La Bête - Partie 1

Notes de l’auteur : J'ai corrigé quelques fautes et modifié quelques passages et dialogues pour une lecture plus claire

 

« La jaque est une épaisse chemise longue et matelassée qui amortit les coups violents (mais pas trop). Portée en dessous d’un plastron de cuir (pour voyager léger) ou de métal (pour une guerre bien menée), elle constitue une protection idéale contre les pointes de flèches.

Une protection plus efficace impliquerait de ne pas se battre contre un archer ou de lui défoncer son arc à coup de massue avant qu’il en encoche une. »

Extrait du livre « Coutumes Chevalières et autres rigolades » par Marion Arouette

 

« Et fais-nous honneur »

L’injonction de son père résonnait dans son crâne comme un gong fatal. Honneur, honneur… Le mot sonnait trop gros pour son nombre de lettres. Loïc soupira en rajustant sa jaque, qui, trop grande encore pour lui, remontait sous son plastron en un pli désagréable. Un cadeau assorti au tapis de son cheval, de la part de son frère pour « le grand départ »

Il avait annoncé il y a de ça presque deux semaines sa décision de partir, après maintes hésitations et nuits blanches à tourner et retourner la situation. Que de tracas qui s’envolèrent aussi sec à la chaleur d’une main paternelle approbatrice.

Maintenant que son père restait à presque une semaine de cheval derrière lui, il n’était plus aussi confiant qu’au moment des adieux. Il secoua la tête, essayant vainement de chasser le goût acide du doute.

Après des années à s’entraîner dans la cour du domaine familial, à taper sur des mannequins en paille et à se faire allonger par son (petit !) frère plus de fois qu’il n’oserait l’avouer, il avait envie -non besoin- , de changer d’air. De faire ses armes, s’aiguiser un peu, et d’obtenir son titre de la plus haute main qui pouvait le discerner.

Devenir chevalier n’était pas plus une lubie qu’un rêve. On parlait ici d’honneur, de juste succession. Fils aîné, premier né, on ne pouvait pas dire que sa simple présence fasse trembler dans les chaumières. Grand, mince et brun, Loïc se distinguait plutôt par son sourire gauche et ses boucles indomptables. L’inverse de son père justement.

Roonan secoua la tête, agacé des rênes que son cavalier tenait étroites dans sa rêverie anxieuse. Marmonnant une excuse à demi-mâchée, Loïc lui grattouilla l’encolure distraitement. La capitale était à presque 4 semaines de cheval d’Ynargern et il mentirait en affirmant qu’il était heureux de les passer en tête-à-tête avec cette sale bête.

Roonan avait été un cadeau pour ses 15 ans, en vue de son proche adoubement. Proche avait été un peu optimiste. Très optimiste. Et maintenant, il se retrouvait là, maudissant ses idées stupides d'honneur et de voyage, alors qu’il sentait s’écraser sur le bout de son nez des lourdes gouttes de pluie froide.

Se faire adouber par la reine n’était pas une décision prise sur un coup de tête : non pas à cause des semaines à dos de cheval grognon, ou des restes exécrables de l’hiver, mais à cause du prix à payer pour la légère pression d’une épée royale sur l’épaule. Ou de l'honneur accordé, selon les avis.

Il pleuvait des cordes à présent et avec un juron, Loïc lança sa monture sur le sentier de plus en plus boueux, dans l’espoir de trouver un abri. Une semaine qu’il dormait dehors à la merci des éléments, qui, sans pitié pour son moral, semblaient s’acharner sur lui à coup d’orages et de vent. Il en attraperait la mort, si une enfance dans le gris froid du Nord ne l’avait pas endurci.

Toutefois , aujourd’hui, la chance lui sourit : là, sur le bord du sentier, se tenait une petite auberge dont les fenêtres brillaient de chaleur. Sa présence ne pouvait qu’indiquer la présence d'un village à moins d’une nuit de chevauchée dans cette direction et Loïc, trempé jusqu’à l’os, arrêta Roonan avec soulagement. Des hennissements le guidèrent jusqu’à une écurie commune où, à l’abri de la pluie, des cheveux maigres mangeaient un foin humide. Un pincement d’inquiétude serra les nerfs de Loïc à la pensée que n’importe qui pouvait venir et dérober tout ce qu’il trouvait, mais le martèlement de la pluie contre le toit le rassura. Mêmes les voleurs n’avaient pas coeur de voler par ce temps là.

L’intérieur de la taverne était calme, doucement illuminé par quelques chandelles, et semblait agité seulement par la conversation de l’aubergiste avec un jeune voyageur qui ne devait pas avoir vécu bien plus longtemps que Loïc.

