La pipe brumeuse

Par Sebours
Notes de l’auteur : En avançant dans mon récit, j'ai envie de teinter chaque peuple d'une culture différente inspirée de civilisations historiques. Satyres = celtes, druides ; dryades = grecs antiques (mais aussi écologie)...
Et là, je commence à me dire que les civilisations précolombiennes correspondent bien aux orcs. Il y aura de la réécriture sur les précédents chapitres et c'est pour cela que certains détails changent/évoluent (religion, armes de l'age de pierre...).

Elduir-Khal, dieu du vent et des orages

pour rendre impénétrables tous les parages

Une pipe magique donna aux fées.

Celle-ci du brouillard pouvait générer.

Extrait du poème « Les sept présents des Sept »


Trois ans ! Cela avait pris trois ans à Gal pour féconder les deux femelles pures offertes par le roi Orokko ! Le colonel pourpre n’avait rencontré aucune difficulté pour engrosser Ewu, la jeune vierge. Par contre, malgré sa fertilité exceptionnelle même pour un géniteur royal, cela avait pris trois longues années pour parvenir au même résultat avec la vielle Gala, la mère Yashan. Trois longues années durant lesquelles il devait occuper la couche de l’orque rouge pour être certain de sa paternité. Trois longues années pendant lesquelles chaque nuit, l’oniromancien rêvait du marteau de Dmor-Khal. Et ce matin, Gala et ses sages-femmes confirmaient quelle était enceinte.

Enfin, après trois années Gal pouvait repartir l’esprit libre à la recherche de l’artefact divin. Il convoqua son état-major pour assurer la régence au cours de son absence. Borg et Vlad avaient l’habitude des escapades de leur chef, ce qui n’était pas le cas du nouveau prêtre-sorcier Oggul. Pour l’instant, l’ambitieux religieux satisfaisait le colonel pourpre. Le remplaçant de Sarlac implantait avec ferveur les préceptes de l’ordre des servants dragons. De concert avec Borg, il développait un complexe religieux dépassant en prestige celui de Ladin. Les pyramides de la lune et du soleil en cours de construction mesureraient à terme de double de celles présentes dans la capitale de l’Orcania. Elles trôneraient comme deux gardiens de pierre encadrant le temple du dieu-jaguar Abath-Khal. Oggul multipliait les sacrifices d’esclaves à la gloire du dieu de la guerre. Un fleuve de sang inondait l’immense place d’armes située en contrebas. Chose étrange, le prêtre-sorcier insistait sur l’utilisation de poignards d’obsidienne pour les cérémonies. Pourtant Udgog bénéficiait de l’armement le plus efficace du bouclier-monde, celui des Marteaux-d’Airain. Mais même le meilleur des aciers ne surpasserait jamais l’armement traditionnel pour les lithurgies.

Gal attendait au sommet du donjon, cheveux au vent. Il humait l’air. Celui-ci présentait enfin un parfum d’aventure après trois longues années d’attente. Un à un, les trois conseillers arrivèrent. Vlad, le premier, se positionna à la droite de son chef et adopta la même attitude, contemplant l’horizon. Borg ne tarda pas à suivre. Il fallut attendre un bon quart d’heure pour que Oggul n’arrivasse. Gal saisit ce prétexte afin de tancer le prêtre-sorcier, tout en rappelant subtilement la hiérarchie qu’il établissait.

« Rrrr ! Que tu veilles à arriver après tes supérieurs, je le comprends Oggul. Rrrr ! Mais n’oublie jamais que c’est moi ton chef ! Et je ne tolère pas ce type de retard ! Quand je t’appelle, tu viens !…Immédiatement ! Rrrr ! Nous ne sommes pas à la cour de Ladin ! »

« Hardi ! Nous nous contrefoutons du protocole ici à Udgog ! Le colonel connaît notre valeur ! Seuls comptent nos actes ! » rajouta le stoïque et imposant Vlad tout en poursuivant sa contemplation de l’horizon.

« Bien vrai ! » poursuivit Borg.

Oggul baissa les oreilles et rentra les épaules en signe de soumission. Gal supposait que le prêtre ne serait pas assez fou pour tenter un putsch. Avec deux frères d’armes en cerbère, le religieux ne disposait pas de coudées franches. De plus, pour renverser le colonel pourpre, il devrait nécessairement s’allier avec l’un des deux fils presque rouges de l’oniromancien. Et tout le monde savait que le lieutenant et l’ingénieur militaire gardaient à l’œil Gadnak et Nakok. Mais un dirigeant ne pouvait pas se satisfaire d’un pressentiment. Pendant trois ans, il n’avait pas quitté l’ambitieux écclésiastique. Ce soir, Gal partirait et il saurait s’il pouvait accorder sa confiance à Oggul. De toute manière, au moindre écart, Vlad l’égorgerait.

