La magie de Noël existe

Par Oyoèt
Notes de l’auteur : J'ai mis l'entièreté du conte en un chapitre (écrit pour un AT).


– Yipee ! s’écria le manchot en dévalant la colline de mousse, pile au-dessus de la demeure de la famille Noël.

Oui, je sais ce que vous allez dire. D’abord, les manchots ça ne parle pas, et ça ne dit sûrement pas « Yipee ». Ensuite, de la mousse en Antarctique ? On nage en plein délire. Mais surtout, surtout, la famille Noël ne vit pas au Pôle Sud, mais au Pôle Nord. Tout le monde le sait, non ?

Vous avez tout faux. Archi-faux. Sur toute la ligne. Mais reprenons depuis le début : notre manchot s’appelle Michel. Il parle depuis sa tendre enfance, comme tous les manchots d’Antarctique ; vous ne pouviez pas le savoir, vous n’y êtes jamais allés. Ce n’est pas bien grave. Bon. Si vous êtes surpris de voir de la mousse en Antarctique, c’est que vous n’entendez rien à la magie de Noël. Rien de bien méchant non plus, c’est un vilain défaut qui se corrige facilement. Par contre, si vous pensiez vraiment que les Noël avaient élu résidence au Pôle Nord, vous êtes carrément à côté de l’iceberg.

Le Pôle Nord, c’est bien trop près des humains. Ils y viennent en bateau, à pied, en raquette, en radeau, en jet-ski, ils y viennent percer, forer, découper, sonder, fouiller comme des malpropres. Alors que de l’autre côté, l’Antarctique, c’est froid, loin, désert, isolé de tout, bien à l’abri de la bêtise humaine, paisible, à peine dérangé par quelques scientifiques qui vont et viennent. En même temps, les enfants n’ont jamais dérangé la famille Noël, bien au contraire. Les enfants sont même une des raisons d’être de la magie de Noël. Et, bon, enfants, scientifiques, c’est du pareil au même.

Les enfants se demandent pourquoi le ciel est bleu, puis décrètent que le ciel a choisi d’être bleu parce que c’est la plus belle des couleurs ; les scientifiques se demandent aussi pourquoi le ciel est bleu, décrètent également que le ciel a choisi d’être bleu parce que c’est la plus belle des couleurs, mais finissent par trouver une autre réponse qui a l’air plus intelligente pour qu’on les laisse en paix. Les enfants comme les scientifiques n’arrêtent jamais de se poser des questions : pourquoi les étoiles ne brillent que la nuit ? La magie existe-t-elle ? Qu’y a-t-il au fond de la mer ? Est-ce que les manchots ont aussi des cadeaux de Noël ?

Au cas où vous auriez l’âme d’un enfant ou d’un scientifique, voilà la réponse courte à toutes ces questions : les étoiles ne se donnent pas la peine de briller quand on ne peut pas les voir ; bien sûr que la magie existe ; au fond de la mer se reposent les plus vieilles baleines qui n’ont plus la force de remonter jusqu’à la surface ; et oui, tout le monde a droit à des cadeaux de Noël. La seule différence, c’est que les humains en sont privés toute l’année. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas été sages, voilà tout. Ils ont été très vilains, même. Les autres animaux, eux, ont droit à un cadeau de Noël chaque jour. Vous comprenez mieux pourquoi Michel dévalait une colline de mousse en Antarctique ?

Pour avoir un cadeau, rien de plus simple. Il suffit de croire à la magie de Noël - quoi de plus évident ? -, de penser très très fort à ce que l’on veut, et hop ! pas de fumée, pas de baguette magique (on n’est pas dans un film !). Rien que votre vœu qui se réalise sous vos yeux : une colline de mousse, un gâteau chocolat-pistache, un nouvel ami. Le seul petit couac (il y en a toujours un, vous avez remarqué ?), c’est que la magie de Noël n’est pas toute-puissante. Moins il y a de personnes qui y croient, et plus elle perd ses pouvoirs. Et le problème, avec les humains, c’est qu’ils y croient de moins en moins - et deviennent de plus en plus bêtes -, et tuent de plus en plus d’animaux libres, les plus fervents défenseurs de Noël. Mais le pire dans tout ça, c’est que moins la magie de Noël est puissante, et moins les humains y croient.

En trois mots : Noël se meurt.

Il n’y a qu’à voir la pathétique colline de mousse de Michel. Je vous ai un peu menti, tout à l’heure, quand je vous ai dit que c’était son vœu du jour. A vrai dire, tous les manchots du coin se sont réunis pour l’occasion et ont tous fait le même vœu en même temps. Michel, tout seul, n’aurait pas obtenu plus qu’une flaquounette de mousse. Une flaquette, à la rigueur.

– Yipee ! s’écriaient donc tous les manchots en dévalant joyeusement leur colline de mousse.

Au Pôle Sud, on profite de tous les petits moments de joie qu’on peut trouver. Car en plus de la magie, l’Antarctique se meurt aussi.

A deux mètres de là, une gerbe de neige se souleva dans un grand pschhhhit ! et Auralysée mit un pied dehors. Froid. Et pourtant, le pied était emmitouflé dans une chaussette en laine - amoureusement tricotée par papi -, elle-même mise à l’abri dans une botte - gentiment offerte par papi numéro deux. Lorsque le second pied rejoignit le premier, tous les sens d’Auralysée conclurent de concert : froid. Mais quand on habite en Antarctique, le froid est la première chose dont on apprend à ne pas se formaliser. Sous ses pieds et ses yeux, à perte de vue, de la neige, de la neige, de la neige. De la neige bien blanche, éclatante, de la bonne neige de décembre - non pas qu’elle changeât de nuance au cours de l’année -, de la neige qui crissait sous les bottes, qui faisait froid dans le dos, qui s’écartait docilement quand on battait des bras dedans, de la neige glissante, craquante, croquante, qui fondait sous - ou sur - la langue, et sous cette neige de la neige, autour de cette neige des montagnes de neige, des crevasses de neige, des collines de mousse.

Auralysée poussa un soupir. Les rennes avaient rejoint les manchots pour un concours d’atterrissage dérapé, arbitré par un vieil ours borgne affalé dans un fauteuil. Le renne en lice était superbe, effectuait des tours dans le ciel pour faire jouer sa puissante musculature, et entama sa descente avec un air concentré et désinvolte à la fois. L’atterrissage ne laissa pas une trace de flocon sur la colline, et s’arrêta à un demi-sabot de la ligne neigeuse d’arrivée.

– Faute !

– Comment ça, faute ?! s’insurgea le renne.

– Tu as freiné avec ta queue. C’est interdit par le règlement.

L’ours se leva, marcha pesamment vers le renne et récupéra un brin vert sur son arrière-train.

– Ah ouais ? Et qui l’a écrit, ce règlement ?

– Moi.

– Tu sais où tu peux te le mettre, ton règlement ?

– Au fond de ta gorge de petit prétentieux, peut-être ?

– Petit prétentieux ? s’offusqua le renne. Espèce d’ours mal léché !

– Alors là, je ne te permets pas !

– STOP ! cria Auralysée.

– Oh, vraiment ? Et qu’est-ce que tu vas y faire, gros tas ? dit le renne en s’envolant d’un bond majestueux.

Le bond en question fut interrompu à son apogée par une boule de neige bien tassée qui cueillit le renne sur sa patte avant. Déséquilibré, il eut le temps de faire deux vrilles avant de s’écraser pathétiquement dans la neige la tête la première.

– ARRÊTEZ-VOUuusgblf

Auralysée avait fini elle aussi dans la neige, bousculée par la charge d’un vieil ours en colère que rien ne pouvait arrêter. Au moment où le renne s’apprêtait à réceptionner six cent cinquante kilos bien tassés, un affreux mugissement de sirène déchira la relative quiétude du Pôle Sud. Tous les visages se tournèrent d’un coup vers le bruit en laissant planer un silence de mort.

– HABITANTES ET HABITANTS DU PÔLE SUD ! ICI LE CAPITAINE DU BRISE-GLACE PERGE !

Tout le monde grimaçait de douleur, les mains, pattes et ailes plaquées sur les oreilles. Dans le silence assourdissant de menace, quelqu’un se risqua à lancer d’un ton aigre :

– Il a fini son discours, le « capitaine » ?

– Zut et contre-zut, j’ai oublié la suite, sembla répondre une voix fluette venant de derrière la colline.

Une énorme secousse ébranla la banquise lorsque le brise-glace arriva en vue de tous, fier et sinistre, monstre d’acier qui s’apprêtait à avaler le Pôle Sud tout entier. Des bruits de grue et de chaînes se perdaient dans des nuages de fumée noire, des ordres claquaient, secs comme des coups de fouet, et l’enfer s’apprêtait à accoster au paradis immaculé. Au milieu du vacarme, une silhouette surgit au sommet de la colline, haute comme trois pommes.

– Qu’est-ce que vous fichez là ? Vous êtes au milieu de mon jardin ! Allez ouste !

– Mais qui c’est, lui ? fit Auralysée.

– Ouais, qui c’est, lui ? reprit un manchot.

– T’es qui, toi ? relança l’ours sur un ton plus agressif.

– Capitaine Manu Remberre, pour être servi !

– M’en vais lui coller un procès, moi, tu vas voir, grommela Auralysée.

– On peut savoir ce que tu fais là ? l’apostropha le renne qui avait retrouvé son air majestueux.

– J’ai pour ordre d’embarquer toute l’Antarctique, et d’écraser toute résistance qui se mettrait en travers de mon chemin ! glapit Manu. Et en plus de ça, vous êtes tous sur ma propriété ! Du balai !

Ils reculèrent tous d’un pas en voyant un géant s’avancer derrière le capitaine en mitaines, si grand qu’il semblait pouvoir éclipser le Soleil, crever les nuages et lécher le ciel de sa longue langue bleue…

– Girafe ! s’écria un manchot. Comme dans Magadascar ! Kowalski, avec moi !

Quatre manchots surexcités grimpèrent les uns sur les autres dans un simulacre de synchronicité, et finirent par s’étaler tous les quatre dans la neige.

