IV — La colère

Par Akiria
Notes de l’auteur : Je reviens après une longue pause... J'espère que ce chapitre vous plaira.

Je reste muette, je la laisse m’ausculter, j’ouvre la bouche, je tire la langue, j’exécute chacun de ses ordres sans broncher. Je réponds calmement et brièvement aux questions qu’elle me pose sur mon état physique. Je passe dans chacune des machines présentes dans cette pièce sans âme.

 

Je reprends enfin ma place sur le siège mobile. Il s’oriente vers le mur vide puis soudain, un écran s’affiche. Des données apparaissent, ça semble être mon rapport médical, je ne comprends pas grand-chose, mais j’essaie malgré tout de trouver des informations familières ou même une date, une heure.

 

— Tu es myope ! lance-t-elle en se grattant le menton.

Euh… Je la regarde avec incompréhension. Elle est debout à mes côtés à contempler l’écran.

— Tu as besoin de lunettes, ou de lentilles. Que préfères-tu ?

— Euh… des lunettes ?

— Je vais prévoir une correction chirurgicale.

— Mais… ça veut dire quoi être myope ?

Oui, j’ai décidé de jouer l’idiote aussi. Peut-être que je ne suis pas censée savoir ce que c’est. Mais je suis étonnée d’apprendre que je le suis tout de même. Je suis persuadée d’avoir toujours eu une très bonne vue, enfin je crois.

— Tu ne vois pas assez bien de loin. Je te rassure, c’est une toute petite myopie. On va partir sur des lunettes, de toute façon tu ne les garderas pas longtemps, juste le temps de planifier l’opération, dit-elle tout en tapotant sur un clavier invisible à mes yeux.

— Opération ?

— Oui, une opération bénigne que je ne suis pas habilitée à faire. Je suis en train de faire une demande, il faut une autorisation de ma part, car cela demande une certaine logistique.

— Logistique ?

— Oui bon, peu importe. Bref… Tu as une très bonne santé ma chère. Rien à signaler mis à part cette histoire de vision. C’est très bien !

— Mais… euh… est-ce que ça veut dire que j’ai le droit de rentrer chez moi ?

— Oui, je te libère maintenant.

— Je peux partir de cet endroit ? Rentrez chez moi ? demandé-je avec une voix frêle presque tremblante.

Elle sourit, mais ce sourire n’a rien de sympathique. Ses yeux sont restés figés sur ses doigts qui continuent de tapoter dans le vide.

— Pose ton bras sur l’accoudoir, s’il te plaît.

Mon bip s’enclenche aussitôt, j’ai peur. Je n’en ai pas envie. Pourquoi me demande-t-elle ça tout d’un coup ? Me suis-je fait griller avec cette question idiote ?

— Je pensais que tu étais pressée de rentrer ? Aller pose ton bras que je m’occupe de ton bracelet.

— Mon bracelet ?

— Oui… allez !

J’allonge mon bras sur l’accoudoir lumineux, le bip devient de moins en moins bruyant.

— Ça te convient comme ça ?

— Vous avez baissé le volume ?

— Exactement…

Au fond de moi, je suis soulagée, toute la pression retombe au point que mon corps suit le même mouvement.

— Ah c’est sympa…

J’aimerais surtout qu’elle me le retire, mais je sais bien que c’est impossible alors je ne tente pas de lui demander.

— Si tu ne veux pas gâcher cette belle santé, cesse d’être aussi anxieuse, tu n’as pas de raison de l’être. Cet endroit comme tu dis, tu y resteras, c’est chez toi.

— Mais je ne me souviens de rien, je n’ai pas l’impression d’être chez moi, je ne reconnais rien.

— Je vais t’orienter auprès d’un spécialiste pour discuter. Propose-t-elle en gigotant de nouveau ses doigts. Tu pourras poser des questions ou juste lui parler de tes journées.

— J’ai juste besoin de savoir ce que je fais ici ! Lancé-je sèchement.

— Pourquoi ?

— Pourquoi ?

— Oui… Pourquoi tu as besoin de savoir cela ? Je dirais même que tu devrais le savoir. Tu es chez toi pour vivre ta vie avec ton compagnon, fonder une famille, travailler, t’amuser. Vivre tout simplement, c’est pourtant évident.

Cette réponse me démoralise, je crains de laisser apparaitre ma déception ou ma colère, oui je sens que je suis en colère. Je ne lui demandais pas la raison de mon existence, je veux juste savoir ce que je fais dans ce putain d’endroit de merde.

— Oui, c’est évident, c’est vrai, affirmé-je en étirant timidement les lèvres. Finalement, je n’ai pas besoin de voir un spécialiste… J’ai JT93.

— Exactement, dit-elle en se redressant souriante et en se dirigeant vers la sortie.

 

Elle disparait sous mes yeux tristes, je n’ai rien appris. Je me sens oppressée, je veux m’enfuir, mais pour aller où ? J’ai hâte de retrouver JT93 pour en savoir plus, est-il mon seul allié ici ? Mais dois-je lui faire confiance à lui aussi ?

