IV – La relève de la garde

Par Dan
Notes de l’auteur : Mama Cass – Make Your Own Kind of Music

La relève de la garde

Shangri-la, Titan, satellite de Saturne

 

Bowie retrouva Woody sur le parking. Le petit halo du soleil avait grimpé de quelques degrés, mais le brouillard rabougrissait sa lumière et les réverbères brillaient toujours. C’était un drôle d’endroit, cette lune ; aride et hostile comme Miranda, mais toute mouvante et fumeuse.

Woody se tenait près de la passerelle, tripotant le bout de barbe où une perle bleue s’était trouvée avant le passage de Kahlo. Bowie avait encore la sensation de la sentir serrée contre lui, murmurant dans son poncho « Je vais t’aider, achchha Bo », de sa voix un peu mâchonnée et zozotante de trisomique. Ça aurait pu sembler ridicule sorti de sa bouche, mais Bowie avait eu envie d’y croire, parce qu’il avait entendu sa promesse dans ses pensées autant que dans ses oreilles. Parce que Kahlo était plus surprenante et plus douée que tous les luniens que Bowie avait pu rencontrer dans sa vie.

— T’as parlé à la patronne ? demanda Woody en le voyant arriver. Elle a dit quoi ?

Bowie laissa passer un groupe de luniens de Saturne qui venaient de se garer avant de répondre. Ils avaient généralement l’ouïe d’une amphore et ceux-là communiquaient davantage avec des gestes de leurs mains pleines de bagues qu’avec leur bouche, mais Bowie préférait être prudent quand il s’agissait d’évoquer leurs magouilles.

— Elle va venir avec nous, dit-il. Le temps qu’elle prépare ses affaires et qu’elle s’arrange pour l’auberge. Je lui ai dit qu’on pouvait pas lambiner…

Il jeta un coup d’œil inutile au ciel opaque. Si la PI les avait pistés jusque-là, elle n’aurait pas gentiment attendu qu’ils aient fini de papoter pour leur tomber dessus. Ils étaient à peu près à l’abri pour le moment, mais ça risquait de ne pas durer. Avec la chasse qu’ils s’étaient prise en partant d’Io, Bowie n’était plus tranquille nulle part.

Il ne savait même pas que la PI était capable de mener une course-poursuite pareille. Bowie était plutôt bon pilote quand on ne lui mettait pas des Europiens accidentés dans les pattes, mais il ne s’en serait pas sorti sans leur ange gardien : un vaisseau à l’acier bleuté peint de froufrous blancs qui ressemblaient drôlement à une toison moutonne. Quand les tirs avaient commencé à fuser, juste avant que Woody réussisse à enclencher le générateur d’invisibilité qui leur avait permis de rouler leurs poursuivants et de ficher le camp, c’était le rafiot providentiel de Shĕnshen qui avait encaissé les coups pour les protéger.

— Uff da, elle vient ? Vrai de vrai ? s’étonna Woody. Enfin une bonne nouvelle !

« Enfin », oui. Après avoir enchaîné les traquenards et les foirades, ils pouvaient être contents. La réponse d’Elion n’était pas seulement jouassante, d’ailleurs ; elle était improbablement jouassante : si Bowie avait dû miser sur quelqu’un, il aurait plutôt fait tapis sur Guevara. Elle avait déjà les deux pieds dans l’illégalité, elle, alors qu’Elion avait beaucoup à perdre dans la bataille. Pour être franc, Bowie était venu là en désespoir de cause. Il ne se souvenait pas d’Elion comme de quelqu’un de très… généreux. Y avait qu’à voir comment elle se comportait avec Nick : une porte de frigère aurait été plus chaleureuse. Alors oui, c’était un petit miracle qu’elle ait accepté.

Mais Bowie avait perdu sa coolmanitude d’antan. Guevara s’était fait arrêter avec ses sbires, la PI les traquait et les mystères se multipliaient : cet officier sous couverture, d’abord ; puis Disney et ses relents bizarres qui l’avaient froussé sans que Bowie sache pourquoi. Et aujourd’hui Elion, qui se lançait dans l’aventure presque sans hésiter. Elle avait l’air de saisir un peu trop bien ce qui se cachait derrière le silence des judiciers ; pourtant, quand Bowie l’avait questionnée à ce sujet, elle n’avait rien voulu lui dire.

— Ça va pas, coco ?

Bowie observa Woody. Lui non plus, il ne le saisissait pas :

— Pourquoi vous êtes encore là ?

— Là… sur le parking ? Tu voulais que j’aille où ? Me noyer dans un lac de mazout ?

— , pourquoi vous êtes encore là, avec moi.

— Ah bah dis-le si je t’emmerde, hein !

Bowie hésita à le dire. C’était vrai, des fois, il était sacrément emmerdant, comme quand il se mettait en tête de traverser une marée de luniens pour taper une causette agressive à Guevara.

— , c’est pas ça, éluda Bowie. Juste que je pige pas.

— La PI nous file le train, au cas où t’aies oublié.

— Grâce à qui…, marmonna Bowie en s’approchant de la trappe extérieure qui donnait accès à la machinerie du Major Tom.

— Si mes souvenirs sont bons, c’est quand même toi qu’as décidé de pas écouter les canards et de te barrer, fit Woody.

— Parce que vous me menaciez de me prendre les commandes de force ! Ils voulaient juste parler aux témoins ! On aurait pu leur dire qu’on transportait simplement des blessés. Et si on les avait aidés, ils vous auraient même offert le pardon !

— Si t’avais gentiment reposé ton vaisseau, vu le comité sur Io, tu crois vraiment qu’ils t’auraient relâché après un petit interrogatoire ? Quinze escadrons de flics, c’est juste pour parler aux témoins ? Et puis comment je pouvais prévoir que le ministre distribuerait des tickets à tout le monde ?

— Si j’avais gentiment reposé le vaisseau, on aurait pas croisé les pilleurs, qui nous auraient pas dénoncés, et les quinze escadrons seraient jamais venus pour nous sur Io. J’ai désobéi aux canards seulement parce que… Parce que j’avais besoin que vous m’aidiez. Je pensais pas que ça dégénérerait à ce point…

Il ne pensait pas que la PI les prendrait pour les terroristes, ou leurs potos, ou du moins des moonshiners qui avaient trop de choses à se reprocher pour traîner dans le coin quand les officiers avaient débarqué. Ils n’auraient jamais dû. Ils s’étaient tiré un laser dans le pied en se rendant louches alors qu’ils auraient pu se défendre : ils voulaient seulement aider les éclopés et Woody avait seulement eu peur de finir au clapier.

— Eh, coco, me dis pas que tu regrettes, dit-il d’un air presque menaçant en s’appuyant à la coque. Ok, la criminalité, ça a pas que des bons côtés, mais vu ce qui se cuisine, j’espère que tu comprends qu’y a de l’enjeu. Ça vaut bien que tu risques de te prendre une prune, nope ?

Bowie enroula sa tresse autour de son cou et plongea le nez dans le ventre du Major Tom. Woody avait tout de suite trouvé l’enfermement de Māma suspect. Māma qui n’avait rien fait pour énerver le gouvernement – pas de quoi la garder prisonnière sans droits élémentaires en tout cas. Māma à qui on n’avait même pas confisqué son navire plein de bidules terriens, alors qu’on ne pouvait l’accuser que de ça, comme si au fond, les lucky cats et cartes Pokémon n’étaient qu’un prétexte.

— En quoi ça vous concerne, vous personnellement ? demanda Bowie en cherchant le connecteur du générateur d’invisibilité. Je pourrais vous déposer n’importe où. Vous pourriez vous cacher.

Woody parut sur le point de dire quelque chose, comme quand Guevara s’était excusée pour la mort de ses employés, mais il n’alla pas non plus au bout de son idée cette fois-ci :

— J’ai pas envie de me cacher, coco, dit-il après un soupir. Si je me cache maintenant, je crèverai dans mon trou. No… tout ça, c’est trop important. Guevara et ses idées, sans parler de ces raclures de terroristes qui ont fait péter mes gars…

Bowie ne renchérit pas, même si sa logique lui échappait : s’il avait arrêté la mauvaise foi, changé de cible pour sa revanche et tout pardonné à Guevara, s’il voulait maintenant participer à sa révolution, pourquoi est-ce qu’il lui collait aux babouches ? Bowie se fichait de l’indépendance et du commerce libre comme de son premier poil au mollet. Sa destination, ça n’était pas Jupiter, ou les grands forums de l’Union. C’était Charon, juste Charon, pour une petite rébellion de rien du tout. Pour sa famille et pas pour la paix.

— Vous pouvez me passer la boîte à outils que j’ai sortie ? Faut qu’on répare ce générateur avant de repartir…

Woody fit la moue, puis disparut un moment pour fouiller dans la soute. Après avoir essuyé les tirs des officiers en fuyant Io, Bowie avait fait son maximum pour limiter les dégâts par l’intérieur du vaisseau ; mais il n’avait pas osé se poser pour panser les plus gros bobos et encore moins enfiler une combi pour tester les réparations en zéro-g. Bilan des courses : un aileron avait été touché et le connecteur du camouflage avait été salement amoché – peut-être que les pilleurs avaient vraiment essayé de les saboter, en fin de compte. Le voyage n’avait rien arrangé à l’état du bidule ; quelques turbulences de plus et il aurait peut-être été fichu.

— Oh noes, revoilà le monolithe muet.

Bowie sortit la tête de l’écoutille, mais l’aile du Major Tom lui bouchait la vue. Il se faufila dessous pour trouver Woody immobilisé sur la passerelle. Devant lui, se découpant contre le décor jaune et ocre de l’auberge dont les dômes grimpaient sur les falaises comme une colonie de champignons, la silhouette sombre de Nick se rapprochait rapidement. Il ne portait aucun bijou, contrairement à tous les luniens de Saturne ; même ses vêtements gommaient ses origines. Il avait la stature et le regard d’un jeune homme capable de battre n’importe quel planétien à la lutte et aux échecs, et les deux en même temps.

— Nick ? s’étonna Bowie lorsqu’il vit qu’il portait un baluchon sur l’épaule. Qu’est-ce que…

Je vous accompagne, souffla-t-il dans sa tête.

C’était très différent de la façon dont Kahlo ou Elion téléphasaient. C’était comme s’il « murmurait » ; comme s’il fuyait sa tête aussi vite que possible.

— Mais ta mère…, commença Bowie.

Je ne peux pas la laisser faire ça, rétorqua Nick. C’est trop dangereux. Je préfère prendre sa place.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Woody, qui manquait la moitié de la conversation.

Bowie aurait été bien en peine de lui répondre. Quelques minutes plus tôt, Nick était prêt à lui mettre une bugne pour qu’il déguerpisse et maintenant il voulait venir avec lui ?

Si Bowie en croyait ses souvenirs de réunions nocturnes sur Miranda, Elion n’avait jamais eu peur des policiers. Bien sûr, elle avait travaillé dur pour ne plus avoir à s’y frotter – monter un commerce légitime comme le sien, ça n’était pas une mince affaire, et Bowie aurait compris qu’elle ne veuille pas quitter tout ça. Mais il comprenait autre chose, aussi : Elion avait parfaitement conscience du danger et elle s’y exposait en connaissance de cause. Elle savait que le nœud en valait la dentelle.

Nick ne semblait pas être tout à fait dans le même état d’esprit. Il connaissait à peine Shelley, lui, et il ne s’était jamais confronté à la PI.

— Est-ce que tu te rends compte que…

Écoute, Bowie, tu fais tout ça pour ta mère, non ?

Il acquiesça gravement.

Laisse-moi faire ça pour la mienne.

Bien sûr que ça n’était pas la PI et la prison qui l’inquiétaient. Seulement la santé de sa mère. Si Elion se lançait dans une mission pareille maintenant, elle n’en réchapperait peut-être pas. C’était une grande fille, oui, assez grande pour évaluer ses forces ou, dans le pire des cas, décider comment elle voulait les épuiser. Mais Bowie aurait-il laissé Māma partir à sa place ? N’aurait-il pas essayé de la protéger, lui aussi ?

Je suis meilleur téléphase qu’elle, insista Nick. Je suis télépathe complet. Tout ce qu’elle aurait pu faire pour t’aider, je peux le faire deux fois mieux. Il suffit que tu me donnes des consignes et je les exécuterai.

Nick appuya le regard qu’il vrillait sur lui. Dans la lumière encore faiblarde, ses yeux bleus et ses cheveux blonds paraissaient presque argentés.

Mais après ça, c’est fini, reprit-il. Que ton plan fonctionne ou non, que tu arrives ou non à parler à ta mère, ce ne sera plus mon problème. Je rentrerai chez moi et tu dois me promettre que tu ne viendras plus jamais nous trouver.

Bowie repoussa ses mèches folles d’un geste embarrassé de la main. Il ne doutait pas des capacités de Nick, mais de sa détermination ; de son investissement émotionnel, plus exactement. Si tout ce qu’il souhaitait, c’était garder sa mère en sécurité sur Titan, rien ne le motiverait franchement à…

Je ne bâclerai pas le travail, l’interrompit-il. Je te l’ai dit, je ferai ce que tu veux que je fasse, à ta manière. Je ne serai pas capable de mentir à ma mère si nous échouons et que je prétends avoir tout essayé.

Mais tu sais que si ça tourne mal, tu risques de…, continua Bowie en pensées.

Je ne suis pas idiot.

— Bon, les gars, là ça devient vraiment chiant à regarder, comme débat.

Bowie jeta un œil à l’auberge. Ils n’avaient sans doute plus beaucoup de temps avant qu’Elion ait terminé ses préparatifs. Il soupira. Lui non plus n’était pas très tranquille à l’idée de l’amocher davantage, surtout pas s’il pouvait trouver une solution de secours. Nick avait raison, elle était sûrement mieux ici, avec Kahlo.

Mets tes affaires dans ma cabine, dit-il. On devra partager, à moins que tu veuilles dormir avec Woody. Il ronfle.

Je suis sourd.

Il pète, aussi.

Nick lorgna un moment Woody, qui n’était pas loin de mettre un coup de caisse à outils à l’un ou à l’autre pour qu’ils se décident à l’inclure dans la discussion ; puis il le contourna et disparut dans le Major Tom.

— Attends attends, qu’est-ce qui se passe, là ? s’exclama Woody.

— Il remplace Elion. C’est son fils.

— Alors ça y est, il rejoint l’équipage ? Comme ça ? J’ai le droit de mettre mon grain de sel, moi ?

— , vous avez pas le droit. On est pas un équipage. On est rien du tout, en tout cas pas tant qu’on a pas réparé ce générateur et fichu le camp d’ici.

 

Nick avait l’air plus pâle et cerné que d’habitude quand le Major Tom décolla. Bowie avait décidé de voler en rase-mottes sur quelques kilomètres pour tester leur camouflage, et leur nouvel allié ne détachait pas le regard de la vitre constellée d’autocollants ; derrière, les guirlandes de lacs noirs et les champs de dunes se succédaient.

— T’es jamais parti de Titan ? songea et dit Bowie en même temps.

Un muscle roula sur la mâchoire carrée de Nick.

Je peux citer le diamètre, le climat et la géographie de chaque lune du système.

Ça, il l’avait pensé sur fréquence large – Bowie ne savait pas comment ça marchait exactement, mais Nick pouvait choisir de s’exprimer seulement dans sa tête à lui ou dans celle de tous les gens présents. Un peu comme chuchoter à une oreille et parler normalement, sûrement. Woody haussa un sourcil mais ne répondit pas ; de toute façon, Nick n’avait pas besoin de ça pour entendre ses commentaires désagréables.

— J’étais jamais parti de Miranda non plus, avant de… Avant ça, dit Bowie.

Woody ricana :

— Sans déc’. Toi tu connais même pas le diamètre de ta…

— Mais c’est chouette, coupa Bowie en articulant bien pour que Nick, qui avait lâché les mares de pétrole des yeux, puisse facilement lire sur ses lèvres. J’aurais préféré que ça soit pour faire du tourisme, c’est sûr… Mais j’avais toujours voulu voyager. Même si l’espace, c’est flippant, tu verras. L’idée de tout ce vide de l’autre côté de la paroi, brr…

Les vaisseaux sont faits pour ça.

— Shì, je sais, mais… c’est difficile à expliquer.

C’est stupide.

— Eh ben elle va être sympa, la balade…

J’ignorais qu’on préparait une sortie distractive, fit Nick en se tournant vers Woody. Excusez-moi, j’ai oublié d’emporter mon coussin péteur pour me mettre à niveau.

— Uff da, il va se calmer le petit merdeux de la campagne !

Ils survolaient une immense forêt de derricks et de pompes à pétrole quand Bowie mit un coup de manette pour percer la brume, ce qui eut pour effet d’écarter Woody dans une culbute et de ramener brusquement l’attention de Nick sur le paysage. La surface de sa lune natale s’éloignait à toute vitesse, maintenant. Quelques secondes plus tard, il n’en restait plus qu’une boule couleur sable aux contours flous contre l’écran noir de l’espace. Nick déglutit bruyamment.

— Viens, fit Bowie. Je sais ce qu’il te faut pour te remonter le moral.

— Une bonne rasade de brandy ? proposa Woody.

Nick lui jeta un regard noir mais dut juger plus judicieux de ne pas répliquer. Après avoir placé le Major Tom en orbite de Titan, Bowie conduisit leur invité dans la coquerie où il le fit asseoir à la table devant un verre de lait. Nick prenait grand soin à ne pas trop détailler la décoration made in Shelley ; pour un lunien honnête comme lui, la profusion de drapeaux terriens et de capsules de Coca-Cola devait avoir quelque chose de crispant.

Bowie trouva une miche de brioche à mettre sous la dent de Nick, mais il n’y toucha pas davantage qu’à son verre. L’ensemble finit au fond du gosier de Woody qui semblait avoir renoncé au brandy.

Quel va être la marche à suivre ? questionna Nick. À part prendre le goûter ?

Bowie reposa le fortune cookie éventré qu’il s’apprêtait à grignoter – « À ce moment précis, vous pouvez changer le reste de votre vie » –, mais Woody reprit une bonne part de brioche qu’il mastiqua sans lâcher Nick du regard. Bouchée, gorgée, bouchée, gorgée… les miettes et les gouttes de lait alourdissaient la décoration de sa barbe et un sourire pointa dans les poils agglutinés quand Nick grimaça.

— S’approcher de Charon, dit Bowie. Essayer d’entrer si on peut. Entrer, c’est facile, non ? C’est sortir des prisons qui est compliqué… Puis là… faire une diversion, j’imagine, pour avoir des réponses, ou les plans des niveaux, savoir où est Māma, ou…

Il se tut. Il n’avait pas la moindre fichue idée de la marche à suivre. Il ne savait même pas si se rendre directement sur Charon était une bonne idée, tout bien considéré. Peut-être que le meilleur angle, c’était les judiciers ? Peut-être que c’était eux à qui Bowie devait aller secouer les mirabelles pour savoir enfin ce qui se tramait avec sa mère ? Peut-être qu’il fallait menacer un ministre – c’était à la mode, ces derniers temps…

Il essuya la larme qui dévalait sa joue. Il ne s’était même pas rendu compte qu’il pleurait.

Non, tes points de suture, corrigea Nick.

Bowie observa ses phalanges rougies et tâta la plaie de son arcade.

Vous avez un kit de secours ?

Woody s’empressa d’enfourner son en-cas et disparut dans les cabinets. Il en revint quelques secondes plus tard armé d’une trousse à pharmacie que Nick lui ôta aussitôt des mains.

Je vais devoir les défaire et les recommencer, dit Nick après avoir enfilé des gants et orienté la blessure de Bowie à la lumière de la lampe lava. On dirait que ça a été recousu au marteau-piqueur.

— Eh, tu me prends pour qui, mamie-crochet ? grommela Woody. J’ai fait ce que j’ai pu !

Nick se mit à l’ouvrage. C’était épatant, le travail minutieux que ses grandes mains faisaient. Bowie aurait voulu pouvoir assister au spectacle de l’extérieur pour le voir pincer, piquer, nouer et recommencer avec la dextérité d’un autocouseur. Il aurait voulu s’éloigner un peu, en fait, et pas seulement pour admirer le geste. Nick s’était penché sur son patient, un genou passé de chaque côté du tabouret de Bowie et l’ombre de sa grande carcasse l’écrasait. Il avait tellement changé. Bowie, lui, était à peu près le même qu’à ses dix-sept ans.

Il ne savait pas s’il devait lorgner son visage concentré, son cou, son torse, ou fermer les yeux. Alors il déglutit et dit :

— Merci.

Mais Nick était concentré sur sa plaie et il ne vit ses lèvres bouger que du coin de l’œil.

Quoi ?

— Merci. Pour le coup d’aiguille et puis… pour être venu.

Nick ne « dit » rien, mais un muscle saillit de nouveau sur sa mâchoire. Bowie le sentait crispé.

— Ah ouais, merci…, railla Woody. On est ravis.

— Il va nous falloir des pansements, dit Bowie avant que Nick s’en mêle. Ils doivent être dans un placard des vécé, tout au fond. Fouillez bien.

— C’est bientôt fini de m’envoyer chercher des machins ? grogna Woody. Je suis pas votre chien-chien…

Mais comme il aimait autant se rendre utile que râler, il s’en alla derechef.

— Je suis désolé pour le vieil enquiquineur, dit Bowie. Je… Il comprend pas, lui. Il comprend pas pourquoi on fait ça. Ta mère…

Tu lui fais confiance ?

— À qui ? Ta mère ?

Eastwood.

Bowie jeta un coup d’œil inutile par-dessus son épaule. Aux ronchonnements qui lui parvenaient depuis la pièce à laver, Bowie estimait qu’ils avaient encore cinq bonnes minutes de tranquillité avant que Woody réalise qu’il n’y avait aucun pansement à trouver.

— Shì, répondit-il. Me demande pas pourquoi, par contre.

Je n’ai pas besoin de savoir pourquoi. J’ai simplement besoin de savoir qu’on peut compter sur lui. On va avoir besoin de son aide.

La nervosité de Nick avait encore gagné un cran.

— Besoin pour…

J’ai un plan.

 

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Léthé
Posté le 08/11/2017
J'ADORE MOONSHINE ARG TROP BIEN BLSDKFKDLFJKDL
Sincérement, ça faisait longtemps que je n'avais pas lu (un chapitre de Bowie surtout), alors voilà j'étais super jouasse, heureuse, et tout. En plus, j'ai énormément rigolé, parce que je trouve que le trio Bowie - Woody - Nick est particulièrement bien trouvé.
 Bref, j'ai rien à redire, juste à supplier qu'il y ait plus de blagues, plus de prout, plus de b...
<3 
Dan Administratrice
Posté le 08/11/2017
MERCI LETHOUILLE !!!
Je suis trop contente que ça te plaise ! Ouais j'avoue je me suis lâchée sur le dernier que t'as lu xD Merci pour le trio, ehehehe
Je vais voir ce que je peux faire pour maintenir le niveau de prout et de zizi huhu ♥ 
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