La petite pianiste

Dans une ruelle sombre de la capitale, une échoppe de musique désuète se lovait entre deux immeubles. Une jeune étudiante y travaillait pour payer ses études. Elle venait tous les jours pour vendre des disques, des partitions ou des instruments de musique à une rare clientèle. Les propriétaires âgés n'étaient plus intéressés par leur commerce. Ils laissaient la jeune fille s’occuper de presque tout. A l’exception de la réparation des instruments, que le vieux monsieur continuait à assurer dans un antique atelier au fond de la cour, et de la comptabilité restée l’apanage de sa femme, Lucie était en charge de la bonne marche du magasin quelques heures par jour. Elle s’acquittait de sa tâche avec application mais sans grand enthousiasme. C’était une jeune femme posée. Elle avait un beau visage de madone. Sa peau était claire et ses cheveux sombres et épais étaient relevés en une queue de cheval sévère. Son visage s’éclairait quand elle souriait. Elle éprouvait de l’empathie pour tous ceux qu’elle rencontrait et savait faire preuve d’abnégation si nécessaire. Elle s’habillait toujours simplement et il est vrai qu’elle semblait parfois transparente dans l’atmosphère surannée du magasin, comme si elle n’existait pas.

 

Pendant les longs moments d’attente entre deux clients, elle pouvait travailler ses cours de musicologie, ou s’occupait des commandes et du registre des locations d’instruments. Le silence régnait souvent dans la  boutique. Il était propice à l’étude et à la réflexion. Parfois, Lucie écoutait des disques de musique classique. Mais la plupart du temps elle préférait s’accouder au comptoir pour rêver à une vie plus palpitante que la sienne.

 

Un soir, alors qu’elle s’apprêtait à fermer le magasin et à baisser le rideau métallique, une fillette entra dans la boutique. Elle était petite, modestement vêtue et portait des lunettes. Elle s’approcha du comptoir et demanda la sonate pour piano en si mineur de Miroslav K. en 45 tours.

 

– Hélas, répondit Lucie surprise par une telle requête, ça n’existe plus. Plus personne ne fabrique de 45 tours. Vous pouvez peut-être en trouver un exemplaire d’occasion dans une brocante ou chez un collectionneur. Nous avons l’enregistrement sur d’autres supports si vous le souhaitez.

 

La petite fille fit une grimace désespérée. Son visage était le reflet de la déception même.  

 

– J’ai un tourne disque à la maison pour écouter les 45 tours, dit-elle. On me l’a donné. Je n’ai pas d’autre lecteur de disque. Je voudrais écouter ce morceau pour comprendre comment l'interpréter.  

– C’est une oeuvre peu connue et très difficile à jouer, murmura Lucie.

 

Elle s’étonnait qu’une petite fille s’intéresse à cette pièce complexe du répertoire de Miroslav K..

 

– Je sais la jouer, répliqua l’enfant avec obstination, mais je ne suis pas sûre de mon interprétation. 

 

Stupéfaite, Lucie lui proposa de l’écouter si elle voulait bien lui montrer. La petite fille hocha la tête en signe d’assentiment. Lucie s’approcha d’un piano droit en exposition et en souleva le couvercle. 

 

– Comment vous appelez-vous ? demanda-t-elle en installant un tabouret devant le clavier.

– Stella, répondit la fillette en s’asseyant.

 

Elle se concentra un bref instant et fit quelques gammes pour s’habituer à l’instrument et délier ses doigts. Puis elle se mit à jouer. Immédiatement, Lucie sut qu’elle avait devant elle une enfant prodige. Les sons sortaient avec pureté du vieux piano droit destiné à la location. Le jeu était rapide, dans le bon tempo, plein de subtilité et d’énergie maîtrisée. Lucie songeait à ce qu’aurait été l’interprétation de Stella sur un piano digne de ce nom. 

