Joyeux anniversaire, terroristes !

Après des négociations intenses qui firent passer les débats de l’ONU pour des batailles de cour de récréation, Youssef parvint à convaincre son oncle de leur laisser son bain turc comme convenu en promettant de bien se tenir sage et de faire la publicité de l'établissement à l'otage et aux soldats qui viendront le chercher.

Une fois ce problème réglé, les trois Billy the Kid se mirent au boulot. Rayan réunit plusieurs vêtements et cagoules noires qui sont la norme dans ce genre de métier, ainsi que quelques armes à feu pour l’accueil. Bien évidemment il s’agissait d’armes de paint-ball très réalistes, mais Rayan se dit que les soldats n’avaient pas besoin de connaitre ce détail.

Ali fut chargé de surveiller l’otage, puisqu’il avait déjà fait du baby-sitting dans le passé.

Il ne restait plus que deux heures avant que les soldats viennent récupérer l’otage, donc Ali comprit que la plus grande difficulté pour lui serait de tuer le temps. C'est qu'il s'ennuyait ferme à juste rester silencieux et menaçant face à un homme désarmé, aveuglé par un sac sur la tête, ligoté avec de fausses menottes. 

Isolés dans la salle des machines, Ali remarqua que les membres du soldat Jenkins tremblotaient légèrement. Notre terroriste en herbe pensa qu’il devrait détendre l’atmosphère, comme un pro le ferait.

« Alors… tu veux faire un Uno ou quelque chose ? » demanda Ali. Le soldat Jenkins ne lui renvoya qu’un silence tendu. Ali se dit que cet otage était bien malpoli, puis se rappela que de toute façon il n’avait pas apporté d’Uno.

« Et sinon… tu as une copine ? » finit par demander Ali, à court d’idées. Pas de réponse : Ali pensa que peut-être cet otage était un célibataire de longue date qui se lamentait de son insuccès. Ali compatit et essaya de rattraper le coup : « Ou… quelqu’un qui t’est cher, je ne sais pas, hein… Tout me va perso.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ? répondit le soldat Jenkins d’une voix affolée.

— Euh, rien. Je veux juste apprendre à te connaitre. Toi, ta famille, peu importe.

— Qu’est-ce que vous leur voulez ? Vous voulez les enlever aussi ? Leur faire du mal ? »

J'ai l'impression que ça ne se déroule pas comme prévu… se dit Ali, sentant qu’il était une honte pour tous les professionnels du milieu, qui eux devait bien savoir comment mettre à l’aise les otages. Sa position est peut-être trop inconfortable ! remarqua-t-il dans un éclair de génie, constatant la posture assise toute en tension, niché dans un coin froid et insalubre de la pièce.

Ali partit en courant chercher une chaise, et dénicha par miracle un transat très usagé. Euphorique, il le ramena en le faisant racler sur le sol, provoquant un crissement metallique effroyable. Puis il mit le transat à côté de otage et le déplia dans une suite de cliquetis inquiétants qui donna l’impression au soldat Jenkins qu’on était en train de préparer la table de torture. 

« Ne vous inquiétez pas, on va bien s’occuper de vous. » indiqua Ali d’une voix calme alors qu’il remarquait que son otage recommençait à trembler. « Je vous assure, je suis un professionnel. J’ai déjà fait ça avec des enfants. »

La panique submergea le soldat Jenkins, envahit son âme comme du pétrole, embrouilla son esprit.

Puis il n’entendit plus rien, ne réfléchit plus.

Finissant d’installer le transat, Ali se sentit tout fier. De plus, il constata que le soldat avait cessé de trembler. Mes parents seront fiers de moi. Je suis assez grand pour gérer un otage ! se réjouit Ali. Il n’entendit pas le léger craquement dans le dos de son otage, le son caractéristique d’un os qui se déboite.

