Jour 4.

Notes de l’auteur : Hello lecteur, je remarque une chose, j'ai découpé en chapitre assez long, d'une quinzaine de page pensant à un format papier, si c'est dérangeant ces gros chapitres ici n'hésitez pas à me le dire.

Après un rapide petit déjeuner, Franz étudia ses possibilités. Il avait une piste sérieuse mais aucune idée d’où trouver le Turc durant la journée, il pensait le « cueillir » en fin d’après midi, avant qu’il n’ouvre boutique. Pendant qu’il avalait son café de qualité médiocre accompagné d’un pain au chocolat rassit, mais c’était toujours mieux que ces barres de céréales au composant impossible à nommer que tout le monde bouffait par ici. Franz ne croyait pas la rumeur selon laquelle ces barres de céréales comme les steak bon marché ou encore les nuggets et les saucisses étaient en fait de la chair d’insecte compacté parfumé selon le nom donné. Mais clairement l’industrie agroalimentaire mentait sur ce qu’elle fourrait à l’intérieur de ses produits. C’était pour cela qu’il faisait encore le marché, enfin, plutôt qu’il faisait payer ses clients en leur demandant de lui ramener des produits du marché.

Ceux-ci étaient composé pour l’essentiel de produits périmés venant des supermarchés. Des lois étaient passées pour stopper le gaspillage alimentaire avec les problèmes de grippes touchant de plus en plus d’animaux qui avait finit par rendre les antibiotiques complètement inefficaces car on en donnait trop aux animaux d’élevages pour contrer les grippes qui quant à elles ne cessaient de muter. La solution fut trouvée dans les OGM. Mais afin de palier aux coûts monstrueux, des lois anti gaspillages furent passées.

Dorénavant les restaurants comme supermarchés ne peuvent jeter d’aliments encore moins verser de la javel dessus, la solution fut assez vite trouvée, la revente des aliments ayant dépassé la date limite ou ayant été refusé par les clients pour les restaurants. Les restes finissaient empaqueter et vendu à prix raisonnés. Quand aux produits périmés, ils finissaient sur les étales des marchés des cités appauvries. Les camions qui venaient décharger ces produits ressemblaient à des bennes, et pour les riches, c’était tout comme. Les ghettos étaient après tout à leurs yeux de gigantesques déchèteries à ciel ouvert.

Franz songeait donc à sa journée, à ce qu’il ferait, qui il irait voir et ses plans s’effondrèrent quand il sorti, et vit le trou noir dans l’immeuble d’en face. Soudainement, il se rappela l’explosion de la nuit, des flammes, de la fumée, et l’image de la chaîne humaine céda la place au Turc. Son suspect numéro un était supposé dealer pile à cet endroit. S’il y avait une chose en laquelle ne croyait pas Franz c’était les coïncidences.

En s’approchant des lieux du sinistre, l’ancien policier en tira les conclusions qui s’imposait. Si quelqu’un s’était trouvé à l’intérieur, il n’en restait que des débris, des morceaux de taille réduite. Et puisque la police ne mettait plus les pieds par ici, personne d’autre que lui n’enquêterait sur l’explosion. Il n’aurait de laboratoire pour analyser les morceaux de la bombe s’il parvenait à en trouver pas plus qu’il n’y aurait d’autopsie des morceaux de corps s’il parvenait à en retrouver. Car la question s’imposait : aurait-il le temps et l’énergie nécessaire pour sonder ces ténèbres béantes ?

Franz se frotta son crâne de plus en plus dégarni et blanchi par les années. Il n’y avait même pas de ruban jaune définissant les lieux du crime, car s’en était un. La question était : un autre gang était-il responsable de l’explosion ou quelqu’un avait-il vengé l’honneur d’Asma ? Les guerres de gang étaient rares pour ne pas dire de l’histoire ancienne. La cité tenait bon, vent et marrés, les anciens imposaient leurs lois et leurs règles que les jeunes suivaient. S’il y avait quelques jeunes disparus chaque année, quelques crimes, meurtres sordides, cela ne venait jamais des gangs qui se tenaient à carreau. Ils avaient trop à perdre.

Depuis que l’alcool et le tabac était interdit, les trafiques étaient devenus si courant que s’en était presque un boulot normal. Faire parti d’un gang était devenu la norme. Et la violence dans laquelle aurait sombré tout endroit gouverné par ce genre d’habitude n’avait pas eut lieu. Bien sûr, au tout début, il y avait eu des échauffourées, assez graves. Mais assez vite d’anciens militaires, policiers, venant ici vivre leurs derniers jours s’étaient unis et avaient formés une milice si répressive que les gangs avaient filés doux. Et s’il leur venait dans l’idée de refaire des carnages, les mères de famille aurait tôt fait de les emmerder assez pour qu’ils cessent immédiatement. Le tribunal des anciens avait une certaine autorité ici que personne n’oserait contredire.

