Le déluge

Par Oyoèt
Notes de l’auteur : [Nouvelle indépendante] Inspiré d'un vécu d'inondation à Nîmes

Ne vous inquiétez pas, tout est sous contrôle.

       Je ne me souviens même plus du jour où ça a commencé. Le jour où cette foutue pluie a commencé à tomber pour ne jamais s’arrêter. Le jour où le monde est parti en vrille. Le jour où nous avons été abandonnés. 

       Le jour où je suis morte.

Ne vous inquiétez pas, nous maîtrisons la situation.

       J’ai de l’eau jusqu’aux genoux quand je remonte la rue du Temple. Je me retourne pour la centième fois, vérifie que ma luge en plastique flotte bien derrière moi et qu’elle n’a pas déversé son contenu dans l’eau. J’en aurai pour une semaine avec ça, pas plus. Si je tiens jusque-là.

Ne vous inquiétez pas, toute l’aide possible est en chemin.

       Je trébuche sur un trottoir et m’étale de tout mon long dans une éclaboussure pathétique. De toute façon, j’étais déjà trempée. Je suis toujours trempée. L’eau est partout, dans nos bottes, dans nos manteaux, elle nous colle à la peau, s’insinue dans nos maisons, dans nos barques, dans notre bouffe, elle s’invite à notre table sans avoir été invitée. 

       Je suis bien, là, comme une branche morte qui flotte sur l’eau. Je pourrais me laisser dériver, suivre le courant, peut-être rejoindre la mer, peut-être retrouver la mienne, de mère.

Ne vous inquiétez pas. Tout est sous contrôle.

       « PLANQUEZ-VOUS ! UNE VAGUE ! »

       MERDE ! Je me relève je glisse je bondis et je tire la luge d’un coup sec, la prends dans mes bras et cours aussi vite que mes jambes le peuvent. J’ai surtout l’impression de marcher au ralenti. Je fonce droit devant, rue Farrari, mon salut, mon seul espoir, je tourne la tête dans tous les sens pour voir d’où viendra la vague, je vais y arriver, elle n’est plus qu’à vingt pas, quinze, dix, je pousse la luge devant moi et plonge autant que je tombe dans l’étroite ruelle. Je suis sauve.

Ne vous inquiétez pas. Nous maîtrisons la situation.

       Je reste sous l’eau, je souris en caressant ma luge du regard, elle brille de mille feux, envoyant des rayons rouges tout autour d’elle, comme un petit soleil. Mon étoile à moi. 

       Je guette la rue du Temple pour voir le passage de la vague, c’est magnifique à voir par dessous. En haut, il n’y a que destruction, mort, misère. Mais en bas, la vague, c’est un ballet éphémère. On peut voir mille courants s’entrechoquer furieusement, dessinant des arabesques impossibles, des vagues et des contre-vagues qui se heurtent, se repoussent, deux autres qui font la course.

       Un frisson secoue mon échine. Cette vague ne vient pas. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?

Ne vous inquiétez pas. Toute l’aide possible est en chemin.

       Je crève la surface et tends l’oreille. Rien. Je fais quelques pas prudents vers la grande rue, jette un coup d’œil à l’angle : rien. Je me retourne, et me prends ma fidèle luge rouge en pleine figure. La vague m’a rattrapée.

Ne vous inquiétez pas.

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Rimeko
Posté le 31/10/2022
Wow, une belle claque... pas la vague, le texte - enfin, un peu des deux x'D Tes descriptions sont très visuelles (le rouge de la luge !), et damn, dès les premières lignes on y est. Le petit moment de calme avant la "tempête" est bien trouvé, le rythme fonctionne très très bien. Et, euh, ça va, pas trop mal vécu l'inondation à Nices ?
Oyoèt
Posté le 01/11/2022
J'ai eu la chance de la vivre en "touriste", je passais en ville pour prendre un train (qui n'est jamais parti du coup xD), mais ça a tout de même été un bon moment de panique dans la voiture et dans la rue.
Je trouvais la chute un peu artificielle quand je l'ai écrite, mais je suis content que le texte t'ait plu ! ^^
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