La justice démoniaque

Notes de l’auteur : Scène violente. Public averti.

Un amoncellement de terre meuble marquait l'emplacement de la sépulture modeste de Joyeuse. Bulle avait insisté auprès de ses confrères pour creuser seul le petit trou qui recueillerait les restes décharnés de sa partenaire de route. Il avait trouvé une pelle parmi les outils de torture dans la masure, qu'il avait enfoncée à plusieurs reprises dans le sol à l'aide de son pied.

Pendant ce temps, Chel avait réclamé pitoyablement de l'aide. Bulle lui avait sectionné les doigts d'une main avec une scie, broyé les autres à coup de marteau. Son complice dont la situation n'était pas enviable avait des clous enfoncés dans ses paumes ouvertes. Il possédait deux véritables hérissons métalliques en lieu et place de ses mains travailleuses. Krone ressentit de la pitié devant ce spectacle misérable, sans compter son malaise devant les nombreuses contusions au visage qui avaient permis à Bulle d'étourdir les indigents. Krone fut stupéfait de constater que son compagnon, si jovial, discret et délicat au demeurant, eut pu être si cruel avec ces hommes. Comment avait-il pu commettre de telles atrocités tandis que sa bulle le préservait de la haine ? Krone se garda de le lui demander, mais encore une fois, Fil répondit à ses pensées restées muettes :

— Laisser vivre impunément ces gens, les laisser se délecter de la chair de sa protégée serait la tuer encore et encore à chaque mastication avide. Même s'il est insensible à la douleur, savoir Joyeuse dans une mort qui se répète inlassablement n'est pas digne d'un ami miséricordieux. Il a jugé leur supplice juste, à la hauteur de l'amour qu'il portait à la bête.

— Certains se seraient contentés d'un bon passage à tabac et d’un enterrement digne pour leur animal.

— D'autres auraient été encore plus cruels. Ils nous supplieraient maintenant de les achever. Ne lui en veux pas, Gamin. Il n'est pas blâmable, au contraire. Perdre un être aimé plonge le plus saint des saints dans une déchirure insupportable que le temps peine à suturer. Il a cru agir comme n'importe quel humain l’aurait fait. Nous aurions tous les deux certainement été plus sauvages, ou pire encore, nous n'aurions rien fait, le comble de l'inhumanité.

Krone se replongea subitement dans la scène d'horreur qu'avait vécue Fil. Son ami avait vu fuir, sans bouger d'un pas, l'assassin de Maydine. Fil traduisait cette inaction par de la lâcheté. Agir aurait été se sentir vivant. Ne rien faire, c'était dépérir et renoncer à appartenir à ce monde. Bulle de Savon avait décidé d'extérioriser ce qu'il y avait de plus humain en lui.

Fil conclut leur échange dans un crachat qui se suspendit à un branchage :

— Et ne me parle pas de justice, Gamin ! L'animal n'y est pas considéré. Encore moins dans une justice comme la nôtre. Je ne sais pas si ce Chel et son comparse méritaient ce qui leur est arrivé, ce qui est certain, c'est que notre petite Joyeuse elle, ne le méritait pas.

Avant de combler définitivement la fosse, Bulle de Savon recueillit quelques crins épargnés par le supplice et les glissa dans une poche intérieure de sa salopette. Bulle s'approcha de la haute stature de l'étalon. Krone lui tendit une main amicale. Le petit homme la saisit pour se hisser au sommet de l'immense équidé. Puis, sans jeter un regard à la dernière demeure de Joyeuse, ils repartirent à travers le bosquet broussailleux.

Le sentier, trop étroit pour que deux hommes pussent vadrouiller côte à côte, obligea Fil à marcher en tête. Au lieu de reprendre la direction de la Bise et de la voie pavée principale, le trio remonta vers le hameau isolé pour y récupérer la charrette dissimulée. Parvenus devant le buisson, un chahut singulier attira l'attention des trois pérégrinateurs. Derrière la palissade de bois, une activité anormale agitait le calme relatif du hameau. Trop curieux pour s'en détourner, Fil guida la petite troupe vers l'entrée grande ouverte du hameau.

Devant la bâtisse qui abritait la salle commune, une dizaine de magnifiques chevaux cuirassés trépignaient dans un nuage de poussière. Dressés au-dessus, dans des armures tout aussi scintillantes, gantelets posés sur des fourreaux flamboyants, des chevaliers imposants s'entretenaient avec un jeune homme en guenilles. Le glaive d'or brocardé sur leur tunique blanche permit à Krone de les identifier instantanément :

— Des Justiciers du Parakoï. Qu'est-ce qu'ils font ici ?

