interlude

Par Sylvain
Notes de l’auteur : N'hésitez pas à jeter un coup d'œil à la carte:
https://sites.google.com/view/eryon/accueil

Le soleil se levait tout juste sur le royaume central et le fond de l’air était encore frisquet, même si la plus grosse partie de l’hiver était à présent derrière eux. Ça et là, quelques fleurs commençaient à montrer timidement le bout du nez. Sergue Justé aimait ces longues chevauchées au point du jour. L’air vivifiant l’aidait à garder les idées claires. C’était aussi une occasion de tomber sur le râble de la truandaille, tous ces maraudeurs et ces braconniers qui pensaient pouvoir brigander en toute impunité sur ses terres. Il en avait déjà harponné toute une flopée ; et même si aucun n’avait jamais avoué, il était persuadé que le vautour était derrière pas mal d’actes criminels le visant. Et maintenant que sa gargouilleuse de fille s’était attirée les bonnes grâces du fils Estelon, la vieille crapule ne se sentait plus pisser. Le gamin et le noblaillon était de mèche. Forcément. Si le vieil Estelon était trop gâteux pour se rendre compte que son propre sang conspirait contre lui, c’est qu’il était temps pour lui de passer la main. Il ne faudrait pas qu’il s’étonne s’il se retrouvait un matin avec la gorge tranchée. Ca puait le complot à plein nez cette histoire. Et même si la mort de Déleber ne lui ferait pas verser une larme, un royaume régenté par Emri Akaran n’augurerait rien de bon pour lui.

Un aboiement lointain le tira de ses pensées. Au loin, deux chiens-loups Boréanniens cavalaient comme des dératés. Deux magnifiques spécimens de ces canidés que l’ont ne trouvaient que dans le sud-est marécageux d’Eryon. C’est Evin qui lui avait trouvé cette portée. Son cadet avait toujours eu une passion malsaine pour les combats de chiens. Lorsqu’il lui avait ramené deux femelles, Sergue doit bien avoué qu’il avait été plutôt septique. « Ne te méprend pas Père, contrairement aux idées reçues, les femelles sont bien plus coriaces et teigneuses que les mâles. De véritables petites garces sournoises. Je te promets que tu ne le regretteras pas ». Et effectivement, il ne regrettait pas. Les molosses avaient une vitesse de pointe hors du commun, et pouvaient vous traquer une proie pendant des jours sans faiblir. Elles n’abandonnaient jamais, et une fois ferrée, leur cible n’avait aucune chance de s’en sortir. Une qualité qui n’était pas sans lui rappeler sa femme. Mary était une véritable vipère dotée d’une langue acerbe, et elle savait ce qu’elle voulait. Un poison pour ses ennemies. Elle avait préféré rester à Elhyst pour assurer leurs affaires, et garder un œil sur les préparatifs de l’enterrement d’ Andrev. Ce qui ne le dérangeait pas outre-mesure. Il passerait la nuitée dans sa petite retraite, au sud des terres, non loin des geôles de Fer. Cette petite friponne effrontée rencontrée plus tôt dans une échoppe crasseuse lui avait donné des frissons. Elle n’avait pas fait d’histoires lorsqu’il lui avait proposé le salaire d’une vie pour passer quelques nuits avec lui. Elles acceptaient toutes. La chair, son pêché mignon… Il repensa, non sans une certaine émotion, à la petite cousine de sa femme, une des seules survivantes du massacre de la lignée Gran-Cervetez. Quel moment il avait passé alors! Rien à voir avec les bouseuses couche-toi-là qu’il pouvait lever au détour d’une ruelle. Non, cette fois-ci, ça avait été du grand art, du travail d’orfèvre, il avait tapé dans la noblesse rustique et effarouchée. Certes, Mary était une belle femme, intelligente et distinguée. Mais Sergue était un chasseur. Un traqueur. La domestication ne l’avait jamais intéressé, il avait besoin de proies sauvages. Et ce n’est pas comme si son mariage était le fruit d’un amour sincère.