« Vous savez, je trouve qu’on s’entend hyper bien, déclara Ali, tout joyeux. Je veux dire, ça me fait plaisir d’avoir quelqu’un qui me comprend enfin. » Il se rapprocha du soldat, cherchant à le soulever pour le mettre sur le transat. « Je voulais dire… enfin si vous êtes libre après tout ça, je connais un petit bar sympa dans le coin, avec un happy hour incroyable. » Ali souleva le soldat. « Allez je vous invite ! Ce n’est que la moindre des choses, puisque ça sera l’argent de votre rançon… »

Puis le soldat Jenkins se dégaga à la vitesse de la foudre, faisant trébucher Ali qui tomba en arrière.

La dernière que vit Ali fut les mains libérées du soldat, dont une avec le pouce déboîté, qui le frappèrent simultanément sur les tempes, et puis le noir total envahit son monde.

 

 

Youssef en avait marre, franchement marre.

La journée n’était pour lui qu’une longue série de problèmes à régler et d’inquiétudes. Apprendre à ne pas mourir sur la route en apprenant à conduire une camionette, passe encore. Négocier avec son oncle, pourquoi pas. Rayan lui annonçant que Kaïs ne répondait plus à ces messages, et alors ? Qu’est-ce qui pouvait lui arriver de mal ? Être capturé par les soldats puis subir une longue séance de torture lui faisant avouer leurs identités et adresses ? Youssef rit nerveusement et se dit qu’il était décidément trop pessimiste.

Par contre, devoir être celui qui demande à tous les clients de quitter le bain turc pour quelques heures, ça lui courait sur le haricot. « Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse, avait tempêté Rayan. Je suis occupé avec les armes et nos vêtements, et Ali est en train se surveiller l’otage. »

Grommelant, Youssef se demanda comment il allait convaincre plusieurs hommes transpirants et nus de partir promptement sans remboursement.

Il pensa simuler un incendie, mais il craigna l’arrivée de pompiers, ou alors que les clients se réjouissent du surplus de chaleur. Également, il se posa beaucoup de questions statistiques sur le nombre d’incendies dans les bains turcs.

Il imagina payer les clients, mais il n’avait rien dans les poches, et comptait bien garder l’argent de la rançon pour lui tout seul… peut-être les payer avec leurs armes de paintball ?

Finalement, il trouva l’idée du siècle. 

Youssef entra dans le bain turc et se mit au milieu de tous les clients comme un orateur romain au milieu du Sénat. Il déglutit, puis prononça d’une voix haute : « Mes chers clients, nous vous remerziont pour votre fidélité. Et pour l’anniverzaire de la dixième année de l’ouverture de zet établizzement, nous vous annonzons que les travaux pour la conztruction des bains mixtes commenzent aujourd’hui ! »

Tous les clients se regardèrent sans rien dire, interdits. Youssef resta immobile, un sourire sur les lèvres.

Puis un homme à la peau d’ébène couverte de cicatrices se leva et se rapprocha de Youssef. Il s’arrêta à un mètre en face de lui. Il faisait une tête de plus que lui, et parla d’une voix calme et posée : « Tu nous prends pour des cons ? » 

Ali ne put répondre que par un déglutissement, alors l’homme continua : « Tu penses qu’on est assez stupide pour partager cette établissement avec d’autres personnes ? Et des femmes en plus ? Tu as idée des situations inconfortables et gênantes ?

— Je zuis… dézolé… vraiment…

— Tu dois apprendre à être plus respectueux, petit. Comment comptes-tu t’excuser ?

— Je peux vous payer ! piailla Youssef. Je vous donnerai… un quart…

— Pardon ? 

— La moitié ! La moitié de ma paye d’aujourd’hui ! »

L’homme le jaugea du regard, puis se rapprocha encore plus de lui. Alors que Youssef pensa que c’est bon, qu'il allait mourir et qu’il laisserait sa famille dans la honte d’avoir leur progéniture tuée dans un bain turc. 

