Le haïku est un très court poème né au Japon au XVIIe siècle. On attribue sa création au poète Matsuo Bashō, considéré avec Buson, Issa et Shiki comme l’un des grands maîtres de cette forme poétique.
Il s’agit à l’origine du premier verset (appelé hokku) d’une forme plus longue, le haïkaï. Le haïkaï (abréviation de haikai no renga) était un genre populaire de renga – poésie collaborative japonaise d’au moins deux strophes (ou ku). Haïkaï signifie en japonais « comique » et marque de ce fait son opposition à d’autres genres poétiques aux volontés plus élégantes et raffinées. Il s'agissait d'un genre léger, drôle, souvent satirique et parfois grivois, jouant sur les mots, jusqu’à l’époque de Bashō où celui-ci décide de lui donner un ton plus sérieux. Le haïku, dont le nom est une contraction de haikai no hokku (littéralement « le premier verset du haïkaï »), a au XVIIIe siècle peu à peu pris la place du haïkaï lui-même, tombé en désuétude. Mais ce n’est qu’avec Masaoka Shiki, au XIXe siècle, qu’il devient une forme pleinement autonome.
C’est seulement entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle que le haïku trouve une place dans la littérature occidentale, du fait du japonisme (influence de l’art japonais sur l’art français puis occidental au XIXe siècle). Nombre de poètes français s’y essayent, et plusieurs recueils entiers de haïkus voient le jour. Citons les Onze haï-kaïs (1920) de Paul Éluard, à la forme très libre, ainsi que le recueil Cent phrases pour éventails (1942) de Paul Claudel. Depuis 2015, la cinéaste et autrice Jennifer Lavallé anime le concours de poésie « Un haïku pour le climat » organisé par le CLER (Réseau pour la transition énergétique), en partenariat avec l'AFH (Association Francophone de Haïku).
Fins colliers de pluie
d’une gouttière au perron —
La porte entrouverte
La visée principale du haïku est de « saisir le moment présent », de façon très concise. C’est une peinture sur le vif d’un élément du quotidien, soulignant la simplicité de celui-ci mais aussi sa singularité et son aspect fugace. Il rend finalement compte de la poésie d’un instant.
Sa brièveté donne la mesure de ce qui n’y est pas dit.
Rédiger un haïku est une forme de méditation active : son écriture a pour visée la recherche d’une adéquation entre corps, esprit et monde environnant. Il peut être facilement conçu mentalement et incite le poète, pour trouver l’inspiration, à être attentif à son environnement. Conséquemment, le message qu’il véhicule se doit de faire preuve de pacifisme et de bienveillance.
Ce que le haïku a perdu de ses origines nippones dans sa pratique en France, c’est la richesse typique du vocabulaire japonais, autant que les jeux d’homophonies et la souplesse sémantique de sa langue originelle. Ce qu’il en reste, en dehors de sa structure formelle, c’est sa dimension suggestive : deux images distinctes sont exposées côte à côte – sans qu’elles aient forcément de lien direct –, l’une venant contrebalancer l’autre. La beauté du poème ne réside alors pas tant dans sa forme ni dans ses mots, mais plutôt dans l’aspect évocatif de ces deux images. Le lecteur tisse de lui-même un lien entre elles, d’après les éventuels indices laissés par le poète. En outre, la subtilité du haïku est de suggérer un sentiment ou une émotion, par ces mêmes images, plutôt que de l’exprimer directement. Il fonctionne en ce cas selon le principe de la métonymie : chaque mot n’est que la trace d’une entité ou d’un concept plus grand (l’arbre en fleurs se rapporte au printemps, ou à l’amour naissant par exemple).
Le haïku a en ce sens beaucoup de points en commun avec la photographie : capturer l’éphémère – un instant, immobile ou en mouvement – d’un certain point de vue. Laisser supposer un hors-champ. Puis faire ressortir ce que cet instant à d’éternel, d’universel.
Une seule lecture n’est pas suffisante pour apprécier un haïku.
Une mélodie
m’interrompt dans mes pensées —
Éclaircie du soir
Le haïku, dans sa forme classique, s’écrit dans les langues non japonaises sur trois lignes (il s’agit donc d’un tercet), respectivement de 5, 7 et 5 syllabes (pour un total de 17 syllabes). En japonais, il n’est pas question de syllabes, mais de mores. C’est une notion semblable à celle de la syllabe, quoique plus précise : une syllabe peut être constituée de plusieurs mores.
Il comporte un kigo, ou « mot de saison », ayant pour but de relier le poème à la réalité et à un espace-temps donné (souvent lié à une saison particulière, ou à un moment de la journée). La force et l’intérêt du kigo pour le poème réside dans le fait qu’il évoque tout un univers en un seul mot. Au Japon, il existe des saijiki, sortes d’almanachs listant des kigo en fonction des saisons.
Un haïku se doit également de comporter un kireji (littéralement « mot qui coupe »). En japonais, il s’agit d’un mot-outil (c’est-à-dire sans signification mais utile à la structure du poème) ou d’un suffixe, d’une à trois mores, mettant en relief un mot ou groupe de mots le précédant. Un kireji est également porteur d’une certaine émotion et/ou intonation. En français, sans termes équivalents, nous remplaçons le kireji du haïku par une césure, pouvant être marquée de différentes façons : par un tiret long (—), un tilde (~), ou une majuscule au début du vers suivant. Un moyen de retrouver l’aspect expressif du kireji japonais peut aussi être d’utiliser à la césure une ponctuation expressive : « ? », « ! » ou « … ». Le kireji est en fait une suspension du temps, une respiration : il indique au lecteur de marquer un silence à la lecture, afin d’accentuer la tension entre la première ou dernière ligne et les deux autres. Le kireji marque alors le passage de la première image évoquée par le poème à la seconde. Cette deuxième image peut être un changement de perspective, un pas de côté, ou bien une focalisation sur un détail du tableau que le poète donne à voir.