– Mais tu n’as pas le droit d’embarquer le Pôle Sud ! réagit enfin Auralysée. On vit dessus !

– Pour les broutilles de ce genre, voyez ça avec mon avocat. J’ai un travail à faire, moi. Allez les gars ! fit-il en se retournant. Sortez-moi ce treuil, on a un continent à remorquer !

Par réflexe, Auralysée fit le vœu que Manu glisse sur une peau de banane et s’écrase dans la neige la figure la première. La banane apparut toute entière – pas juste une peau laissée par inadvertance -, Manu leva le pied bien haut comme pour marcher dessus et… le laissa en l’air un instant, saisi par un pressentiment, juste ce qu’il fallait pour remarquer une banane qui traînait par terre.

– Tiens, je ne savais pas que les bananiers poussaient aussi en Antarctique.

Nonchalant, un sourire aux lèvres, il croqua avec entrain dans la banane. Et dans la peau. Auralysée frissonna à chacune de ses bouchées.

 

Le lendemain, le moral était au plus bas dans la cuisine des Noël.

– Et c’est Hugo, le botaniste qui a écrit la Charte de l’Atlantique, qui a appelé l’avocat de Manu avec le téléphone de la base scientifique. On a bien essayé de lui faire comprendre que c’était impossible d’embarquer un continent comme ça, mais il n’a rien voulu entendre.

Auralysée était recroquevillée sur son chocolat chaud, emmitouflée dans deux couvertures.

– Vous vous rendez compte ? Il avait… il avait un… il avait un jacuzzi, finit-elle dans un souffle.

Des murmures d’appréhension parcoururent la table.

– Tu es sûre que tu n’as pas mal vu ? tenta une tante. C’était peut-être une piscine à bulles…

– Ou sa réserve d’eau pétillante ! renchérit un cousin.

– S’il aime bien cuisiner, ça peut être un bain-marie géant, suggéra un arrière-grand-père.

– Non. C’était un jacuzzi. Posé à même la banquise. A côté d’une maison en béton, cubique et moche.

Des murmures de consternation parcoururent la table.

– On a encore perdu huit mètres de glace depuis l’année dernière.

– Et la magie qui s’arrange pas, avec tout ça…

– Il y a peut-être un lien. Jamais ce Manu n’aurait eu le courage de venir jusqu’ici si le Père Noël avait été –

Un silence gêné interrompit la conversation et Auralysée bondit sur sa chaise.

– Quoi, le Père Noël ? Qu’est-ce qu’il a ? Où est-il ?

– Eh bien…

– C’est-à-dire…

– En fait…

– … on s’est dit que tu avais bien assez de soucis…

– Crachez le morceau !

Chacun remuait sur son siège, et personne n’osait croiser le regard scandalisé d’Auralysée.

– Le Père Noël a encore disparu, lâcha sa mère. Une bonne partie de la magie avec lui. Et sans laisser de mot, ni de trace. Rien du tout.

– Il ne faut surtout pas que les autres l’apprennent, s’affola Auralysée. Si la nouvelle fait le tour du Pôle, on court à la catas –

– Il ne faut surtout pas que les autres apprennent quoi ? lança un manchot dont la tête dépassait de la trappe vers l’extérieur.

Il dévisagea la famille attablée, leurs mines assombries, déconfites.

– La dernière fois que vous tiriez des têtes pareilles, le Père Noël s’était enfui aux Maldives le 23 décembre.

Le silence accusa le coup.

– Non, ne me dites pas que…

La tête du manchot disparut aussitôt et des cris retentirent à la surface. Auralysée enfouit sa tête entre ses mains pour masquer les larmes qui perlaient à ses yeux.

– Bon. Au moins, ça ne peut plus empirer, hein ?

Une tête de matelot surgit à la place du manchot.

– D’solé de vous déranger, mais, euh, v’n’auriez pas vu le cap’taine Remberre par hasard ?

– Quoi, il est introuvable, lui aussi ? aboya-t-elle.

– S’il a branché son jacuzzi, m’est avis qu’il doit nager au fond de l’océan à l’heure qu’il est, ricana quelqu’un.

– C’t-à-dire que, commença le marin perdu en triturant son bonnet, comme vous connaissez bien la région, et qu’vous pouvez parler aux animaux, avec les gars on s’était dit qu’les pingouins l’avaient…

– Les pingouins, soupira bruyamment Auralysée avant de se mordre l’avant-bras pour étouffer un cri.

– …p’t-être vu passer, finit-il.

 

La banquise était grise, la calotte était pâlotte. Avec Auralysée, elles formaient une trinité tristounette. Plus de mousse, plus de cris de joie, plus de sieste au soleil, plus de course-poursuite en luge dans les airs, plus de visite impromptue des cousins du Nord. Et pour ne rien arranger, le Perge faisait un boucan de tous les diables, gâchait le paysage de son intimidante carrure, mutilait la banquise, souillait la neige de ses fumées noires et apportait déjà son lot d’ennuis.

Auralysée marchait sur le bord de la glace, les lèvres pincées et le front plissé. Elle méditait sur l’état de l’Antarctique et sur l’avenir de Noël tout en s’efforçant de résister à la petite voix au fond d’elle qui lui suggérait de sauter dans l’eau. Elle n’était pas assez habillée pour un bain.

