La raclée

Notes de l’auteur : Nouvelle datant de ma jeunesse. Quasiment une histoire vécue.

 -Ta gueule !

- Oui, mais...

- Ta gueule ! !

Joignant le geste à la parole le premier policier, un quadragénaire au visage marqué et aux tempes grises, venait d’allonger une taloche au maigre adolescent encore juché sur sa Mobylette.

- Descends de là ! Où sont tes papiers ?

- Justement, c’est pour ça que...

- Ta gueule ! T’as tes papiers ou tu les as pas ?

Des larmes d’impuissance se bousculaient aux bords de ses yeux pâles de Robert.

- Non, mais écoutez ! ...

- Tu l’as piquée cette Mobylette.

Cette affirmation venait de tomber de la bouche du second policier, plus jeune. Du bout du pied, il tâta les pneus.

- C’est pas gonflé, ça ?

- J’crois que je suis crevé...

- Ta vie, on s’en fout. Pourquoi t’as pas tes papiers ? Et pourquoi tu fuyais ?

Le jeune flic s’approcha. Robert leva son bras gauche en prévision d’une nouvelle agression.

- Allez dis-nous où tu l’as volée.

- Mais non, c’est ma Mobylette !

Il ne vit pas venir la seconde taloche. Elle l’atteignit juste en dessous la pommette droite. Celle-ci pris aussitôt une couleur tomate. Un troisième flic descendit de voiture, l’air méchant. L’air d’un flic, quoi, pensa Robert. Il portait un revolver coincé à l’américaine dans la ceinture de son pantalon, à l’endroit du foie. Exactement où il avait mis son portefeuille avant de le paumer.

- Alors môme, t’as un problème ? Si elle t’appartiens cette Mobylette... comment que ça se fait que t’aies pas les papiers ?

- J’les ai oubliés !

Le visage de bob changea et pris une couleur de cendre. Il s’imaginait déjà la rouste qu’allait lui refiler son père s’il ne retrouvait pas le portefeuille. Son père qui n’était pas méchant, mais juste ! Juste méchant.

« Robert, lui avait dit son père, cet après-midi au lieu d’aller glander avec tes copains, tu vas aller à la préfecture de Bobigny pour retirer mon permis de chasse. Je ne peux pas y aller moi-même, ta mère est encore barrée faut que j’la retrouve. »  Il avait ouvert un tiroir de la commode. « Voilà ma carte d’identité, t’as intérêt à y faire gaffe sinon j’te pète la gueule. V’là aussi une dérogation et de l’argent. Tu y vas, tu fais la queue et tu reviens. C’est compris ? »

Sûr, il avait compris. Il était parti vers 14 heures, son portefeuille avec ses papiers et ceux de son père, bien calé entre son ventre et son ceinturon. Un gros portefeuille marron en cuir d’Espagne - enfin, c’est ce qui était marqué sur la boîte dans le magasin où il l’avait piqué. Ce portefeuille, c’est à peu près tout ce qu’il possédait.

Quand on l’ouvrait, la première chose qu’on voyait c’était la photo de Patricia. Son sourire dents blanches vous sautait en pleine poire comme un coup de soleil. Elle avait un air de tenir le monde à ses pieds. En fait de monde, elle avait Bob, tous les garçons de sa classe plus deux ou trois garçons de sa rue. C’est déjà pas mal quand on a que 15 ans. Et puis il y avait l’argent aussi. 20 euros à lui pour son essence et ses clopes et les 50 euros de son père. Trois beaux billets bien craquants qui venaient de sortir de la banque.

Ça lui faisait plaisir d’aller à la préfecture parce qu’il y avait un bout de la route en pente et bien lisse, et qu’il pouvait pousser son engin à fond jusqu’à bloquer le compteur. Sa bonne vieille meule grise avec ses deux sacoches à l’arrière. Cadeau du grand-père. Elle ne faisait pas très “ class ” mais question vitesse, elle enfonçait la plupart des bécanes de ses potes. Même les rutilantes Peugeot 103 qui coûtaient un max ou les Motobécanes spéciales T.T.

Lui, avec sa grise pourrie et ses sacoches, il les mettait tous dans le vent. D’un autre coté, à l’arrêt, ce n’était pas la frime. Mais pour l’instant, il roulait. On était en juillet et un vent chaud s’engouffrait dans son perfecto trop petit pour lui.

Il venait de dépasser le Fort de Rosny quand il sentit sa roue chasser à l’arrière. Et merde ! C’était la troisième fois depuis ce matin ! Ce putain de pneu était encore à plat. Le trou devait être minuscule car ça mettait quand même du temps à se dégonfler. Le mieux ç’aurait été de changer la chambre à air, mais il avait pas de fric. Alors il regonflait toutes les deux ou trois heures, ça dépendait de la chaleur.

Heureusement la station du père Renoux n’était pas loin. Guidon en main, Bob traversa le boulevard Aristide Briand puis monta sur le trottoir.