Franz doutait sérieusement qu’aucun de ces gamins n’ait lancé une guerre. La jeunesse avait besoin de s’exprimer, parfois dans la violence, mais ici les anciens tenaient fermement les rênes. Pas question de donner raison aux riches et au gouvernement qui n’attendait que ça, qu’ils sombrent dans le chaos pour raser les cités vétustes et les chasser tout à fait de la région parisienne, les renvoyer au nord, dans les camps de réfugiés où s’entassaient pêle-mêle pauvres, migrants et marginaux. Les nouvelles qui parvenaient de là-bas étaient alarmantes, il n’y avait pas un jour sans que quelqu’un soit tué, massacré, qu’une explosion terroriste n’ait lieu. Personne ne voulait aller dans cet enfer.

Non, la guerre des gangs n’avait pas eu lieu. Mais cette explosion poserait problème, et les anciens exigeraient des réponses. Ils maniaient assez facilement la menace de l’exil. Ici, la cité vous fournissait des soins, médiocre mais néanmoins présent, une éducation, pas complète loin de là mais suffisante, de la nourriture et un toit ainsi qu’une relative sécurité. Dehors, vous étiez une proie pour les prédateurs, et risquiez de finir dans les camps du nord. Cette simple menace délierait les langues, il en était certain. Peut-être obtiendrait-il les réponses désirés, mais si sa théorie était juste, comment pourraient-ils la lui fournir ? Jamais les anciens ne songerait à interroger Asma.

Franz avait une petite idée en tête, assez étrange mais qui se refusait à s’évanouir. Asma n’aurait pu faire exploser le Turc toute seule. Si elle avait prit sa vengeance, elle y avait été aidé. Peut-être qu’Ina et Camilla préparait cela en douce, cachées elles-aussi, mais il doutait qu’aucune d’elles n’ait pu mettre la main sur des explosifs et savoir les manier. Le vieux Gérard, qu’avait-il été par le passé ? N’était-ce pas un ancien militaire ? Franz le soupçonnait mais devait obtenir confirmation sur ses doutes.

 

Personne dans la cité n’était plus au courant de tout que le vieux Alfie. Son véritable prénom était Albert. Il était un chanteur célèbre autrefois, célébré pour son talent autant que son homosexualité, il était l’exemple même du gay parfait jusqu’à ce qu’on découvre qu’il trompait son mari et était le dernier des junkies. Un scandale qui l’éclaboussa et le mit au ban de la société. Ce qui choquait le plus Franz était qu’on lui ait pardonné si facilement l’argent qui échappait au fisc, mais qu’on l’ait cloué au pilori pour un abus de narcotique. La société soit disant tolérante pouvait se montrer aussi destructrice que celle l’avait précédé.

Il ne disait pas que c’était mieux avant, foutre que non. Il se rappelle encore de comment était traité les femmes dans certain quartier, quand il était flic, des arrestations pour délit de faciès, juste parce que vous n’étiez pas blanc, ou que vous n’aviez pas sourit à l’inspecteur quand il vous avait croisé. Plein de choses n’allaient pas à cette époque. Mais était-ce mieux maintenant ? Où l’on humiliait en place public les hommes blancs, les femmes blondes aux yeux bleus n’étaient pas mieux traitées d’ailleurs, l’hétérosexualité était vu comme la tare du siècle qui avait causé ces problèmes de surpopulation.

Bien sûr cette manière de voir les choses n’atteignait pas la cité. La discrimination positive était un problème de riche, de personnes ayant le temps de se soucier du fonctionnement de leur société.

Ici, c’était presque l’inverse. Un retour en arrière au niveau des mœurs avait été assez fatal. D’une part parce que les anciens dirigeait tout, ensuite parce que des lois différentes avaient été promulgué pour la cité. L’interdiction de l’avortement ne concernait que les pauvres par exemple, l’on jugeait que c’était contre productif, et une violence de plus dans un milieu ultra violent. Quand les pauvres avaient été parqués dans les cités, on avait laissé l’Eglise s’en occuper. Enfin, les églises. Toutes les religions s’y étaient mis, s’étaient battus férocement.

C’était une tout autre histoire chez les classes aisées, où l’enfantement n’était plus une obligation dans une société qui pensait avant tout à un mode de vie sain, sans autre contrainte que le bonheur, mais également éviter le gaspillage. On en était venu à penser que les enfants eux-mêmes produisaient des effets de gaz, et une certaine tendance au gaspillage, aussi sans qu’une politique l’impose, la société riche et en pleine santé tendant vers la vie éternelle s’était mise à arrêter de faire des enfants.

