La bataille de la passe des montagnes noires

Par Sebours

Alors, Tormek, patriarche du clan des nains d’or et premier roi des nains brandit Fendoir, le plus précieux des sept présents offerts par Dmor-Khal à son peuple. Lorsque la terrible hache de guerre s’abattit, elle coupa en deux le grand monolithe noir indiquant l’entrée de l’inframonde. La puissance du coup ouvrit par la suite une brèche dans la chaîne des montagnes orcs qui formait une couronne encerclant le territoire des elfes. Le large corridor mutilait l’Orcania et donnait enfin un accès à la mer annulaire aux populations du centre. Ainsi fut crée la passe des montagnes noires.

« La création de la passe des montagnes noires »

extrait de La bible des servants dragons d’Abath-Khal

Aux premières lueurs de l’aube, les prétoriens commandèrent la manœuvre pour mettre en place les six cent mille légionnaires conformément au plan de bataille. Bien que perplexe, le général Ull respecta la tactique décidée par le tribun de la plèbe. Le conseil de guerre avait duré tard dans la nuit et le roi Roll avait dû trancher et imposer la vision de Ome. Le garçon l’avait notamment convaincu par la conviction sans faille qu’il affichait. Le déplacement furtif de dix légions avait également pesé dans la balance.

Un cri strident monta de la forêt de Froideterre. Puis trois immenses rapaces s’élevèrent dans les airs, décrivant de longs cercles ascensionnels et stupéfiant l’assistance non humaine. Durant toute la nuit, par l’intermédiaire de la boucle d’oreille télépathique, Ome avait négocié avec Hector pour obtenir l’autorisation d’employer les rokhs dans la bataille. Il s’était heurté à un mur et avait décidé de passer outre l’interdiction du prince Hector. Le salut de son peuple passait par son émancipation ! A quoi auraient servis tous ses efforts pour se libérer de l’omnipotence elfe s’il pliait sous les ordres des satyres et des dryades ?

Ome chevauchait Flèche, accompagné des quatre archers ainsi que de Gédéon et Isabelle. Voile et Caresse, les deux femelles, libres de tout cavalier virevoltaient autour de leur grand mâle qui faisait office de gros porteur. Avant que la moindre harpie n’ai le temps de prendre son envol, le jeune tribun dégaina son épée et la fit siffler dans un moulinet pointant le Sud-Est de la cité. Les trois oiseaux mythiques crachèrent un tourbillon de feu qui enflamma les restes de Sept Chemins. Les attaques répétées des rapaces propagèrent rapidement l’incendie dans la ville de telle manière que seule une sortie où Ome l’avait décidé était possible.

Des escadrons de harpies et d’amphiptères tentèrent bien de s’opposer, mais la moindre créature était réduite en cendre par les deux agiles femelles rokhs avant même d’avoir dépassé les toits de la cité. Conformément au plan préétabli, le tribun de la plèbe se mit alors à survoler le champ de bataille qui se développait. A chaque mouvement de l’ennemi sur le théâtre des opérations, il donnait une directive à Isabelle ou Gédéon. Ceux-ci se précipitaient alors dans le sac microcosmique où les attendait une armée de scribes qui retranscrivaient les propos de leur commandant en chef. Grâce à la différence de temporalité entre le microcosme du sac et le bouclier-monde, il suffisait ainsi d’une poignée de seconde pour rédiger un message précis et détaillé sur les mouvements des troupes ennemis à anticiper. Ome manœuvrait son rokh avec dextérité et survolait les légions à contacter. Les archers juchés sur le rapace tiraient alors des flèches lestées portant les ordres de déploiement.

Toute la horde orc présente dans la cité des Sept Chemins fut ainsi poussé dans une souricière. Les légions humaines présentaient un mur de boucliers hérissé de lances derrière lequel les archers elfes propulsaient une pluie de fer. L’ennemi ne parvenait pas à se rapprocher suffisamment pour engager le combat au corps à corps. Flèche contrôlait par son souffle de feu les cinq trolls présents dans les rangs adverses. Les escadrons volants des forteresses tentèrent de venir porter secours au gros de la troupe de l’Orcania dont les soldats tombaient les uns après les autres. Voile et Caresse annihilèrent ces percées assistées dans leur action par les centaures. Bientôt, sous les directives de Ome, la bannière de Batum-Khal accula le gros des troupes ennemis contre une falaise qu’opiniâtrement la nature avait placée là. Les dix géants placés stratégiquement au sommet en surplomb balancèrent des rochers en visant en priorité les trolls. L’acharnement dura des heures et le carnage fut total. Aux dernières heures du jour, le tribun de la plèbe venait d’obtenir une victoire de prestige avec un nombre de perte insignifiant grâce à une stratégie audacieuse et l’aide de trois flamboyants rokhs sortis tout droit des récits légendaires.

