La tiraira - Aiga Linda

Par Pouiny
Notes de l’auteur : https://youtu.be/4uExH796RXE

Je suis arrivé dans les Cévennes quand j’avais 4 ans. Seule ma branche paternelle vient de la méditerranée, la famille de ma mère étant installée en Sarthe depuis plusieurs générations. Mais j’ai déménagé si jeune que je n’ai quasiment plus aucun souvenir de ma vie en dehors des collines. Si l’on doit me demander de quelle région je viens, ce sera des Cévennes sans hésiter. Si je devais quitter le sud de la France, pour n’importe quelle raison que ce soit, j’en serais sûrement très malheureux. Je ne peux plus vivre sans un horizon couvert par le relief des montagnes.

 

L’école primaire était très investie pour que les enfants connaissent l’histoire et le patrimoine du territoire. Nous sommes allés plusieurs fois en excursion dans « la maison rouge », appelée également « la maison du cévenol », un musée retranscrivant toute la vie des Cévennes et le quotidien de ses habitants, de la châtaigne à la soie. À la fin de mon primaire, ma maîtresse faisait en sorte d’organiser des journées de randonnée dans les montagnes aux alentours, découvrant les plantes, les arbres et les animaux des collines. Les balades en nature étaient aussi un moyen de rendre plus puissants ses cours sur les camisards qui avaient combattu les dragons du roi pour la liberté de culte lors du dix-huitième siècle. C’est encore au primaire que j’ai rencontré pour la première fois de ma vie une véritable conteuse, que l’on allait voir dans la bibliothèque du village voisin pour une soirée en douceur. Elle narrait des histoires surtout moyen-orientales, mais en cherchant des contes, je m’orientais sur les livres parlant des légendes de la région, rêvant de pouvoir un jour faire exactement comme elle tant mes yeux brillaient quand elle racontait.

 

Il ne se passait pas une semaine sans que je sois dans la nature. Je baladais dans les bois autour de ma maison constamment, à pied ou à vélo. On connaissait les coins pour récupérer des cerises ou des châtaignes avec ma sœur, selon la saison. On observait les chenilles, les oiseaux, les lézards, et l’on essayait désespérément de sauver nos lapins des renards, des rapaces, des belettes et des chiens de chasse. En journée, je racontais des histoires aux arbres. La nuit, je les portais à la lune. Je retrouvais les constellations que je connaissais, improvisant des aventures pouvant les relier. Je me servais d’un livre présentant le ciel aux enfants pour en apprendre davantage sur les étoiles et leurs contes associés, souhaitant y trouver des légendes locales.

 

Je ne sais plus où j’ai pu entendre cette chanson la première fois. Je ne pense connaître personne dans mon entourage sachant parler l’occitan. Même si la langue me fascinait, je n’ai jamais eu l’occasion, le temps ou la motivation suffisante pour apprendre autre chose que quelques mots en passant. Peut-être qu’un jour, un groupe l’avait chantée ? Ou alors l’avais-je entendu à l’école ? Ou de loin, sur les enceintes familiales ? L’ombre de cette musique me hantait depuis longtemps quand je l’entendis résonner sur l’ordinateur de ma mère. Le nom me revint avec le refrain, comme si je l’avais toujours connue. C’était la tiraira, interprétée par Aiga Linda.

 

C’était une chanson de femmes, pour les encourager dans le dur travail du tissage de soie. Même si elle est chantée en occitan, il est facile d’entendre dans le premier couplet « et chanter une chanson pour oublier le méchant temps ». L’accompagnement comme la mélodie était simple, mais je retrouvais avec cette version des instruments que j’appréciais particulièrement : la flûte traversière, qui suivait et s’entremêlait avec la voix, et le hautbois languedocien, au timbre pouvant ressembler au chant d’un animal tonitruant. Si la musique semblait le tenir comme à l’écart, loin des micros, en l’écoutant me revenait, le souvenir douloureux de m’en être un jour, approché trop près. Le son n’est pas désagréable, mais sa puissance peut parfois faire vriller les tympans. Il aurait pu servir pour communiquer entre Cévenols sur deux montagnes différentes.

 

L’ambiance intimiste de la chanson me rappelait toutes mes randonnées, silencieuses, seul dans les bois. Peut-être qu’avant ce jour, je n’avais jamais entendu cette musique. Mais elle ne pouvait que m’être familière. Aucun autre air, à mes yeux, ne peut aussi bien représenter ce que peut être la vie perchée sur les collines des Cévennes. Même si elle a plusieurs siècles, et que les montagnes ne devaient ressembler en rien à ce que je connaissais, le sentiment d’attachement fut très fort, même à mon jeune âge. Je ne savais pas parler occitan, mais j’ai cherché sur l’internet de l’école les paroles et la façon de prononcer les mots. Avec cette recherche, je suis tombé sur davantage de légendes sur les Cévennes, que je dévorai sans m’arrêter.

 

Ce chant est indissociable de son histoire. Elle respire la terre, imprégnée de la dure vie des femmes de soie de l’époque, racontant leur manière de travailler, mais également comment ils pouvaient aborder leur labeur. Il y a en elle plus que de la musique : un lieu de vie, des interactions sociales, des croyances… C’est le genre de chanson que l’on entendait par tradition orale, sans jamais savoir si on les connaissait vraiment ou non. Si bien que je suis heureux de ne plus me souvenir où j’ai bien pu l’entendre la première fois, pour qu’à ma deuxième découverte elle me paraisse si familière. Cela signifie, du moins pour moi, que la vie dans les montagnes perdure, et continue de trouver son chemin parmi les enfants.

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