Puis l’homme le prit dans ses bras, dans une étreinte quasi-fraternelle qui laissa Youssef pantois. L’homme souriait de toutes ses dents. Il s’exclama d’une voix guillerette et admirative : « Ça alors, moi qui voulais juste que tu nous payes notre tournée au bar, tu es drôlement généreux ! Pas de soucis, on allait te laisser la place, ton oncle nous avait déjà prévenu ! Mais il nous avait pas dit que tu étais aussi sympa ! Par contre, reste pas trop longtemps, moi aussi j’ai réservé ma place ici. On te souhaite bonne chance pour ta prise d’otage, petit gars ! »

 

 

Inutile de détailler que Youssef se sentit un peu fatigué après cette rencontre. Une fois que tous les clients furent partis après lui avoir donné chacun des conseils (« Il suffit d’un regard méchant, de quelques snipers et du sang-froid ; sinon, un accent européen très forcé »), Youssef chercha à rejoindre Rayan.

Il traversa de nombreuses pièces dorénavant vides et silencieuses, embrumées par la vapeur des bains et étouffantes sous la chaleur. Youssef transpirait à grosse gouttes, ses habits noirs collant sur sa peau. Rayan avait insisté pour qu’ils utilisent ces vêtements pour l’échange : un uniforme militaire noir faisait très professionnel.

La prochaine fois, on fera tout ça au Groenland, se dit Youssef alors qu’il allait entrer dans le bureau où Rayan était sensé l’attendre. Je suis sûr que là-bas, les offres d’emplois seront florissantes.

Il entra dans le bureau, et remarqua qu’il n’y avait absolument personne. Youssef fronça les sourcils, puis cria plusieurs fois le nom de Rayan. Sans réponse. Agacé, Youssef sortit son portable et appela son idiot de chef.

Il entendit le portable sonner juste à côté de lui, en dessous d’une étagère.

À ce moment précis, Youssef commença à se poser des questions. C’était vraiment anormal que Rayan parte quelque part sans son portable, surtout alors qu’ils se préparaient à accueillir les militaires. Puis Youssef comprit : Il a du s’énerver que Kaïs ne réponde pas, alors il a jeté son portable en rage.

Youssef soupira, pensant que Rayan était décidément un bien bel idiot.

Après avoir réfléchi quelques instants, Youssef appela Ali, pensant qu’il saurait où se trouve Rayan. Il fut surpris de tomber directement sur le répondeur : tellement surpris qu’il appela à nouveau plusieurs fois, pour tomber toujours sur le même résultat. 

Là, c’est bizarre, se dit Youssef. Je vois mal Ali casser son portable également. Mais alors… Youssef hoqueta de surprise, puis eut un sourire sardonique de triomphe. Tout tombait sous le sens. 

Ils vont essayer de me faire un canular… ou alors peut-être veulent-ils me faire un anniversaire surprise !

Youssef soupira, pensant que Rayan et Ali étaient deux beaux idiots, puisque non seulement il les avaient percé à jour, mais aussi car son anniversaire était il y a trois mois, et qu’ils l’ont déjà fêté ensemble.

Sans perdre de temps, Youssef rejoignit la salle des machines en courant. C’était là-bas qu’Ali devait garder l’otage : Youssef espérait les surprendre, ou au moins trouver des indices pour deviner sa surprise.

Il traversa à nouveau un enchaînement de salles vides et silencieuses, parasités par la vapeur et un air étouffant et humide. Les pas précipités de Youssef résonnèrent spongieusement, ricochèrent sur les parois, lui revoyant l’echo de sa solitude. Chaque porte qu’il ouvrait émettait une protestion grinçante qui violaient le silence pesant des lieux.

Sans se gêner outre mesure, Youssef parvint à atteindre la salle des machines. Après avoir fait quelques pas, il se figea complètement. Il n’y avait ni Ali ni Rayan.