– Eh là, jeune fille !

– Le voilà, votre fichu capitaine, lâcha-t-elle.

Le visage du matelot, qui la suivait à quelques pas, s’éclaira de soulagement.

– Commandant ! Tout l’équipage attend vos ordres !

– Ouais, ouais. Vous, là ! Jeune fille ! Vous savez où je peux trouver de la nourriture pour girafe dans le coin ?

Auralysée fit mine de ne pas l’entendre et repartit d’un pas vif. Il lui semblait avoir aperçu un troupeau de phoques, au loin. Peut-être auraient-ils des nouvelles à lui donner du Père –

– C’est pour Bernard, vous comprenez. Je ne pouvais pas partir sans lui. Je l’ai nourri au biberon, dans sa jeunesse. Nous sommes inséparables.

La fierté dégoulinait de la voix du capitaine qui se rapprochait sans cesse des oreilles d’Auralysée, malgré le bonnet de laine et la distance qu’elle s’appliquait à creuser entre eux. Manu tapota sur le bord de son jacuzzi avec un sourire satisfait.

– C’est un petit bijou de technologie, continua-t-il en arrivant à la hauteur d’Auralysée. Un jacuzzi flottant, il fallait y penser. Et je n’ai besoin que d’une télécommande pour qu’il m’emporte où je veux, toujours au chaud !

Le regard d’Auralysée brilla un instant d’un éclat dur tandis qu’elle rangeait cette information dans un coin de sa tête.

– Vous n’avez pas trop froid, vous ? reprit le capitaine.

– On s’y fait, répondit-elle d’un ton glacial.

– J’avoue avoir du mal à comprendre votre mode de vie. Pourquoi s’embêter à vivre sur un glaçon géant où rien ne pousse, et où la température est aussi souvent positive que mon beau-père ?

– Je n’espère pas que tu comprennes quoi que ce soit, répondit-elle en serrant les dents.

– Sérieusement, si vous aimez la neige, vous pouvez en trouver toute l’année à Dubaï. Si vous n’aimez pas la compagnie, vous pouvez aller n’importe où, je ne sais pas, pourquoi pas Caunette-sur-Lauquet ? C’est tout de même plus vivable que ça ! conclut-il en balayant l’horizon blanc de sa main.

– Ça, comme tu dis, c’est chez moi. Et c’est bien plus beau que tout ce que tu ne pourras jamais voir.

– Eh bien, montrez-le-moi ! Qui sait, j’y trouverai peut-être de bons éléments marketing. Pour l’instant, je n’ai rien de mieux que : « Glaçons Antarctique, pour des cocktails authentiques ! »

– Je n’ai rien à te montrer, tout est déjà sous tes yeux. Comme dirait grand-mère : la magie de Noël peut rendre la vision à un aveugle, mais encore faut-il que l’aveugle le souhaite.

– Ha-ha. Mais d’accord. Tant que je n’ai pas à sortir de mon jacuzzi, je suis prêt à jouer le jeu.

Auralysée pesa le pour et le contre. Manu avait l’air aussi borné qu’un renne vaniteux. Elle n’avait aucune envie de l’aider, mais d’un autre côté, elle n’avait rien à perdre – si ce n’était sa fierté. Elle prit donc une grande inspiration et le fusilla du regard.

– Tu disais que rien ne pousse ici : c’est complètement faux. Ce n’est pas parce que tu ne vois rien qu’il n’y a rien. C’est la règle la plus importante du Pôle Sud : on ne voit ni la magie de Noël, ni les pièges de la glace trop fine, ni ce qui se cache sous l’iceberg. Mais il faut apprendre à deviner tout ça. Pour les arbres, c’est impossible à deviner avant d’avoir essayé de creuser sa maison dans la calotte glaciaire.

– A quoi bon creuser sa maison si on peut se la faire apporter par brise-glace ? l’interrompit insolemment Manu.

– Parce qu’une maison, ça ne flotte pas.

– Un jacuzzi non plus. Et pourtant, me voilà, fit-il avec un grand sourire.

– Tu es là pour m’insulter ou m’écouter ? gronda Auralysée.

Le capitaine fit la moue mais n’insista pas.

– Ici, les arbres poussent à l’envers, directement dans le sol - dans la glace -, vers le bas. C’est une des raisons pour lesquelles nous creusons notre maison : les arbres nous servent en même temps de mobilier et de garde-manger.

Elle ne se tourna pas pour se délecter de la face ahurie qui dépassait de l’eau bouillonnante, car ses yeux étaient fixés sur la neige, en accrochaient chaque flocon, chaque éclat ; mais son regard portait bien plus loin, rivé sur une vérité inaccessible - au-delà du blanc, au-delà du froid.