Certains disaient que notre négligence avait permit de telles extrémités, une société à deux vitesse, d’autres plus sombres pensaient que les lois spécifiques concernant les pauvres et l’interdiction de l’avortement chez eux résultait d’une pure nécessité économique. Les pauvres étaient une masse travailleuse qu’on ne soignait plus, de facto, sa mortalité augmentait, sa capacité de travailler avec l’âge diminuait, il était alors nécessaire de pousser ces populations à faire plus d’enfants. Enfin, cette nécessité avait encore un impact quand cette masse ouvrière était embauchée, à présent que les robots s’occupaient de quasiment tout, cette masse pauvre gênait plus qu’autre chose.

Le tableau était sombre, et Franz avait le sentiment d’avoir assisté aux signes sans les reconnaître. Alfie pensait la même chose. Il avait été quelqu’un de riche, de séduisant et connu, au sommet de sa gloire, durant sa carrière de chanteur. Ce qui avait flanqué sa vie parfaite en l’air ? Une addiction à la drogue, qui dans les années 70 aurait été perçu comme le summum pour un artiste, la consécration, l’icônisation. Mais dans une société prônant la santé, et où Alfie était un chanteur en vue pour la jeunesse, ce fut un scandale insupportable qui lui valut l’exil. Mais loin d’être amer, Alfie était du genre à voir le verre à moitié plein.

Il était devenu une petite star ici. Ses chansons se vendaient bien, ses concerts amenaient du monde, on le saluait, on l’appréciait, on avait oublié ses frasques d’antan avec d’autant plus de ferveur qu’il était lui aussi tombé dans la fiente. Alfie avait un caractère généreux et un charme indéniable. Mais ce qui le rendait apprécié de tous n’était pas tant son brin de voix mais plutôt sa faculté à raconter les meilleurs ragots, et à le faire comme si c’était un show. On venait le voir avec plaisir, et l’on gouttait à ces histoires qu’il racontait, toutes plus ou moins vraies.

L’intérieur de l’appartement d’Alfie était décoré avec… passion. Franz aurait aimé pouvoir dire avec goût, répondre au cliché disant que les personnes homosexuelles avaient un don inné pour la décoration mais ce n’était pas vraiment le cas d’Alfie qui affectionnait un peu trop les couleurs pétantes et de manière générale les années 90.

Franz fut néanmoins accueilli avec un tel élan de sympathie qu’il oublia le décorum. Alfie était quelqu’un d’éminemment sympathique, il était impossible de le détester même si l’on pouvait avoir du mal à supporter sa conversation tournant soit autour de la musique soit autour des potins. Beaucoup l’évitaient pensant ainsi éviter le risque d’être au cœur de ses potins mais ils se trompaient, Alfie parlait bien plus aisément de ceux qu’il ne connaissait pas bien que de ses plus proches amis. Or, Franz savait de source sûre qu’Alfie ne fréquentait aucunement Gérard.

— Qu’est-ce qui t’amène par ici ? demanda Alfie qui était loin d’être stupide, à chaque fois que Franz venait le voir, il lui demandait de parler de quelqu’un en particuliers, et parfois, cette personne avait des ennuis par la suite.

— J’aurais voulu que tu me parles du vieux Gérard.

Les doigts d’Alfie pianotèrent sur la théière qu’il avait apportée afin de leur servir le thé. En plus d’être un bon chanteur, et un informateur généreux, il était un hôte absolument divin. Franz savait goutter la douceur de cette bulle.

— Gérard, hein ? Pas grand chose j’en ai peur. Il sort peu, fréquente peu de gens ici.

— Il bénéficie du programme des repas à domicile.

— En effet. Aurais-tu quelque chose à m’apprendre à ce sujet ? demanda Alfie avec de grands yeux pleins de curiosité.

— Peut-être, si tu me parles de son passé, de son histoire.

— Tu sais comment m’appâter, grand fou ! plaisanta Alfie qui en réalité n’avait aucune difficulté à parler de qui que ce soit. Ce que je sais de source sûre c’est que c’est un ancien militaire. Mon voisin lui a installé le câble, il a pu fouiner un peu, et y’a un tas d’affaires militaires, des fringues, des rations, des couteaux, même des anciens systèmes de télécommunication. Il n’a pas sondé intégralement l’appart, s’il l’avait fait je suis certain qu’il aurait trouvé des grenades. Gérard a déjà menacé plusieurs fois les jeunes qui font du scooter en bas de leur faire sauter leur engin avec eux dessus.

