L'artefact

Par Jibdvx

Elio descendit précautionneusement, une marche après l'autre. Il voulut s'aider de sa main droite pour ne pas déraper sur la pierre humide mais il se ravisa quand ses doigts entrèrent en contact avec un étrange mucus. Cette substance dégoulinait le long des murs mais le jeune homme ne put correctement identifier sa nature à cause de l'obscurité presque totale qui régnait dans l'escalier. Il préféra l'ignorer et continua lentement sa progression vers les profondeurs. L'odeur de putréfaction devenait de plus en plus puissante, il se retint de tousser et faillit manquer une marche. Il entendait toujours le va et vient d'une respiration. Lente, profonde, caverneuse. Quelque chose d'ancien reposait sous le manoir des Donovan. Quelque chose d'ancien et de terrible. Le chevalier pouvait sentir l'atmosphère maléfique du lieu sur sa peau, aussi distinctement que s'il eut été plongé dans la vase jusqu'au cou. Il entendait son sang battre dans ses tempes. Il entendait l'immonde liquide dégouliner sur les parois avec un bruit spongieux. Le chevalier avait les yeux rivés sur ce qu'il identifia comme sa destination : un mince rai de lumière filtrait à travers une sorte d'étoffe. Il descendit les dernières marches en suffoquant, il poussa le tissus et se rua de l'autre côté.

Étrangement, l'air était plus frais arrivé en bas. Elio inspira une grande bouffée, l'odeur de pourriture avait elle aussi disparu. C'est quand il remarqua ce détail qu'il prit entièrement conscience de l'endroit où il se trouvait.

L'escalier débouchait dans une immense grotte. Non, pas une grotte, un temple, gigantesque sculpté à même la roche. Il se tenait sur une grosse dalle de pierre taillée piquetée de pierres phosphorescentes, diffusant une lumière rouge vif des plus singulières. Des colonnes s'élevaient à intervalle régulier le long d'une allée assez large pour contenir plusieurs centaines de personnes et de magnifiques frises de pierre montrant d'étranges êtres filiformes recouvraient les parois de granit. Certains de ces êtres se prosternaient ou bien levaient leurs bras vers le ciel, d'autres avaient comme de la fumée leur sortant des mains. Tous regardaient dans la même direction, le fond du temple, encore plongé dans les ténèbres. Le chevalier fit un pas en avant, la main sur le pommeau de son épée. Il avait trouvé le temple enfoui dont parlait le journal d'Achelon, restait à savoir pourquoi la petite Christiane l'avait amené jusqu'ici...

— Bhou !

Il fit un bon et se retourna, l'épée au clair. Sa pointe aiguisée à peine à quelques centimètres d'un petit visage enfantin. Christiane, qui se trouvait d'un coup derrière lui, recula, apeurée. Pendant un bref instant, Elio crut que les yeux de la petite s'étaient colorés de rouge, mais cela était certainement dû à l'éclairage austère du lieu. Il rengaina son épée en hâte. Christiane tremblait comme une feuille et semblait sur le point de pleurer.

— Je... je voulais vous faire une surprise, commença la petite fille avec une voix enrouée.

Tout penaud, le chevalier s'avança.

— Je vous crois Chritiane. Excusez moi, je vous ai effrayé. C'est que cet endroit est si étrange... on s'attendrait à voir surgir...

— Que... Que voulez vous qu'il surgisse ici ?

Elio poussa un soupir et sourit.

— Vous avez raison... Mais il vaut mieux éviter de surprendre quelqu'un d'armé, vous risqueriez de gros ennui.

Il se baissa pour être à la hauteur de l'enfant.

— Pouvez-vous me dire où nous sommes ? demanda-t-il avec un léger sourire.

— C'est le bureau de papa. Je sais qu'il ne s'attendrait jamais à nous trouver ici, fit-elle,sur la défensive.

— Votre père possède un bureau des plus singuliers, dit le jeune homme en se composant un rire aussi convaincant que possible.

Son apparente bonne humeur sembla calmer l'enfant. Elle lui prit la main, Elio fut surpris, les doigts de Christiane étaient gelés. Il se releva et suivit la petite. Ils traversèrent une première rangée de colonnes, le sol sous leur pieds continuant de diffuser sa lumière rouge. Chaque aspérité de la roche, chaque contour des frises était souligné par des ombres écarlates. Le chevalier et la petite fille marchèrent main dans la main pendant de longues minutes en admirant l'architecture monumentale du temple antique. Elio s'étonna de la parfaite conservation du lieux. À moins que les descendants d'Achelon Donovan n'aient décidés de le restaurer, il était impensable que cette structure ai pu rester intacte.

— Vous vous posez sans doute beaucoup de questions, lui dit Christiane. Vous vous demandez comment j'ai fait pour parler dans votre tête pendant notre partie de cache cache.

— Vous avez raison. Je me demande aussi comment est-ce que vous pouvez disparaître d'un seul coup pour réapparaître dans mon dos sans que je ne m'en rende compte.

Christiane parut étonnée.

— Vous ne savez pas faire ça ?

— Et bien... non. Très peu de gens, même les plus puissants des mages, ne savent pas traverser l'éther aussi vite.

— L'éther ? Et qu'est-ce que c'est un "mage" ?

Elio regarda la petite fille droit dans les yeux, une expression d’incompréhension sur le visage.

— Avez-vous déjà quitté cette bourgade ? Avez-vous voyagé ?