– Le froid ne s’apprivoise pas. Ce n’est pas une bête sauvage, à abattre ou à mettre en cage, ce n’est pas un désagrément qu’on peut oublier en allumant son radiateur ou en se prélassant dans un jacuzzi. Le froid, c’est l’essence même de l’Antarctique. Le froid, c’est la neige, la glace, l’eau, le vent, le blizzard. Il rend nos vies infiniment plus difficiles, et les moments de joie infiniment plus doux. Il nous rappelle que Noël existe pour réchauffer nos cœurs, que sa magie n’a qu’un but : répandre joie et bonne humeur. Le froid est un cadeau ; son emballage est glacé, et son ruban immaculé. Ici, l’égoïsme n’existe pas, pour la simple et bonne raison qu’on ne survit pas seul. La liberté, le respect, ce ne sont pas des droits mais des évidences. Mais chaque année, la banquise fond, l’inlandsis se délite, et notre liberté avec. Les humains, et à cause d’eux les autres animaux, tous ont de moins en moins de raisons de croire en la magie de Noël. Ça ne me rend pas triste, car j’en aime d’autant plus chaque boule de neige, chaque petit vœu que je fais. Mais comprends-moi bien, Manu : quand tu débarques ici sur ton gros brise-glace, à nous cracher des bêtises et de la fumée dessus, à te croire le roi des Pôles, et à dire que tu vas nous voler notre glace en te baladant dans ton jacuzzi, ça ne nous fait pas peur. Ça nous fait rire.

– Oh, mais il ne faut pas le prendre personnellement, hein. Les affaires sont les affaires ! Au fait, ça te dérange si je te tutoie ? Il est toujours plus facile de négocier en bons amis.

– Les affaires, répondit Auralysée avec mépris. Ces mêmes affaires qui ont tué l’esprit de Noël et qui rongent notre continent.

– Et qui m’ont valu mon jacuzzi, répondit-il avec un grand sourire.

– Je peux te poser une question ?

– Dis toujours.

– Comment comptes-tu t’y prendre pour embarquer un continent tout entier ? Si tu es encore là, c’est que tu as dû te rendre compte que ton bateau de pacotille est loin de faire le poids.

Manu leva les bras en signe d’impuissance avant de les replonger bien vite dans l’eau chaude.

– Mes meilleurs ingénieurs sont sur le coup, ils trouveront bien quelque chose.

– Et s’ils ne trouvent rien ? insista Auralysée.

– S’ils ne trouvent rien… je les vire et j’embauche de meilleurs ingénieurs. En attendant, je compte bien profiter des attractions locales !

– Profiter des… Attends, tu n’es quand même pas en train de me dire que tu veux vivre ici ?! s’exclama-t-elle, incrédule.

– Si tu parles de mon jacuzzi, la réponse est non. Mon manoir entier devrait avoir été débarqué, à l’heure qu’il est, fit-il en jetant un coup d’œil à sa montre waterproof.

– In-cro-yable, souffla-t-elle. On a vraiment touché le fond…

– C’est quand on touche le fond qu’on n’a plus qu’une direction : remonter vers le haut ! s’exclama gaiement Manu en lui faisant un clin d’œil.

Atterrée, Auralysée rentra chez elle en traînant des pieds. 

 

Elle avait beau essayer de faire un vœu – que Manu et son horrible brise-glace se retrouvent loin, très loin -, la magie ne voulait pas coopérer. Selon les jours, c’était à peine si elle parvenait à réchauffer son chocolat tiède. Ses nombreux amis défilèrent pour essayer de lui remonter le moral, certains tentèrent de la traîner dehors de force, mais la vue était obstruée par la gigantesque demeure flottante de Manu qui cachait à peine la silhouette menaçante du brise-glace.

Le regard d’Auralysée restait donc aussi terne et ouaté que la nuit polaire, comme si elle cherchait à débrancher son cerveau pour refouler les angoisses qui le saisissaient.

 

– Auralysée ! cria une voix.

– Oh non. Non non non, non ! NON !

Elle remonta sa couverture sur ses yeux, ne laissant dépasser qu’une mare de cheveux emmêlés. Chose rare, elle était seule dans le grand salon, affalée dans un grand fauteuil rembourré en coton de neige. Elle savourait une tasse de silence chaud, accompagnée de biscuits au pépère, et n’avait aucune envie – mais alors vraiment aucune – d’affronter l’insupportable capitaine de brise-glace.

– Auralysée, j’ai trouvé une solution ! Auralysééééééééée !

– Faites-le partir, gémit-elle, je vous en supplie, faites-le partir loin, le plus loin possible…

Bien entendu, le vœu ne fonctionna pas et la trappe s’ouvrit à la volée. Auralysée chercha une cachette à travers ses yeux rougis et embués, en trouva une derrière le grand buffet à vaisselle, jaugea l’énergie qu’il lui faudrait pour plonger derrière et renonça. Elle était bien trop confortablement installée, tant pis pour l’autre excité.

– J’ai trouvé comment faire, lança un Manu essoufflé. Puisque c’est trop compliqué d’embarquer la glace directement, je vais attendre qu’elle fonde, prendre l’eau polaire, et laisser les clients faire leurs propres glaçons chez eux ! Génial, n’est-ce pas ? On appelle ça de la low tech. C’est très à la mode, à ce qu’il paraît. On laisse les gens faire le boulot et ils nous paient encore plus cher, gloussa-t-il. Toute l’Europe va raffoler de mes glaçons ! Tiens, qu’est-ce que tu penses de ça : « Glaçons faits maison d’Antarctique, pour des boissons faites maison authentiques ! » C’est moi qui l’ai trouvé tout seul. Ou presque, fit-il avec un geste de la main dédaigneux.