— Tu es certain ? La menace pouvait être bidon. Je doute que l’armée te permette de garder des armes surtout des engins explosifs.

— Voyons Franz, tu es bien placé pour savoir qu’on peut se procurer ce genre de choses ! Je ne discute pas avec les contrebandiers mais je n’en serais pas étonné du tout qu’il ait des charges explosives cachées chez lui. Mon voisin m’a dit qu’il avait des coffres bien fermés, je doute qu’il planque des lingots d’or.

— D’accord, il a fait l’armée, et il aime proférer des menaces de morts. Tu sais s’il est en contact avec les trafiquants ?

— Pas que je sache, mais n’importe qui peut passer commande en toute discrétion, et tu sais bien que ce n’est pas mon domaine d’expertise.

Alfie n’était pas dans le milieu, loin s’en faut. Il connaissait deux ou trois combines du fait d’une vieille addiction à la cocaïne, ainsi qu’à l’alcool sucré, mais il était simple client et évitait de poser trop de question ce qui aurait pu lui coûter cher, très cher.

— Dis-moi, tu as déjà passé commande chez le Turc ?

— Quoi ? Moi ?

— Ne fais pas l’innocent, de toute façon je m’en fiche complètement. Je n’ai jamais fait parti des stups, et j’ai pas l’intention de m’y mettre maintenant.

— Bon, j’aime pas faire ça et tu le sais, mais oui j’ai passé commande une fois ou deux chez le Turc. Ça me flingue d’ailleurs, ce qu’il s’est passé. Certes, le Turc n’était pas le type le plus aimable du monde, et il m’inspirait pas du tout, mais quand même, c’est moche de partir comme ça.

— Dis moi comment il était, niveau caractère, pourquoi tu le sentais pas ?

Le visage d’Alfie se pencha en avant, il était heureux de s’épancher. Plus il avait un mauvais feeling avec quelqu’un, plus il appréciait de partager ses sentiments. Chose que Franz pouvait comprendre et appréciait dans son métier, cela lui était toujours utile.

— Le Turc était plus qu’un petit dealer, déjà il avait le style. Un vrai dandy, gentleman, mais hétéro de chez hétéro. Il n’arrêtait pas de draguer des minettes, beaucoup plus jeunes que lui, et une fois qu’il les avait mises dans son lit, il les traitait comme de la merde. Ce n’est certes pas le premier ni le dernier à le faire ici, mais ce type, il me regardait comme si je lui avais craché au visage. J’ai bien cru qu’il allait refuser de faire affaire avec moi, la première fois. Il savait ce que j’étais, j’en aurais juré. Ce type m’a toujours mis mal à l’aise.

— Tu as entendu des histoires sur son compte ?

— Pas mal ouais. Ses conquêtes féminines, toutes n’étaient pas majeures, ni consentantes. Plusieurs familles se sont plaintes de lui, mais les anciens exigeaient des preuves qu’ils n’avaient pas. De toute façon, je doute que les familles n’auraient osé aller plus loin, je veux dire, s’il y avait encore eut la police par ici. Ils ont finit par venir te voir, c’est ça ?

Franz préférait ne rien dire sur ses affaires. Pas tant qu’elles n’étaient résolues. Asma était cachée et le Turc qui semblait être son agresseur était mort, à priori. Mais il se pouvait qu’un de ses agresseurs ait survécu. Et de toute façon, il préférait préserver l’intégrité morale comme physique de la fille de sa cliente.

— Tu le sauras bien assez vite, répondit Franz.

— Minute papillon, et ton info sur Gérard ?

— L’un des bénévoles l’aurait déridé. Apparemment, il est un gars plutôt sympa aux yeux des bénévoles des repas à domicile.

— Quoi ? Lui aussi les aime mineur ?

— Je ne pense pas, il est juste gaga.

— Oh Franz, ne soit pas naïf. Tu sais bien que ce n’est pas parce qu’on est vieux qu’on n’a plus de libido. Un type qui menace des gens de les exploser avec une grenade a encore une libido, je peux te l’assurer. Ton vieux Gérard ne se serait pas déridé sur une des bénévoles ? Je pense qu’il est à 100% hétéro lui aussi, je pense même qu’il aime pas les folles comme moi.  Oh je sais ce que les gens disent de moi, spécialement les gens comme ton Gérard.

