LE CYCLOPE POLYPHÈME

Effet pyrotechnique et sonore pour annoncer un grave danger. Ulysse et ses hommes entre dans une grotte avec devant l’entrée une énorme pierre.  

 

Antiphos

Regarde, Ulysse, la taille de ce rocher.

Politès

Celui qui habite ici doit être gigantesque.

Ulysse

Je ne sais pas s’il est gigantesque, mais il ne doit pas se laver souvent. Quelle puanteur.

Antiphos

Pas pire que nos quartiers après avoir passé un mois en mer.

Ulysse

Tu n’as pas tort, Antiphos.

Périmède

Ne restons pas ici, Ulysse. J’ai un mauvais pressentiment.

Ulysse

Non, Périmède. Je veux voir qui habite ici.

Périmède

Ta curiosité maladive va finir par nous perdre, Ulysse. Seul un monstre peut habiter en ces lieux.

 

On entend alors un pas lourd résonner et les hommes tressautent à chaque pas, comme si le sol tremblait. La pierre se referme sur eux et un terrible Cyclope apparait. De celui-ci, on ne voit qu’un œil unique et immense, une bouche aux dents acérées et deux mains énormes et poilues. Une voix profonde et grave se fait entendre.

 

Voix Polyphème

Qui vient ici déranger Polyphème dans sa demeure ? Mais que vois-je ? Ne serait-ce pas, là, un petit déjeuner « surprise » ? Vient par ici petit amuse-gueule.

 

Un des hommes est happé par une main gigantesque et disparait en hurlant dans l’énorme bouche. Elle se referme sur lui et s’ouvre à nouveau.

 

Politès

Ulysse, il vient de manger Périmède !

Antiphos

Pauvre Périmède. Lui qui est végétarien, quelle ironie.

Politès

Il l’a gobé d’un seul coup.

Voix Polyphème

Hum, cette créature gesticulante aux fines herbes et aux aromates était excellente, j’en reprendrai bien une autre.

 

Un autre homme disparait de nouveau en hurlant dans l’énorme bouche.

 

Politès

Maintenant, c’est ce pauvre Antiphos ! Nous allons tous mourir dévoré.

 

Le cyclope émet un énorme rôt.

 

Voix Polyphème

Celle-ci était encore meilleur. Très sucrée. On aurait dit un bonbon à la liqueur.

Politès

Avec tout le rhum qu’il ingurgitait, pas étonnant.

Voix Polyphème

J’ai soif maintenant. A boire !

Ulysse

Gentil Cyclope, maintenant que tu t’es rassasié de mes hommes accepterais-tu cette jarre de vin qui me vient du prête Maron. Un vin exquis qui fera passer les restes de mes compagnons.

Voix Polyphème

Merci tu es bien gentil. (Il avale l’amphore de vin) Hum… ce vin est en effet délicieux et j’en ai rarement bu d’aussi bon. Je te remercie et je veux te faire un cadeau. Comment t’appelle-tu ?

Ulysse

Mon nom est : « personne ».

Voix Polyphème

Eh bien, « personne », en cadeau d’hospitalité, je te mangeai en dernier.

Ulysse

Tu es trop bon, Polyphème.

Voix Polyphème

Je sais. Ma générosité me perdra un jour. Et maintenant, je vais faire une petite sieste. A mon réveil, je mangerai deux autres d’entre vous. Bonne nuit.

 

Il se met à ronfler immédiatement.

 

Politès

Si nous ne trouvons pas un moyen de sortir d’ici, nous allons être au prochain menu.

 

Ils essayent de pousser la roche, mais celle-ci est trop lourde.

 

Ulysse

Impossible. Malgré ma force qui égale celle de trois hommes, nous ne pourrons pas faire bouger ce rocher.

Politès

Qu’allons-nous faire Ulysse ? Nous sommes perdus.

Ulysse

Pas du tout, nous sommes dans une grotte. Laisse-moi réfléchir, Politès. Mon intelligence exceptionnelle, maintes fois sollicités, a toujours trouvé une solution alors qu’elle échappait aux simples d’esprits. Voyons. Qu’avons-nous autour de nous ? Un feu. Un pieu en bois d’olivier et des silex à bords tranchants.

Politès

Tu penses à quelque chose, Ulysse aux milles ruses ?

Ulysse

Taillons l’extrémité de ce pieu en une pointe acérée et mettons-là au feu afin qu’elle durcisse. Quand la pointe sera incandescente, nous saisirons cette lance de fortune…

Politès

Mais on va se brûler les mains !