« Rrrr ! Vlad ! Je veux que tu entraînes les troupes à la manœuvre. Les semi-orcs doivent se cacher à partir d’un signal ! Le jour où les troupes de l’Orcania traverseront notre territoire, ils devront être invisibles ! Rrrr ! Et pour les autres, travailler la défense de siège ne sera pas un mal ! »

« Hardi, colonel ! Où veux-tu qu’on rassemble les semi-orcs ? »

« Rrrr ! Dans le tunnel qui mène à l’inframonde. » répondit Gal en pointant du doigt l’entrée. « Rrrr ! Borg, je compte sur toi pour trouver un moyen de cacher cette entrée ! »

« Oui colonel ! Je te ferai des propositions à ton retour ! »

Du haut de sa tour, le chef d’Udgog indiquait ses directives. Il adorait ce lieu car il permettait de constater le chemin parcouru depuis sa nomination.

« Rrrr ! Je veux une tourelle supplémentaire sur le rempart Nord ! Rrrr ! Et là, il faut construire une forge ! Trouvez des esclaves capables de nous transmettre les secrets du métal. Les cesseront bientôt de nous vendre leurs armes. »

« Tout sera fait selon ton désir, colonel ! Tu as raison, la pierre ne vaut pas le fer ! »

Udgog avait bénéficié d’un accord très profitable avec les Marteaux d’Airain pendant presque cent ans, mais la trêve séculaire touchait à sa fin. Et l’Orcania n’avait jamais daigné développer une industrie sidérurgique, préférant s’appuyer sur la supériorité physique des orcs et la fabrication d’armes traditionnelles en pierre. Le temps économisé par la bannière d’Abath-Khal avait permis de remporter une foule de succès à l’aube des guerres lemniscates. A présent que le royaume du croissant accusait un sérieux retard, le roi Orroko allait de défaite en déroute. Gal voulait moderniser son armée pour qu’elle puisse rivaliser avec celle des elfes. Et cela ne s’arrêtait pas à la maîtrise du fer. Il intégrait un prêtre-sorcier à son état-major avec un arrière-pensé.

« Rrrr ! Oggul, pendant mon absence, je compte sur toi pour avancer sur la formation de mages. »

« Par le fer et la rage ! Je peux enseigner toute la théorie, mais sans artefacts ou un morceau de rokh ou de dragon ! Même dans les comptoirs gnomes ces produits sont quasiment introuvables ! Il ne reste que deux plumes de Rokh en vente à Pyrbe ! »

« D’après mon analyse, leur achat coûterait trois ans de solde de l’ensemble des peuples alliés. » compléta Borg. « Cela grèverait trop profondément notre trésor ! Colonel ! Je te rappelle que les nains ont mis un terme à notre marché. Ils n’achètent plus nos esclaves ! »

« Rrrr ! Je le sais très bien! Rrrr ! C’est d’ailleurs pour ça que je pars à la recherche du marteau de Dmor-Khal ! »

« Hardi ! Hé bien, nous verrons lorsque tu l’auras ramené ! » conclut avec humour Vlad. « Allons donc nous saouler pour fêter ton départ, Gal ! »

Les quatre orcs descendirent de la tour et burent tant et plus. L’oniromancien resta raisonnable contrairement à ses compagnons. Il prit rapidement congés, trop impatient de se lancer dans une nouvelle quête. Son paquetage l’attendait près de son cheval-tonnerre. Il sangla sa selle, accrocha ses affaires et saisit la boussole de Ziric. A présent qu’il se trouvait loin de Ladin, peut-être que l’artefact ne pointerait pas les présents des Sept rangés dans le Trésor d’Orokko. Pour l’instant, l’aiguille tournait sur elle-même car elle détectait la corne d’abondance que le chef de guerre emmenait dans tous ses déplacements.