Fil répondit en tirant sur ses rênes :

— J'n'ai pas envie de le savoir, Gamin. Fichons l'camp d'ici.

Sa monture eut à peine le temps de tourner la tête d'un quart de tour que l'homme en guenilles pointa un doigt vers eux :

— C'est eux là-bas ! J'en suis sûr ! Le petit avec le masque n'est pas du tout brûlé. C'est le gros qui a inventé cette histoire en arrivant ici. Un sourire démoniaque se cache derrière. Ce sont ces trois démons que j'ai rencontrés, je le jure sur ma propre vie ! Je ne les oublierai jamais !

Fil vit tous les Justiciers sortir leurs épées des fourreaux. Il interrogea ses compagnons :

— Mais qui c'est cette pétoule ?

Bulle se pencha légèrement derrière Krone pour examiner la scène. Il murmura :

— Il a passé la soirée avec nous hier. Et… Ho mais oui, ça me revient maintenant.

— De quoi tu parles, Savonnette ? Quelle illumination fabuleuse éclaire subitement ta petite caboche savonneuse ?

— Celui en haillon là-bas. La dernière fois que je lui ai parlé, je lui ai gentiment dit que je lui boufferai les entrailles.

Fil écarquilla ses yeux, la stupeur en invité imprévue :

— Tu n’veux pas me faire croire qu'il s'agit du brigand du pigeonnier qui a détalé comme un pleutre en laissant Kaël derrière lui ?

Comme si cette muraille d'armures et d'épées qui avançait vers eux ne l'impressionnait pour le moins du monde, Bulle de Savon ajouta :

— Je dirais même que c'est celui qui portait l'arc et qui m'a tiré une flèche en plein front. Je ne suis pas étonné qu'il m'ait reconnu. Vous non plus d’ailleurs. Vous avez fait sacrée impression ce soir-là.

Malgré la situation critique, Krone partagea une supposition :

— Il a dû nous reconnaître et il est parti en catimini prévenir la Justice. Espère-t-il ne plus être poursuivi pour ses brigandages ? Je crois qu'il se leurre. Je ne donne pas cher de sa peau.

Bulle de Savon ajouta tout aussi calmement :

— À moins qu'il ne croie que nous soyons revenus le récupérer et achever notre besogne de ce soir-là. Rien de mieux que dix braves justiciers à placer entre lui et des démons irrassasiables.

Avec un air faussement réprobateur, Fil admonesta ses deux compagnons, ajoutant de la nonchalance à l'insouciance :

— Vous vous entendez tous les deux ? Vous pensez que c'est le moment de disserter comme deux érudits décrépits ? Nous sommes face à un bourbier méphitique qui menace de nous engloutir impitoyablement et vous ne trouvez rien de mieux que de jacasser comme deux poules endimanchées. Heureusement que j’suis responsable pour trois !

Un des Justiciers, épée majestueusement brandie, apostropha le trio :

— Au nom du Parakoï, je vous somme de vous rendre. Le Parakoï ne saurait tolérer des troubleurs en son domaine équilibré. Nous sommes Son bras vertueux, nous sommes Sa justice.

Les dix Justiciers avancèrent d'un seul pas. Dix destriers éclatants se ruèrent vers la grande ouverture de la palissade. Dix épées héroïques luisaient pour la Gloire du Parakoï. La Justice devait s'abattre implacablement. Les démons devaient être anéantis.

— Bon, les deux ergoteurs. J'crois que nous avons besoin d'un nouveau miracle. Fil, le Miraculeux, va vous l'offrir à une condition : j'ai besoin qu'ils fondent sur nous au triple galop. Déguerpissez sur-le-champ à grandes foulées. Ne cogitez pas. Obéissez !

Krone, qui avait une confiance aveugle en son aîné, talonna vivement sa monture pour la lancer à pleine vitesse vers le bosquet. Les dix Justiciers, en réponse à cette fuite synonyme d'aveux, éperonnèrent plus vivement leurs chevaux de guerre pour les pousser dans une allure torrentueuse. Une marée de solipèdes, naseaux dilatés par l'excitation, exaltés par les vociférations guerrières de leurs maîtres, filait comme une avalanche destructrice sur un Fil parfaitement immobile.