Y avait pas grand monde à la station. Comme d’habitude. Le tuyau pour la pression traînait par terre au milieu du chemin comme un grand serpent assoupi. Bob mit sa Mobylette sur béquille et commença à dévisser la valve d’air de sa roue. Son grand corps - un peu trop grand pour son âge - cassé en deux, il grimaçait. L’énorme portefeuille comprimait son ventre. Il le sortit et le posa sur la pompe à mélange deux temps. Rapidement, il fila un coup de pression et son pneu s’enfla. Ça tiendra bien jusqu’à Bobigny pensa-t-il, et là-bas on verra.

Il sauta sur le siège, pédala un petit coup, et la vieille grise toussa et démarra. C’était quand même une putain de bonne bécane !

Il venait de parcourir un bon kilomètre quand, du carrefour situé juste devant lui, déboucha une voiture banalisée. Bob porta instinctivement sa main sur son ventre. Il n’aimait pas les flics. Il n’aurait pas su dire exactement pourquoi mais c’était comme ça. Il réagissait certainement par atavisme banlieusard. Même s’il ne les portait pas dans son cœur, il aimait être en règle avec eux. Pas de temps à perdre avec ces cons. Voilà mes papiers merci au revoir ! Seulement, ses papiers, ils ne les avaient pas !

Entre son ventre qu’il touchait et trifouillait librement, et son pantalon, il n’y avait plus de portefeuille. Disparu !

Son esprit roula sous un feu d’associations d’idées : “ Flics, papiers, portefeuille, carte d’identité, permis de chasse, argent, pompe, père, raclée. ”

Freinant brusquement il effectua un demi-tour pétaradant et, la peur aux tripes, il accéléra en sens inverse. Sa réaction fut aussitôt mal interprétée par les flics en voiture. A l’école de police, on vous apprend ce cas de figure.

L’instructeur : Si, lors d’une patrouille de routine, vous voyez un suspect qui s’enfuit, que faites-vous ?

Le chœur : Nous lui donnons la chasse car cette attitude est l’indice d’une mauvaise conscience.

L’instructeur : Bravo ! Vous avez, votre examen. Vous pouvez brancher la sirène, on est avec vous.

Bob n’entendait, ne voyait, ne comprenait plus rien. Le rideau qui s’était abattu sur ses pensées ne laissait place qu’à l’image de la pompe à mélange deux temps. “ Pourvu qu’il y soit encore... pourvu que personne ne l’ait chouré ! ” Il pensait à autre chose maintenant. Celui qui récolterait son portefeuille verrait en l’ouvrant le sourire de Patricia. Elle souriait à tout le monde cette connasse !

Il accélérait tellement que la poignée en caoutchouc lui resta dans la main. De rage, il l’a jeta et referma son poing osseux sur la poignée de métal glacé.

La voiture arriva à sa hauteur et de la fenêtre avant un bras jaillit lui agrippant le blouson. Immédiatement un autre bras plus solide encore surgit de l’arrière et vint renforcer la prise du premier. Les deux bras se mirent à gueuler qu’il se range sur le coté. Bob aurait bien voulu, mais il avait peur de ne pas se synchroniser avec la paire de bras et de chuter ou de se faire traîner sous la voiture. D’un côté ça criait, de l’autre ça paniquait. Difficile de trouver un compromis. Enfin, les deux véhicules stoppèrent et un des bras pu sortir tout entier pour le secouer comme un prunier.

- Petit con !

- S’il vous plaît !...

- Ta gueule !

- Oui, mais...

- Ta gueule !

Et voilà. Impossible d’expliquer quoi que ce soit. Bob était un fugitif. Bob savait que la justice était aveugle. Il apprit ce jour-là qu’elle était sourde, aussi.

- TA GUEULE ! ! !

Pendant que le jeune flic retournait la Mobylette pour vérifier le numéro du moteur, l’essence s’échappait. Merde, pensait Bob, un plein qui se fait la malle dans le caniveau. Il repensa à ses 20 balles puis aux 50 de son père. Il trépignait sur place. Le flic à l’air méchant le regarda pendant un long moment et lui colla une beigne. Il n’avait pas seulement l’air. Son nez éclata comme une pêche trop mûre. Question pêche, Bob était servi. Il habitait Montreuil s/bois.

Cinq ou six baffes plus tard, il réussissait à expliquer son problème et regardait avec soulagement la voiture s’éloigner.

Bob fila au garage où, grâce au ciel, il retrouvait son portefeuille. Il n’avait pas bougé de place. Y avait vraiment pas un chat dans cette station.

A la préfecture, tout se passa bien et il pu rentrer à temps avec le fameux permis de chasse. Les oiseaux et les lapins le remercieraient un jour.

Bob poussa la porte. Sa mère était à la cuisine en train de préparer la bouffe du soir. Elle avait une poêle à la main droite et un coquard à l’œil gauche.

Le père tenait la grande forme. La laisse du chien pendait à son clou, inoffensive. Il respira profondément. Son visage était en sang, mais il avait évité la raclée paternelle. C’est toujours celle-là qui fait le plus mal.

Il entra dans le salon. En définitive, il était heureux de sa journée.

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Laurette Follot
Posté le 09/08/2022
Bravo pour ce texte! J’ai adoré l’atmosphère, c’est très vivant, ça va à 100 à l’heure (comme la mobylette ). La violence est traitée sur le ton de l’humour, c’est vraiment bien fait.
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