Nouveau jappement. Suivi d’un cri déchirant. Ah ! Attrapé, compris Sergue en esquissant un sourire sans joie. Les deux chiennes sautillaient joyeusement autour d’une masse prostrée au sol. Juste derrière, deux cavaliers tentaient de les éloigner de leur distraction. Deux garçons solidement bâtis. Ses benjamins, les jumeaux. Ses portraits crachés. En pire. Dépourvus de la moindre trace d’empathie, les deux gaillards n’avaient pas grand-chose à envier aux bêtes qu’ils tentaient désespérément de calmer. Comme lui, ils étaient allergiques au vernis protocolaire de la cour, et préféraient de loin courir la campagne avec leur père que de faire le pied de grue aux réceptions aristocrates. C’est à peine s’ils avaient reniflé au décès de leur aîné. Ils n’avaient jamais été très proches de toute façon. Ni de personne en fait, ils se suffisaient à eux même. Sergue tira d’un coup sec sur les rênes de son cheval pour se diriger vers eux. Lui avait plutôt mal vécu la perte d’Andrev. Merde, il s’agissait quand même de sa chair, le sang de son sang ! Et ce bougre de Déleber lui avait vendu des excuses et des promesses démagogues. Peu importe, il se ferait justice seule, il traquerait les meurtriers de son fils et lorsqu’il les aurait entre les mains… Eh bien espérons qu’ils s’entendent bien avec la race canine. Andrev ne méritait pas ça, ce pauvre gamin aux idéaux allocentriques. Evin était bien plus dur lui, roué comme sa mère, une véritable pourriture au sourire enjôleur. Capable de vous caresser la joue de la main droite en vous jurant un amour fidèle pendant que la gauche vous faisait les poches.

Lorsque Sergue rejoignit ses benjamins, ceux-ci le détaillèrent d’un œil vide d’émotion qui lui faisait toujours froid dans le dos malgré toutes ces années.  Les chiennes s’étaient à présent calmées et restaient couchées à leurs pieds, mais on sentait bien qu’elles contenaient à grand-peine une excitation débordante. A côté, l’homme recroquevillé n’avait toujours pas bougé. D’un brusque geste du menton, Sergue désigna une besace posée au sol.

— Alors ? grogna-t-il.

L’un des jumeaux –Barnej ? Bon sang, il peinait toujours autant à les distinguer– exhiba un petit lapin à la fourrure brune.

— Un garenne Père, On le pend ?

A ces mots, l’homme se redressa et lança un regard terrifié et implorant au souverain des terres.

— Mon Seigneur, bégaya-t-il d’une voix chevrotante. Par pitié, je ne pensais pas à mal, j’ai vu ce beau lièvre et mon estomac a pris le dessus sur ma raison !

Sergue inspecta la bête.

— C’est bien une marque de collet que je vois là ? Tu poses des pièges sur mes terres ?

— Non ! Si… enfin, j’ai une petite fille aveugle, et une femme malade qui glaviotte des glaires à longueur de journée !

— Et une pauvre vieil mère au pied bot, ricana l’un des jumeaux. On connait le refrain. Alors, on le pend ?

Sergue jeta le lapin à ses chiennes qui l’attrapèrent au vol. Croquine le broya d’un coup de mâchoire puissant avant que l’autre ait pu réagir. Elle avait toujours était la plus vive.

— Non.

— Non ? s’étonnèrent les deux colosses d’une seule voix.

D’un coup de talon dans le flanc, Sergue fit faire demi-tour à sa monture et leur tourna le dos. L’homme se répandit en excuses et en louanges :

— Merci Messire, merci mille fois ! Eljane et Jaénir vous bénissent ! Plus jamais je ne volerai sur vos terres ! Je vous resterai redevable à jamais!

D’une voix implacable, Sergue lâcha :

— Croquine et Mignette ont besoin d’exercice. Laissez-les s’amuser un peu avec lui.

On ne braconnait pas sur ses terres. Il avait toujours était clair sur ce sujet.

