Kiwi ex machina

12. Kiwi ex Machina
(By Fraise des Bois au bord de la mort)

On dit que chaque seconde qui passe nous rapproche de la mort. Dans mon cas, ça n'a jamais été aussi vrai. J'avais réussi à profiter d'une seconde de répit, alors que la tourelle auto contournait la capsule vide derrière laquelle je m'étais planqué, pour sauter dedans et la refermer sur moi. Et donc, me voilà, enfermé dans une capsule à clone remplie d’amniofluide à attendre que la sécurité vienne me délivrer. Dire que je venais de passer dix heures dans le faux-plafond.

Comme je n'ai rien de mieux à faire pour le moment, voici un petit bilan d'à quel point j'étais dans la merde :

1. Lors de mon plongeon épique dans la capsule, je me suis pris une rafale. Mon gilet pare-balles a fait le taf, mais je m’en suis pris aussi dans le bras. Okay je veux bien, j'ai eu de la chance, ça aurait pu être mille fois pire. N'empêche que ça fait putain de mal. Mon sang se mêlait à l’amnio et moi je baignais dedans c'était tragique.
2. La tourelle auto, juste en face de moi, continuait de me canarder. Son œil rouge accusateur me fixait tel l'œil de Caïn. La vitre de la capsule s'en prenait plein la gueule, heureusement que c'est du verre blindé.
3. Diak m'avait abandonné. Bizarrement c'est ce point-là qui était le pire de tous. Il n'avait même pas attendu que je cane pour couper son récepteur. Peut-être que c'était trop dur pour lui ? Peut-être qu'il avait coupé le contact pour pas que je ne l'entende pleurer ? Bordel c'est moi qui allait pleurer à ce train-là. Diak... Lapin... ne m'abandonne pas après tout ce qu'on a vécu.

- Victor ?

Ah bah quand-même ! Il était de retour ce crevard ! Je lui ai dit, avec une voix que je voulais ironique mais qui est sortie bizarrement scandalisée et émotive :

- Je rêve ou tu m'as abandonné ?

- Oh je t'en prie, m'a-t-il fait méprisant. Laisse-moi me concentrer pour hacker la porte.

- Mais qu'est-ce que tu veux que ça me foute que tu hackes la porte ? Si je sors de la capsule le bébé me canarde à bout portant ! ...Et putain me dis pas que tu t'es encore barré ! Diak ? Driss ? Reviens putain !

Derrière ma vitre de capsule, j'ai entendu le bruit du blindage qui remontait. La porte était ouverte, mais j'étais tellement loin ! Il n'y avait aucune chance pour que j'échappe à la tourelle, elle avait le canon presque collé à la capsule, et je ne pouvais déjà presque plus la distinguer tant la vitre s'était pris d'impacts de balles. Je vais mourir. Je vais mourir alors que la porte est ouverte, merci Diak d'avoir ajouté encore à la cruauté de la situation.

Soudain, multiplié par les facettes du verre, j'ai vu une tornade avec un masque à gaz débouler de nulle part et se jeter sur la tourelle avec un cri de guerre enragé. La machine a reculé, et a cessé de me prendre pour cible. Je voyais mal mais j'entendais des coups de feux, des cris... Kiwi qui m'appelait entre deux secousses.

- FdB t'es vivant ?

J'ai poussé un tout petit peu le verre pour jeter un œil. Le leader de KEx était cramponné à la tourelle, qui tournait furieusement sur elle-même et se jetait contre les murs tout en continuant à canarder dans le vide.

Je suis resté sur place beaucoup trop longtemps, subjugué. Kiwi était revenu me chercher, et ce alors que j'avais pas été cool avec lui. Alors que j'avais déclenché l'alarme moi-même et de mon plein gré. Alors que je lui voulais du mal. Bordel, Kiwi, tu es trop pour moi.

- Viens m'aider putain, ce truc me crame ! M'a-t-il crié entre deux rafales.

Ah oui j'avoue, le radiateur contre le bide ça devait pas faire du bien. Puis il se faisait fracasser contre le mur, aussi. Tout ça pour me sortir de là. Quel homme. Quel héros.

- Réveille-toi Carmin, qu'est-ce que tu fous ? Va l’aider !

Cette fois c'était Diak qui m'engueulait. Ah tiens il est revenu, lui ? J'ai essayé d'ignorer la douleur dans mon bras et je suis sorti de la capsule, dégoulinant. Kiwi a fait de son mieux pour orienter le canon loin de moi. J'ai pu le rejoindre. Super, bon on fait quoi maintenant ?

- Désactive-moi ce truc !

- Okay mais je fais comment ?

Le Leader de KEx m'a crié un truc improbable, Diak m'a hurlé un truc technique. Dans les deux cas j'ai rien compris, je me suis fait engueuler par les deux en même temps purée, j'étais mieux dans la capsule.

- Prend du C4 dans mon sac à dos !

Les instructions de Kiwi étaient quand même moins fumeuses que celles de mon collègue, qui me parlait de recalibrage manuel du bébé, le fou. Si je savais faire ces conneries j'en serais pas là ! J'ai attrapé Kiwi pour l'empêcher de se faire emporter par la tourelle, et j'ai ouvert son sac. Il avait prévu une petite quantité de C4 au cas où Litchi n'arrivait pas à crocheter les portes. Heureusement on n'avait pas eu à s'en servir, ça aurait pas été discret.