Fil leva un bras en l'air puis le tendit en avant. Un fil mental surgit et partit en un éclair fulgurant, non vers la kyrielle de cuirassés mais en direction de la palissade qui entourait le hameau. Le fil en fit tout le tour extérieur par la droite et réapparut, à la gauche de son propriétaire. Le fil, plus rapide qu'une lueur éblouissante, fusa en travers de l'ouverture béante et repartit pour un deuxième tour tout aussi foudroyant. En un battement de cœur, il fit à nouveau le tour du hameau, enserrant la clôture dans une étreinte passionnée. Aussitôt, il resurgit  avant de repasser devant l’entrée en un nouveau trait invisible, parallèle au premier, une toise au-dessus. Ce javelot divin, poursuivit sa percée rayonnante en un troisième puis un quatrième tour qui ajoutèrent chacun une nouvelle barrière imperceptible et inviolable. Le fil mental enlaçait l'entièreté du hameau comme le ferait une pelote de laine autour de sa bobine.

Fil abaissa son bras et attendit, tétanisé par son Coût, le piétinement ravageur des Justiciers.

Une déflagration eut lieu. Les tôles et les crânes se fracassèrent contre le mur invisible. Les chevaux furent fauchés dans leur élan et leurs maîtres sèchement catapultés par-dessus la barrière indécelable. Des nuques craquèrent, des genoux se déboitèrent. Ces héros scintillants percutèrent le sol violemment et rebondirent pitoyablement dans la saleté de la terre.

La deuxième rangée s'écrasa dans l'arrière de la première. Des Justiciers furent broyés, brisés contre les lourdes armures des chevaliers et des destriers qui les précédaient. Un Justicier fut propulsé contre un fil tendu qui s'enfonça à travers ses épaulières, sa tête s'envola dans les airs pendant que le reste de son corps chutait dans le cloaque de cuirasses et de champions déchus. Trois Justiciers furent écrasés contre la barrière par leurs montures renversées et lévitèrent comme des pantins désarticulés, emprisonnés dans les fils invisibles. Des jambes furent arrachées, des gerbes de sang éclaboussaient dans tous les sens. Le choc fut si violent et inattendu que nul râle d'agonie ne se fit entendre. Les sabots terribles qui martelaient le sol laissèrent place à un bruit assourdissant de ferrailles déformées et pulvérisées. L'avalanche glorieuse n’était plus que bouillie humaine.

Fil, sous influence de son Coût, assista à ce carnage avec un flegme déconcertant. Une partie de la palissade s’effondra à ses pieds, ultime salut de ce spectacle macabre. Une fois ses muscles détendus, Fil flatta sa monture et tourna bride vers le bosquet.

Il retrouva ses deux camarades à hauteur d'un soldat catapulté qui gisait inconscient dans son armure bosselée. Sa jambe se tordait en un angle improbable. Krone, accroupi aux côtés de l'accidenté, lui enleva son tabard au glaive d'or. Il se justifia :

— On ne sait jamais. J'en ai récupéré deux autres là-bas. Ils pourront toujours servir. Des démons justiciers, cocasse comme mélange !

— Pourquoi pas Gamin, il faudrait que nous nous procurions des armures dignes de l'Ordre dans ce cas. Ce n'est pas avec nos tuniques encroûtées et la salopette délavée du moustachu que nous tromperons notre petit monde. Nous y réfléchirons au calme. Déguerpissons. Désolé, Savonnette, mais nous n'avons clairement pas le temps de récupérer ta charrette et son contenu. Voyageons léger et surtout en tapinois.

Bulle de Savon émit un avis précautionneux :

— Notre signalement, singulier j'en conviens, ne devrait pas tarder à circuler dans tout le pays Randais. Avec un petit gros chauve montant un étalon impérial, nous aurons du mal à passer inaperçu. Je propose de tout abandonner ici, charrette et bestiaux. Nous ne sommes pas pressés. Tes jambes courtaudes seront enfin mises à contribution et ta langue volubile sera certainement moins active. Nous sommes gagnants sur toute la ligne !

Fil haussa un sourcil interrogateur puis s'esclaffa de ces aiguillons bien placés :

— Et bien Savonnette, j'vois que tu es à bonne école ! Mais sache que tu te trompes sur toute la ligne. Ma langue ne fatigue jamais, même lorsque mes jambes sont meurtries de crampes.

Fil sauta à terre et détacha les fontes de son étalon. Il conclut l'échange avec Bulle de Savon :

—Tu as raison Savonnette. Quitte à être légers, autant se délester de ces braves bêtes. Les habitants de ce hameau pourront les boulotter si ça leur chante. Gardons l'essentiel, bourses et viandes séchées et voyageons à travers bois et champs.