*

Un peu plus au nord, L’archiprêtre Ulfan effectuait les cent pas sous la coursive intérieure du sanctuaire Jaéniste. Il dépassa un petit groupe de scribouillards profitant des premières lueurs matinales pour recopier le dernier livre du Sanctissime Primat. Tentations et repentance, un ouvrage faisant référence à l’extrême clémence de l’église quant à ses détracteurs. Cela fit doucement sourire le religieux. Candala menait sa religion d’une poigne de fer, et l’insubordination y était vivement réprimandée. Il dépassa quelques fidèles occupés à absoudre quelques crédules, et surtout à récupérer leurs offrandes. Il fallait bien que l’église vive. Les choses se passaient plutôt bien pour lui, il était un homme respecté et craint, installé au plus haut poste ecclésiastique de la capitale. Sa parole faisait foi et certains nobles lui mangeaient même dans la main. Alors pourquoi Candala avait-elle décidé de lui envoyer un soutien ? Un nouveau prêtre devait arriver d’un instant à l’autre en provenance de la ville Sainte, et ça le perturbait fortement. Avaient-ils quelque chose à lui reprocher ? Ambitionnaient-ils de le remplacer ? Le Primat ne rêvait que de remettre la main sur le pouvoir monarchique, comme l’avait fait son prédécesseur. Ulfan était alors un jeune religieux. L’archiprêtre de l’époque avait pris la tutelle du royaume pendant deux ans, et avait considérablement renfloué les caisses de Candala, suite au meurtre de Kelfyer. Il était alors évident que le monarque ne ferait pas de vieux os tant ses opposants étaient nombreux et virulents. Ils n’avaient eu qu’à attendre patiemment qu’une âme charitable et tordue se décide enfin à trucider le tyran. Mais voilà… Déleber n’était pas son géniteur. Le prendre en défaut était compliqué, le vieux renard savait parfaitement orienter ses paroles sans jamais franchir la ligne de l’hérésie. Un moine le prévint discrètement de l’arrivée de son invité. Nous y voilà, soupira Ulfan. Pourvu qu’il ne fasse pas partie de l’Obédience. Cet ordre, dont lui-même était issu, avait pour vocation de diriger. Si seulement ils pouvaient lui envoyer un érudit de la Connaissance, ou encore mieux, un moine de la diaconie fraternelle. Il était même prêt à se coltiner la présence d’un gardien de la Droiture. Tout sauf l’Obédience. Il était lui-même bien placé pour savoir que les membres de cette congrégation avaient les dents longues.

Lorsque l’émissaire de Candala apparut au bout du couloir, Ulfan fronça les sourcils. On lui envoyait un gamin ? Un jeune prêtre au visage bonhomme et à l’apparence désinvolte se dirigeait d’un pas presque nonchalant vers lui. L’archiprêtre souffla de soulagement. Il n’aurait rien à craindre d’un gosse à peine investi. Par contre, son habit sobre ne lui donnait aucune indication quant à son appartenance. Immédiatement, le garçon lui tendit la main et le gratifia d’un sourire franc. Esquissant d’abord un mouvement de recul, Ulfan tendit mollement la main. Il était plutôt habitué à ce que les gens se prosternent devant lui plutôt qu’à leur serrer la main. Le jeune prêtre fit preuve d’une poigne étonnamment énergique.

— Votre sainteté ! s’émerveilla le nouveau venu. Je suis heureux d’être ici ! J’avais hâte de découvrir la capitale, depuis le temps que j’en entends parler ! La plus merveilleuse des cités d’Eryon. Je commençais à m’encroûter à Candala !

Ulfan toussota et retira sa main. Etait-il vraiment en présence d’un religieux du nord ? Il entretenait un sacré manquement à l’étiquette en ce cas. Ainsi qu’à toutes les convenances que la bienséance imposait.

— Je n’ai pas bien saisi la raison de votre présence ici mon fils, demanda-t-il d’une voix dégagée. A quel ordre appartenez-vous déjà ?

— Je comprends votre émoi mon Père. Puis, lui lançant une œillade entendue, il ajouta : Nous savons, vous comme moi, à quel point la cité sainte peut-être friande de cachotteries.

L’archiprêtre s’empourpra et s’offusqua :

— Je ne vois absolument de quoi vous voulez parler ! Je vous somme à présent de me dévoiler votre appartenance. L’Obédience n’est-ce-pas ?

Le jeune prêtre secoua énigmatiquement la tête en signe de négation.

C’est déjà ça… songea le religieux.

— La Droiture peut-être ? Je sais que le Sanctissime Guerech aime recruter ses soldats de la foi très jeune. Cela permet d’avoir de valeureux…

— Non plus mon père, le coupa le gamin.

Bon sang, rêvait-il ou ce mioche se payait ouvertement sa tête ? Il ne perdait rien pour attendre, mais d’abord, il fallait absolument qu’il sache ce qu’il faisait là. Quelle idée saugrenue le Primat avait-il derrière la tête pour lui envoyer un adolescent à peine en âge d’avoir du poil au menton ?

— Reste la Connaissance et la Fraternité donc, mais je vois mal le Sanctissime Mitleid vous permettre de conserver cette tignasse pendant vos fonctions. Je pencherais donc pour l’ordre de la Connaissance.

