La vanille

Par Kieren

De nos jours, la vanille que l'on utilise le plus est sous forme d'arôme artificiel. D'ailleurs, si l'on ne dilue pas cette substance chimique, elle devient mortelle, mais bon, passons.

La vraie vanille est sous forme de gousses séchées, une sorte de fruit noir et sec qui contient des petites graines, aussi fines que du sable.
Lorsque j'étais petit, ma grand mère laissait toujours une gousse dans la réserve de sucre de la cuisine.

Une riche idée.

 

Notre histoire commença sur une île tropicale, dont les principaux habitants étaient les lémuriens, des singes fins et agiles possédant pour la plupart une longue queue noire et blanche. Cette dernière était très importante pour eux, car elle leurs permettait de se tenir en équilibre sur les branches des arbres dans la très vaste forêt, leurs apportant des fruits et un abri contre les prédateurs.

 

Il y avait trois frères lémuriens à cette époque : l'un était comme tous les lémuriens, il avait une queue unique ; le deuxième avait eu de la chance et était né avec neuf queues, il était bien plus agile que les autres singes ; quant au troisième, il souffrait d'un défaut, il n'avait pas de queue, il était obligé de rester à terre, se nourrissant grâce à ses frères qui récoltaient des fruits à sa place.

 

Ce dernier, malgré l'amour que ses frères lui portaient, était jaloux d'eux. Il se recueillait souvent dans une clairière baignée par quelques rayons du Soleil, il étanchait sa soif dans un mare d'eau pure, et il parlait à son amie : une fleur d'orchidée. Un jour, celle ci lui demanda ce qui le peinait, et il avoua qu'il ressentait de la jalousie envers ses frères.

 

Cette dernière lui répondit : « Ce que tu ressens n'est pas rare, nous sommes souvent envieux les uns des autres, pour des raisons différentes.

Regarde moi : je ne puis vivre que grâce aux autres arbres, je ne me nourris que d'écorce morte. Ma condition n'est pas enviable, mais je produis de très belles fleurs, cela compense le reste.

Voilà ce que je suis pour Zanahary.

Trouve ta voie, et rends toi unique à ta façon mon ami. »

 

Le lémurien sans queue se rendit à ces raisons, et en l'observant il en conclut qu'ils étaient très semblables tous les deux : ils avaient besoin des autres pour vivre ; alors, si Zanahary l'avait fait naître en tant que parasite, il en serait un.

 

Il alla voir ses frères, et il les culpabilisa en leurs montrant sa souffrance et leurs privilèges. Son frère à une queue ne fut pas touché par ses propos, et n'ayant qu'une queue, il ne voulait pas la lui donner, alors il passa son chemin.

Mais, son frère à neuf queues se sentit coupable d'avoir autant de chance face à autant d'injustice. Les larmes aux yeux et dans un geste de grande bonté, il offrit une de ses queues à son frère.

Celui-ci, enchanté, le remercia de tout son cœur, et il grimpa aux arbres pour la première fois de sa vie. Tous les deux, ils arpentèrent la forêt à la recherche de fruits et d'aventures. Ce fut une belle époque, mais le lémurien, en gagnant cette queue aussi facilement, ne réalisa pas à quel point il fallait en prendre soin ; et en se balançant d'un arbre un peu trop fort, il la cassa.

 

Un malaise s'en suivit.

 

Mais au lieu de s'excuser, le lémurien sans queue en demanda une autre à son frère. Celui-ci fut hésitant, mais le sans-queue lui tint ces paroles : « Mon frère, tu as vécu toute ta vie grâce à ce que Zanahary t'a donné, tu as été nanti, privilégié, gâté ; si tu ne partages pas ce don avec ceux qui te sont chers, quelle espèce de frère peux-tu bien être ? »

 

Le lémurien à huit queues succomba une nouvelle fois à la honte et il partagea encore une fois son don.

Et, sans apprendre quoique ce soit, ni l'un ni l'autre, les queues continuèrent de se casser, jusqu'à ce que les deux frères se retrouvent sans queue. Cependant, n'ayant pas l'habitude de se retrouver sans moyen, l'ancien lémurien à neuf queues ne put survivre dans ce milieu hostile. Et il se fit dévorer par une bête sauvage, alors que son frère se cachait au fond d'un trou.

