JADE
Papiers, paperasses, joyeuses papettes, pourquoi pas ? Dansent et virevoltent, mais toujours rapides, toujours pressées. Jamais poser les yeux, jamais même penser à poser les yeux, sinon c’est pas dit qu’on puisse les reposer à nouveau. Sur quoi que ce soit.
Léon…. Léon. Léon. Léo.n.
Léo-le-lion. Léo vibrant, rougissant, Léo-l’écarlate, Léo vivant, frissonnant, aux appétits insatiables et cœur de Lion. Léo qui s’échappe au loin, insaisissable, même ici, même enterré, même enfermé. Léo-coup-de-vent-fantasque.
Léo ?
Léo…
Léo…?
Léo comme un lion. C’est ce qu’on lui disait toujours.
Un…lion.
des crocs ?
Acier... Argent…?
Jade.
Jade. Jade. Jade. Jade.
Jade. Jade. Jade.
Jade. Jade. Jade. Jade.
Jade. Jade. Jade. Jade. Jade.
Jade.
En boucle et boucle et reboucle. Jade de la pluie traversière, Jade-drôle-d’oiseau, équilibriste du fil-monde, file le monde, artiste du chaos abritant secrètement feu sacré et folie des nymphes. Jade.
Danse et virevolte, mais toujours rapide, toujours pressée. Jade. À en perdre le sens. Jade. Souffle et reprend son œuvre. Un sourire en coin, tout de même. Pas bête pour un sou, Jade. Pas folle, pas bernée, pas encore à côté de ses pompes, même quand l’oubli frappe à toutes ses portes, quand il l’appelle et la happe vers d’autres fonds. Elle lutte et résiste comme une bête. Un lion. De Jade. C’est imparable ! Tous les chemins y conduisent irrémédiablement. Alors voilà, tant que ses chemins ne s’effondrent pas, elle peut garder la tête hors de l’eau, elle peut respirer un peu. Jade. Souffle et reprend son œuvre.
Habile, tournicotante, frivole, presque, elle se laisse aller, se laisse envoler à ses doigts qui parlent à sa place, prennent ici, déposent là, et garde les yeux résolument fixés dans le lointain. Au-delà des murs de pierre aux noms indicibles, des confins de solitude et d’abandon auxquels elle est réduite. Léon parmi les Léon, derrière son déguisement aux traits impénétrables, son cœur se serre un peu. Dans l’espoir de temps moins troubles.
Jade a du mal à se rappeler qui elle est, parfois. Sous ces costumes et faux-semblants, il n’est pas si rare de s’oublier. Chaque jour floue les contours un peu plus, et lorsque les images sont trop troubles, elle tremble parfois, juste à temps pour se souvenir de l’inoubliable. Jade. Ils peuvent prendre son corps ; ils n’auront pas son nom. Car c’est en.......corps...... tout ce qui lui reste.
Et puis elle se fige un instant, elle suspend ses gestes dans les airs, paralysée, ailleurs, suspendue elle aussi. Sourit. Et puis rit même. Mieux vaut ça. Oui, vraiment. Elle rit et se trouve libre, soudain. Non pas tant : se libère. C’est ça. Se libère pour elle et pour tous les autres, en leur nom, s’envole et éclot, se révèle comme elle a toujours été, au fond d’elle-même, intimement : libre.
Une folle envie de chanter enflamme alors ses entrailles, une envie de s’embraser pour l’éternité, créer, tisser, faire et fabriquer, voir des visages étrangement familiers, une envie fascinante et transportante.........manque de sortir.......mais non.....il ne faut...pas.. Garder cette étincelle pour elle plutôt, précieusement, au chaud, en son creux. Pourtant, malgré cette contention, si on la regardait avec suffisamment d’attention dans cette petite pièce sombre, on lui devinerait d’étranges ailes. Fruit d’une imagination trop fertile ou symbole d’une résurrection à venir, d’un envol à portée de ces mains si curieuses ?
Jade..... Souffle et reprend son œuvre. Papiers, paperasses, joyeuses papettes, pourquoi pas ? Dansent et virevoltent avec une grâce renouvelée. Le corps toujours ici mais l’esprit ailleurs. Et dans la nuit, se tait bruyamment.