Dans une ambiance crépusculaire, les rapaces se posèrent quelques instants sur le charnier pour boulotter ça et la quelques proies. Apparemment, ils aimaient le troll, car ils se chamaillèrent pour en dévorer les meilleurs morceaux. D’un mouvement d’épée, Ome fit redécoller Flèche, Voile et Caresse pour les faire atterrir dans Sept Chemins et en reprendre possession. Ses légions ne tardèrent pas à le rejoindre. Éclairé par les torches de sa garde prétorienne, le premier des hommes accueillit en conquérant le roi, son conseil et tout l’état-major elfe.

« Nous, roi de Batumia, sommes céans ravis de la glorieuse victoire remportée par nos troupes ! Tribun de la plèbe Ome, nous vous félicitons ! » déclara le souverain des elfes.

« Comment t’es-tu procuré des rokhs ?!! » fustigea le grand chambellan.

« C’est certainement le prince Hector qui les lui a fournis ?!!! » renchérit le prince Sirius. « C’est de l’intelligence avec l’ennemi ! »

« En tout cas, la troisième caste réquisitionne tes rokhs ! » tempêta le général Ull. « Non seulement ils ont une importance militaire stratégique, mais en plus, avec trois spécimens, nous avons une source d’artefacts magiques inépuisable ! Où sont-ils, Ome ?... Réponds, sale dernier né ! » »

« Tout d’abord, général Ull, mon titre est tribun de la plèbe, membre du peuple des hommes ! Ensuite, les trois rokhs sont repartis comme ils étaient venus...par magie. Donc la troisième caste n’aura rien du tout. Vous avez raison, prince Sirius, c’est votre égal, le prince Hector qui m’a gracieusement prêté ces adorables créatures. Par contre je doute qu’on puisse qualifier l’apport décisif de ces oiseaux mythiques d’intelligence avec l’ennemi. C’est plutôt une assistance bienvenue. Mon roi, vous penserez bien à remercier nos amis dryades et satyres ! »

L’héritier du trône semblait vouloir bondir à la gorge de l’impudent humain. Le général Ull tapotait frénétiquement le pommeau de son épée, prêt à la dégainer. Tous les elfes de l’assistance voulaient en découdre avec l’effronté adolescent. Le baron Ugmar sortit la petite fiole qu’il emmenait partout et en bu une gorgée. Son visage, jusqu’alors marqué par un rictus de colère retrouva son impassibilité. Le grand chambellan tenta alors de détendre l’atmosphère.

« C’est fort dommage mon garçon. En tant que tribun de la plèbe, en tant que membre du conseil royal et consultant de l’état-major, tu ne t’es pas rendu compte de l’intérêt capital de posséder des rokhs ?!! Tu aurais dû tout faire pour les conserver ! Nous avons repris la cité des Sept Chemins, certes, mais ce n’est que la première bataille de l’ère des hommes ! Ces rokhs nous auraient été bien utiles pour débusquer les orcs retranchés dans la ceinture de forteresses. »

« Nous n’avons qu’à les affamer par un siège comme vous le désiriez dans votre plan initial ! A présent, nous pouvons construire des fortifications sans être à portée de l’ennemi ! »

« La stratégie du siège visait à reprendre la cité, représentant des derniers nés de Nunn ! Il est impossible de couper les fortins de leurs bases arrières.A la moindre tentative d’encerclement, des hordes déferleront des montagnes noires ! Je préfère le réexpliquer vu que les hommes sont trop stupides pour comprendre les subtilités de l’art de la guerre ! »

« Malgré notre stupidité, pour leur première bataille, les hommes sont parvenus à nous mener à la victoire sans perte notable ! Ça change des boucheries elfiques des légendes d’antan ! »

« Père ! Vous ne pouvez pas laisser offenser ainsi nos guerriers légendaires ! Vous qui êtes du même sang que de Sarvalur ! » protesta le prince Sirius.

« Sarvalur est mort sans héritier direct ! C’est bien la preuve que se sacrifier au combat n’apporte rien ! » persista Ome.

« Allons ! Allons ! Mon cher tribun ! Nous sommes fort contents de votre action d’éclat ce jour d’hui ! Il serait dommage de l’entachée par des provocations excessives qui nous pousseraient à vous répudier de notre conseil ! » tempéra le souverain elfe.

