Kredo

Š. Dans les mines, l’Histoire se contait en graffitis. Ils chatoyaient à l’aube d’une torche. Nos pas emportant leurs espoirs avec eux.

Qui d’autres, sinon nous, les pauvres hères venus de terres du sud, sans un sou et parlant d’autres langues, nous les barbares, les métèques, les étrangers, qui donc pouvait regarder avec autant d’effroi comment les princes des pays de l’abondance avaient traité les leurs…

 

La mer dévora les berges, les rivières devinrent lac, estuaires, baies. Des hautes villes de lumière ne restaient que les vigies des hautes tours, leurs vitres depuis longtemps éventrées par les flots.

Les structures de l’Ancien Monde avalées par l’océan, les technocraties découvrirent la faim. Celle qui vous serre le ventre et fait tourner la tête. Puis la peur ; il n’y avait plus d’île à acheter ni de bunker disponible pour les sauver tous. Pis encore, il y avait de moins en moins de pauvres pour se casser le dos à leur place, les riches têtes pensantes se mirent à la manœuvre.

Des gens, ça se trouve ! Les technocrates maîtrisaient depuis longtemps l’art des images, cette technique si pratique qui consistait à faire croire aux plus démunis qu’ils avaient tout intérêt à se battre contre eux-mêmes. On leur fit voter des lois, et de leurs propres seings, les oppressés choisir leurs oppresseurs.

Il y a trop de pauvres pour trop peu à se partager.  Il fallait choisir qui aurait quoi et comment on le lui donnerait.

N’était-ce pas ça la justice sociale ? Arrachée à la bouche des opposants, on lui donna une définition simple, qui était en substance : chacun doit avoir ce qu’il mérite. N’est-ce pas là toute la Justice de la nature, après tout. La société fonctionnait ainsi, car elle devait fonctionner de cette façon. Voilà tout ! Le Kredo était né. Les plus importants d’entre eux devaient avoir plus que les moins importants. Autrement dit, il y a toujours eu des riches et des pauvres et c’est pour que tout se passe conformément aux lois de la Nature qu’il y en aurait encore. Il y aurait ceux qui travaillent et ceux qui expliquent aux autres comment ils doivent travailler.

Ils scandaient à qui osaient s’opposer au Kredo que tout ce que les Hommes gagneraient à essayer à tout prix d’aller à l’encontre de la Nature, c’était la peur et la faim. Les deux à la fois. De toute manière, à quoi bon s’égosiller, les médias d’information travaillaient déjà à convaincre tout le monde. Ils firent un si bon travail, qu’il ne restât que peu de monde pour contester.

Les derniers de cette espèce disparurent dans les mines du Sacré-Cœur, la peur et la faim eurent raison d’eux.

Et voilà ! N’avait-on pas raison dès le départ ?!

 

Le bruit de mes bottes collant au sol humide me fit l’effet d’une succion morbide. Je me sentais réveiller les morts, de ceux qui étaient partis dans la souffrance et reviendraient dans la haine… J’eus peur un instant qu’il ne reste plus que ça dans le cœur de Bénédict. Alors, il s’arrêta près d’une corniche d’où gouttait une source.

- Elle est bonne, dit-il après une gorgée.

À mon tour de boire, durant ce temps, le semeur se pencha près du mur. Un minuscule cairn improvisé sous les yeux et une coquille de noix dont il se saisit. Un sentiment de soulagement se propagea sur son visage.

- Avons-nous de la chance, pour une fois ?

Il acquiesça et en repartant son pas se fit plus léger, éteignit notre torche puisque nous n’en avions plus besoin. Une lueur bleutée courait sur les parois. On avait tracé du bout des doigts le chemin vers une oasis.

Habillée de nuit, une silhouette apparut à l’embrasure, elle signa dans l’air et mon Benedict lui répondit. Un sourire fut échangé et une femme au parfum d’ambre se lova dans ses bras. Ils se serrèrent ainsi longuement.

- Tu m’as manqué, liefste.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez