La cuite (et pas la mienne, malheureusement...)

Quatre jours passèrent. A peu de choses près identiques au premier. Sauf que j’avais chanté du Taylor Swift dans la voiture. Et du Avril Lavigne. Je gardais Green Day pour le moment où je craquerai complètement. Sebastian me supportait stoïquement. Il affichait une poker face imperturbable mais j’avais saisi du coin de l’oeil ses efforts pour garder son sérieux ou pour pleurer ses tympans martyrisés. J’avais décidé de ne pas lui courir après. Après tout, l’essentiel était qu’il reste en bonne santé et dans de bonnes conditions pour attaquer le tournage. Et, en ce qui concernait son hygiène de vie, jusque là, Sebastian était irréprochable. Nous suivions le planning sans faillir, un jour après l’autre. Jared me récupérait tous les soirs, prête à piétiner la tablette de l’enfer. Chaque matin, j’étais tentée de proposer à Sebastian de faire l’école buissonnière. Chaque matin, son air appliqué m’en dissuadait. Je finis par en prendre mon parti et je profitais du temps passé à l’attendre pour peaufiner mon scénario.

Malgré ce calme apparent, quelques détails me faisaient soupçonner que, sous la surface du lac d’impassibilité qu’était Sebastian, pouvaient bien se cacher un ou deux piranhas. Son téléphone, par exemple, était une source d’énervement régulier. Je finis par deviner qu’il suivait une personne sur les réseaux, une personne dont les activités publiées lui tapaient sur le système. Néanmoins, je n’avais pas encore réussi à voir QUI. Ce n’était pas faute de me tuer les yeux à essayer de regarder son écran en douce mais il ne lâchait jamais ce fichu engin.

En public, il devenait aussi incroyablement nerveux. Casquette et lunettes noires vissées sur la tête, sa hantise était d’être reconnu par des fans. Il avait une liste très précise d’endroits où il se sentait suffisamment en sécurité pour pouvoir baisser un peu sa garde. Le bar de son ami Freddy en faisait partie, comme je le découvris lors de la soirée hebdomadaire où Sebastian était autorisé à sortir (au secours!) L’endroit était sympa, avec des banquettes en cuir à l’ancienne, un comptoir aux bordures de cuivre et des photos de vedettes au mur. Freddy, tout en barbe et chemise de bucheron, vint s’assoir un moment avec nous. Je devinai, avec un peu de tristesse, que la soirée aurait été beaucoup plus détendue si je n’avais pas été là, au milieu des trois hommes. Je me notai mentalement de proposer à Sebastian de sortir sans moi la prochaine fois. Avec Jax pour lui tenir compagnie, tout devrait bien se passer.

Bref, je commençais à me dire que j’allais boucler ma mission avec plus de facilité que prévu. Sebastian se serait un peu déridé, j’aurais pu considérer la situation comme tout à fait confortable pour moi.

Jusqu’au soir de l’Apocalypse.

 

***

 

A vrai dire, avec le recul, j’aurais dû voir venir le problème. Genre, quand Sebastian avait fait passer son téléphone par la fenêtre.

Au début, rien ne m’avait mis la puce à l’oreille. Nous étions dans la suite de l’hôtel, prêts à partir pour la salle de sport. Sebastian avait décroché au bout de quelques sonneries avant de se réfugier dans la chambre pour poursuivre la conversation. Le ton était monté progressivement jusqu’au moment où j’avais vu débouler mon acteur dans le salon, le visage rouge de colère.

« Tu avais vraiment besoin de m’appeler pour me dire ça?! » vociférait-il.

Un silence. Voix féminine à l’autre bout du fil?

« Vas te faire foutre Jasmine! Ta fausse compassion me fait gerber! »

C’est à ce moment là que le téléphone avait décrit une gracieuse parabole à travers la fenêtre ouverte. Sebastian était reparti en trombe vers la chambre alors que je me penchai à l’extérieur pour évaluer les dégâts. Racheter un téléphone, avais-je noté mentalement.