– Ah.

– Ah ! Je vois à ton manque d’enthousiasme que tu ne sembles pas avoir compris où réside le génie dans mon plan. Je vais te raconter un secret, donc garde-le bien pour toi : il se trouve que l’Antarctique fond déjà toute seule. Une histoire de réchauffement climatosceptique, ou un truc comme ça. Et encore mieux, plus l’Antarctique fond, et plus elle fond vite. C’est assez compliqué, en réalité. C’est un de mes ingénieurs qui a essayé de me l’expliquer, mais il n’était pas très clair… Il a voulu me faire croire que la surface du Pôle renvoyait la chaleur du Soleil, juste parce qu’elle est blanche. Bien sûr, c’est ridicule, sinon les Africains auraient eu la peau encore plus blanche que nous. Mais bon, quoi qu’il en soit, il tient tout ça d’un vrai scientifique, pas un ingénieur, donc, ce qui fait que ça doit sûrement être vrai. Même s’il a un nom franchement ridicule : Al Bédo. Entre nous, ça ne fait vraiment pas sérieux, pour un scientifique… M’enfin, j’ai pu renvoyer la charbonnière qui arrivait d’Allemagne, c’est fantastique ! Je vais pouvoir faire des économies du tonnerre ! Je réfléchis déjà à la construction d’un hôtel un peu plus au sud, là où la glace tient mieux qu’ici. Ou un parc d’attractions ? Qu’en pensez-vous ?

– Tiens, on repasse au vouvoiement ? Quel dommage, je pensais que notre relation était devenue plus chaleureuse.

– Je décèle une pointe de sarcasme dans vos paroles, jeune demoiselle, répondit-il en plissant les yeux. Et bien soit, je ne vous considère plus comme une partenaire d’affaires, puisque j’ai résolu tous mes problèmes moi-même. Je n’ai plus besoin de vous.

– Et pourtant, c’est toi qui es venu me chercher chez moi.

– Ne prenez pas la grosse tête, je voulais simplement vous demander de bien vouloir intercéder auprès de vos « copains » de la base scientifique pour qu’ils cessent de harceler mon avocat. Il me coûte horriblement cher, voyez-vous.

– Casse-toi. S’il te plaît, ajouta-t-elle avec un hoquet.

Auralysée renifla en regardant le fond de sa tasse, qui avait viré au barouf. Ses biscuits s’étaient éparpillés en miettes sur la table. Elle remonta sa couverture jusqu’à la racine de ses cheveux, et se mit à ronfler fort peu gracieusement pour couvrir le bruit des sanglots qui la secouaient.

 

Le lendemain, Auralysée se liquéfiait dans le même fauteuil, peu ou prou dans la même position, cette fois-ci entourée d’un babillage incessant de tantes, cousins, oncles et cousines. Ils lui lançaient tour à tour des regards en coin, pour vérifier qu’elle ne craquait pas ou qu’elle ne faisait pas de bêtises. Mais fidèle à elle-même, elle persistait dans son état de flaque.

– Il veut construire un hôtel. Non mais vous vous rendez compte ?

– Pire ! Un parc d’attractions ! Et pourquoi pas une plage de sable, tant qu’on y est ?

– Ne parle pas trop fort, tu pourrais lui donner des idées.

– Auralysééééééééée !

Tout le monde laissa échapper un soupir sonore. A l’exception d’Auralysée, qui frémit à peine d’une paupière. Décidément, cet homme était aussi collant qu’une fiente de manchot sous la botte.

– Auuuuuuuuraaaaaaaaalyyyyyyyyyyséééééééééée !

La trappe trembla mais tint bon, contrairement à la pauvre jeune fille dont la paupière frémissante laissa échapper une larme.

– Auralysée, c’est toi qui nous as enfermés à l’intérieur ? rouspéta un oncle.

– Vous pensez qu’il va tenir combien de temps dans le froid ? ricana quelqu’un.

– A peine dix secondes, renchérit une autre.

– Auralysée, ouvrez ! Ou je fais fondre votre toit avec mon ventilo-radiateur mobile portatif !

– Son quoi ? pouffa une tante.

– Il est complètement maboul, hein.

– Eh, fada, va !

– Bon, vous l’aurez voulu ! clama-t-il d’une voix qui se voulait menaçante.

Pschhhhhhhhhhhhhhhhh -

– Zut, mauvais bouton, c’était le canon à paillettes, grommela Manu.

– Il me ferait presque de la peine, dites donc.

– Presque.

– On dira ce qu’on veut de lui, mais au moins, il s’était sacrément bien préparé à son voyage.

– Vous avez marché soixante-dix-huit pas aujourd’hui.

 Eh oh, ça va, le radiateur podomètre ! T’es pas obligé d’afficher ma vie privée devant tout le monde, hein ! s’emporta-t-il à l’extérieur.

– Oh, la feignasse !

– Soixante-dix huit pas, vous vous rendez compte ? Il est si proche que ça de notre maison ?