Gal appuya sur le bouton. L’instrument pointa en direction du Sud-Ouest, vers la passe des montagnes noires. Un présent se trouvait-il au carrefour des sept chemins ? Il enfourcha sa monture et prit la route d’Erzog. Pour ne pas être repéré, il contourna le village et fit de même à Ubed. Là, en surplomb de la passe des montagnes noires, le colonel pourpre connut une valse hésitation. Il se trouvait sur le lieu qui hantait ses nuits, le lieu où basculerait son destin à l’aube de la prochaine guerre lemniscate. On se trouvait ici à la croisée des mondes. De part et d’autre du corridor, se dressaient les extrémités de la chaîne de montagnes du croissant de l’Orcania. Le passage reliait l’empire elfe à l’intérieur des terres avec le royaume dryade d’Anulune en empruntant la vallée gnome de la Pyrbe. Le cours d’eau était encadré au Nord-Est par le Connacht, la forêt sacrée des satyres, et au Sud-Est par le Marais des fées papillons. A l’intérieur du territoire du roi Roll, à environ un kilomètre de la pointe Sud de l’Orcania, un monolithe géant se dressait pour indiquer l’entrée dans l’infra-monde. Le carrefour des sept chemins portait décidément bien son nom. Le trafic y était dense et des grandes tours en gardaient l’accès. Gal jugea plus sûr d’attendre la nuit pour traverser. Un soldat à pied passerait plus inaperçu. Il renvoya donc son cheval-tonnerre. Il utilisa ensuite la corne d’abondance pour se sustenter avant de se coucher et dormir jusqu’au moment opportun.

L’oniromancien se réveilla dans une obscurité presque totale. La lune n’avait plus qu’un quartier. Après s’être désaltéré, l’orc se mit en chemin. La descente paraissait aussi abrupte que dans ses rêves. Les torches de l’imposante ceinture de fortifications déchirait le néant d’un trait de lumière. En fin tacticien, le chef de guerre choisi méticuleusement son point de passage. Grâce aux anfractuosités entre deux tours, Gal parvint à évoluer dans la pénombre pour pénétrer dans la passe des montagnes noires. Il aurait bien pu faire un crochet de plusieurs dizaines de kilomètres par le Connacht et la baie d’Anulune, mais dans le noir, il n’aurait jamais réussi à conserver son cap. De plus, Nunn avait beau imposer une trêve séculaire, un orc isolé à cet endroit du bouclier-monde était un orc en sursis. Il fallait se déplacer avec célérité et discrétion, ce qui n’était pas une mince affaire pour une créature de deux cent cinquante kilos. Tel le jaguar, son animal totem, le chef de guerre se déplaça pourtant à pas feutrés. Une fois la ceinture de fortifications traversée, il partit au petit trop car il devait couvrir une trentaine de kilomètres à découvert avant la levée du jour.

Gal tira tout droit à travers la plaine et passa entre le village elfe du carrefour des sept chemins et la cité gnome de Pyrbe. Courir dans le noir n’avait rien de facile même pour un voyageur habitué d’arpenter l’infra-monde. Les trous et les mottes parsemaient le sol. Chaque appui pouvait potentiellement provoquer une chute. Et pourtant, il fallait se presser. Le colonel pourpre termina sa traversée mentalement épuisé. Il disposait d’encore deux bonnes heures avant l’aube et décida de lever un peu le pied une fois à couvert d’un bois. Grâce au soleil du petit matin, il put constater sur la boussole de Ziric qu’il avait su garder le cap.

Le colonel marcha d’un pas décidé, en ligne droite à l’abri des arbres pendant une partie de la matinée. Soudain, sa botte de cuir s’enfonça dans un sol spongieux. Il effectua un pas de recul. Gal pénétrait sur le territoire des fées papillons. Il rechignait à évoluer dans les marais. Comme tous les orcs, il craignait l’eau, même si le Maître lui avait appris à naviguer. Et comme tous les orcs, son imposante anatomie peinait à évoluer sur ces terrains meubles. C’était d’ailleurs pour cela que les fées parvenaient à vivre au pied des montagnes de l’Orcania. Elles seules connaissaient les chemins sûrs et elles seules virevoltaient avec autant élégance au-dessus du sol. Gal se rappela qu’il avait survécu aux intrigues de cour à Ladin. Ce n’était pas un malheureux marais qui parviendrait à l’arrêter !