***
THÉA
Bientôt la lumière, dehors. Théa court. Derrière elle, les voix fusent, fermes, essoufflées, les « Revenez ici, je vous en prie, ce n’était qu’un malentendu... » Mais peu lui importe, en réalité, malentendu ou autre, elle court et puis c’est tout. Les murs du château défilent, la porte approche encore, ses immenses battants de bois laissant apercevoir les contours de la ville, et voilà qu’elle sort, qu’elle sort du château, que la ville l’engloutit, l’air frais dansant sur sa peau.
Les voix de ses poursuivants sont noyées dans la rumeur d’une Rune festive, mais ils ne la lâchent pas pour autant, alors Théa continue, encore, elle court. La grand-rue est une parade, un enchevêtrement de gens comme un animal immense qui respire, bat et vibre dans un seul et même mouvement. Théa court. Autour d’elle, ça parle, rigole, court aussi, danse, chante, musique, virevolte, Théa fait le plein de ces sensations lumineuses et se fond dans la foule à son tour. Elle fusionne avec l’attroupement, s’aide de sa petite taille pour se faufiler entre les lignes, serpente, sillonne et puis là, au centre des effusions, elle respire, bat et vibre en rythme, s’approprie le souffle commun, s’oublie dans la marée.
Un instant s’écoule pendant lequel tout décélère et la voilà libre. Puis une main brusque se pose sur son épaule, Théa rouvre les yeux, se reconnecte au réel. Un garde. Un autre qui arrive. Bientôt, ils grouillent et convergent tous vers elle.
— Mademoiselle Théa, suivez-nous je vous prie. Ne soyez pas déraisonnable, un membre de la famille royale ne peut pas sortir en pleine parade sans escorte...
— Mademoiselle Théa, je suis certain que votre père ne pensait pas à mal, vous savez comme il est... Allez, rentrons.
Théa se dégage et reprend sa fuite, zigzaguant habilement entre les lourdes poignes tendues en sa direction, court, court, court, à en perdre haleine, et quand c’est fait : court encore. Vire à droite, plein Est, direction les quartiers pauvres, ils ne l’ont jamais effrayée, et les soldats n’iront pas y perdre leur temps en pleines festivités. Enfin s’arrête. D’un regard en arrière, vérifie qu’elle est seule : oui, bon. Parfait. Plus qu’à reprendre son souffle, attendre un moment. De toute façon il n’y a personne dans les alentours, la ruelle où elle se trouve est vide. Vide, morte. Difficile d’imaginer l’étendue des réjouissances, à quelques virages d’ici. Enfin, « vide », ce n’est pas tout à fait vrai. Dans les piteuses habitations qui l’encerclent, dans tout ce gris délavé, gris-moche, il y a des centaines de pauvres âmes qui se cachent et qui ne participent pas. Faudrait pas ruiner le plaisir des plus riches, avec leurs trognes abimées ! C’te blague.
Théa s’adosse à un mur et s’assied. Elle est plus proche de l’entrée de la ville qu’elle n’aurait cru. Faut croire qu’elles trottent, ces gambettes ! C’est l’exercice ça. Elle sourit en pensant à tous ces jours d’entraînement, courir, courir, mais pour échapper à quoi, hein ? Ha ! Rien de bien grave, sans doute. Parce que Théa est ainsi : qu’un problème la préoccupe et il n’est jamais bien grave. Théa qui compatit à la plus petite des misères est incapable de constater la sienne. Pourtant, ses problèmes ne sont pas insolubles, sûrement pas, même ! Mais à les ignorer si longtemps, à détourner le regard, qui sait en quoi ils se muent ? C’est dans le noir que nos démons développent des racines.
Elle fait le point. Ce pour quoi elle est là, les sentiments qui affluent. La remarque de son père, en soi... Oui, sans doute un malentendu. Peut-être qu’elle en a trop fait, au fond. Bien sûr qu’il ne pensait pas à mal. Qu’il l’aime. Qu’elle l’aime aussi. Leur lien est sa plus forte attache au monde, empli d’amour, de vie, de joies et de peines, de discussions éternelles, sur tout, rien, surtout rien, non-dits. Un bonheur infini, poussé à son paroxysme, comme une promesse intime de ne jamais perdre de temps, de ne pouvoir être rattrapés par rien. Une admiration tellement puissante qu’à certains moments, Théa se dit, tout de même, est-ce que c’est bien normal d’éprouver un amour pareil pour qu’unqu’un, comme ça, y aurait-il pas quelque chose qui cloche chez moi, parce qu’un lien aussi fort, ça ne peut pas être réel, si ? Et parfois, c’est vrai, il y a des bas aussi. Des bas comme maintenant, des moments où ça dérape. Son bonheur tellement intense ne saurait être ininterrompu, ça la dévorerait de l’intérieur.