Le geignement du Justicier au sol attira l'attention des trois amis. Il avait la moitié du visage ensanglanté et déformé par un rictus de souffrance. Une vilaine éraflure lui barrait l'œil droit tuméfié. Son heaume s'était envolé au premier rebond. L'homme avait glissé au loin, la joue frottant le sol rugueux de petits cailloux. Entre deux lamentations, il tenta, malgré sa situation déplorable, d'intimider le trio démoniaque :

— Le Parakoï vous poursuivra sans relâche, monstres. Vous n'aurez nul répit. Vous pourrez vous terrer n'importe où, nous vous traquerons, vous brûlerons et découperons en mille morceaux.

Fil s'approcha du Justicier et de l'épée qu'il tenait mollement dans son gant. Malgré la chute, il s'y était accroché comme si son honneur en dépendait.  Fil écrasa son pied sur la poignée du malheureux qui lâcha prise dans un hurlement pathétique. Puis, dans un mouvement agile, Fil saisit l'arme et d'un geste rapide l’enfonça dans l'abdomen de Bulle de Savon, Prince des Ténèbres. La lame se brisa. Nette.

Fil jeta le reste de la badelaire sur le Justicier, pétrifié d'avoir vu le démon insensible à l'estoc. Fil prit sa voix la plus grave et, mêlant son souffle à celui du supplicié, murmura :

— Nous y comptons bien, Justicier. Soulevez toute l'armée du Parakoï à nos trousses si vous le devez. Que les Trois pays tremblent sous la foulée terrible de vos destriers furieux. Notre roi se prépare. Sa cohorte infernale est en marche. Va le dire à ton Parakoï. Le sacrifice de Myr n'était qu'un avant-goût de la pluie de cendres qui s'abattra sur votre monde.

Le Justicier bava, plus qu'il ne cracha, un mélange de salive et de sang :

— Le Parakoï nous protège de vos perversions.

— Va le dire à l'âme en perdition d'Odrian de Launys. Je n'suis pas certain que le pouvoir du Parakoï lui ait été d'une grande aide alors qu'il se consumait avec sa citadelle de marbre et ses subordonnés.

D'une voix gutturale, Fil improvisa un langage ésotérique devant les yeux horrifiés du Justicier :

-Gündlor rakiltrabür mastakr hiire liprkiop harlok grumbil malawak !

Le Justicier empreint d’inquiétude balbutia :

— Harlok... malawak ?

— La soumission ou l'anéantissement.

L'homme voulut se redresser à l’aide de son coude, mais un tressaillement trop brusque le remit à terre. Son œil cloqué s'entrouvrit sur une pupille marron embrumée d'une larme. En une grimace disgracieuse, il maugréa :

—  Jamais nous ne nous soumettrons. Nous le sommes déjà à notre Bienveillant Del Le Bon. La Justice triomphera de la perfidie.

Fil lui assona un coup brutal sur la tempe pour le plonger dans un évanouissement bienvenu. Il cracha sur son armure brillante :

— De quelle Justice parles-tu idolâtre ? La perfidie s'effondrera, pour sûr.

Bulle de Savon s'approcha de Fil. Derrière son masque de cuir, il murmura :

— Kärbok lüstribuk kahadjoun. Pourras-tu m'initier davantage à ce nouveau dialecte démoniaque autour de nos lancers de dés ?

Fil se retourna vers le petit homme et lui sourit :

— Infailliblement, Savonnette, quand tu devras alléger ta bourse pour alourdir la mienne, tu saisiras parfaitement la teneur de mes propos.

Krone ouvrit la marche vers le bosquet pendant que les deux querelleurs anticipaient leurs futures soirées autour de cartes et de dés.

À l'orée du bois, Krone croisa le petit garçon à l'accent prononcé. Il avait la bouche bée et pointait un doigt tremblant vers l'hécatombe qui tapissait le hameau.

— C'est vous qu'avez fait c'te poucherie ! J'vous ai vou ! L'autre là-bas à lever le bras et les chevaliers ont valdingué dans tous les sens ! Z'avez décidé de vous venger de ce que Chel a fait à la pauvre pébête c'est ça ? Z'allez nous troucider un par un hein ?

Krone s'approcha silencieusement du garçonnet qui, malgré son air brave, chevrotait de la tête aux pieds. Krone s'accroupit, il dirigea son index sur le doigt tremblant et toujours tendu du courageux garçon.