 

En fermant les yeux, elle se vit dans une salle de concert. La fillette était assise devant un piano à queue sur la scène, habillée d’une robe blanche et jouait à la perfection. C’était même mieux que la perfection. Les spectateurs retenaient leur souffle. Lucie était bouleversée par l’émotion que l’enfant faisait naître en jouant. Elle en avait des frissons sur tout le corps. Elle n’avait jamais entendu une telle virtuosité. Elle savait qu’elle anticipait sans doute exagérément le talent de l’enfant car elle avait une imagination débordante. Mais elle était certaine que Stella n’était pas une pianiste ordinaire. L’avenir de cette fillette se trouvait forcément dans la musique.

 

Le temps semblait suspendu dans le vieux magasin à l’acoustique inexistante. L’instrument avait été martyrisé par les générations d’enfants qui avaient fait leurs gammes et leurs arpèges sur son clavier depuis des années. Il renaissait sous les mains de Stella qui savait caresser ses touches ou bien les effleurer pour les dynamiser.

 

Une fois le morceau terminé, Stella posa ses mains sur ses genoux, exactement comme l’aurait fait une concertiste. Fébrile, Lucie s’approcha et lui posa mille questions. Elle voulait tout savoir sur l’enfant et l’origine de son don. La gamine n’avait jamais joué sur un vrai piano. Elle avait hérité d’un vieux clavier électrique inutilisable, donné par un voisin qui s’en débarrassait. Elle l’avait démonté et bricolé avec son père pour le refaire fonctionner. Quand le piano électrique avait été réparé, elle avait demandé des conseils au voisin. Il lui avait enseigné des rudiments de solfège et donné des livres et des partitions. Mais c’était bien trop peu. Stella déchiffrait les notes avec difficulté et finissait par jouer les morceaux par cœur sans lire la musique. Un peu honteuse, elle expliqua que ses parents n’avaient pas les moyens de lui payer des cours ni de lui acheter un instrument. D’ailleurs il n’y avait pas la place pour un piano à la maison. 

 

Stella avoua qu’elle avait économisé sou à sou pour se payer le 45 tours et écouter la sonate jouée par un véritable musicien. 

 

Fascinée, Lucie fut tout de suite persuadée qu’elle devait faire quelque chose pour Stella. Cette rencontre était comme un signe du destin. Elle était étudiante en musicologie et la fillette avait besoin d’un professeur. Elle proposa à Stella de revenir le lendemain au magasin. Cela lui laissait le temps de réfléchir et de s’organiser. Elle apporterait ses propres livres de solfège pour enseigner correctement la musique à la petite fille. Ce serait un début. Stella la remercia avec effusion. Elle se mit à danser et tournoyer sur le parquet brut de la pièce. Lucie la regardait avec émotion. 

 

Avant de fermer le magasin, Lucie mit le disque de la sonate de Miroslav K. sur la platine. Elles écoutèrent religieusement le morceau de musique. Lucie observait Stella à la dérobée. La petite fille était très concentrée. Ses doigts s’agitaient dans l’air comme si elle jouait sur un clavier imaginaire. Elle semblait pénétrée par la mélodie, hochant la tête avec un sourire pendant certains passages subtils dont elle comprenait enfin l’interprétation.

 

Stella n’avait pas de lecteur CD. Il était donc impossible de lui offrir le disque pour qu’elle l’écoute chez elle. Mais elle pourrait le réentendre autant de fois qu’elle le voudrait en revenant au magasin.

 

Le soir suivant, Stella était de retour à la boutique. Lucie l’attendait. Elle aurait été déçue qu’elle ne vienne pas. Cependant depuis la veille, elle était convaincue de la motivation de la fillette. Elle commença à lui expliquer les bases du solfège. Elle s’aperçut que l’enfant comprenait très vite. Rapidement, elle devrait l'amener vers plus de détails et lui enseigner les subtilités des notations. Après l’apprentissage théorique, elles passèrent à la pratique sur le piano.

 

Lucie était une étudiante laborieuse. Elle admirait la vivacité d’esprit et le don de Stella qui dépassaient tout ce qu’elle avait connu. Elle pressentait qu’elle avait devant elle un génie, une enfant prodigieuse. C’était une sensation inconnue et stimulante pour cette jeune femme qui se destinait à l’enseignement de la musique. Une élève ultra douée représentait tout ce qu’elle attendait de son futur métier. Elle-même jouait du violon. Elle disposait de quelques partitions de piano qu’elle avait apportées. Elle songeait à préparer un duo pour piano et violon dès que Stella aurait appris un premier morceau.

