début du chapitre l'on est du point de vue de Orion, et cela est très intéressant, mais il n'y a rien qui marque le changement de point de vue qui survient par la suite. On passe d'une narration de "il" à "je" mais j'ai quand même eu besoin de quelques lignes pour comprendre qu'il y avait eu un changement haha
Cela serait donc peut être utile d'indiquer au lecteur que l'on change de pdv, par des astérisques par exemples !
Raph
Posté le 17/06/2020
Hello, merci beaucoup pour ton retour !
Je me disais en effet qu'il faudrait peut-être plus marque ce changement, je vais faire quelque chose dans ce style ! Merci encore
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