 

Ce dernier, pour échapper au regret et à la culpabilité, rejeta toute sa misère et sa faute sur son frère décédé. Et c'est sans honte aucune qu'il pénétra dans la clairière pour retrouver son amie la fleur d'orchidée ; mais il fut accueilli avec colère par celle-ci et son deuxième frère. Il avait ramassé toutes les queues qui s'étaient cassées, reliques d'une preuve d'amour dédaignée, et les avait données à l'orchidée.

 

Cette dernière parla avec rage : « Alors voici comment tu t'es rendu unique ? Voici ce que tu fais avec les dons de Zanahary ? Te rends-tu compte de la faute que tu as commise envers tous les faibles qui peuplent ce monde ? Avec ta langue fourchue, tu as lancé une terrible malédiction. Tu as semé le doute et la méfiance envers ceux qui sont dans le besoin. Tu m'as trahie. Tu as trahi Zanahary ! Nous te maudissons !

Tu vivras dans le besoin toute ta vie. Tu ne feras que mordre la main qui te nourrit car jamais tu ne lui feras confiance et jamais plus personne ne te fera confiance. Tu n'es plus un être de Zanahary. Tu es devenu une chose sans nom.

Maintenant pars, et ne reviens jamais ! »

 

Alors le singe sans queue partit de la clairière, et quitta l'île où tous les êtres crachaient sur son passage.

L'orchidée, se sentant responsable de ce désastre, recueillit sur ses lianes les queues cassées pour que jamais elle ne refasse l'erreur de dévoiler à un cœur noir la puissance qui se cache en chacun de nous. Et avec le temps, les queues séchèrent et devinrent des gousses de bonne odeur que la fleur distribua à tous les animaux de l'île.

En ce qui concerne le dernier des frères lémuriens, celui à une queue, il raconta pendant le reste de sa vie l'histoire de sa fratrie à tous ceux qui enviait au Soleil d'être le Soleil, et à la Lune d'être la Lune.

 

 

La Mousse

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Le Saltimbanque
Posté le 02/06/2020
Après une petite absence, je reviens sur la Plume d'Argent et en plus j'ai un peu faim, donc c'est un réflexe : on va voir les nouvelles recettes.

Voici mon avis sur ce conte : j'ai beaucoup aimé.
Comme toujours, il est très imaginatif, l'aliment est bien mené à la fin, et en plus j'ai découvert des choses sur la vanille (comment ça c'est mortel ???)
LE gros plus de ce conte, c'est que cette fois le protagoniste de ton histoire est un vrai *******, là où tous les autres contes mettaient en scène un protagoniste plutôt positif et qui finit toujours très bien. C'était rafraichissant, alors bravo.

Mention spéciale à un moment qui était (volontairement ou pas) assez drôle : le "malaise" qui s'ensuit après que le singe casse la queue de son frère... la manière dont s'est écrit, le rythme, la bourde que ce *** vient de faire, je ne sais pas pourquoi, mais ça m'a bien fait rire.

Tu montres que tu arrives toujours à te renouveler, bravo ! Continue !
Kieren
Posté le 02/06/2020
Aaah mec, ca fait plaisir de te retrouver =)
J'espère que le confinement s'est passé sans trop d'encombres pour toi et que tu vas bien.

C'est chouette que tu aimes ce conte, surtout que je n'étais vraiment pas sûr de moi pour celui-ci au début. Mais ce n'est qu'en le relisant 2 ou 3 fois que j'ai bien voulu lui laisser une chance. Même Diane, ma correctrice, n'était pas sûre.
L'instant de flottement n'a pas de volonté à caractère comique. C'est vraiment la bourde que tu fais en tant que gosse : tu fais tomber la Gameboy color de ton pote en jouant avec. Mais à l'inverse de l'enfant qui va avoir super peur de la réaction de son ami, le lemurien lui va agir de façon tout à fait égoïste, ce qui l'éloigner encore plus d'un personnage amical. Mais si tu trouves ce moment drôle je le retiens.

J'espère pouvoir te lire de nouveau.
Kieren
Posté le 02/06/2020
En ce qui concerne l'arôme de vanille, il n'est mortel que si on le consomme pur et en très grande quantité. Au même titre que la vitamine C par exemple.
Vous lisez