 

A partir de ce jour-là, les deux mélomanes se retrouvèrent toutes les fins d’après-midis dans le magasin. Entre écoutes de disques, morceaux joués sur les instruments et vives discussions sur les interprétations, les soirées passaient trop vite. Les clients sporadiques profitaient des échanges entre les deux musiciennes. Ils étaient enchantés de l’ambiance musicale de la boutique. Cela changeait de l’atmosphère pesante et silencieuse qui régnait auparavant et créait une émulation. Bientôt il y eut du monde tous les soirs. Les gens venaient acheter des disques et des partitions. Ils parlaient de musique, participaient avec enthousiasme aux controverses et, emportés par leur élan, se risquaient parfois à exécuter eux-mêmes des parties de mélodies. Tous avaient quelque chose à dire sur le talent de Stella. La petite pianiste était aux anges. Plus elle captait l’intérêt des visiteurs pour son jeu, plus elle s’épanouissait.

 

Avant d’arriver le soir au magasin pour entrer dans le monde enchanté des harmonies, elle expédiait ses devoirs d’école à la maison en quelques minutes. Elle était si douée qu’elle pouvait se le permettre. Puis elle courait vers la ruelle sombre et se précipitait dans la boutique où Lucie l’attendait. Après quelques révisions sur la théorie, Stella s’asseyait devant le piano et s’exerçait aux gammes et aux arpèges. Puis elle apprenait des morceaux de plus en plus complexes. Elle déchiffrait les partitions sans difficulté désormais grâce à l’enseignement prodigué par Lucie. Lucie était toujours présente à ses côtés pour éclairer une difficulté ou une ambiguïté. En fin de soirée, elles jouaient ensemble des duos pour piano et violon. Les clients spectateurs étaient enchantés et applaudissaient à l’achèvement des morceaux. Grâce à leur étonnante rencontre, leurs vies étaient totalement transformées.  

 

Quant aux propriétaires du magasin, ils étaient comblés par cette bonne fortune car la clientèle était nombreuse et achetait plus que jamais des instruments et des disques. La boutique était même devenue un lieu de convivialité apprécié dans le quartier. On pouvait y déguster du thé ou du café et y écouter de la musique tout en devisant avec des mélomanes. Une harpiste et un flûtiste venaient de temps en temps accompagner Stella et Lucie. Les petits concerts étaient prisés et le magasin était plein à craquer à ces occasions. 

 

Les parents de Stella s’étaient rendus plusieurs fois à la boutique écouter leur fille jouer du piano. Ils étaient inquiets et en même temps fiers. Ils ne savaient pas où ces aventures musicales allaient mener leur fille, mais Lucie était si enthousiaste et Stella si heureuse qu’ils finirent par être convaincus que leur fille avait un véritable don.

 

Les semaines et les mois passèrent. Stella constatait chaque jour les progrès phénoménaux de l’enfant. Elle en était venue à penser que Stella perdait maintenant son temps et gâchait son talent. Il fallait envisager une solution plus adaptée que les cours du soir dans le magasin. 

 

Lors de l’une de leurs visites au magasin, Lucie parla aux parents de Stella d’une pianiste qu’elle avait vue une fois en concert. Cette femme était une grande interprète. Lucie avait lu beaucoup d’articles à son sujet qui confirmaient ses certitudes. Elle-même ne se sentait désormais plus capable de donner des conseils pertinents à Stella. Elle se trouvait dans une situation compliquée. Elle essayait de poursuivre ses études tout en s’occupant de Stella et en travaillant au magasin. Mais comme elle avait beaucoup de recherches personnelles à faire pour préparer ses examens, cumuler toutes ces activités était devenu difficile. Elle sentait venir le moment où elle devrait choisir. Elle était de plus en plus partagée. Au fond d’elle-même, elle savait qu’elle n’était plus en mesure d’aider techniquement Stella. La situation actuelle ne pouvait plus durer. Abandonner son travail à la boutique et ses études ne semblait pas envisageable. Mais laisser tomber Stella n’était pas une alternative possible. Il fallait faire bouger les choses. Alors Lucie proposa aux parents de Stella de contacter le professeur d’interprétation. Après quelques hésitations et craintes, ils finirent par accepter. Lucie écrivit une lettre. La femme ne répondit qu’après plusieurs courriers. Elle devait être tellement sollicitée ! Comment aurait-elle pu s’intéresser à une obscure étudiante qui lui recommandait une élève qui n’allait même pas au conservatoire ? La réponse fut négative, la concertiste n’était pas intéressée.