Franz n’avait rien à ajouter là dessus. Hélas, il était fort probable que Alfie ait raison. Gérard ne lui avait pas spécialement fait une bonne impression, et il pensait tout comme Alfie qu’il y avait de grandes chances pour que les menaces qu’il ait proférées soit réelles, parce qu’il y avait également de grandes chances pour qu’il ait tué le Turc. Il avait le mobile, l’occasion, et le savoir faire pour commettre le crime. Mais il lui faudrait plus que des spéculations et des qu’en-dira-t-on.

 

Si ses enquêtes le menaient de temps en temps aux portes des trafiquants, Franz n’aimait pas pour autant mettre son nez dans leurs affaires et encore moins se pointer à leur porte. Mais il n’avait pas le choix. C’était eux qui auraient les infos qu’il lui fallait, et peut-être même des preuves de la culpabilité de Gérard. Seulement, il serait difficile de les obtenir et plus encore de protéger Gérard d’eux s’il était vraiment coupable de la mort du Turc qu’à coup sûr les trafiquants voudront venger.

C’était pour ce genre de difficulté qu’il n’aimait pas se mêler des affaires de trafiques, d’autant plus qu’en tant qu’ancien flic, il pourrait fort bien avoir des ennuis. Certes, c’était un ancien inspecteur de la criminelle, et tout ce qui l’intéressait était de retrouver des gamins paumés, mais pour les criminels un flic restait un flic quelque soit son cœur de métier, sa spécialité.

Cependant, il n’avait plus le choix. Il n’avait pas d’indicateurs parmi les petites mains des trafiquants, il ne connaissait pas suffisamment le milieu pour cela, et ne souhaitait pas y mettre les paluches d’ailleurs. Il n’avait donc d’autre choix que de se poster devant leur porte d’entrée et demander de parler à leur chef, en espérant que celui-ci ait envie de savoir qui avait fait exploser le Turc. Mais s’il se présentait devant tout le monde à leur porte, il pouvait ainsi espérer sortir comme il était entré, entier et vivant.

Entre tous les gangs, Franz choisi le plus local, le plus à même de connaître l’info qu’il souhaitait, à savoir les irlandais qui importaient des armes, notamment à feu, ainsi que des explosifs.

Après le Brexit, l’Irlande du Nord avait repris le combat, et les trafiques en Angleterre s’étaient intensifiés. Les mesures prises par le gouvernement britannique, les premiers à avoir imposé des lois anti alcool, et à prôner un retour à l’ordre, avaient fini par avoir des échos en France ainsi qu’en Allemagne ou en Italie. Mais ils avaient également été les premiers à en essuyer l’échec mesuré, la criminalité avait grimpé en flèche. Peu importe une politique de sureté plus appuyée, les criminels semblaient s’épanouir avec les lois de plus en plus dures.

Les Lochlainn étaient un petit gang, peu nombreux, mais réputé pour leur pugnacité et leur violence. Personne n’aurait osé leur marcher dessus, personne n’essayait même de les attaquer. Ils étaient intouchables parce que plus violents et lourdement armés même s’ils n’usaient de leurs armes. Les irlandais préféraient les armes blanches, petites, vicieuses et les coups de poing.

Leur chef était cependant connu pour son sang froid et son intelligence. Franz misait beaucoup là dessus. Il tenait à repartir comme il était entré. Entier, sain et sauf.

La porte lui fut ouverte, et l’homme qui le scruta était bardé de tatouages plus agressifs les uns que les autres, le regard bleu ciel dur comme une lame de rasoir. De plus, il était bâti comme une armoire à glace. Franz lui demanda à parler à son chef, d’un air paisible du type qui n’avait rien à craindre. Avec les gangsters avait-il appris assez vite, tout reposait sur les apparences, sur la réputation. L’homme le fit patienter quelques minutes puis lui ouvrit les portes et l’amena dans un bureau.

Les lieux étaient un vaste hangar, et on s’était débrouillé pour lui faire emprunter un chemin qui ne lui permettait pas de voir quoi que ce soit. Un couloir en forme de boyau sans fenêtre et sans autre lumière que celle des néons gris l’amena à ce bureau, lui aussi sans fenêtre, avec seulement deux portes et un mobilier restreint, vieux et décati. Franz senti un filet de sueur froide glisser dans son dos. C’était le genre de salle où l’on passait à tabac quelqu’un, pas le bureau d’un chef de gang.

Pourtant, le dit chef paru, entouré de deux de ses gars, relativement jeunes et bien bâti, costaux et paraissant entraînés. Franz les considéra d’un œil prudent. Le chef du gang était relativement jeune lui aussi, avec suffisamment de cicatrices et de tatouages pour prouver qu’il avait eut une longue vie en tant que criminel endurcit. Franz se demanda s’il n’avait pas été membre de l’IRA avant d’échouer ici. Car ils avaient forcément échoué ici, personne ne viendrait ici de son plein gré. Même si le marché français devait être intéressant pour eux.