- Tu l'as ? Fous le sur le canon.

- Euh... t'es sûr ?

Merde Kiwi, t'es littéralement collé à la tourelle, tu vas te prendre l'explosion dans la gueule il va pas rester grand-chose de toi.

- Mais oui ! Je suis solide.

Ah bon ? Nan parce que...

- Fais ce qu'il dit, m'a ordonné Diak. Ensuite tu appuies sur le détonateur et tu le tires en arrière.

Et ben vous savez quoi ? C'est parti ! Après tout, Kiwi avait son masque à gaz et un gilet pare-balles. Et ses bras et jambes étaient des faux, qu'est-ce qu'une explosion pouvait bien lui faire ? S'il lâchait la tourelle auto avant qu'elle pète, on était morts.

J'ai placé le C4, chopé Kiwi par le sac à dos et tiré très fort quand ça a fait boum. On est tombés tous les deux en arrière. La tourelle auto a couiné tristement puis s'est figée à tout jamais. Bon débarras, connasse.

- Aaaaaaarrgh... a expiré Kiwi. T'es toujours vivant ?

Il s'est redressé en premier, et il s'est assis pour constater les dégâts qu'il avait subi. Son bras droit s'était mangé l'explosion bien comme il fallait, il était complètement niqué. La batterie avait été éjectée, et l'avant-bras pendouillait tristement, relié au coude par trois fils qui avaient l'air au bout de leur vie. J'ai regardé Kiwi achever de l'arracher avec un soupir blasé, et foutre sa moitié de bras dans une poche de son sac à dos. Puis il s'est levé, et il s'est mis à avoir le tournis, j'ai dû le rattraper avant qu'il se casse la gueule. Ses fringues étaient tout cramés.

- Wooh ! Kiwi ça va ?

- Putain de tourelle. m'a-t-il répondu. Et toi, ton bras ? Tu saignes.

J'ai bombé le torse et pris ma voix de mâle alpha :

- C’est rien, juste une égratignure. Allez viens, partons d'ici.

En vrai, mon bras me faisait trop mal maintenant que l'adrénaline était redescendue, j'en aurais chialé ma mère. Mais vu que le bras de mon partenaire était bon pour le recyclage, j'allais pas me plaindre. J'ai entrainé un peu Kiwi qui avait du mal à courir sur ses fausses jambes, et on est sortis de cette foutue chambre à clones, qu'on laissait dans un sale état. La tourelle, en essayant de se débarrasser de Kiwi, avait tiré partout, sur les murs, sur les capsules, sur les tuyaux et les câbles des installations... Désolé patron. j'imagine même pas le coût des dégâts.

Mais ce n'était pas le pire. Dans le couloir, un peu avant la sortie, on est tombé sur deux corps dans une mare de sang. Les agents de sécurité. Des collègues.

- Oh putain.

- Je sais, m'a fait le leader de KEx en baissant la tête. J'ai organisé tout ce plan, le faux-plafond, les poubelles, tout ça pour n'avoir à tuer personne, et voilà le résultat. Je pige pas ou je me suis planté, qu'est-ce qui a pu lancer l'alarme. Je m'en veux putain.

L’alarme ouais... bordel.

- Reste concentré, m’a fait Diak. Ta priorité est de sortir de là avec Kiwi.

J’étais en train de me laisser noyer dans les conséquences de mes actes qui me retombaient dessus toutes en même temps, et la voix de mon collègue m’a comme... tiré de là. Guidé. J’ai obéi mécaniquement. Diak avait raison, fallait que je nous mette en sécurité vite fait. Je pensais pas que les gardiens de nuit étaient plus que deux, mais si c'était le cas, si on en rencontrait d'autres... Kiwi les buterait. Et s'il ne le faisait pas, alors c'est moi qui m'en chargerais. Parce que l'autre option c'était : On se laisse arrêter, et pendant que Kiwi se fait tabasser je dis "attendez les mecs je suis avec vous en fait, c'est même moi qui aie déclenché l'alarme, appelez mon patron, c'est le directeur de Santorga Cergy." L'autre option c'était regarder l'incompréhension dans les yeux de Kiwi, puis le dégoût quand il comprendrait enfin qu'il avait sacrifié sa cause et sa liberté pour un sale traitre.

J'ai eu un genre de boule au ventre. Cette histoire va mal se finir, je vais pas aimer ça. Kiwi était revenu me chercher, il avait tué deux personnes, fait de la lutte gréco-romaine avec une tourelle auto, et s'était pris une explosion de C4 qui lui avait niqué un bras, tout ça sans aucune autre raison que ma vie, alors qu'on se connait encore à peine, alors que moi tout ce que j'ai dans la tête c'est de le baiser et ensuite le livrer à mon patron.

- Allez Kiwi faut courir. On y est presque. Je sais que tu peux courir, je t’ai vu te jeter sur la tourelle auto.

- Tu m’as vu me casser la gueule sur la tourelle auto, s’est-t-il moqué en accélérant comme il pouvait.

Personne sur cette terre n'a jamais fait le dixième de ce que Kiwi venait de faire pour moi. Et je sais que si je devais le trahir maintenant... je le ferai pas. Je tuerai mes collègues d'une balle entre les deux yeux plutôt que les laisser embarquer le leader de Kartrouville Ex.

Mon leader.

Oh comme je suis pas dans la merde, moi.