Ce dernier salua les deux hommes maladroitement, qui s’arrêtèrent de converser pour lui répondre :

-Tiens donc, vous êtes pas du coin vous ?

-Ah, euh, non je… je suis de passage. Je vais à la capitale. Pour…

-Tu veux une chambre, un repas chaud ou les deux ? l’interrompit l’homme qui nettoyait des verres avec un sourire légèrement moqueur.

-Les deux ! S’il vous plaît.

-Rajoute lui donc un bain aussi, ria le plus jeune.

Loïc rougit : s’il avait crû bêtement que les 4 nuits consécutives sous la pluie l’avaient lavé, il se trompait visiblement.

-Hum, merci...marmonna-t-il alors que l’aubergiste s’éloignait.

-Fais pas cette tête, assis toi donc.

Le jeune homme lui tira une chaise et l’invita à s’asseoir à ses côtés. Sur la table s’étalaient choppes de bière brune et jeux de dés.

-Ça réchauffes le sang et les os le bain, t’as l’air frigorifié. Et j’dis pas ça pour être ta mère, mais t’as la tête du type qui demandera pas pour pas déranger.

Un léger sourire échappa Loïc : il était de fait glacé, mais la seul perspective de passer la nuit entre des draps (peut-être, s’il était chanceux) propres, lui faisait oublier. Ça, et la présence du feu rouge qui craquait dans la cheminée massive.

-Bryan, enchanté.

Loïc serra la main tendue en se présentant.

-Merci, pour le bain. Vous avez raison, ça me fera le plus grand bien.

-Oh t’inquiète, c’est aussi mon petit cadeau de départ à Thibalt : un bain, une chambre, un repas… Pour un soir où on attendait personne, ça lui foutra du beurre dans les épinards.

Les yeux de Bryan s’étrécirent ;

-T'as de quoi payer ?

-Oui ! Oui ! Bien sûr.

-Tant mieux. On pourrait croire que la nobliasse ça serait au moins honnête sur les prix, mais par les temps qui courent, on est sûr de plus rien.

-Comment savez-vous que je suis noble ?

Bryan s’étouffa de rire dans sa bière :

-Beh t’as vu ta dégaine ? C’pas une offense hein ! Mais ton joli plastron en cuir, c’est un mois de paye pour les plus travailleurs de mes gars. Alors bon.

-Vous venez d’où ?

-Du Littoral Nord. Rheitous.

-Ça fait une trotte d’ici jusqu’à Rheitous.

La jeune homme soupira en levant sa choppe :

-Que veux tu, les affaires tout ça… Y'a un village de bûcherons à deux heures de trotte, et leurs sapins sont réputés. Je viens, je fais mon stock et je repars… Enfin, d’habitude je repars à peine plus d’une semaine après mon arrivée.

Il se rembrunit un instant, les lèvres pincés, avant de se retourner vers Loïc :

-Beh dis ! Bois ! T’as pas soif après ton bout de chemin à toi ?

-Ynargern n’est qu’à une semaine d’ici.

-Et qu’est-ce que tu vas foutre à la capitale ?

-Mes armes.

Sur ces mots, l'aubergiste apporta un bol fumant de ragoût épais, qui donna l’occasion à Loïc de se rendre compte qu’il était affamé.

-Futur Chevalier de l’Ordre ?

La bouche pleine, Loïc hocha la tête.

-T’es pas un peu vieux gamin ? Demanda-t-il en s’asseyant pour resservir une pinte à tout le monde.

Il n’avait pas tort. On le savait, Sa Majesté adoubait de préférence les écuyers sortis tout droit de l’entraînement, aux 15 ans juste sonnés. Les siens étaient passés depuis maintenant belle lurette, et adoubé il aurait pu l’être par son seigneur père… S'il avait été capable de s'en montrer digne.

L’Ordre restait son meilleur espoir autant que son pire défi pour rattraper un honneur familial qu’il faisait défaillir. Il haussa les épaules en avalant avec difficulté :

-Peu importe. Même si la Reine ne me daigne pas sa confiance, j’espère rentrer chez moi en ayant accompli de quoi rendre mon père suffisamment fier pour m’adouber lui-même.

-Et si elle t’en daigne, tu ne reverras jamais ce père déçu de sa progéniture. Gagnant gagnant mon cochon, bon plan !

Bryan s’esclaffa de sa méchante vanne sous le regard fâché de son camarade. Loïc reposa sa cuillère, l’appétit éteint.