— Vous avez encore faux Monseigneur.

Un certain malaise commençait à l’étreindre, un doute affreux s’insinuait lentement dans son esprit.

— Ne me dites pas que…

— J’ai bien peur que si mon Père.

— L’Anathème, lâcha l’archiprêtre d’une voix blanche, comme s’il avait évoqué une quelconque gravelure.

— C’est cela même mon Père, confirma le jeune prêtre en s’inclinant. Et comme j’ai manqué jusqu’à présent à toutes les convenances, laissez-moi me présenter : Je suis l’humble Yolas, de la congrégation de l’Anathème comme vous l’avez si judicieusement supposé.

— Je ne comprends pas… est-ce le Sanctissime Primat Leistung qui vous a recommandé auprès de moi ?

— Voyons mon père, vous n’ignorez sans doute pas que le Primat n’a d’influence que sur les quatre ordres établis mais aucunement sur l’Anathème.

— Mais alors, pourquoi ? En quoi votre ordre s’intéresse-t-il à la gestion d’Elhyst ? Je vous pensais exclusivement tourné vers le Patriarche.

— Vous savez que, ça non plus, je ne peux en parler. Sachez juste que je suis là pour vous seconder, que vous restez seul maitre à bord et que j’exécuterai le moindre de vos ordres sans rechigner.

Ulfan rumina quelques minutes ces informations. Il s’était débarrassé d’un Bronk un peu trop curieux en l’envoyant au nord, pour se coltiner un babillard insolent affichant ouvertement son appartenance pour une congrégation censément tenue secrète. Pas sûr qu’il y ait gagné au change.

Piqué au vif, l’archiprêtre tourna le dos et planta là le jeune coq impertinent pour s’en retourner vaquer à ses occupations.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Sebours
Posté le 15/03/2022
Tu amènes de nouveaux personnages avec leurs points de vue. Je pense que tu voulais montrer des informations dont les autres ne sont pas au courant. Cette multiplication des points de vues doit-elle montrer les intrigues du pouvoir? En tout c'est ce que je ressens. Je pense même que tu pourrais allé encore plus loin en mettant d'autres personnages et leurs réflexions (le prince Affanite, la femme de Sergue Justé...)
C'est juste dommage que ça coupe le lecteur du double/triple fil narratif déjà développé. J'aurai mis ce chapitre un peu avant.
L'anathème, c'est encore une confrérie secrète! Mais pour rester secrète, j'aurais habillé Yolas avec l'apparat d'un des quatre ordres officiels.
Sylvain
Posté le 17/03/2022
L'Anathème n'est pas une confrérie si secrète que ça, c'est juste ses desseins qui sont obscurs. Ce chapitre me sert surtout à introduire Yolas, le jeune prêtre, et à donner quelques détails qui auront leurs importance plus tard concernant Sergue.
Sebours
Posté le 18/03/2022
C'est ce que j'ai compris avec les chapitres suivants. :)
Edouard PArle
Posté le 09/03/2022
Coucou !
Le pdv de Sergue Justé permet de facilement situer le bonhomme et ses deux fils^^ Un peu de Ramsay Bolton dans l'âme xD Au moins, je ne risque plus de l'oublier...
J'ai beaucoup aimé le pdv d'Ulfar et l'apparition du nouveau personnage. Malgré sa jeunesse et sa promesse de seconder Ulfar, il paraît clairement dangereux. La réaction d'Ulfar quand il lui parle de son ordre donne envie d'en apprendre plus sur l'anathème (sympa le nom^^).
Mes remarques :
"Ça et là," -> çà et là
"Le gamin et le noblaillon était" -> étaient
"Sergue doit bien avoué" -> devait bien avouer
"qu’il avait été plutôt septique" -> sceptique
"Un poison pour ses ennemies." elle n'a que des femmes en ennemis ?
"Et une pauvre vieil mère" -> vieille
"Je vous resterai redevable à jamais! D’une voix implacable, Sergue lâcha : — Croquine et Mignette ont besoin d’exercice." pauvre homme ^^
Un plaisir,
A très vite !
Sylvain
Posté le 13/03/2022
Hello!
Content que Sergue et Yolas te plaisent. Il est vrai que ce dernier aura un rôle à tenir plus tard.
C'est vrai que le côté canin de Sergue rappelle celui de Ramsay^^
C'était un chapitre un peu à part, avec des points de vue différents des habituels.
A bientôt!
Vous lisez