Le ghetto n’était pas vraiment un lieu d’avenir, tout le monde savait qu’il n’était qu’une question de temps avant qu’il ne soit rasé et que de gentilles et luxueuses résidences ne soient construites à cet endroit.  Et tous ceux y vivaient finiraient dans les camps de travail ou de réfugiés, l’un comme l’autre n’était guère enviable.

Franz savait qu’il y échapperait, on l’enverrait dans les maisons pour les anciens, des mouroirs où la médecine décadente testait ses nouveaux médicaments pour les riches. Les maisons pour les anciens étaient gratuites pour les retraités comme lui de la fonction publique, mais Franz savait qu’on payait toujours quelque chose, surtout quand c’était gratuit. Il ne serait rien d’autre qu’un cobaye, il en avait terriblement conscience.

En attendant, il devait savoir si Gérard avait envoyé le Turc en enfer.

— Je vous remercie de me recevoir, commença-t-il.

— Avant de me remercier, dites moi pourquoi êtes vous ici. Un ancien policier tel que vous sait parfaitement ce qu’il risque en venant ici. Certains diraient que vous vous jettez dans la gueule du loup. Cependant, je vous ai observé. Vous ne vous êtes jusqu’à présent jamais mêlé de nos affaires ni de celles de nos camarades de jeu. Alors, pourquoi changer d’avis aujourd’hui ?

— Oh je n’ai nullement changé d’avis. Une affaire m’amène ici, mais en soit, je ne crois pas interférer avec vos affaires. J’ai été chargé de retrouver des adolescentes. Je ne crois aucunement qu’elles soient ici ou même qu’elles aient eut affaire à vous, rassurez-vous. Cependant, l’une d’elles a eut affaire au Turc, et ce dernier a connu un destin tragique.

— C’est le moins qu’on puisse dire. Vous pensez qu’une adolescente a pu avoir le Turc ? s’étonna le chef irlandais.

— Une adolescente non, mais quelqu’un tenant à elle, peut-être.

— Allez-vous me donner le nom de la personne ?

— Sans doute, mais avant cela je voudrais savoir si vous-mêmes auriez eu des raisons d’en vouloir au Turc ?

Le chef irlandais le darda de son regard céruléen, moins agressif que celui de son homme, mais bien plus pernicieux.

— Moi ? Aucunement. Nous n’étions même pas conçurent.

— Sans doute, mais il arrive des fois des déboires, des histoires, des complications.

— Il n’y en a eu aucune avec le Turc, je vous l’assure. Et s’il y en avait eu, croyez-moi, on ne s’en serait pas débarrasser ainsi. L’explosion aurait pu tuer des innocents.

Franz leva un sourcil. Le gangster irlandais se souciait-il vraiment de tuer des innocents ? Cela l’étonnait. C’était sans doute une image qu’il se donnait, peut-être même juste pour lui. Il était flic, ancien flic, mais cela ne comptait pas, la retraite, aux yeux des gangsters tel que lui. Peut-être lui mentait-il éhontément, mais il avait eu l’air curieux de connaître le nom du suspect qu’avait Franz, et même frustré d’avoir son nom.

— Avez-vous eu des commandes d’explosif, ces derniers mois ?

— Vous savez très bien que je ne peux pas vous révéler ce genre d’informations.

— Et vous savez que je suis à la retraite, tout ce que je fais c’est aider des parents inquiets à retrouver leurs enfants. Que ferais-je de pareille informations ? Rien. Peut-être l’utiliserait-je pour preuve pour confondre le coupable, si je le retrouve et si j’arrive à l’amener aux anciens. Mais vous savez fort bien que les anciens acceptent vos trafiques à condition qu’il n’y ait de dommages collatéraux. Si je prouve que vous n’êtes en rien responsable de l’explosion, cela arrangerait vos affaires avec les anciens.

C’était là son seul argument mais il pesait son poids. Et il savait qu’il venait de viser juste en voyant le regard du criminel se radoucir.

— Très bien, dans ce cas on va procéder ainsi, vous me donnez le nom de votre suspect et je vous dit s’il a passé commande chez nous. Et si vous incriminez notre bande d’une quelconque manière qu’il soit, on vous fera passer l’envie de recommencer.

La menace était limpide, Franz savait qu’il y aurait droit, qu’il ne pourrait y échapper, il déglutit malgré tout péniblement. Il fallait un paquet de nerfs et un sang froid à toute épreuve pour tenir la tête à cet irlandais sans avoir quelques sueurs froides. Franz reconnaissait qu’il était plus facile de discuter avec les gangs qu’avec des tueurs psychopathes, qu’au fond, ils étaient plus facile à comprendre et à gérer, mais une fois dans leur antre, il était difficile de rationnaliser encore ainsi.