Au moment où les deux doigts se touchèrent, Krone fit appel à son monde de marbre. Tout se figea, excepté le petit moustachu, insensible au Don, qui profita du moment pour glisser une main malicieuse dans la bourse qui pendouillait au ceinturon de Fil pour en sortir deux belles pièces d'argent.

Krone attrapa le gamin et le mit sur son épaule comme un vulgaire sac de navets. Il enjamba Justiciers et destriers et remonta jusqu'à l'entrée du hameau. Par mégarde il marcha sur un gantelet contenant encore une main arrachée d’un avant-bras.

 Au loin, à travers l'encombrant agrégat de chevaux, d'aciers et de soldats, Krone aperçut le brigand déserteur statufié dans une stupéfaction craintive. Krone sourit à l'idée des cauchemars qui hanteraient le véreux éprouvé.

Contre un poteau de la palissade qui ne s’était pas encore effondré, Krone déposa sa charge en une position assise et lui releva le menton affaissé. Puis, il s'en retourna vers Fil, immobile, et Bulle de Savon qui lui tournait gaiement autour en de petits sauts joyeux. Krone avait du mal à s'habituer à la puissance du Don de son compagnon. Quelques heures auparavant, il torturait froidement deux individus et mettait en terre un être cher. Maintenant, il sautillait comme un lapin de garenne naïf dans un champ printanier fleuri ignorant la dévastation et le carnage environnant. Son Don inhibait totalement les peines et le désarroi qu'un homme ordinaire aurait dû ressentir, comme si tous ces événements sanguinolents et funèbres appartenaient à une vie antérieure, à une vie qu’il ne possédait plus. Son comportement guilleret et jovial aurait mis mal à l'aise n'importe quel badaud anonyme. Il était comme un endeuillé qui serait pris d'un fou rire devant une assemblée réunie autour d'un tombeau.

Arrivé à leur hauteur, Krone renvoya son monde de marbre et la vie se réanima.

Son Coût l'assomma instantanément d'une lourde fatigue qu'il devrait se traîner pour les heures à venir. Cependant, avant de s'engouffrer dans la pénombre du bosquet, il adressa un long salut de la main au petit garçon. Incrédule, celui-ci ne comprenait pas comment un  simple contact, aussi léger qu'une brise matinale, avec le démon à la perle avait pu le renvoyer instantanément dix toises plus loin.

— Et bien Savonnette, j'te sens bien euphorique pour un déveinard qui va se faire détrousser sous peu. À moins que ce ne soit le bras glorieux du Parakoï Magnifiant et Magnifique qui t'ait déjà assené un coup étourdissant sur ta bobèche écrémée. J'tavais promis l'aventure et le frisson, j'pensais pas te les offrir si prestement et intensément. Tes guiboles d'avorton rivaliseront-elles avec les jarrets souples de ces destriers Justiciers ?

Bulle de Savon, pétulant d'excitation, ne put réprimer un rire communicatif. De sa voix experte de ventriloque, il siffla un léger :

— Je me rends compte que, finalement, une chose peut m'inquiéter.

Krone, n'ayant pas saisi le sous-entendu ironique, tourna vers le petit homme un regard interrogateur. Bulle de Savon conclut sa boutade en gloussant :

— Que je te dépossède tant de toute ta clinquaille que les coutures de ma bourse ne cèdent sous la pression.

— Ton aplomb t'honore prince des Ténèbres, mais respecte ton supérieur, Fil le Sardonique, Premier Justicier de notre Poigne démoniaque. Car si l'Gamin se dégelait à récolter des tabards d'or, voici ce que ma main bénite s'est appropriée inopportunément.

Fil, sourire fier aux lèvres, révéla autour de son cou grassouillet une chaînette élégante qu'il ne possédait pas plus tôt. Un pendentif s'y balançait délicatement : un petit glaive en or.

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Camille Octavie
Posté le 26/02/2023
Bonjour !
Ce chapitre a un petit quelque chose de différent, on sent démarrer quelque chose, c'est vraiment sympa.
Je rejoins une partie des commentaires, tu as plusieurs point qui ont l'air un peu incohérent (fil qui soudain coupe, décisions des personnages "simplettes", et autres) mais je pense que c'est de l'ordre du calibrage, je pense que c'est pas compliqué à corriger. Par exemple pour les décisions hâtives, tu pourrais faire en sorte que Krone ou Bulle se fassent la "voix" des questions des lecteurs, disent que tel truc, c'est une mauvais idée, et a chaque fois il parvient à les convaincre soit à coup de gouialle, soit en pariant un truc ? L'idée, c'est que ils soient pas tous "idiots", parce que dans ce cas le lecteur ne peut pas savoir si la décision est idiote ou si tu avais juste envie d'écrire la scène.
Bref oui pour l'instant ça me dérange un peu, mais je pense que tu as moyen d'arranger ça.
J'aime l'idée qu'ils se lancent ouverte dans la création d'une "légende", mais pour l'instant je manque encore de "pourquoi", pour l'instant j'ai un peu la sensation qu'ils n'ont pas de choix, que tout se fait un peu comme ça, et ils se laissent porter. C'est pareil, c'est pas un problème si le lecteur comprend pourquoi ils sont comme ça :)