« Je ne te jette pas la pierre, mon garçon, mais je le répète, ces rokhs nous auraient été bien utiles pour débusquer les orcs retranchés dans la ceinture de forteresses. Après, comme l’a constaté notre bon roi lui-même, tu as fait preuve d’une initiative et d’un sens tactique aiguisés sur le champ de bataille. Tes cours à l’académie militaire n’ont pas été vains ! Comment reconquérir notre ceinture de forteresse ? L’important est à présent de répondre à cette seule question ! »

« Il faut raser toutes les tours en les bombardant avec nos catapultes et nos trébuchets ! C’est la seule solution ! » affirma le général Ull en dégainant son épée pour passer sa frustration sur un cadavre d’orc calciné. « C’est ta faute, dernier né ! Si seulement tu avais gardé ces rokhs ! Maintenant, nous devons acheter à prix d’or les armes de siège de ces sales profiteurs de nains ! Ce sont les seules à en posséder à cent lieues à la ronde ! »

« Je te trouve bien véhément et catégorique, général. Hier, notre jeune tribun, avec la fougue de sa jeunesse, a ouvertement contredit notre plan de bataille. Ce qui s’est révélé par la suite être un coup de maître. » tempéra le grand chambellan. « Dis-nous, Ome. Aurais-tu une nouvelle proposition ingénieuse pour reconquérir toutes ces forteresses sans les détruire ? Je te rappelle que si nous les rasons, c’est ton peuple qui sera chargé de les rebâtir. »

Le baron avait un don pour insinuer des idées percutantes dans la psyché de ses interlocuteurs. A présent, Ome voulait trouver une solution différente, coûte que coûte. Il savait que s’était possible, mais il ne parvenait pas à mettre le doigt sur la solution. En guise d’ultime provocation, Ugmar lâcha une pique qui aiguillonna un peu plus le jeune garçon.

« Quel dommage que les hommes ne puissent pas se rendre translucide comme les diaphanes ! Tes soldats auraient pu s’immiscer en secret dans toutes ces places fortes pour empoisonner les puits ! Quoique...jeune tribun, tu as été capable de déplacer dix légions sans que personne ne le voit ! »

« Pourtant, une telle pratique correspondrait bien aux derniers nés de Nunn ! Ils ne possèdent aucun code d’honneur ! » cracha le général Ull.

Certes, il ne possédait pas le pouvoir des diaphanes, mais l’ancien assassin de la ligue des ombres était capable de se rendre presque invisible. Le grand chambellan le savait parfaitement. Grâce aux compte-rendus quotidien en présence de Slymock, le pair de la nation elfe connaissait tout des techniques enseignées par les guildes criminelles à son « protégé ». En fin politicien, il envoyait un message caché que seul Ome comprit.

« Général Ull, pouvez-vous attendre trois avant déployer vos armes de siège et passer à l’attaque ? »

« Pourquoi donc le ferais-je ? Je n’ai pas d’ordre à recevoir du représentant des derniers nés ! »

« Allons ! Allons ! Général ! Nous comprenons votre empressement à vouloir en découdre, mais mesurez vos propos ! De plus, nous, roi Roll, souverain de l’empire elfe, estimons qu’après la brillante victoire qu’il obtint ce jour, le tribun de la plèbe Ome mérite qu’on accède à sa doléance ! Qu’envisagez-vous de faire durant ces trois jours, mon fougueux et intrépide enfant ? »

« Les suggestions de notre grand chambellan m’ont donné une idée, mon roi. Cependant, je ne peux rien révéler pour l’instant. La réussite de l’opération réside dans son secret. De plus, elle s’avère illégale et répréhensible au regard de la justice de Batumia. Je préfère que le conseil royal reste éloigné de tout ceci, ainsi, je serais le seul à blâmer si cela tourne mal. Roi Roll, augustes membres du conseil, m’autorisez-vous à tenter une opération spéciale, bien que légalement discutable afin d’éviter un interminable siège ? »

« Nous l’acceptons, jeune tribun ! L’audace est une arme déroutante sur un champ de bataille, et vous en faites fort preuve. »

La première nuit, lorsque toute la ville fut endormie, Ome quitta subrepticement les Sept Chemins pour s’envoler vers Zulla sur le dos de Flèche. Il passa un jour à lever l’armée de la ligue des ombres avec son roi rouge, Igor le boiteux. La deuxième nuit, il revint avec les assassins de la guilde cachés dans son sac microcosmique. La troisième nuit, sans un bruit, coupe-jarrets, venimeux et escapuchons pénétrèrent au plus profond des forteresses tenues par les orcs et empoisonnèrent tous les points d’eau. Au milieu du troisième jour, le général Ull se trouvait avec ses troupes et ses quelques armes de siège en place. Ome arriva à côté à sa hauteur et lui lança un regard de travers empli de défis et de satisfactions. « N’ayez crainte, général ! Vous n’aurez pas à acheter des armements aux nains ! » Le tribun de la plèbe siffla. Les buccins de la garde prétorienne sonnèrent. Les ponts levis s’abaissèrent. Les corps inanimés d’orcs gisaient partout sur les sols des forteresses. La bannière de Batum-Khal venait de reconquérir la ceinture de pierre de la passe des montagnes noires sans la moindre perte. Le héros des hommes et des proscrits venait de réaliser un nouveau miracle.

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