Le couteau

Par Kieren

Je n'aime pas ce couteau. Il est d'une efficacité déconcertante. Il coupe le papier, le bois, les pierres, l'acier... la chair. Il ne rouille pas. Il ne s'use pas. Il ne demande aucun entretien. Il coupe, il sait faire que ça.

 

Je n'aime pas ce couteau. Il a tué mon père après tout.

 

J'avais 61 ans. Quelques jours auparavant, j'avais rendu une dernière visite à la sorcière. Quand je sortis de l'eau, grâce à mes lunettes, j'aperçus des détails qui m'avaient échappé jusqu'à maintenant : la direction et la force du vent qui créait les vagues à la surface de l'eau ; combien de plume avait chaque oiseau ; les rayons du soleil qui rebondissaient sur le blanc des maisons. À quel point j'étais seul. Mais il restait encore quelqu'un, à part moi.

 

L'ombre m'attendait dans une des dernières ruelles encore émergées de cette ville. Je l'avais chassée pendant des années, mais elle était intouchable. Je lui avais tendu des pièges, mais elle les esquivait tous. Je l'avais poignardée, mais la lame lui passait à travers. Je l'avais fusillée, mais elle était immortelle.

 

Mais cette fois-ci, je voyais, et j'étais prêt.

 

Nous nous fîmes face. Il n'y avait personne pour nous déranger. C'était un duel à mort, on le savait tous les deux, il fallait s'arrêter là. Avant de me jeter sur elle, je la regardai bien, de haut en bas, et je vis un fil noir, juste un fil, qui dépassait de sa robe.

 

Elle sortit son glaive noir, et me fonça dessus. J'esquivais, ou je contrais avec ce qui me tombait sous la main : des poubelles, des débris, des cailloux. Aucun de nous deux ne lâchait l'affaire. Elle finit par me mettre dos au mur et se prépara pour l'assaut final. Je sortis alors mon appareil photo et l'aveuglai avec le flash. Elle s'immobilisa pendant 1 seconde, c'était la seconde donc j'avais besoin. Je me jetai à travers elle, et j'agrippai le fil noir. Je tirai, et la robe se défit. L'ombre se retourna, et son masque blanc me regarda. Ses jambes s'effacèrent, elle ne fit rien. Son torse disparut, elle lâcha son couteau. Sa tête s'évapora et son masque tomba.

 

Et dernière le masque, il n'y avait rien.

 

Je jetai l'agrégat de fil noir par terre et j'avançais vers le masque et le couteau. Je versai des larmes que je réprimais depuis trop longtemps, elles étaient aussi salées que la mer.

 

Soudain, j'entendis un froissement, je me retournai, la lame à la main, et l'espace d'un instant, je n'en crus pas mes yeux.

 

Tu étais là Iris, tu sortais du ramassis de fil. Tu ne pleurais pas, tu ne souriais pas. Tu me regardais, calmement, et je ne vis rien sur ton visage. Je levai alors mon couteau, près à l'abattre pour finir le travail, et toi, acceptant ton sort, tu fermas les yeux.

 

Un courant d'air nous laissa immobile, toi et moi, l'espace d'un instant.

 

Et puis, je me dis qu'il ne fallait pas se tromper de colère. Alors je rangeais ma lame, et je te pris la main. Il te fallait un nouveau masque.

 

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Silver Smile
Posté le 01/02/2021
Hello,
Super chapitre ! La fin du chapitre m'a vraiment touchée, j'ai trouvé ça émouvant et poétique à la fois ! Ta plume est fluide et rend la lecture agréable. Ton chapitre se lit facilement et j'ai hâte de découvrir la suite.

A bientôt ;)
Kieren
Posté le 02/02/2021
Ooh... Tu fais parti des quelques lecteurs qui suivent cette histoire ? Ça me fait plaisir, merci =)
Il reste 2 chapitres, c'est bientôt la fin.
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