A bientôt ! :)
Ps: je n'ai pas refait la liste des points positifs vus par les autres, mais je les ai vus hein ! J'irai lire la suite avec plaisir, tu as un super concept ;)
ClementNobrad
Posté le 26/02/2023
Coucou,

Merci pour ta lecture attentive, tu n'es pas la première en effet à me dire qu'il faudrait un "contrepoids" à Fil. Il a tendance à beaucoup parler et prendre des décisions parfois un peu bête sans être contredit. Disons que Bulle s'en fiche et Krone ne craint pas grand chose non plus, un arrêt du temps et hop, les voilà qui se carapatent ^^

J'espère que la suite te plaira, et notamment ta rencontre avec Velya !

A tres vite
Syanelys
Posté le 18/01/2023
Hey !

De très bonnes choses dans ce chapitre !

Enfin des intéractions plus profondes entre Krone et Bulle. Leur relation avait tendance à se limiter à leur co-habitation dans le monde de marbre. Là, ils réfléchissent ensemble et s'écoutent, c'est super agréable. Et non, ce n'est pas grave si Fil les interrompt pour reprendre la conversation à son goût.

On sent que tu as pris énormément de plaisir à écrire ce chapitre. Le style change complètement quand Fil entre en scène. Toujours l'exagération au détriment de la crédibilité, mais on se laisse prendre. Je ne suis par contre pas sûr que son fil mental rasoir puisse jouer ainsi au bowling sans que le palissade ne prenne cher. Physiquement parlant, l'énergie cinétique des chevaux propulsés avec les masses qui se heurte au fil devrait créer un point de rupture. Une rangée qui valse, certes, mais des démembrements et un gros strike sur l'ensemble des Justiciers, j'ai des doutes !

Le langage démoniaque ? Fonce. Des démons qui apparaissent, des capacités surnaturelles qui ne s'expliquent pas (le Don ne semble pas être si répandu que ça pour permettre un raisonnement logique) et cette agression expéditive des représentants du Parakoï envoient du lourd !

Pour Krone, j'aurais aimé qu'on insiste plus sur sa démonstration de pouvoir : l'un des démons s'amuse à nous téléporter et nous laisse témoin de son oeuvre. De toute façon, c'est lui le meilleur.

Bulle n'est pas en reste. Tu dépeins très bien sa personnalité malgré la contrainte du Don. C'est très intéressant de te voir te pencher sur sa psychologie, perçue selon différents points de vue.

Et sinon... Il te faut une carte. Depuis Myr, je suis dans le brouillard sur leur direction ou tous ces lieux cités. Cela ne serait pas du luxe si tu as des potes qui touchent leur bille en dessin !

Et pour finir, merci. Les monologues de Fil sont parfaits. Il reste détestable à souhait, illogique dans ses propos, mais fidèle à ses principes. J'irai m'entretenir avec lui...
ClementNobrad
Posté le 18/01/2023
Hey,

Tu n'es pas le premier à me parler de la palissade. A vrai dire, je n'y avais jamais songé ! Je crois que je vais devoir rajouter une petite phrase sur ça :D

En ce qui concerne la carte, il en existe une (et elle est très belle) que je n'arrive pas à inclure directement ici. Mais elle est disponible sur le forum, dans mon journal de bord :)

J'aime beaucoup Bulle oui... Avec ce côté complétement hors du temps. Il a pas fini de sautiller gaiement dans des champs de ruines...
Flammy
Posté le 05/01/2023
Coucou !

Je viens de me faire une réflexion, tu as souvent la même structure dans tes chapitres. Un chapitre se terminer sur un évènement, souvent impressionnant ou autre, et après on fait un peu le debrief au début du chapitre suivant, ça fait plusieurs fois que tu fais ça. Je dis ça juste parce que j'ai remarqué, ça a rien de positif ou de négatif pour moi ^^ Juste, je pense qu'il faudrait éviter que ça soit trop souvent le cas (tu n'en es pas encore là pour moi, rassure toi ^^).