Ulysse

Pas par la pointe ! Par l’autre extrémité. Le bout qui est rond.

Politès

Ah ??? D’accord.

Ulysse

Ensuite, de toutes nos forces nous enfoncerons le bout pointu, pas le bout froid, on est d’accord. Je dis bien le bout pointu et enflammé dans l’œil unique du monstre. C’est clair ?

Politès

Limpide. Bravo ! Quel plan admirable !

Ulysse

Je sais.

Politès

Et ça va faire quoi ?

Ulysse

Ça va faire mal.

 

Les deux hommes exécutent leur plan alors que le narrateur entre sur scène.

 

Odysseus (narrateur)

Mon plan ingénieux fonctionna à merveille et le Géant Polyphème, l’œil crevé, hurla de douleur. Aussitôt les autres géants accoururent prendre des nouvelles.

 

On entend un grondement terrifiant et le bruit de pas monstrueux sur le sol.

 

Voix off des géants

Que se passe-t-il Polyphème ?

Pourquoi ces cris ?

Voix Polyphème

On me tue par ruse !

Voix off des géants

Qui te tue ?

Voix Polyphème

Personne ! Personne me tue !

Voix off des géants

(Riants)

Si c’est personne, tout va bien, alors !

Bon, là je crois qu’il en a plein sa musette !

Sacré Polyphème.

Doucement sur l’Hydromel.

 

On entend les géants repartir en riants.

 

Ulysse (narrateur)

Le lendemain, Polyphème ouvrit la porte de sa grotte, espérant nous cueillir à la sortie, mais une nouvelle ruse me permit de lui échapper en nous cachant sous les ventres de ses moutons. Une fois sur notre nef, je ne pouvais m’empêcher de lui révéler qui j’étais et alors que je lui apprenais que c’était le glorieux Ulysse qui lui avait crevé l’œil, il nous lançait, guidé par le son de ma voix, des énormes roches qui écrasèrent deux de mes bateaux et près d’une soixantaine de mes hommes. Oups.

Noir

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JeannieC.
Posté le 09/07/2022
Aah, un de mes épisodes préférés de l'Odyssée ! =D
J'aime bien le petit parallélisme entre "Ulysse, ta curiosité te perdra un jour" et plus tard Polyphème qui dit "Ma générosité me perdra un jour"
>> "Un pieu en bois d’Olivier et des silex à bords tranchants." Pourquoi Olivier en majuscule ? Si il y a une vanne, je n'ai pas compris ~
>> "Quel plan admirable - Je sais" ahah, la modestie d'Ulysse, salut l'Hybris !
Beau traitement en tout cas de cet épisode, toujours aussi appréciable. Si tu mets en scène cette pièce n'empêche, le travail imaginatif que ça va demander j'imagine pour évoquer tous ces différents décors et des êtres monstrueux dans le genre de Polyphème !
Il y a quelques années j'avais vu une super adaptation de l'Iliade et l'Odyssée au théâtre, la version de Pauline Bayla -
A bientôt !
Larsenac
Posté le 10/07/2022
Hey salut et merci pour tes commentaires toujours excellents et pleins de justesse. Je ne suis pas très réactif en ce moment, car je déménage dans 3 semaines et je pars vivre au Canada. C'est un peu le rush. Je ne connaissais pas la mise en scène de Pauline, mais elle a monté ça sur une scène nationale et je pense qu'il y avait un budget assez conséquent que malheureusement je n'aurai pas. Aussi bien vais-je devoir faire preuve d'ingéniosité pour compenser. Je suis de l'école de l'improvisation et je vais plutôt suggérer que montrer. Je vais essayer de monter ça à la manière d'un Eric Métayer avec les 39 marches ou dans l'esprit du tour du monde en 80 jours si tu connais. Mes références, c'est les Monthy Phytons. Montrer peu (en étant astucieux et créatif), suggérer beaucoup et laisser l’imaginaire du spectateur faire le reste.
JeannieC.
Posté le 11/07/2022
Oh woah, au Canada ! Courage pour le déménagement alors !

Hah, sûr que ce ne sera pas le même budget x) Après, cette version de Pauline Bayla était étonnamment sobre, quasiment sans décor et sans accessoire, tout était surtout dans la déclamation et la gestuelle, c'était beau.
Aaaah et les Monthy Phytons, super :D J'imagine tout à fait une Odyssée bien déjantée dans leur jus. J'avais beaucoup ri avec La Vie de Bryan
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