 

Lucie ne se découragea pas. Elle envoya une nouvelle lettre contenant un enregistrement de la sonate de Miroslav K.  interprétée par Stella. 

 

Quelques jours plus tard, le professeur se déplaça elle-même et vint un soir au magasin. Lorsqu’elle vit les spectateurs venus assister aux répétitions, elle se joignit à eux pour écouter Stella. Elle fut impressionnée comme tous ceux qui entendaient la jeune fille jouer du piano. Mais plus encore car elle perçut des subtilités dans l’interprétation qui la décidèrent à prendre l’avenir de Stella en main.

 

Ce fut le début d’un parcours incroyable pour la fillette. Dès que le professeur entra dans la vie de Stella comme une puissante tornade, celle-ci changea du tout au tout. Tous les principes qui avaient régi le quotidien de la famille de l’enfant furent bousculés. Mis devant le fait accompli, les parents de l’enfant acceptèrent le destin de leur fille de bonne grâce. Sa mère l’accompagna partout et son père continua à travailler durement. Bien dirigée dans un cadre adapté à son talent, Stella ne tarda pas à devenir une grande musicienne. 

 

Lucie resta dans l’ombre. Tout le monde oublia l’étudiante qui avait découvert la jeune pianiste virtuose. L’engouement des clients de l’échoppe pour les concerts et la musique de chambre s’étiola rapidement et bientôt le magasin fut à nouveau déserté. Sans émulation, plus personne n’avait envie de venir. Le calme et la tristesse s’étaient réinstallés dans la boutique. Souvent seule derrière son comptoir, Lucie avait le temps de suivre l’ascension fulgurante de Stella qui commençait à donner des récitals et à enregistrer des disques. Ces disques arrivaient au magasin et Lucie avait le bonheur et la douleur de les vendre.

 

Cependant l’échoppe était bien vide. Les propriétaires étaient mécontents car les profits n’étaient pas intéressants. Ils décidèrent de liquider le magasin qui était devenu une charge trop lourde pour eux. A  cette nouvelle, les clients se désespérèrent car ils avaient aimé la période faste où ils venaient écouter de la musique tous les soirs. Lucie proposa de donner des leçons de solfège et de musique aux enfants pour compenser l’absence de Stella. Cette nouvelle activité redonna un semblant de vie à la boutique. Sans doute certains parents imaginèrent que Lucie allait découvrir chez leur enfant un don unique comme celui de Stella. Les affaires vivotaient. Mais le magasin avait subsisté et il fut à nouveau possible de prendre une tasse de thé en écoutant un disque.

 

Lucie obtint son diplôme et enseigna la musique dans une école. Elle avait conservé son emploi de fin d’après midi dans le magasin pour gagner un salaire d’appoint. 

 

Un beau jour, des années plus tard, une belle jeune-femme pénétra dans la boutique. Elle était toujours lovée entre deux immeubles et avait retrouvé son caractère désuet. Rien n’avait changé à l’intérieur. L’agencement était toujours le même, les instruments à vendre ou à louer étaient un peu plus poussiéreux. Seule une table en bois couverte de cahiers de musique et de partitions attestait des cours dispensés par Lucie. Il y avait également quelques pupitres dispersés ça et là et des étuis et des housses pour protéger des flûtes, des violons et des clarinettes entreposés le long du mur. 