Se faire adouber par le Reine, c’était rentrer dans sa garde, rester à la capitale et abandonner tout projet de mariage et de seigneurie pour aussi longtemps que le service à l’Ordre durerait.. Un honneur pour la fierté de son père, un prix à faire verser des torrents de larmes à sa mère..

-Désolé, je ne voulais pas te vexer.

Loïc secoua la tête, les lèvres pincées :

-Ne t’en fais pas. L’un dans l’autre, tu as raison.

Mais il n’avait plus faim et les quelques gorgées de bière qu’il avait avalé lui brouillaient l’estomac. Il se leva raidement et l'aubergiste se leva aussi pour lui montrer sa chambre, sans manquer d’en claquer une à l'arrière du crâne de Bryan au passage.

Sa chambre était modeste, mais relativement propre et c’était tout ce qu’il pouvait espérer. Son hôte lui avait monté un baquet d’eau fumante et un savon rugueux, ainsi que quelques excuses pour les propos de son ami, rapidement balayées par un Loïc épuisé.

Il glissa dans l’eau brûlante ses muscles fatigués et eu une pensée pour son pauvre canasson, se promettant de lui offrir demain au moins quelques pommes entières. Les volutes de vapeur l’hypnotisaient et il pu enfin se détendre un minimum.

Il dû s’endormir car il se réveilla en sursaut dans une eau tiédasse, plongé dans le noir complet d’une nuit profonde. La respiration haletante et les cheveux trempés, il se saisit à tâtons de sa chemise et l’enfila sans oublier de se cogner contre le bord du sommier.

De l’étage du dessous, celui de la salle principale, montaient des conversations vives et des pleurs hystériques. Il alluma à la hâte une chandelle qui traînait et, dans un réflexe de dignité, prit le temps de s’habiller de ses braies sales et bottes crasseuses, avant de dévaler les escaliers, lumière à la main. Les pleurs et les exclamations se faisaient de plus en plus claires et provenaient bien du hall à manger.

Debout en chemise de nuit, l'aubergiste tentait vainement de consoler une jeune femme blonde désespérément effondrée sur une table. Dans un coin de la pièce, éclairée seulement par les restes rougeaoyants du feu, Bryant, uniquement vêtu d’un pantalon de toile et d’un couteau à la cuisse, discutait avec un jeune homme mince.

-Que se passe-t-il ?

Le propriétaire de l'établissement lui accorda un regard inquiet, mais ne se leva pas du côté de la jeune fille, qui hoquetait en continu dans ses bras. Bryan lui fit signe de s’approcher discrètement, tout en continuant d'écouter son interlocuteur passablement énervé.

-...en sécurité ! Il faut faire quelques chose, tu entends !

Le jeune homme s’arrêta de chuchota agressivement en voyant Loïc approcher et lui adressa un regarde méfiant. Il avait les traits surprenamment fins.

-Je te présente Loïc. Loïc, voici Bleuen et Romea. Elles viennent du village.

Le jeune homme -enfin, jeune fille apparemment- secoua la tête, visiblement toujours sur la défensive :

-Très honnêtement Bryan, je me fiche pas mal de tes petits copains. On a failli y passer. Zehir y est passé, et Ygga et Coline !

-Qu’est-ce qui se passe ? Redemanda timidement Loïc.

-Il se passe que mes amis sont morts ! Il se passe que la bête nous tue tous, les uns après les autres ! Il se passe que personne ne nous aidera et.. et…

À bout de souffle et au bord des larmes, elle se laissa tomber sur la  chaise la plus proche, défaite. Loïc reporta son attention confuse sur Bryan, qui se pinçait l’arête du nez.

-Ça fait quelques semaines que ça dure.

La voix tremblotante de la jeune fille blonde, qui s’était enfin arrêté de pleurer, résonna à peine à travers la grande pièce.

-C’est toujours la même chose… La nuit...tombe et… Au début c’était que les bestiaux, on les retrouvé tout crevés au matin, tout secs, comme si z’étaient morts depuis des jours, et friables comme du sable. Des bêtes en bonne santé juste avant !

-On a bêtement cru à une épidémie, ajouta la jeune fille brune d’une voix étouffée, la tête entre les mains. Mais après c’était Ygga qu’on a retrouvé...Dans la forêt… je sais même pas ce qu’elle foutait dehors la nuit.

Elles restèrent silencieuses un moment, chacune désespérée  à leur table.

-Comment… comment l’avez-vous retrouvée ? Demanda Loïc.

-Vidée. Blanche. Sèche.

-On a même pas pu l’enterrer. On l’a touché et elle est partie en poussière.

-Et puis Coline et puis, et puis… Zehir…

Elle se mordit la lèvre, des larmes silencieuses dégoulinant sur ses joues creuses.