— Non. Papa dit que tant que nous restons ici, nous ne risquons rien, que nous sommes protégés. De temps en temps, il s'absente pendant quelques jours pour ramener des provisions.

Elio haussa un sourcil, intrigué. Mais il n'eut pas le temps de questionner la petite sur ces fameuses "provisions", la même sensation oppressante qu'il avait ressenti en arrivant revint à la charge et la respiration qu'il avait réussi à oublier se fit plus forte à ses oreilles. Mais cette fois, il vit d'où elle provenait, et cette vision lui fit ouvrir de grands yeux chargés d'une terreur froide.

Devant eux s'élevait un autel. Pas un autel accueillant et chargé de dorures comme dans la plupart des lieux de culte des Royaumes, ici, on eut dit l'oeuvre d'un fou furieux. Le granit avait été sculpté pour former la gueule grande ouverte d'un dragon, une masse informe de bras, de jambes et de têtes grimaçantes sortait de la bouche béante du monstre. Chaque membre était parcourut de petites veinules rouges et le sculpteur avait su apporter un réalisme macabre et saisissant à son oeuvre. Le moindre pore, la moindre ride de la peau avait été taillée à la perfection dans la pierre dure. Au dessus de cette masse chaotique s'élevait un être. Nu, visiblement humain, mais d'une beauté androgyne envoûtante. L'essaim grouillant de membres s'enroulait autour de son corps parfait de marbre blanc, son visage indéfinissable affichait un sourire apaisé. Il avait les bras tendus et les mains en coupe.

En leur creux était posé un masque de pierre.

L'objet était une parodie de visage. Taillés dans une grande pierre grise, les yeux n'étaient que deux fentes minuscules, le nez était pointu et une sorte de proéminence osseuse partait de son arête pour entourer le crâne. Mais ce qui obnubila le regard d'Elio fut la bouche de l'artefact. Elle formait un sourire mauvais et deux longues canines proéminentes sortaient par la commissure de ses lèvres craquelées.

Tout dans cet objet respirait la malfaisance. La pierre rêche et glacée dont il était fait suppurait de malignité par toutes ses fissures. Mais son sourire enjôleur, aussi abominable fut-il, exerçait un magnétisme morbide. Le chevalier éprouva un bref instant l'envie de poser ce masque sur son visage et de goûter à son pouvoir démoniaque. La respiration omniprésente devint sifflante, saccadée. L'objet sentait que l'on s'intéressait à lui, sa surface rugueuse fut parcourut d'un frémissement.

Christiane pointa l'artefact maudit de son petit doigt d'enfant et dit, toute sourire :

— C'est grâce à lui que j'ai pu vous parler en pensée !

Elio tremblait, les yeux rivés sur cette chose infâme et fascinante posée à quelques mètres de lui, ses orbites vides semblant sonder le moindre recoin de son âme.

— Même s'il dit qu'il ne vous aime pas, continua la petite...

Le jeune homme secoua la tête pour en chasser les noires pensées qui s'y bousculaient.

Tu ne peux pas me chasser. Je suis entré dans ton esprit au moment où tu a mis le pieds sur ces terres.

Une autre voix, grinçante, sépulcrale, s'insinua dans sa tête. Mais cette fois, c'était comme si une main squelettique et froide lui enserrait le cerveau. Le chevalier grogna de douleur et dégaina son arme.

Que compte tu faire avec ça ? J'ai déjà gagné. Tu deviendras mon serviteur, ma marionnette ! Tout comme le comte et ses ancêtres avant lui, je briserais ton corps et ton âme par ma simple volonté. Alors autant abandonner tout de suite.

— Sors de ma tête, abomination ! cria Elio au masque.

Tu résistes ? À ta guise. Je dois bien admettre que ton esprit est fort, tu feras un excellent pion. Mais je vais laisser la petite s'occuper de toi...

Christiane resta tétanisée, ses yeux prirent une couleur rouge carmin et deux canines anormalement longues pointèrent hors de sa petite bouche. Elio s'agenouilla devant elle et lui tint l'épaule avec sa main gauche.

— Christiane je t'en prie, tu n'es pas obligée de lui obéir ! s'exclama-t-il. Tu es courageuse, tu ne ferais de mal à personne. Aide moi à détruire cette chose qui te manipule ! Nous y arriverons, et je t’emmènerai hors de ce manoir et de ces montagnes gelées. Je t'emmènerai voir le monde, je le jure, mais résiste !

Christiane hurla de douleur. Elio entendit comme un bourdonnement dans l'air suivit de ce qui s'apparentait au feulement d'un chat. La voix, maintenant stridente, du masque retentit dans le crâne du chevalier.

Comment oses-tu petite vermine ? Tu me défies moi, ton créateur, ton maître ? Qu'il en soit ainsi ! Tu mourras avec ce porc de chevalier !

Elio sentit un courant d'air sur sa droite. Il se jeta en arrière juste à temps pour éviter une grande main griffue qui manqua de lui arracher la tête. La main continua sa course et cogna violemment le sol. Un fissure s'ouvrit dans le granit et le choc de l'impact se répercuta dans tout le temple. Le chevalier se redressa et fit face à la nouvelle menace. Un grand homme, aux épaules larges, à la chevelure blonde et au visage déformé par un rictus haineux.

— Comte, salua Elio.

— Sire Kalos, répondit Arthur Donovan.

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