Lorsque Sebastian était ressorti, il n’avait fait aucun commentaire. Entre temps, j’étais descendue ramasser les morceaux du portable pour voir si je pouvais récupérer la carte SIM. Pendant qu’il avait déversé sa colère sur les machines de la salle de sport, je m’étais débrouillée pour lui commander un nouveau téléphone mais celui-ci ne pouvait pas être livré avant le lendemain.

Le reste de la journée s’était déroulé dans une ambiance morose. J’avais évidemment googlelisé le prénom de Jasmine associé à celui de Sebastian, ce qui m’avait révélé qu’il était sorti avec une danseuse du même nom quelques mois auparavant. Une liane brune à la peau sombre. Même sur les photos, elle dégageait une grâce aérienne.

J’avoue qu’à ce moment-là, j’avais plus ou moins classé l’affaire. Engueulade avec une ex. Point. Sebastian ferait la tronche quelques jours puis ça lui passerait.

Grosse erreur.

Le soir même, je le laissai à l’hôtel alors qu’il avait décroché un maximum de dix mots dans la journée. J’espérais qu’une nuit de sommeil le remettrait d’aplomb. Je me délectai à raconter l’affaire à Jared (Jasmine gagna au passage le surnom pas très original de « la Pétasse ») puis j’allai me coucher, l’esprit en paix ou presque.

Mon téléphone sonna à deux heures du matin, me tirant d’un sommeil bienheureux. Je manquai le flanquer par terre en tâtonnant sur ma table de chevet mais finis par réussir à décrocher avant que la sonnerie ne s’interrompe.

« C’est qui? grognai-je.
— Euh… allo? C’est Esmé, c’est ça?
— Ce sera Esmé après trois cafés! C’est qui?
— C’est Freddy. Tu sais? Le copain de Sebastian, tu situes? »

Là, pour le coup, j’étais soudain parfaitement réveillée.

« Freddy? Tout va bien? Pourquoi tu m’appelles?
— Est-ce que tu peux rappliquer vite? Et discrètement?
— Oui mais…
— Sebastian est ici, au bar. J’ai réussi à l’installer dans l’arrière salle mais je n’étais pas là quand il est arrivé. Il a eu le temps de boire euh… quelques verres. Il n’est pas très en forme.
— Bordel de merde. J’arrive! »

Oui, je suis grossière dans les situations de crise.

J’enfilai les premières fringues qui me tombaient sous la main et me précipitai à ma voiture, un tas de ferraille qui ne tenait debout que grâce aux plaques de rouille. Mais je n’avais pas le temps de foncer à l’hôtel pour récupérer le 4/4.

Je déboulai dans le bar de Freddy, les cheveux en pétard et le tee-shirt à l’envers. A cette heure-ci, la salle était presque déserte, ce qui était un soulagement. Je me dirigeai discrètement vers le comptoir. Freddy m’aperçut et souleva le portillon pour me laisser passer.

« Je l’ai installé dans mon bureau. C’est Gina, ma nouvelle barmaid qui l’a servi. Elle savait que je le connaissais, du coup, elle n’a pas osé lui couper le robinet. Quand je suis arrivé, il ne tenait même plus debout. Je suis désolé de t’avoir tirée du lit mais impossible de joindre Jax et il m’avait donné ton numéro en cas d’urgence… dit-il d’une traite.
— Ne t’en fais pas, c’est moi qui aurais dû le surveiller. »

Je ne disais pas ça pour consoler Freddy, je le pensais vraiment. Après l’incident du téléphone, j’aurais dû m’assurer qu’il allait bien. Je m’étais laissé berner par sa comédie du mec imperturbable. Une fois pas deux, me promis-je. En suivant Freddy vers son bureau, j’essayai de me rappeler ce que Sebastian avait mangé au diner. De mémoire, pas grand-chose. La cuite avait dû être foudroyante sur un estomac quasi vide. Lorsque le barman ouvrit la porte de la petite pièce, mes pires craintes furent confirmées. Sebastian était vautré sur la table, la tête dans les bras, peut-être inconscient. Je recommandai mon âme à Dieu. S’il fallait que j’appelle Penelope Mitchell en pleine nuit pour lui annoncer que Sebastian était à l’hôpital pour coma éthylique, j’étais morte.