-Zehir et Bleuen étaient censés se marier au printemps, chuchota Bryan derrière Loïc.

-Aujourd’hui, on a pris trop de retard au Creux, reprit Romea. C’est le seul endroit où on trouve de l’ail des ours. La nuit nous a surpris.

-Et la bête aussi.

Romea frissonna.

-Oui. La bête. On avait un cheval pour deux et…

-On a eu de la chance. Même à deux sur le cheval, on allait plus vite.

-Vous l’avez vu ?

-Oui. Enfin… pas très bien.

-Il faisait noir.

-Et on avait peur.

-Elle avait les yeux rouges.

-Elle marchait à quatre pattes.

-Jusqu’à ce qu’elle se relève. Elle était très grande.

-Elle ne tenait pas bien sur les pattes arrières.

-Habillée tout en noir.

-Attendez, attendez, les interrompit Loïc. Cette chose, c’est un homme ou une bête ?

Romea lança un regard hésitant vers sa compagne avant de secouer la tête d’un air confus.

-Personne ne sait vraiment… répondit Bryan à leur place. Homme, bête… Ou hybride contre-nature… Peu importe. Cette chose tue, et elle tue horriblement.

-Il faut faire quelque chose ?

-Oui ! Il faudrait ! s’écria Bleuen avec un regard accusateur vers le jeune homme.

-Je ne suis pas chevalier, je vends des bateaux ! Tu le veux en quelle langue ?

Loïc croisa le regard de Romea :

-Et vous, demanda-t-elle, vous êtes quoi ?

Tout le monde se tourna vers lui.

-Je…

Byan lui posa une main sur l’épaule :

-Il n’est pas encore chevalier.

-Mais...Je pourrais aider ! lannça-t-il sans réfléchir

-Vous pourriez ? souffla Romea, comme si elle nevoulait pas y croire.

Il hocha la tête. Peut-être s’embarquait-il dans une erreur. Peut-être que la façon dont Bleuen lui serra la main, pleine d’espoir, compensait la potentielle mort qui l’attendait.

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Joffrey
Posté le 11/05/2022
Bonjour, bonjour!
Je viens de finir ce chapitre et je suis assez curieux de découvrir la suite. Cet Ordre de chevalier de la reine me donne envie de les découvrir! Loïc est un personnage assez intéressant, on s'identifie facilement à lui et je resterais aux aguets pour voir l'évolution de cette histoire!
J'ai trouvé quelques petites coquilles pendant ma lecture.
Bon courage pour la suite!
La-Menestrelle
Posté le 11/05/2022
Merci pour ton commentaire Joffrey !
Loïc est un personnage auquel je suis plutôt attachée aussi, et j'espère que son évolution fera sens pour mes lecteurs !
Quand aux coquilles, c'est fou comme elles continuent de m'échapper. Et pourtant j'utilise Antidote ! Je corrige ça tout de suite, merci de m'avoir prévenu !
Merci de tes encouragements :) la suite arrive vite
Bleiz
Posté le 06/05/2022
Bonjour,

Voilà un début d'histoire très intriguant ! Je suis accrochée par le personnage de Loïc, encore maladroit mais avec tant d'espoir et d'attentes pour son futur. Il y a quelques petites fautes dans le texte, mais rien qui ne survive à une relecture. Je pense que ton texte pourrait être encore meilleur si tu ajoutais plus de description des endroits- je pense notamment à la scène où Loïc écoute les récits des récentes attaques. Cela dit, ça reste un premier chapitre rondement mené, avec un plongeon direct au coeur de l'action. J'ai hâte de voir comment l'histoire va évoluer !

À bientôt :)
La-Menestrelle
Posté le 06/05/2022
Bonjour Bleiz, merci pour ton commentaire !
Satanées coquilles qui échappent à mon attention ! Je vais faire relire le chapitre à un tiers afin de régler ces petits soucis au plus vite ;)
Quand aux descriptions des endroits, fais-tu référence aux positionnement spatiaux des personnages ? Il est vrai que ce qui est visuellement clair pour l'auteur l'est peut-être moins pour l'audience. Je tâcherai d'arranger ça et d'évidemment de le prendre en compte dans la suite (qui arrive très vite)
AuteureDeFleur
Posté le 06/05/2022
Bonjour !
J'adore ton monde est bien construit, ton intrigue est bonne. (Je suis pas vraiment faite pour faire des commentaires constructifs désolé) ça donne vraiment envie de lire la suite. Bravo c'est super !
La-Menestrelle
Posté le 06/05/2022
Merci beaucoup pour tes encouragements ! La deuxième partie de ce chapitre arrive très vite :)
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