— Un certain Gérard Carpentier ?

— Un vieux, c’est ça ? Ouais, il est fana d’armes. Il nous a passé plusieurs fois commande, mais ça remonte à longtemps maintenant.

— Qu’a-t-il commandé ?

— Oh toute sorte de chose, des armes de poing, des grenades, un peu de C4. Il adore les couteaux, je crois qu’il les collectionne.

— A quand remonte la dernière commande ?

— Oh, plusieurs mois.

Tout ce dont il avait besoin était d’une preuve à apporter aux anciens, heureusement les irlandais tenaient des comptes. Ces preuves leur servaient de sécurité. Mais ils consentirent à la lui donner à l’unique condition qu’il les innocente complètement. Chose que Franz était tout prêt à leur assurer, il tenait à sa sécurité.

 

A présent qu’il avait les preuves désirées, que sa théorie prenait forme à propos de Gérard et du Turc, il devait admettre qu’il lui restait une part d’ombre dans cette histoire. Ina et Camilla. Il commençait à entrevoir le rôle qu’elles auraient pu jouer cette nuit là, et l’importance de ce qu’il s’était passé, mais il ne comprenait pas ce qu’il était advenu d’elles. Si une seule d’entre elles avait disparu encore, mais les deux ?

Malheureusement, les réponses à ses questions allaient survenir plus vite qu’il ne l’espérait, et pas de la manière dont il le souhaitait.

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Sorryf
Posté le 23/09/2019
me revoilà ! L'enquête prend un autre tournant dans ce chapitre avec le trafic d'armes. Moi qui suis nulle en policiers, tu me mènes par le bout du nez avec cette histoire !
Quelques remarques :
- A mon avis, "Turc" prend une majuscule vu que c'est comme ça qu'il a l'air de se faire appeler.
- J'ai bugué sur le "candiraton". ça se dit ? ça s'écrit "qu'en dira-t-on" non ? Ou alors ça a évolué ?
- Je n'ai pas compris cette histoire d'avortement autorisé pour les riches et interdit pour les pauvres. Le gouvernement permet ce genre de double standard ? Comment ils justifient ce truc absolument illogique ? Ou alors c'est une règle officieuse imposée par les anciens des cités ?
- Pour la première fois, il y a quelque chose qui m'a paru un petit peu moins cohérent dans ton futur. Il s'agit des riches dans le paragraphe "les riches s'autorisaient toutes les outrances", j'imaginais que les classes les plus aisées allaient au contraire s'orienter vers la bien-pensance genre citoyen du monde, zéro déchets etc (je dis pas que ces trucs sont mauvais hein xD mais à mon avis les classes supérieures vont vers ça). Par exemple, ce que tu dis sur les lois anti-gaspi et les produits périmés refourgués aux cités, je trouve ça hyper cohérent et j'imagine totalement les plus riches penser comme ça : "woaaa c'est merveilleux on est des écolos, on gaspille pas, on recycle nos déchets en les refilant aux pauvres, et en plus on fait une bonne action parce qu'on les nourrit, c'est trop beau, on est tellement des gens biens, ils ont de la chance qu'on soit la, les malheureux" tu vois le genre... mais ça se marie pas trop avec les massacres de divertissement ou les orgies romaines, d'autant que jusqu'ici tu nous orientais pas dans ce sens (dans le chap 1 je crois que tu dis que les riches sont des déconnectés inoffensifs).
Cela dit, je suis pas devin et dans le futur, toutes les contradictions sont possibles. Mais je sais pas, ça 'a un peu cassé l'image de ton monde que j'avais (elle était ptêtre fausse depuis le début aussi). Peut etre aussi que 2025 c'est un peu trop proche pour ce genre de mentalités, que si tu décalais a 2040 par exemple ça passerait mieux. Pareil pour le blame de l'hétérosexualité, 2025 ça me parait tôt.

Désolée pour le pavé ! C'est des réflexions comme ça mais ton univers est toujours aussi cool (façon de parler) ya plein de petits détails trop bien, cette histoire d'anti-gaspi, mais aussi l'Irlande du Nord post Brexit... ce que je te signale c'est du pinaillage, parce que je trouve rien de sérieux a critiquer :p

Ah et j'avais pensé que Gérard était peut-être un vieux lubrique qui ne protégeait pas Asma sans arrières pensées... à voir.
Hate de savoir ou sont Ina et Camilla, si elles vont bien. Si c'est elles qui ont vengé Asma, c'est classe !