Freddy me dit quelque chose mais je ne l’écoutai pas. Je m’approchai de Sebastian et lui posai la main sur l’épaule. Il grogna. Merci petit Jésus, au moins il était vivant. Je le secouai un peu pour voir à quel point il était capable de réagir. Il tenta de me repousser du coude en marmonnant des paroles indistinctes. Je résistai à l’envie de lui taper dessus.

« Il y a une porte de derrière ou une sortie de secours devant laquelle je pourrais me garer pour l’embarquer sans que personne nous voie ? demandai-je à Freddy.
- Oui. C'est par là. »

Il me montra l’endroit et je filai déplacer ma voiture.

Lorsque je revins, Freddy tentait de mettre Sebastian debout. J’attrapai son bras libre et le passai par-dessus mes épaules. A nous deux, nous parvînmes à le trainer jusqu’à mon véhicule. Il protestait par intermittence tout en se laissant faire mollement.  Une fois Sebastian calé sur le siège passager, je me retournai vers un Freddy qui tirait une mine de six pieds de long.

« Tu vas réussir à le faire monter dans sa chambre d’hôtel ? me demanda-t-il.
— Oui. Pas de problème. Je gère. »

Moui. En fait, je n’avais aucune chance de seulement le faire sortir de la voiture s’il ne reprenait pas un peu ses esprits. Je devrais peut-être demander un coup de main à un des gardes du corps (qui l’avaient laissé filer sans m’avertir, merci les gars). Pourtant, cette solution ne m’enchantait pas. Je préférai largement être le seul témoin du désastre. Freddy rentra dans le bar avec un petit signe de la main de solidarité. Je m’installai derrière le volant et pris une grande inspiration avant de tourner la tête du côté de mon compagnon qui me regardait maintenant d’un œil torve.

« Hé ben c’est pas brillant, » ne pus-je m’empêcher de lui lancer.

Il s’enferma dans un mutisme boudeur. Sans me formaliser, je passais le bras par-dessus son torse, attrapai la ceinture de sécurité et la bouclai dans un claquement sec. Je fouillai ensuite dans la boite à gants pour en sortir un des sacs en plastique que je conservais là en cas de besoin. Je le fourrai sur les genoux de Sebastian et me penchai à nouveau par-dessus son corps qui dégageait un mélange pas si désagréable de sueur mâle et d’alcool. Je baissai la vitre, à moitié allongée sur ses cuisses. A nouveau, il marmonna une protestation. Je me redressai.

« Une fois que j’aurai démarré, tu colles ta tête à la fenêtre et tu respires profondément. Si tu as envie de vomir, c’est dehors ou, au pire, dans le sac. Pas ailleurs. Et je ne m’arrête pas tant qu’on est pas à l’hôtel.»

J’effectuai le trajet en conduisant avec le plus de délicatesse possible. Le visage de Sebastian avait pris une teinte « lait caillé » du plus bel effet qui laissait augurer que le peu de nourriture qu’il avait absorbé au diner allait effectuer un retour en fanfare à la surface dans un délai assez court. Je ne voulais pas qu’un cahot malheureux accélère le processus. Je finis par me garer dans le parking de l’hôtel avec soulagement. La première partie de l’expédition était un succès. Je débouclai nos ceintures de sécurité respectives et prit la mesure de la situation. Sebastian était maintenant appuyé contre le dossier du siège. Il devenait plus vert que blanc, ce qui ne m’arrangeait pas. Je posai une main ferme sur son épaule.

« Seb ? Tu es avec moi ? »

Il hocha très lentement la tête de haut en bas.

« Okay. Je t’explique comment ça va se passer : je me suis garé le plus près possible de l’ascenseur. Tu n’auras qu’à faire, allez, dix pas jusqu’à la cabine et à tenir debout une fois à l’intérieur. Ensuite, le couloir à traverser, on entre dans ta suite et cap sur la salle de bain sans s’arrêter. C’est l’affaire de quelques minutes, il faut que tu tiennes sans dégobiller partout.
— Pourquoi…? demanda-t-il d’une voix mourante.
— Parce que je n’ai aucune envie de passer le reste de ma nuit à désincruster ton vomi de la moquette, ça te va comme raison? On y va! »

Je sortis de la voiture et claquai la portière avec un peu plus d’énergie que nécessaire. Le temps de faire le tour du capot, Sebastian avait ouvert de son côté. Il avait sorti ses jambes de l’habitacle dans un effort louable pour m’obéir mais il avait maintenant la tête sur les genoux.

« Ça va?
— Hmmm… »

Je m’accroupis devant lui.

« Seb, il faut que tu me dises maintenant si te sens capable de faire le trajet que je t’ai décris. Si ce n’est pas le cas, je vais trouver quelqu’un pour nous aider mais je ne pourrai pas te porter jusqu’à ta chambre toute seule. »

Cette fois, ma voix s’était radoucie. Dans l’état où il était, l’engueuler ne menait à rien, je m’en rendais compte.

« Ça va aller, répondit-il.
— Je prends le sac. Si tu te sens mal, on essaiera de bien viser. »

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Trisanna
Posté le 08/11/2021
Me revoilà !

Espérons que cette énorme cuite délie la langue du fantôme Sebastian même si j'en doute. Au moins, on en apprend un peu plus sur lui. Plus qu'à connaître mieux Jasmine.

Que dire d'Esmé maintenant ? Elle est rafraichissante (contrairement à l'autre absent). Elle n'hésite pas à porter son aide bien plus que comme son simple travail. Les personnalités s'affinent doucement (celle d'esmé en tout cas).

Belle soirée,
Trisanna.
Aliceetlescrayons
Posté le 10/11/2021
Rho, je suis presque triste de l'effet que te fait Sebastian (ou pas, parce que ça veut dire que je me suis pas trop mal débrouillée :D )
Esmé est une fausse méchante : elle peut être terrible mais elle a un bon fond ^^
Alice
Trisanna
Posté le 10/11/2021
Oupss haha
AnonymeErrant
Posté le 03/07/2021
Hello !

Franchement, faut pas se priver de fredonner Boulevard of Broken Dreams ou Know your Enemy, ça parait de circonstance et plutôt approprié pour le duo x)

Esmé est sacrément réactive, elle prend les choses en mains sans sourciller. Certes, c’est « son boulot » dans le cas présent, mais ça fait ressortir un autre trait de caractère, malgré sa langue bien pendue ;-P Elle n’hésite pas à apporter son aide.

Bon, reste à savoir si cette cuite d’anthologie va laisser Sebastian dans le coaltar ou si l’alcool va lui délier la langue !
Aliceetlescrayons
Posté le 04/07/2021
Coucou!
c'est vrai qu'elles collent pas mal avec la situation ^^'
Oui, Esmé n'est pas du genre à laisser sombrer quelqu'un. En plus, son petit côté "control freak" s'accommode bien des situations de crise :D
VavaOmete
Posté le 28/06/2021
"Ce sera Esmée après trois cafés !" -> j'ai rigolé toute seule à ma terrasse de café. Cette réplique est génialissime ! Je vais la garder pour la ressortir la prochaine fois qu'on me réveille en fanfare si tu le permet !

Ouf c'est moche sinon pour la cuite ! Faut pas boire comme ça Sebastian ! C'est mauvais pour le foi ! RIP la moquette du couloir =D
Aliceetlescrayons
Posté le 30/06/2021
Je t'offre la réplique avec grand plaisir ^^ Je suis personnellement un peu comme Esmé : avant le café du matin, il vaut mieux ne pas m'adresser la parole :D

Ne désespère pas trop pour la moquette. Et Sebastian avait besoin de toucher le fond pour remonter ;p
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