– Cela dit, c’est toujours plus qu’Auralysée, ricana une cousine qui récolta un regard furibond en retour.

Pas de la part d’Auralysée, non : son œil mouillé et frémissant n’était pas en état de furibonder qui que ce fût.

– Petit, Papa, Noël, quand tu descendras du ciel…

 AH NON ! CA SUFFIT MAINTENANT ! RAAAAAAAAAH –

La trappe s’éjecta et laissa passer la tête cramoisie d’une grande-tante.

– VOUS AVEZ PAS BIENTÔT FINI DE NOUS ENQUIQUINER AVEC VOS GADGETS A LA NOIX ?

– En voilà des manières ! Moi qui pensais que votre pays était civilisé, et vous laissez mourir de froid vos voisins !

– T’es pas mort de froid, si ? répliqua une cousine d’un ton acerbe, qui avait rejoint la grande-tante.

– Ah, vous voilà donc ! Je tenais absolument à vous faire part de ma plus récente découverte. Je vous avais parlé d’une charbonnière hier, n’est-ce pas ? Eh bien, figurez-vous qu’en l’appelant pour les renvoyer là d’où ils venaient, ils m’ont dit qu’ils étaient déjà presque arrivés et qu’ils viendraient quand même jusqu’ici pour se faire payer. Bon. Donc je me suis dit : Manu, c’est le moment d’ouvrir tes méninges ! J’ai demandé à mes ingénieurs de trouver un plan pour rentabiliser la charbonnière, et il se trouve que le charbon fait fondre l’Antarctique. C’est incroyable, non ? Je ne sais même plus pourquoi on l’avait commandée en premier lieu, mais maintenant que j’ai ce nouveau plan en tête, ça va charbonner ! Hahaha… Enfin bref, j’ai pas tout compris à l’histoire, c’est encore un micmac scientifique compliqué - ça implique une serre qui fait du gaz -, mais les détails importent peu. D’ici trois ans, il ne restera plus rien de la glace du Pôle Sud !

– Et t’en es fier, j’imagine ?

– Attendez… il a vraiment confondu Boréaline et Auralysée ? chuchota une voix ahurie.

– Quel imbécile fini, renchérit la mère de la première en secouant la tête.

– Euh… Ben, un peu que j’en suis fier ! Pensez à tous nos clients qui pourront enfin boire de la glace de qualité, rafraîchissante, authentique ! Finie l’eau chlorée du robinet ! Finie l’eau de source polluée ! Finie l’eau gazeuse astringente ! Tout le monde s’arrachera l’eau Antarctique Authentique, et chacun pourra refaire ses glaçons dans son congélateur pour avoir un bout du Pôle Sud dans son verre ! En fait, je vous rends un grand service. Je vais exporter votre continent partout dans le monde, vous serez sur toutes les lèvres et dans tous les verres, alors que personne n’a jamais pensé à vous plus d’une seconde. Sauf à l’occasion d’un documentaire animalier sur les ours polaires, peut-être. Je vous fais une publicité du tonnerre, et gratuitement !

Un silence consterné accueillit ces paroles. Un à un, les membres présents de la famille Noël jetèrent un coup d’œil à Auralysée, toujours à l’état liquide. Plus proche d’une soupe que d’un être humain, avec quelques morceaux de cynisme bouillis qui flottaient à la surface. Un à un, les regards convergèrent ensuite vers Manu, aussi fringant que bien fringué, souriant, éclatant même, irradiant confiance et bonne humeur, le genre de visage qu’on retrouve dans des spots publicitaires - mais sans le côté forcé. Un à un, les visages aux traits tirés s’affaissèrent lentement, dégoulinant des épaules sur la table, sur les accoudoirs, sur les épaules des autres, jusqu’à ce que la pièce entière soit remplie de soupes humaines.

– D’ici trois ans, il ne restera plus rien de la glace du Pôle Sud, chuchota une voix d’outre-tombe.

Ou était-ce une voix de soupe ?

– Trois ans avant la fin du monde, gémit une autre.

– Trois ans, souffla Auralysée dans un sursaut de consternation.

– J’ai comme l’impression que je ne suis pas passé au bon moment. A demain, voisins !

Et c’est ainsi que Manu fit sa sortie accompagnée d’un sifflement jovial.

 

Les jours passèrent, indifférents. La famille Noël ne donnait pas de signe de vie. Contrairement à la charbonnière de Manu, qui arriva en avance, et se mit aussitôt à… faire ce pour quoi une charbonnière est faite : polluer, réchauffer l’Antarctique et faire fondre autant de glace que possible. Ce qui n’arrangea en rien l’humeur des Noël, qui sentaient le plafond leur goutter sur la tête. Quelques-uns avaient changé de place, sans que le tableau général ne perde de sa substance. Il en sursautait bien un, de temps en temps, foudroyé par un éclair de génie, mais rapidement douché par le pragmatisme collectif.

– Et si on déménageait au Pôle Nord ?

– Il va fondre encore plus vite.

– Et si on s’installait sur la terre sous la calotte glaciaire ?

– Elle finira sous l’eau.

– Et si on allait sur la Lune ?