 

Je me lève en jetant un regard circulaire à cette pièce. J’ai une envie soudaine de tout casser en observant ces machines. Je serre les poings, mes jambes tremblent, mes yeux sont noyés par les larmes. Merde, où suis-je ? Je termine en fixant sévèrement l’écran encore présent et mon attention s’arrête sur deux mots : « souche négative ».

 

Une image me revient à l’esprit, je me revois tenir un carnet ouvert et la seule information que j’y vois c’est : « souche 3.5 % ».

 

Une sonnerie brève retentit dans la salle, elle me fait sursauter et me fait sortir immédiatement de mes pensées. Je me retourne en direction de la sortie et j’aperçois un agent posté devant la porte. Je me dirige vers lui la tête baissée. Étonnement, mon bracelet n’émet aucun son toutefois je le regarde avec dégout et avec l’envie de le briser. Je veux tout détruire, mais je sais pertinemment que je ne peux rien faire au risque de vivre un traitement plus sévère. Je me sens tellement impuissante, les bras ballants je suis ce type sans émotion.

 

Nous empruntons un long couloir, je m’attends à ce que JT93 nous rejoignent, mais ce n’est pas le cas, nous continuons à marcher et je ne cesse de me retourner en espérant le voir, en vain. L’agent prend subitement un chemin différent que je ne reconnais pas.

— Où allons-nous ? Ce n’est pas par ici ! m’écrié-je.

Il ne me répond pas et poursuis sa route. Je m’arrête net, il en fait autant. Il tourne la tête vers moi, les yeux fixes.

— Ce n’est pas la bonne direction ! Je n’ai pas reçu d’instruction me demandant d’aller ailleurs !

Mon écran s’enclenche aussitôt et je peux lire que je dois suivre l’agent à mes côtés.

— Et pourquoi tu ne le dis pas directement, tu es muet ? Vous avez interdiction de parler avec nous ? Ils sont marrants ici, maugréé-je en reprenant la route.

 

Bien sûr, il ne répond pas et se contente de marcher. Je le regarde avec attention, je scrute les moindres détails et plus je l’observe plus je comprends qu’il n’est sûrement pas humain. Ses mouvements ne sont pas aussi fluides que les miens. Cependant je me souviens avoir pris JT93 pour un robot. Pourtant, j’ai envie de le tester pour en avoir le cœur net, je secoue la tête et m’oblige à oublier cette idée. Je réussirai qu’à me mettre en danger, mais bon je le suis peut-être déjà.

 

L’individu s’arrête de nouveau, il pointe le sol du doigt, évidemment mes yeux s’orientent à terre. Il recule tout en levant la main pour me demander de ne pas bouger. Je le regarde de travers. Le carré de sol sur lequel je suis se met à descendre en provoquant un bruit violent, surprise je saute immédiatement sur le côté me retrouvant face à l’agent. La plateforme s’immobilise aussitôt. L’employé inexpressif me saisit fortement par le bras et me ramène dessus. Je suis dépassée par ce qu’il m’arrive, ce qui enclenche le bip. Le point positif dans tout ça, c’est que j’ai ma confirmation, j’ai bien à faire à un robot. À travers ses gants, je comprends que ses doigts sont très rigides et fermes, trop pour que ce soit une poigne d’homme. J’ai mal, mais je ne le montre pas. Je ne me débats pas, je crains qu’il me brise le bras si je persiste.

 

La plateforme bruyante reprend sa descente. J’entends malgré ce vacarme mon cœur tambouriné dans ma poitrine. Depuis mon arrivée, c’est bien la première fois que j’ai un mauvais pressentiment. Je n’aperçois plus du tout l’agent, autour de moi. J’en profite pour caresser et masser mon bras douloureux en grimaçant. Après peut-être trois mètres, cet élévateur se stoppe dans un bruit sourd métallique. Une porte battante s’ouvre en grinçant, j’emprunte un couloir étroit toujours blanc et lumineux, le plafond est plus bas qu’à l’accoutumée. J’avance doucement peu rassurée puis, j’ai soudainement une envie brutale de dormir. Je n’entends que le son de ma respiration qui devient de plus en plus vif et les battements de mon cœur. Je titube, je me tiens au mur, finalement je n’arrive plus à faire un pas de plus, mes forces me quittent rapidement ; je tombe sur les genoux et les mains à plat sur le carrelage froid, puis mes paupières trop lourdes se referment. Non !

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Maric
Posté le 30/06/2022
Hello,
Ravie de poursuivre la lecture. J'ai dévoré chapitre.
Cet univers est glaçant !
SS71 se pose autant de questions que moi :)
Mais que va-t-il lui arriver ?
A bientôt
Akiria
Posté le 24/07/2022
Beaucoup de choses lol même si c'est pas encore écrit
Je suis embêtée entre deux points de vue... mais je vais me décider à moment où un autre. Merci ma fidèle lectrice ;-)
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