IV – Les terres fertiles

Par Dan
Notes de l’auteur : The Crystals – Then He Kissed Me

Les terres fertiles

Au large de Japet, satellite de Saturne

 

Aessa lui raconta tout : le journaliste, Megge, son réveil, l’holo do terroriste qui partageait son cachot, son passage dans le poste de pilotage, l’explosance…

— Nous n’avons pas retrouvé de corps, l’interrompit Haccan. Apparentement, seuls des andros travaillaient dans cette carrière à ce moment-là.

Aessa ne s’autorisa qu’un soupir de soulageance : elle ne pouvait pas croire que les extrémistes se soient mollis innocentement. Elle commençait à les connaitre et s’il y avait un trait étranger à leur caractère, c’était bien la généreuseté.

Elle prit une petite gorgée de l’eau traitée qu’Haccan lui avait finalement servie en l’asseyant sur la bannette. C’était la première fois qu’elle montait à bord d’un biplace de la PI et, après l’exiguëté de sa cellule, elle aurait apprécié des quartiers plus vastes. Peutètre une halte dans ce puits magnifique, ce grand espace, cette pluie, juste de quoi respirer librement après ces dernières vingtquatre horribles heures…

Aessa ramena le regard sur Haccan. Assis à sa droite, presque confondu avec la paroi pour ne pas l’oppresser davantage, il attendait qu’elle poursuive ou conclue son récit. Elle en avait omis l’essentiel, jusquelà : le fameux message que les terroristes tenaient tant à transmettre à travers elle.

Aessa avait conscience qu’elle ne pouvait pas garder le secret sur une informance de cette envergure ; la PI et les gouvernances devaient apprendre l’objectif de leurs ennemis le plutot possible, surtout considérant que ledit objectif était d’anéantir la race humaine. Elle rechignait, pourtant, car elle ignorait quoi révéler au sujet du conseil ; au sujet de leurs propres desseins que les terroristes avaient pervertis en disant partager leurs opinions.

Aessa ne pouvait pas contacter ses amis initiés, pas déjà et surtout pas avec les caméras du système bientot braquées sur elle. Peutètre fallait-il inclure Haccan plus étroitement, alors ; user de la mission spéciale pour réclamer son avis. Aessa avait l’intuitance que dans cette affaire, le policier était désormais son seul allié ; sans compter qu’il avait déjà évoqué ses propres principes : il pourrait comprendre…

— Votre mari et vos enfants sont très souciés, dit Haccan pour meubler son long silence, pensant surement qu’elle en avait terminé. Vous voulez peutètre leur envoyer une onde ou…

— Pitié, coupa-t-elle, je n’ai aucune envie de parler d’eux.

Elle termina son gobelet et le posa sur la tablette en détournant le regard. Sa sècheté n’était pas destinée à Haccan, ni à sa famille, en vraieté. Une autre vraieté était qu’elle n’avait pensé ni à Pollin, ni à Ferral et Olliv durant sa captiveté. Et elle savait pourquoi. Elle supposait que tous les membres du conseil avaient fini par adopter le mème état d’esprit.

— Désolée, souffla-t-elle.

Elle adressa une ombre de sourire à Haccan, un sourire peiné et fatigué pour s’excuser et clore le sujet. Elle avait bien assez de choses à gérer endehors de sa vie privée, à commencer par une manœuvre délicate pour rallier un officier de la PI à son camp. Il s’agissait d’ètre parcimonieux et de controler les conséquences. De se surer qu’il garde le silence, en somme.

— Ne vous excusez pas, dit-il.

Le regard trancheux d’Haccan s’adoucit et il croisa les doigts entre ses genoux ouverts. Ce n’était pas granchose, mais il semblait à Aessa qu’elle l’avait toujours vu guindé par le protocole et qu’il s’autorisait toujuste à baisser la garde. Après avoir traversé son village natal en sa compagnie, il était sandoute inutile de s’attacher aux convenances.

Elle l’observa un moment, puis son sourire s’agrandit et se réchauffa. Elle pensait avoir trouvé sa stratégie.

— Vous portez trèbien la combinaison à carreaux, lança-t-elle en espérant léger l’atmosfère.

— Je porte encore mieux les vètements serrés et les ceintures de mailles.

Elle cilla, compréhensive, mais ne renchérit pas – pas de nouvelle excuse, pas de faux réconfort. Haccan n’avait pas semblé douter de son honnèteté concernant la fuite de son identité, mais son souci était légitime. Les terroristes semblaient le connaitre. Peutètre savaient-ils seulement qu’il était né sur Japet, mais peutètre avaient-ils eu vent des conditions de son entrée à la PI, enquété, décrypté et analysé son parcours comme Aessa l’avait fait en envisageant sa recrutance pour le compte du conseil.

Àmoins de vouloir ravager sa confiance, il était exclu d’user de ses secrets pour faire pressance sur lui, dorénavant. Ça tombait plutot bien : elle pensait obtenir de bien meilleurs résultats en changeant diamétralement de méthode.

— Les terroristes vous ont contacté, vous, dit-elle. Pas votre unité. Qu’avez-vous dit à vos supérieurs pour justifier votre venue sur Japet ?

Elle essayait de ne pas trop réfléchir au « pourquoi ». Le comment l’inquiétait toutautant : si les terroristes savaient qu’Haccan et Aessa étaient liés par contrat…

— Je n’ai rien dit à mes supérieurs, répondit Haccan. Je suis… un électron libre, depuis quelque temps. Je garde le silence radio et je filtre leurs appels.

Elle remarqua qu’il ne portait mème plus son bracelet.

— Et j’ai trouvé les Moutons. Sur Io, d’où ma déguisance, continua-t-il. Je les ai arrètés. Les terroristes, vous ont-ils dit que c’était contre eux qu’ils vous échangeaient ?

Aessa eut une mouvance de recul, stupéfaite. Ses agresseurs étaient restés très évasifs sur les circonstances de sa relaxe et Aessa n’y avait rien vu d’étonneux : ils avaient tout intérèt à la libérer prestement pour qu’elle rapporte leurs paroles et appuie leur menace. Elle n’aurait jamais envisagé qu’ils la négocient contre les Moutons, cependant. Peutètre était-ce seulement pour cela qu’ils avaient ciblé Haccan, dancecas ; parce qu’il les avait trouvés et capturés. Mais alors…

— Non, vous l’ignoriez, devina Haccan. Avez-vous une idée pourquoi ils désiraient leurs analyses de sang ? Pourquoi ils voulaient les rencontrer ? En quoi les Moutons sont-ils mèlés à tout ça ?

Elle en avait une idée deplusenplus claire et effroyeuse : les terroristes étaient au courant des agissances du conseil. Ils n’avaient pas choisi Aessa comme porteparole pour ses croyances personnelles, ou pour son statut de ministre, mais parce qu’elle faisait partie d’une assemblée d’acteurs qui partageaient son idéologie et œuvraient en fonction. Pour preuve : Aessa seule n’avait aucun lien avec les Moutons, mais le conseil en avait et Haccan travaillait pour le conseil mème s’il l’ignorait. Si les terroristes savaient que les Moutons et l’officier jouaient un roleclé dans leur plan, cela signifiait qu’ils en avaient connaissance et qu’ils le comprenaient.

Aessa avait du mal à concevoir la portée de cette idée. Ils avaient surement été espionnés ; ou pire : ils avaient un traitre dans leurs rangs. Aessa fit mentalement la revue de ses six collègues ; certains s’étaient vivement opposés à leur dissimulance, mais pas aupoint de s’acoquiner avec des extrémistes pour se venger. Non, c’était absurde…

Elle tenta de chasser ses angoisses : elle ne pouvait rien y faire dans l’immédiat. Elles confirmaient une chose, cependant : Aessa ne pouvait pas communiquer avec ses camarades, car on la surveillait forcéement de très près.

Restait Haccan. Si Aessa la jouait fine, elle pourrait en faire son messager, puis décider quel message lui confier.

— J’imagine qu’ils s’intéressent aux recherches du conseil, dit-elle alors.

Haccan la scruta longuement, ses yeux bleus disparaissant presque dans l’ombre de ses orbites. Puis il se leva pour manipuler les commandes du biplace – probablement afin d’alerter ses collègues du retour d’Aessa avant de consacrer son attention à ses révélances.

Elle n’avait que quelques secondes pour agir ; quelques secondes pour verrouiller la compliceté d’Haccan dans ce qui suivrait, et d’une manière qu’elle n’avait encore jamais osée. Le chantage et la corrompance, elle connaissait. Ça, c’était nouveau, et son cœur battait de frayeur autant que d’excitance. Elle n’était pas convaincue d’ètre assez sure d’elle pour réussir, ni que ça suffirait, mais elle le fit.

Aessa se mit debout quand Haccan revint vers elle ; elle esquissa un pas, un seul, qui l’amena contre lui, son visage dressé vers le sien, si proche qu’elle sentit son souffle heurté filer sur l’acier de ses plaquettes.

Ses yeux perceux faisaient la navette entre les siens. Aessa n’amorça pas de geste plus flagrant que celui d’avancer d’un ou deux millimètres pour constater qu’Haccan ne se dérobait pas et que leur corps se toucheraient bientot. Il hésitait. Il hésitait tellement que c’en était comique. Aessa pouvait presque l’entendre réciter le code de conduite des policiers, elle le voyait déjà s’écarter et se mettre au gardàvous. Comique, oui… et tellement frustreux, aussi.

— Merci d’ètre venu pour moi, chuchota-t-elle.

Et comme s’il n’avait attendu que ce signal pour agir, il la saisit par les hanches et la plaqua contre la paroi avec une brutaleté et une retenue que ni Pollin ni aucun de ses amants n’avaient jamais témoignées. Il rèvait surement de faire ça depuis longtemps ; il avait dû lutter pour s’en empècher. Toutes leurs piques et leurs boutades… sandoute l’avaient-elles éperonné comme elles avaient éperonné Aessa.

Il passa une main sur sa joue, fleurant ses écailles comme s’il s’agissait d’étranges bijoux plutot que d’implants. Mais plus que ses contacts, c’était son regard qui la galvanisait : Haccan l’admirait comme aucun homme ni aucune femme ne l’avait jamais admirée. Dans les minuscules miroirs de ses iris clairs, Aessa se changeait en créature chimérique. Et elle sut : malgré son accent parfait, ses manières et ses mensonges, Haccan n’avait jamais cessé d’ètre un lunien ; il l’observait comme un lunien observe un planétien, avec mépris, désir et déférence, avec repoussance et appétit, et crainte, et envie.

Aessa caressait ses oreilles sous ses cheveux cuivrés, observait entre ses lèvres entrouvertes ses dents désordonnées de coyote, sentait presque le sable et la roche sous sa peau tannée. Elle s’humecta la bouche. Elle ignorait à quoi ressemblerait un baiser sans écorce de métal ; à quoi ressemblerait le reste.

Elle aurait voulu comprendre ce qui se tramait dans l’esprit d’Haccan pendant qu’il la dévorait du regard, saisir ce qui agitait tant de nuages dans le ciel de ses yeux. Aessa ne supporterait pas qu’il se ravise et pas seulement par fièreté froissée de ministre et de belle femme qui se savait aussi convoitable qu’irrésistible. La faim la consumait, elle aussi. Elle mettait toute sa déterminance à refréner une mouvance de bassin, se bornant à de chastes frolances et des soupirs à peine exaltés.

Son corps le réclamait tout entier et son ame aussi. Pour la première fois depuis ce qui semblait ètre des années, sous la chaudeté de ses paumes et la force de son regard, elle se sentait entière et entourée.

 

— Bonjour, murmura-t-elle.

— Non, ce n’est pas un nouveau jour. Tu t’es àpeine assoupie.

Aessa garda les yeux fermés, baignée dans son odeur et sa tièdeté. La couchette leur laissait àpeine la place de se tenir ensemble, longés sur le flanc, mais peu importaient l’étroiteté et l’inconfort. Bénis soient l’étroiteté et l’inconfort. Aessa aurait disposé de tout l’espace du système, elle ne se serait pas écartée d’un centimètre.

Il lui avait semblé dormir des siècles, mais l’immense calme qui l’avait accueillie au réveil commençait à se dissiper, lentement, inexorablement, Aessa le sentait. Elle usait d’armes dérisoires pour le freiner faute de pouvoir y replonger complètement : quand l’image de Pollin envahissait son esprit, elle inspirait pour la souffler ; quand la crainte des rumeurs lui nouait le ventre, elle renfonçait la tète dans l’oreiller pour l’étouffer.

Et quand la peur la paralysait, la terreur, la vraie, celle que lui inspiraient le conseil et les terroristes et les luniens nervés, elle feignait de changer de posance seulement pour sentir sa peau fleurer celle d’Haccan et lui rappeler qu’elle n’était plus seule face à cet univers détraqué.

Aessa battit des paupières et son regard tomba dans celui d’Haccan, fixe et indéchiffrable. Deux puits d’eau limpide.

— J’ai prévenu Saturne de notre arrivée, dit-il. Nous atterrirons à Dilleux dans moins d’une heure. Toute la délégance des Preministres t’y attend pour une séance de la Chambre exceptionnelle – ils sont tous très impatients de savoir quel requète les terroristes leur adresse…

S’ils espéraient qu’Aessa vienne avec une proposance de résolvance de conflit ou une simple réclamance de fonds, ils allaient sandoute vite déchanter.

— J’espère que tu ne les as pas contactés en visio, répondit-elle en promenant un œil sur son corps nu.

Il eut un sourire en coin, mais resta muet. Elle l’observa durant quelques secondes, avortant des gestes mièvres pour dégager les cheveux sauvages qui tombaient sur son front ou suivre la ligne d’une cicatrice sur son bras. Encore des vestiges de son existence de lunien – toutes les marques causées par son service à la PI auraient été effacées au laser et, dailleurs, la plupart des instruments de chirurgie thermique ne laissaient aucune trace. Aessa avait eu envie de lui poser mille questions, de tout découvrir de sa vie avant la police, avant ce marché, avant ce choix qui avait tout changé. Mais le silence faisait partie des conditions. Et c’était à Aessa de faire des confessances, hui.

— Tu attends que je t’explique, nescepas ?

Elle ne lui devait rien – elle l’avait engagé pour qu’il lui obéisse sans poser de question –, mais elle avait besoin de lui et elle était soulagée qu’il désire aller pluloin que les simples termes de son assignance policière ; sa stratégie semblait avoir fonctionné.

— J’attends, mais ne te presse pas, dit-il.

Aessa bascula, butant de l’épaule contre le mur qui dispensait une chauffance ténue et une légère vibrance. Elle fit le tri dans ses mots et dans ses pensées ; puis, les yeux levés au plafond, elle dit :

— Les terroristes sont ce qu’ils appellent des nihilistes. Leur but, et il est sans équivoque, est de décimer l’Humanité.

Haccan se raidit contre elle.

— Pour eux, c’est un fléau qui ne peut ètre guéri. Qui ne doit pas l’ètre. Ils visent la détruisance pure et simple de notre vie et ils voudraient que les planétats les y aident.

« L’attentat d’Europe visait seulement à attirer leur attention ; désormais, ce qu’ils espèrent, c’est parvenir à un accord pour que les gouvernances appuient leur initiative. Pour qu’elles prennent des mesures actives et généralisées afin d’amorcer la détruisance de notre race.

« Ils m’ont enlevée, moi, pour que je rapporte tout ça à mes collègues, en précisant bien que s’ils refusent de se joindre aux nihilistes, ceuci ont d’autres moyens pour faire pressance ou parvenir à leur but : tout dévoiler aux peuplances, ce qui créerait la panique, ou causer d’autres attentats tragiques. Je pense dailleurs qu’ils seraient prèts à nous exterminer à coup de cargos piégés s’il faut en arriver là, mème s’ils prétendraient le contraire.

Aessa se força de garder un ton détaché. Mettre Haccan de son coté était un travail de tous les instants, mais un travail qui devenait aisé : si elle avait fait attention à ne pas se trahir audépart, une fois entre ses mains, ça n’avait pas été si compliqué. Sa tactique avait l’avantage de lier l’utile à l’agréable. Aessa devait simplement veiller à ne pas surjouer – pas d’œillade tendre ou de papouilles – et agir comme elle aurait agi si tout avait été vrai, spontané et sans arrièrepensée. Aubouducompte, mème si c’était prémédité, peutètre n’était-ce pas faux pourautant.

— Mais s’ils m’ont enlevée, moi, c’est aussi parceque depuis dix ans, je rencontre régulièrement des gens qui partagent une partie de leurs idées. La partie concernant le fléau et l’incurableté de l’Humanité.

Haccan s’agita.

— Tu partages aussi cette idée, nescepas ? continua Aessa. C’est ce que tu m’as dit, dans mon bureau. « Plutot tous nous laisser mourir, les luniens, les planétiens… ça fait des années que je le dis. »

Il se redressa sur un coude, obstruant la lumière de la veilleuse et nimbant Aessa dans son ombre. Elle tourna le regard vers lui.

— Je n’ai rien pu y répondre, dit-elle. Je ne pouvais pas révéler que j’étais de ton avis, pas alors que je suis ministre et que j’ai juré de défendre et de protéger mes citoyens. Enfin, ne te méprends pas, je les défends et je les protège toujours. Je ne cautionne absoluement pas les méthodes des terroristes, mème si je peux comprendre le fond de leurs motivances…

— Tu es extinctionniste, déclara Haccan d’une voix blanche, comme s’il avait besoin de le dire pour y croire.

— Je compte sur toi pour ne pas le bruiter. Personne ne le sait. Je perdrais ma place. Je pourrais perdre encore plus que ça.

Elle fermit son regard. Il fallait qu’il comprenne la portée de la confiance qu’elle lui accordait en le mettant dans la confidence. Un planétien se devait d’ètre préservationniste ; il l’était par essence. Toute leur civilisance reposait sur des lois qui visaient à éviter les écueils de la Première Humanité et à en former une neuve qui ne soit plus une menace ni pour ellemème, ni pour son environnance. Ètre extinctionniste, dans leur monde, c’était jeter l’éponge. C’était admettre qu’ils n’avaient pas fait mieux que leurs prédécesseurs et qu’ils n’y parviendraient jamais.

— Et les gens que tu rencontres… c’est vous, le « conseil » ? poursuivit Haccan.

— C’est nous.

— Quelles recherches menez-vous qui intéressent tant les nihilistes ?

Aessa mobilisa son courage. C’était l’instant de vraieté. Avouer des convainquances rebelles était une chose qu’un autre convaincu pouvait facilement accepter ; avouer comment ces convainquances avaient pris forme dans les plans du conseil, enrevanche…

Elle prit une grande inspirance et calma les battances de son cœur pour égaliser sa voix, mais elle fut aussitot fauchée dans son élan par l’alarme stridente qui se déclencha dans le poste de pilotage. Confuse, Aessa garda la bouche ouverte dans l’expectative tandis qu’Haccan bondissait sur ses pieds pour s’asseoir aux commandes.

— Quesceque c’est ? demanda Aessa en se redressant.

Il continuait à lui tourner le dos, la tète penchée vers l’écran, les muscles de sa nuque et de ses épaules se creusant d’ombres et se parant de lignes orangées en saillant sous la lumière tamisée.

— Un message, dit-il. De Guevara.

Aessa s’était avancée au bord du lit. Elle ne comprenait pas. La capitaine des Moutons n’aurait pas dû pouvoir le contacter, surtout pas si elle était encore aux griffes des terroristes.

Elle n’eut pas le loisir de questionner Haccan à ce sujet : il pivota sur son siège et ses yeux de feu froid harponnèrent les siens. Quelquechose de terrible s’était produit, elle pouvait le deviner à la dureté de ses traits. Un visage d’argile cuite dans une expression de péril et de danger.

— C’était pour ça ? Les analyses de sang ? demanda-t-il.

— Pour ça ? Je ne…

— Les terroristes ont testé leur fécondeté. Celle d’Hadid et de Disney. Ils ont fait des examens à Guevara. Le dossier médical de Teresa que tu m’as demandé, c’était pour vérifier, chez elle aussi ? Vérifier si elle montrait des symptomes ? Avec sa blessure au ventre, ça serait passé inaperçu…

Il se leva et se procha de la bannette. Aessa restait statufiée. Elle n’osait pas lui demander ce qu’il avait compris, ni d’où venait cette rage. Elle se souvenait de sa propre crainte : elle avait choisi Haccan pour son indomptableté, pour les tendances pessimistes qui la motivaient, mais elle ignorait comment s’en protéger maintenant. L’animal sauvage venait de se retourner pour la mordre, violentement, foudrement, en plein dans la gorge.

— C’étaient vos cobayes ? Comment vous vous y ètes pris ? Ah, je sais… avec le cargo, nescepas ? C’est pour ça que tu m’as envoyé pister les Moutons avant que l’explosance ait lieu. Et les terroristes vous ont coupé l’herbe sous le pied ?

Arrivé à sa hauteté, Haccan la saisit par les bras et la mit debout comme si elle ne pesait rien. Elle se sentait atrocement lourde, pourtant. Un corps de plomb sur des jambes de pierre.

— C’était censé se répandre à partir des Moutons ? Ou contaminer directement les moonshiners d’Europe, puis le reste du système ? Un virus aérien ? Ou un agent lié à l’hydrogène ? Il y avait d’autres cargos piégés ?

Elle déglutit.

— Parle ! Parle ! hurla-t-il en la secouant. Esceque toi et tes amis du conseil essayez de stériliser l’Humanité tout entière ?

— Je… Je croyais que tu…

— Que je quoi ? Que je comprendrais ?

Elle fronça les sourcils.

— Tu es extinctionniste, toi aussi.

Haccan resserra sa poigne. C’était presque une étreinte, presqu’une autre uniance, mais elle aurait été stérile, elle aussi : Pollin et Aessa avaient renoncé à leur fertileté à la naissance de leur deuxième enfant, comme tous les parents vertueux, dans le respect du quota démografique. Aessa avait aimé concevoir Ferral et Olliv, mais elle avait rempli son devoir de procréatrice sans envie, par souci de discrèteté plutot que par dévouance aux règles de la Nouvelle Humanité. Personne ne suspecterait une mère de vouloir priver sa progéniture d’avenir. Et personne ne l’aurait élue à son poste si Aessa n’avait pas suré son role de génitrice préservationniste.

Aessa planta son regard dans celui d’Haccan, sans résister ni se débattre, appréciant seulement sa procheté illusoire.

— Tu es choqué, mais tu finiras par réaliser que c’est la meilleure solution.

— Comment peux-tu…

— Tu préfères la méthode des terroristes ? Le meurtre de masse ? Crois-moi quand je te dis qu’ils tueront toumonde pour parvenir au mème point si les planétats refusent de les aider ou que la stérilisance échoue !

— Je ne préfère riendutout ! Vous n’avez pas le droit de décider ça pour le système ! Vous n’ètes pas…

— Il fallait que quelqun prenne cette décidance avant qu’il soit trotard. C’est difficile à admettre de primabord, mais c’est une évidence. Nous avons pesé le pour et le contre pendant dix ans. Il ne s’agissait pas de régler le sort de l’Humanité à pile ou face. Et crois-moi, ça n’a pas été de gaieté de cœur.

Elle faillit continuer, mais la voix do terroriste s’imposa dans son esprit : « Ne croyez pas que nous prenons ces vies sans sourciller. C’est un sacrifice que nous faisons là : le sacrifice de notre conscience pour stopper rapidement le fléau de la Nouvelle Humanité. »

— Mais personne ne souffrira, termina-t-elle. Plus personne ne souffrira.

— Comment… Comment peux-tu… Tu as des enfants !

— Oui, j’en ai, dit Aessa en repensant à sa distance et à sa détachance. Et si notre équipance fonctionne, ce seront les derniers enfants du genre humain.

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