Le puissant guerrier avança enfin. En à peine cinquante mètres, l’eau lui arrivait au-dessus du nombril. C’était impossible d’évoluer en ligne droite dans cet environnement. Alors l’orc utilisa sa science de chasseur. Il chercha une sente qui avançait dans les terres et la suivit. Pendant trois heures, il sinua dans le brouillard sur de minuscules chemins, redressant sa direction à chaque intersection. La nature demeurait lugubrement silencieuse. Le pied de l’oniromancien butta sur quelque chose qui dépassait et manqua de s’affaler. Il se pencha pour observer. La pointe d’un casque nain à demi enterré coupait l’étroit passage. Une pointe de hallebarde sortait au milieu des roseaux. En regardant dans les eaux troubles, Gal aperçu un premier cadavre nain, puis un second orc. Il saisit la hallebarde et l’utilisa pour sonder plus profondément et découvrit des montagnes de cadavres ensevelis. S’était donc ici qu’avait eut lieu la bataille finale de la guerre des béhémoths. S’était donc ici que les fées avaient triomphé pour l’unique fois dans les guerres lemniscates en pratiquant des embuscades. Et c’est depuis ce jour que les orcs redoutaient l’eau.

L’oniromancien progressa avec plus de prudence et de lenteur encore. La beauté macabre de ce paysage désolé le fascinait. En guerrier, il aspirait à la gloire des combats, à la terreur sur le visage de ses adversaires, au sang qu’ils verseraient sous ses coups, au triomphe final sous les acclamations de ses soldats. Alors voilà ce qui restait après quelques millénaires ! Des monceaux de cadavres putrides ignorée de tous ?

L’aiguille de la boussole s’affola. Elle se mit à trembler pointant frénétiquement sur la gauche. Même si cela le répugnait, Gal quitta la sente pour avancer sur les cadavres. L’eau glacée lui arrivait jusqu’à la taille. Avec la brume permanente de l’endroit, il n’y voyait plus à deux mètres, mais il poursuivit sa progression. L’aiguille oscillait de plus en plus vite et de plus en plus en plus fort, jusqu’au moment où l’artefact commença à tourner sur lui-même. Le colonel pourpre inspira puis plongea et commença à fouiller les cadavres. Il ne savait même pas ce qu’il cherchait. A chaque immersion, il descendait plus profond et remuait le charnier. Il tâtonnait dans les eaux qu’il avait lui-même troublées, manquant de se noyer à plusieurs reprises. Gal remonta sur le chemin tous les objets qu’il attrapait, ceintures, dagues, gourdes.

Péniblement, il s’extirpa de la vase et ausculta son butin à l’aulne de la boussole de Ziric. L’aiguille pointait toujours frénétiquement vers les marécages. Un rugissement déchira le morbide silence. Le colonel pourpre replongea à l’aplomb du lieu théorique de l’artefact. Dans une rage aveugle, il arracha un à un les cadavres à leur dernière demeure dans un bouillonnement nauséabond. A nouveau, il lutta pour retrouver la terre ferme. Et à nouveau, sa tentative s’avéra veine. Il cherchait une aiguille dans une motte de foin, et le fait d’ignorer à quoi ressemblait l’aiguille compliquait considérablement la chose. Pendant deux jours et deux nuits il sonda les profondeurs, amoncelant les squelettes, les guenilles et les objets. Le présent magique se trouvait-il en réalité dans l’infra-monde ? Luttant contre le doute qui l’étreignait, l’orc poursuivit son labeur. Il grelottait, ses dents claquaient, sa peau se fripait, ses yeux rougissaient, mais jamais il n’abonna ses recherches.

Soudain, au-dessus d’un cadavre de fée, l’aiguille de la boussole tourna sur elle-même. Il touchait au but. Avidement, il opéra une fouille approfondie jusqu’à ce qu’il découvre un objet peu commun dans la poche d’un veston en état de décomposition avancé. C’était une pipe taillée dans de l’écume de mer, une petite pipe blanche représentant Elduir-Khal, la déesse du vent de des orages. Tout du moins Gal le supposait car c’était généralement ainsi qu’elle était représentée. La sculpture possédait des yeux orange, certainement en ambre, couleur fétiche de la déesse. Ses cheveux formaient un élégant tuyau ouvragé et le sommet du crâne formait un clapet courant le foyer. Le colonel pourpre posa la boussole de Ziric sur l’intriguant objet. La joie réchauffa son corps. Il venait de trouver un des sept présents des Sept. Il lui le fallait confier à Borg. L’ingénieur trouverait bien de quel artefact il s’agissait et surtout quels profits on pouvait en tirer. Il serait alors temps pour l’oniromancien de reprendre ses investigations.

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