– Pas assez de magie. Trop surveillée. Trop loin.

– Et si on retrouvait le Père Noël ?

– Il ne pourra pas nous aider.

– Et si on appelait des sympathisants pour qu’ils viennent nous aider à dégager Manu et son brise-glace et sa charbonnière ?

– On a déjà essayé. Ils sont censés arriver… demain !

Des murmures d’agitation parcoururent la demeure ruisselante. Des visiteurs ? Demain ? Une manifestation ? Dégager Manu ?

– Pfff, comme si une manifestation allait changer quoi que ce soit, grommela Auralysée.

La famille hésitante se réveilla peu à peu, puis entra en ébullition. Il y avait soudainement tant à faire, prévoir les pique-niques, l’accueil, les slogans, les pancartes, les discours, les manteaux, les tentes, le café, les chocolats chauds, nettoyer la maison, faire un brin de toilette, et la journée fila comme un banc de harengs face à un ours affamé : ils se raccrochaient au dernier espoir qu’ils avaient trouvé.

Le lendemain, des milliers de personnes se gelaient le bout du nez sur la glace.

– On est chez nous ! Rentrez chez vous !

– L’Antarctique est critique !

– Les brise-glaces à la casse !

Les slogans fusaient, les joues se réchauffaient, les rires éclataient. Pendant ce temps, la charbonnière charbonnait. Mais les cris des manifestants durent manifestement agacer le capitaine car Manu sortit sur son perron armé d’un mégaphone.

– CLIC VOTRE MANIFESTATION EST ILLICITE. J’AI APPELÉ LES FORCES DE l’ORDRE. VOUS AVEZ UNE HEURE POUR VOUS DISPERSER ET RENTRER CHEZ VOUS. BONNE JOURNÉE. CLIC

Mais les scientifiques de la base la plus proche ne l’entendirent pas de cette oreille.

– Pour Noël, je souhaite que Manu et tout son équipage rentrent chez eux !

– Pour Noël, je souhaite que l’Antarctique arrête de fondre !

– Pour Noël, je souhaite dix collines de mousse !

– Tais-toi Michel, nom d’une stalagmite !

Même si les manifestants ne comprenaient rien à la magie, ils croyaient encore en l’esprit de Noël. Tous reprirent les souhaits des deux scientifiques, d’abord à voix basse, puis en les scandant à tue-tête. Seule une flaquette de mousse apparut sous les pieds de Manu, si petite que personne ne la vit.

– Ça ne marchera jamais tant que la magie de Noël sera au point mort, maugréa Auralysée en rentrant chez elle d’un pas rageur.

Plutôt que de rentrer, elle glissa sur la couche d’eau qui recouvrait la surface du voisinage et s’étala dans la neige boueuse, et choisit d’y rester. Au moins, elle ne pourrait plus tomber plus bas.

– Mais c’est peut-être ça la solution ! Souhaiter que la magie revienne ! lança un Michel surexcité.

Il se précipita de toute la force de ses ailes sur Manu, le renversa, et parvint à chiper son mégaphone.

– TOUS AVEC MOI ! JE SOUHAITE QUE LA MAGIE DE NOËL REVIENNE !

– C’est… un pingouin qui parle ?

– Non, c’est un manchot qui parle !

– Je souhaite que la magie de Noël revienne ! reprit un scientifique plus vif que les autres.

Rassurés, les manifestants le suivirent peu à peu et se mirent à chanter le nouveau vœu. Auralysée leva le bout du nez de sa mare de boue.

– Ouais c’est ça, et tant qu’à faire, je souhaite que des licornes écrivent « Joyeux Noël ! » dans le ciel avec des étoiles filantes, railla-t-elle avant de replonger dans sa mare pour faire des bulles de dépit.

– Re… regardez ! Dans le ciel !

– Jo… No ?

– Joyeux Noël !

– Hein ? fit Auralysée en bondissant sur ses pieds, avant de voir une escouade de licornes achever le point d’exclamation dans le ciel de l’Antarctique. Qu’est-ce que… Ça a vraiment marché ?!

– Hahaha ! Je souhaite que Manu se retrouve en caleçon !

Le Manu en question, tête en l’air, était tellement stupéfait qu’il ne remarqua pas sa transformation vestimentaire.

– Je souhaite qu’il se téléporte dans le bureau de son chef ! lança quelqu’un d’à peine plus clément.

– Et que tous ceux qui n’ont rien à faire ici rentrent chez eux !

– Et que l’Antarctique arrête vraiment de fondre !

– Et que les pingouins du Pôle Nord nous rejoignent faire la fête !

Plus personne n’était étonné de voir un manchot parler. A côté d’une licorne, ça n’avait rien de sensationnel.

– Heureusement que la magie de Noël existe, lâcha Auralysée.

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Herbe Rouge
Posté le 02/06/2023
Bonjour,

J’aime bien le ton familier et ta façon de faire dériver le récit pour ensuite revenir sur un point particulier laissé en suspens (comme la colline de mousse), c’est très sympa 😊

Un récit qui oscille un peu entre conte et scénario horrifique il faut avouer, mais heureusement, tout est bien qui finit bien !
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