Le souci, avec le bonheur, c’est qu’il fait croire à l’immortalité. Pourtant, par instants, il meurt un peu. Des réflexions, des reproches, des indiscrétions, ce sont là les petites morts du bonheur de Théa. Le problème, c’est qu’elle en a trop conscience : elle les épargne à ceux qui ne les lui épargnent pas.
Son pire ennemi, c’est sa mémoire. Elle se souvient de tout : la moindre remarque, pique, réprimande, se fige au plus profond de son corps et détruit quelque chose en elle qui peine à se reformer. Alors elle réagit comme ça, au quart de tour, et passe pour une détraquée, une folle, une « susceptible », et ça c’est ce qui blesse profondément, parce que dans ces moments-là, elle comprend qu’on ne la comprend pas vraiment, pas complètement. C’est un peu ça, au fond, non ?
Théa qui sauve les autres, qui vit le monde par leur corps, Théa qui a inventé la curiosité quand elle n’existait pas encore, et les discussions éternelles dans les cocons de nuit, Théa qui guide sa troupe, les éclaire, tous, avec son courage magnétique, fascinant, cette énergie folle, démesurée pour un si petit corps, Théa en oublierait presque de se sauver elle-même. Alors elle se sauve : elle court.
Et percute de plein fouet un jeune homme qu’elle n’a pas vu arriver.
("Elle lute et résiste comme une bête." Elle lutte*, si c'est bien le verbe lutter ?)
Mais merci pour tes compliments, c'est génial si tu trouves que tout ça s'est affiné. Je suis assez d'acc avec toi (et supermodeste lol)
Non, mais je trouve qu'effectivement j'ai peut-être une meilleure conscience d'ensemble, et je me sens plus à l'aise avec le fait d'articuler les choses entre elles, là où j'avais une écriture beaucoup plus "instinctive" avant ? Jsais po. Bref, ça va faire un joli bordel si ma plume se modifie avec le temps, mais écoute, maintenant qu'on y est, autant profiter du voyage ;-;
Merci pour la coquille, et merci pour tes encouragements éternels, ils me font toujours aussi plaisir. Je vais enfin entrer dans la période la plus calme de mon été. Je sens que ça va écrire à BALLE !! WOO !!!
(biz<3)
" Une admiration tellement puissante qu’à certains moments, Théa se dit, tout de même, est-ce que c’est bien normal d’éprouver un amour pareil pour qu’unqu’un, comme ça, y aurait-il pas quelque chose qui cloche chez moi, parce qu’un lien aussi fort, ça ne peut pas être réel, si ? " le "qu'unqu'un" c'eest voulu ou pas ^^' ? Ça m'a perturbée x)
Le jeune homme, c'est Soa ? Dis moi que c'est Soa, stueplait steuplait steupaliiiiiiiiiiiiiiiiiiit !
Bon, sinon j'ai pas eu grand chose à dire, je me suis surout laissée portée par ta plume qui, je l'avoue, m'avait pas mal manquée <3 J'ai carrément un peu tout relu pour me remettre dans le bain (et pour être un peu à jour de toutes tes dernières modifications) et je confirme : j'aime toujours autant ton univers ET te lire <3
Merci d'être retournée faire un tour, ça me fait super plaisir <3 Trop chouette si ça a permis de remettre des choses en place, et si mon univers te parle toujours autant, c'est vraiment incroyable *-*
Le "qu'unqu'un" est volontaire oui ;)
"Le jeune homme, c'est Soa ? Dis moi que c'est Soa, stueplait steuplait steupaliiiiiiiiiiiiiiiiiiit !"
>> héhé ptetre bien !
A vite j'espère !! Et merci encore <3