 

Lucie reconnut immédiatement Stella malgré les changements physiques intervenus. Elle sourit quand Stella s’avança vers elle. La fillette était devenue une belle jeune femme, élégamment vêtue d’une robe de laine rouge sombre et d’un manteau à la coupe parfaite. Elle ne portait plus de lunettes. Stella vint se jeter dans les bras de Lucie en pleurant d’émotion. Elle balbutiait des remerciements et tournait sur elle-même pour regarder les lieux. Elle parlait sans cesse pour que Lucie ne puisse pas l’interrompre, comme une source qui avait besoin de jaillir et de couler en abondance. Grâce à Lucie, elle vivait une vie merveilleuse dont elle n’aurait jamais osé rêver. Voyages, concerts, travail permanent pour s’améliorer sans cesse, rencontres d’artistes se succédaient à un rythme infernal. Et elle allait se marier avec un musicien. Jamais elle n’oublierait son amie Lucie qui lui avait donné la clé de son avenir. Elle penserait à elle toute sa vie. 

 

Lorsque Stella eut enfin épanché son besoin de parler, elles se racontèrent leurs vies bien différentes désormais. Stella découvrit que celle de Lucie avait peu changé. Quand elle quitta le magasin, il faisait nuit. La boutique était vide et plongée dans le noir. Lucie et Stella échangèrent un dernier regard à la porte et chacune reprit le chemin de sa destinée. L’une brillait dans la lumière d’une gloire méritée grâce à son talent hors du commun, l’autre se trouvait dans la paix d’une vie obscure entièrement consacrée à la musique.

 

Tandis que Stella s’éloignait vers le taxi qui allait l’emporter, Lucie se demandait s’il était dur de rester dans l’ombre quand l’étoile des autres s'élevait au firmament. Elle y réfléchit quelques secondes puis haussa les épaules. Tout cela avait au fond peu d’importance, car c’est la vraie vie de chacun qui comptait. Elle se dirigea vers l’arrière magasin, alluma la lumière, sortit son violon de l’étui et l’accorda avec soin. Elle caressa le bois à la couleur chaude et sentit un frisson de bonheur l’envahir. Puis elle enduisit son archet avec un peu de colophane.

 

Enfin elle se mit à jouer un air avec passion. La musique emplit toute la pièce si solitaire. Plus elle jouait, plus Lucie réalisait qu’elle n’avait jamais aussi bien interprété ce morceau. Elle n’entendit pas la sonnerie de la porte d’entrée du magasin. 

 

Lorsqu’elle retourna dans la boutique après avoir rangé son violon, il était l’heure de fermer et de baisser le rideau de fer. Un homme se tenait debout devant le comptoir, l’air médusé.

 

– Quel était ce disque que vous écoutiez ? demanda-t-il

– Ce n’était pas un disque, répondit Lucie, c’était moi qui jouais du violon.

– Vous ! s’exclama l’homme, mais votre interprétation était si parfaite …

– Sans doute ne m’en croyez-vous pas capable, rétorqua Lucie légèrement vexée mais encore toute bouleversée par l’intensité de son propre jeu.

– Non, pas du tout, reprit l’homme. Il me semble que toute ma vie j’ai cherché ce son, ce toucher que vous avez.

– Ce n’était rien, murmura Lucie, juste un moment en dehors du temps. J’ai eu beaucoup d’émotions ce soir.

– Je reviendrai, dit l’homme avec bienveillance. Pour l’instant vous devez vous reposer. Je me contenterai de vous réécouter dans ma mémoire. Vous m’avez totalement transporté et je veux revivre ce moment avec vous tous les jours. Mais je ne suis qu’un mélomane solitaire, je ne vous offrirais pas une existence de lumière et de gloire. 

 

Lucie en resta pantoise. Il sortit du magasin et derrière lui, Lucie referma la porte. Elle le regarda s’éloigner dans la rue sombre et déserte avec une expression étonnée. L’espoir d’une autre existence avait peut-être aussi commencé à germer pour elle. Elle baissa le rideau le fer et s’en fut à son tour dans l’obscurité. La petite boutique désuète s’endormit entre les deux immeubles pour une paisible nuit.

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