J'ai encore de grand questionnements sur la morale de Fil x) Je comprends qu'il défende Bulle, que c'était son ami, que devant la justice, la mort d'un animal, on s'en fout, mais ne jamais évoqué le fait qu'ils avaient peut-être des circonstances atténuantes ces deux bougres, ou que lui aurait dû faire plus attention vu qu'il avait flairé le piège, ça me titille un peu x)

Sinon, je trouve aussi parfois leurs décisions un peu bêtes, excuse moi du terme ^^" Déjà, laisser en vie les bandits qu'ils avaient croisé ya un moment, alors que ces bandits les avaient vu utiliser leur donc, je trouvais pas ça ouf, mais bon, vu la situation et le coût des don, ils n'avaient peut-être pas le choix. Mais là, laisser Bulle torturer des gens sans les tuer, juste, pourquoi ? Ils allaient se faire dénoncer à la Justice dans la foulée et ils auraient eu des emmerdes après quoi. Du coup, je comprends vraiment pas comment ils ont pu se dire que c'était une bonne idée de les laisser en vie. Bon, tu me diras, on apprend qu'ils sont recherchés de toute façon pas longtemps après, mais ils ne le savent pas encore à ce moment-là.

Pour comment Fil arrête les justiciers, je ne suis pas vraiment convaincu x) Enfin si, les fils arrêtent, ça pas de souci, mais j'ai l'impression que les conséquences sont exagéré, en terme de membres coupés et de fabrication de bouillie. Un cheval au triple gamin, c'est max 65 km/h. Ils viennent de démarrer, ils ont des hommes en armures sur le dos, tablons sur 50km/h. Ca ne suffit a priori pas à couper des membres, surtout si les hommes sont en armure ^^" Ils sont tous très amochés et ya des morts, clairement, mais c'est surtout des lésions internes à ce niveau. Et, autre problème, c'est que le fil tient globalement parce qu'il est enroulé autour de la palissade. Après recherche rapide, à 50 km/h, 30kg équivaut à une tonne, donc autant dire que là, ya énormément de tonnes qui tirent sur le fil en même temps. Je suis partie du principe que le fil tenait, donc normalement, ce sont les palissades qui devraient céder en fait ^^"

Sinon, j'ai pas trop compris, pourquoi Krone ramène le pitchoune chez lui ? =o Pourquoi ne pas juste l'ignorer, c'est pas comme s'il allait réussir à les arrêter, et l'utilisation d'un Don, c'est couteux (et surtout son témoignage va vraiment confirmer que c'est un Don).

Et sinon, j'aime beaucoup comment ils essaie de retourner le garde amoché, de le convertir, comment ils préparent la suite des événements, notamment avec ce nouveau langage démoniaque, je trouve l'idée très bien trouvée =D Reste plus qu'à faire la grammaire ='D
ClementNobrad
Posté le 05/01/2023
Dans le désordre :
Krone ramène le petit dans le hameau pour faire croire qu'il peut téléporter les gens rien qu'en les touchant... ça va aider à reprendre des rumeurs sur ces "demons" sanguinaires.

Pour la grammaire de langage demoniaque, il y trop peu de matière pour y songer :p peut-être devrais-je songer à traduire toute loeuvre en demon, on sait jamais, ça peut trouver son public :)
Leurs actions sont effectivement bêtes par moments... ils ne sont pas trop du genre à réfléchir aux conséquences de leur acte. Agir puis réfléchir comme il dira plusieurs fois dans les chapitres suivants. Apres tout, si leurs plans n'étaient pas foireux, ça ne pourrait pas se retourner contre eux et ça serait moins fun à lire ( et à écrire :) )

Concernant les dégâts causés par la charge justicière contre le fil.... j'avoue que la crédibilité est limite limite. Je voulais une scène visuelle forte surtout ( quitte à m'arranger avec les conséquences physiques). Je me dis que, après tout, le fil mental peut-être aussi tranchant que des lames effilés, et là, les têtes pourraient voler facilement :) Bon daccord, j'admets que cest un peu gros, mais jai tellement aimé écrire cette scène. Fil stoïque sous une pluie de viscères, ça marque...

Pour la structure des chapitres, ça risque de se répéter par moments. J'aime répondre au chapitre suivant, aux éventuelles interrogations, incohérences du chapitre précédent... le procédé n'est sans doute pas fluide...