PS: oups ! je rallonge le pavé ! Après avoir écrit tout ça je suis allée vérifier dans ton chapitre 1 ce qui était dit sur les riches qui m'avait induite en erreur, et je ne comprends pas trop ce moment : tu dis "ce n'est pas d'eux qu'il faut se méfier", mais de qui alors ? tu dis aussi que ce sont de vieux bourgeois nostalgiques de la politique de droite, mais ton monde m'a l'air ON NE PEUT PLUS à droite (plus d'aides, plus d'écoles pour les pauvres, ségrégation par quartiers, ultra-libéralisme...) ça m'a embrouillé aussi :x

j'espère que je t'ai pas fait peur avec cet énorme pavé (ma vengeance pour m'avoir fait avaler 14k mots en une seule fois xDD) c'est parce que ton histoire me plait, et elle m'inspire :p !!
Eden Memories
Posté le 24/09/2019
Ah mes tes remarque sont hyper intéressantes et tu soulèves des points non négligeables. J'ai donc corrigé tout cela.

Pour le chapitre un j'ai donc mieux explicité :
A l’ouest et au sud, les plus riches vivent dans leur tour d’ivoire, mais soyons honnête, ce ne sont pas d’eux dont il faut se méfier, ceux qui vivent là-bas sont issus de la vieille bourgeoisie, ils vivent avec leurs regrets et la nostalgie de l’époque où la droite subsistait. Franz avait toujours pensé que la jeunesse bien pensante ultra libérale soit-disant de gauche était infiniment pire, et c’était elle qui dirigeait la capitale, le cœur économique du pays, la cité de cristal comme on l’appelait à cause de ses tours de verre.

Quant à Alfie c'est un problème de drogue qui aura conduit à son exil, j'en ai profité pour ajouter des petits détails:

Personne dans la cité n’était plus au courant de tout que le vieux Alfie. Son véritable prénom était Albert. Il était un chanteur célèbre autrefois, célébré pour son talent autant que son homosexualité, il était l’exemple même du gay parfait jusqu’à ce qu’on découvre qu’il trompait son mari et était le dernier des junkies. Un scandale qui l’éclaboussa et le mit au ban de la société. Ce qui choquait le plus Franz était qu’on lui ait pardonné si facilement l’argent qui échappait au fisc, mais qu’on l’ait cloué au pilori pour un abus de narcotique. La société soit disant tolérante pouvait se montrer aussi destructrice que celle l’avait précédé.

Et pour l'avortement, et chez les riches j'ai modifié du coup ainsi:

C’était une tout autre histoire chez les classes aisées, où l’enfantement n’était plus une obligation dans une société qui pensait avant tout à un mode de vie sain, sans autre contrainte que le bonheur, mais également éviter le gaspillage. On en était venu à penser que les enfants eux-mêmes produisaient des effets de gaz, et une certaine tendance au gaspillage, aussi sans qu’une politique l’impose, la société riche et en pleine santé tendant vers la vie éternelle s’était mise à arrêter de faire des enfants.
Certains disaient que notre négligence avait permit de telles extrémités, une société à deux vitesse, d’autres plus sombres pensaient que les lois spécifiques concernant les pauvres et l’interdiction de l’avortement chez eux résultait d’une pure nécessité économique. Les pauvres étaient une masse travailleuse qu’on ne soignait plus, de facto, sa mortalité augmentait, sa capacité de travailler avec l’âge diminuait, il était alors nécessaire de pousser ces populations à faire plus d’enfants. Enfin, cette nécessité avait encore un impact quand cette masse ouvrière était embauchée, à présent que les robots s’occupaient de quasiment tout, cette masse pauvre gênait plus qu’autre chose.
Le tableau était sombre, et Franz avait le sentiment d’avoir assisté aux signes sans les reconnaître. Alfie pensait la même chose. Il avait été quelqu’un de riche, de séduisant et connu, au sommet de sa gloire, durant sa carrière de chanteur. Ce qui avait flanqué sa vie parfaite en l’air ? Une addiction à la drogue, qui dans les années 70 aurait été perçu comme le summum pour un artiste, la consécration, l’icônisation. Mais dans une société prônant la santé, et où Alfie était un chanteur en vue pour la jeunesse, ce fut un scandale insupportable qui lui valut l’exil. Mais loin d’être amer, Alfie était du genre à voir le verre à moitié plein.

Voilà, désolé ça fait pavé mais ça t'évite de rechercher les trucs modifiés ;)

Merci beaucoup, ton enthousiasme me fait plaisir !
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