Essence et gazon
embaument l’air du jardin —
Le chat a pris peur
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En bref, un haïku c’est :
— 3 lignes (5-7-5 syllabes)
— un kigo (mot de saison)
— un kireji (césure entre un vers et les deux autres)
— s’imprégner de l’instant présent.
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Sources :
https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/haïku/57238
https://www.association-francophone-de-haiku.com/definition-du-haiku/#Un_petit_poeme_a_5-7-5_syllabes
https://www.lintermede.com/dossier-brievete-haiku-poesie-japon-occident-litterature.php
https://www.coollibri.com/blog/comment-ecrire-un-haiku/#:~:text=in%20your%20browser.-,Comment%20écrire%20un%20haiku,Ni%20plus%2C%20ni%20moins.
http://sukinanihongo.blogspot.com/2016/06/waka-tanka-haiku-uta-poesie-japonaise.html
Voire que l'auteur s'investit autant dans l'explication de son art, art populaire que de nom, atteste de son sérieux.
Après avoir lu ça, on peut donc se lancer, tout en étant à l'aise, dans la lecture de ce recueil de Haikyu.
Merci !
Ça a bien rafraîchit mes souvenirs en la matière, et ça a même clarifiés quelques points.
Je vais essayer de m'y remettre, même si je dérive assez facilement vers le senryū :)
Il y a sans doute quelques "haïkus" dans les chapitres qui suivent qui relèvent davantage du senryū ! Je te fais confiance pour les trouver 😋
Pour ma part je préfère conserver cette forme dans une logique contemplative et méditative. Il existe suffisamment d'autres formes poétiques pour se plaindre sur son sort à mon goût 😂
Je comprend ta remarque sur le senryū. Elle se tient bien. En général je préfère les utiliser pour des petits effets comiques, de l'ironie, ou une pointe de cynisme, mais pas forcément pour quelque chose d'autocentré (enfin il me semble :) )
J'ai pris un grand plaisir à lire cette fameuse introduction, il faut dire que c'est plus agréable qu'une page Wikipedia ^^ Très intéressant, je ne connaissais pas du tout l'histoire qui précédait ces poèmes emblématiques, mais cela donne envie de s'adonner à leur écriture...et lire les tiens également !
Et merci pour cette explication si détaillée et très intéressante. Après avoir lu ceux de Renarde dans le PaTober, j'étais très curieuse d'en comprendre la structure et le sens.
Adéquation entre corps, esprit et monde environnant, cela me parle.
A très bientôt
A bientôt, j'espère que les pages suivantes te plairont !
J'adore la poésie, mais je ne connaissais pas les détails sur le haiku. Merci donc pour cette introduction. Je ne m'y attendais pas en arrivant sur ton premier chapitre, et je dois reconnaître que c'est super de commencer ainsi ! Cette remise en contexte est bien menée et documentée. Je me demandais d'ailleurs, quand tu parles des mores, si ceux-ci peuvent être rapprochés d'un pied, à défaut d'une syllabe ?
Une autre pensée à voix (pas si) haute : la culture japonaise, même si elle rayonne en Occident, occupe en France une place plus importante que les autres pays. J'apprends à ta lecture que cet infusion de l'art et de la culture japonaise dans la nôtre est bien plus ancienne que je ne le pensais !
Sur ce, je m'en vais découvrir tes estampes.
Les Histoires d'Or m'amènent par ici à la découverte de ta plume et voilà déjà une belle introduction. Je connais assez bien le haïku et ses règles pour en avoir lu pas mal à une époque, ainsi que les poèmes "type haïkus" de certains auteurs occidentaux. Je pense notamment à ceux de Paul Éluard et de Philippe Jaccottet.
Cela dit ton intro m'a rafraîchi la mémoire sur certains détails - et notamment l'aspect léger voire humoristique que peuvent avoir les haïkus.
Très enthousiaste donc à l'idée de découvrir les tiens !
C'est intéressant cette introduction. C'est vrai qu'on connaît le haïku souvent de nom, en voyant vaguement à quoi ça ressemble sans en savoir beaucoup plus. C'est intéressant d'avoir pris le temps d'écrire cette introduction !
Rien à voir, mais je me suis régalé (et je me régale encore) avec tes textes dans la PAtober donc je suis profite des Ho pour venir voir un peu tes écrits (=
C'est parti !
Bonne lecture à toi ;)
Merci pour cette introduction très claire. Je pense enfin avoir compris le principe et la volonté du haiku. Ca me motive d'autant plus à vraiment me pencher sur la littérature japonaise qui a l'air riche - avec toute cette attention à l'instant présent et à l'environnement. Merci !
Cette présentation est super intéressante ! Je connaissais grosso modo du Haïku juste la consigne des trois vers et de parler des saisons, mais woah les exigences du genre c’est impressionnant. J’ignorais ces affaires de scansion, de silences et de souffle. Le côté impressionniste aussi. Et c'est marrant que "haïkaï" ça veuille dire comique à la base, c'est pas l'image répandue du haïku. Voilà qui m'intrigue en tout cas.
C’est cool de croiser de la poésie par ici. Aller je me lance dans la lecture
J'ai moi-même écrit quelques haïkus pour mon prochain roman, et j'ai retrouvé pas mal de choses que j'avais lues en faisant mes recherches, mais je (re)découvre le principe du kireji... (Soit je ne m'en souvenais plus, soit je n'avais pas compris ^^')
C'est cool en tout cas ! C'est plutôt rare de pouvoir lire des haïkus, je reviendrai régulièrement par ici ;)