Au plaisir de te lire !
ClementNobrad
Posté le 05/01/2023
Répendre
Flammy
Posté le 05/01/2023
Ca peut être une solution de rendre le fil tranchant ^^ Par contre, du coup, il faut changer la scène avec Kaël et celle avec les gardes lors de son intrusion dans la citadelle, parce que du coup, il aurait dû les décapiter =D
ClementNobrad
Posté le 05/01/2023
Ou alors il est tranchant sur la volonté lol
Flammy
Posté le 05/01/2023
A ce moment-là, faut voir pourquoi il fait pas tout le temps des boucheries ultra facilement alors ^^
ClementNobrad
Posté le 05/01/2023
Car Fil est un bon gars voyons, tu ne l'avais pas encore saisi ? ;) il a une morale quand meme...
Flammy
Posté le 05/01/2023
Alors pourquoi ne pas décapiter probablement les gardes de la forteresse plutôt que de les laisser avec une longue mort douloureuse en les faisant se noyer ? :p
Peridotite
Posté le 20/12/2022
Coucou Clément,

Un bon chapitre quoique morbide.

Je me doutais que les gars du Parakoi allaient leur tomber dessus un moment où un autre. En tout cas, Fil a été efficace.

Tu confirmes le trio comme des assassins un brin psychopathes (cf les sévices de Bulle aux tueurs de chevaux). Il y va pas de main morte.

Cela me reconfirme dans l'idée que ces traits devraient arriver plus tôt dans le récit.

D'ailleurs, rien à voir avec ce chapitre, mais je me disais, dans le chapitre 1, pourquoi ils n'iraient pas à l'auberge en sachant qu'il y a là quelqu'un qui a un Don ? Genre ils cherchent Bulle qu'ils veulent entraîner avec eux ? Ce serait plus logique que si c'était un pur hasard. Tu leur donnerais un but quand ils marchent sur le sentier. Et pourquoi dans le chapitre 1 tu ne mettrais pas déjà en scène un truc plus morbide que la chope et le paysan, dans le ton de ce chapitre-ci ? Là tu aurais un clair contraste et on comprendrait illico le truc, là où tu nous emmènes, à savoir que les persos s'imaginent justiciers alors qu'ils sont bringzingues ? (ce n'est qu'une idée bien sûr)

Je te mets mes notes :

"le calme relatif du hameau. Trop curieux pour s'en détourner, Fil guida la petite troupe vers l'entrée grande ouverte du hameau."
> Attention tu as une répétition de hameau

"ne l'impressionnait pour le moins du monde"
> "...pas le moins du monde" non ?

"un deuxième tour tout aussi foudroyant."
> Je crois que tu as un "tout" en trop

"Fil écrasa son pied sur la poignée du malheureux qui lâcha prise dans un hurlement pathétique. Puis, dans un mouvement agile, il saisit l'arme et d'un geste rapide l’enfonça dans l'abdomen de Bulle"
> Ici, le "il" de "il saisit l'arme" se rapporte à Fil mais je crois que tu veux dire que c'est le soldat qui fait ça non ? Il faut que tu revois cet enchaînement, il est pas très clair.

"Son Don inhibait totalement les peines et le désarroi qu'un homme ordinaire aurait dû ressentir"
> Ça va, tu parles d'un cheval là pas de sa femme. Même un homme normal sans le Don de Bulle s'en remettrait 🙂

Un chapitre plus gore mais on voit que Fil prend son pied 🙂
ClementNobrad
Posté le 20/12/2022
Coucou et merci pour ton retour :)

Ah je n'ai pas la même vision, le même ressenti, sur notre petit trio, c'est marrant :) pour moi, ils ne sont pas sanguinaires psychopathes. Ils sont juste un peu "délurés" et pas vraiment conscients (ou beaucoup trop confiants en eux) sur les dangers qui les entourent. En faire des psychopathes enlèverait ce côté loufoque qui les englobe. Mais je comprends parfaitement ce que tu veux dire. Dans le tout début du chapitre 1, quand Krone rappelle à Fil tous les coups foireux qui ont mal tourné, je peux effectivement intégrer des épisodes plus sanglants et morbides. Ca pourrait être sympa!

" Fil écrasa son pied sur la poignée du malheureux qui lâcha prise dans un hurlement pathétique. Puis, dans un mouvement agile, il saisit l'arme et d'un geste rapide l’enfonça dans l'abdomen de Bulle"
Non, c'est bien Fil qui prend l'arme et l'enfonce dans le ventre de Bulle. Sachant qu'il ne risquait rien, il voulait épouvanter davantage le Justicier, et construire un peu plus leur légende de démons.

A très bientôt !
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