Au contraire, le soldat Jenkins était tranquillement assis sur le transat. Sans bouger, il regarda calmement Youssef, comme un chat regarde une famille de souris obèses. Youssef ne reconnut pas son otage : tout, dans sa posture comme son regard d’acier, était différent. « Bah alors, ils zont où les zautres ? » finit par demander Youssef, assez surpris.

L’otage ne réagit pas. En se rapprochant de lui, Youssef se rendit compte qu’il n’avait plus ses menottes. « Oula, oula ! s’affola Youssef. Où elles zont, tes menottes ? Vite, vite, il faut que tu les retrouves ! » Pas que cela changeait grand-chose : il ne s’agissait que de simulacres qui pouvaient facilement s’enlever tous seuls. Cependant, ils appartenaient à la mère d’Ali, et elle avait spécifiquement exigé qu’ils les rapportent avant ce soir.

Youssef balaya la pièce du regard, et se rassura lorsqu’il aperçut les menottes par terre dans un coin. Il les ramassa, puis se tourna vers l’otage. 

Celui-ci s’était relevé sans un bruit et s’était rapproché si vite de Youssef qu’il était dorénavant juste en face de lui. Sans se questionner outre mesure, Youssef lui tendit les menottes, ordonnant : « Allez, il faut que tu les mettes. Ali a vraiment galéré pour les avoir. Et essaie de ne pas les abîmer, zinon za maman zera furieuze.

— Vous paierez, » répondit le soldat Jenkins.

En premier lieu, Youssef ne reconnut pas la voix de l’otage. Il eut un temps d’arrêt, puis comprit de quoi parlait le soldat : il mentionnait sûrement le paiement qu’il avait promis aux clients du bain turc. Youssef fronça les sourcils : comment cet otage était-il au courant ? Il n'en avait parlé à personne.

Peut-être l’avait-il espionné, mais cela signifiait qu’il était étrangement libre de ses mouvements…

Mais… commença à comprendre Youssef avec effroi. Mais… il…

« Toi auzzi tu partizipes à la zurprize ! » hurla Youssef, ne pouvant plus se contenir. Le soldat resta impassible, même si quelque chose dans son regard suggéra un certain agacement. Youssef ne le remarqua pas, et poursuivit sa géniale intuition : « Bien zûr ! Tu es zertainement dans le coup avec Rayan et Ali ! 

— Vous paierez. Je le protegerais de toutes les menaces qui…

— Par contre, za commenze à bien faire, l’interrompit Youssef. Je ne dis pas qu’un cadeau ne me fait pas plaisir…

— Je le protégerais de toutes les…

— Mais enfin, on doit préparer une prize d’otage là ! Un peu de zérieux, merde. 

— Vous paierez…

— Zurtout toi ! En tant qu’otage, j’attends un peu pluz de conzentrazion de ta part quand même…

— Ferme-la. »

Avant que Youssef ne puisse rajouter quoi que ce soit, le soldat eut un léger sourire. Une lueur changea dans ses yeux. Ses mains jaillirent comme des serpents et attrapèrent la gorge de Youssef.

Alors que Youssef sentit sa respiration coupée et sa gorge de plus en plus étranglée, au point de croire que sa nuque allait se briser sous la tension diabolique du soldat, il se dit que peut-être, peut-être, l’otage n’était pas en train de préparer une surprise pour son anniversaire.

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Hylm
Posté le 26/10/2020
Ah, ça sent le roussi pour les terroristes. J'ai beaucoup aimé le malentendu du transat! On comprend que le soldat Jenkis a eu un changement de personnalité en tombant dans les pommes et j'ai très envie de savoir comment cette prise d'otage va tourner quand les soldats vont arriver pour le sauver. Le coup des menottes qui appartiennent à la mère d'Ali est aussi assez subtil pour faire bien rire, merci!
(J'ai juste vu "la dernière *chose* que" et "en train se")
Le Saltimbanque
Posté le 27/10/2020
Merci beaucoup pour continuer de suivre la série ! Ah, ça c'est sûr, les terroristes ne vont pas passer un moment agréable...
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