Interlude

Par AGL

De mon autre main, j’agrippai mon sac en jute et le suspendis à mon épaule. La femme, paralysée de peur, eut à peine le temps de bafouiller.

— Arrête… Arrêtez-vous !

Sans l’écouter une seconde, je passai la porte avec Julia. En toute vitesse, nous descendîmes les escaliers et sortîmes du bâtiment.

— Où allons-nous, Monsieur A ?

— Loin.

Je regardais vers le nord.

— Par là.

Nous courûmes sans arrêt, évitant passants et voitures, jusqu’au bout de notre souffle. Nous parvînmes à un quartier résidentiel. Je ralentis le pas.

— Nous n’avons pas été suivis. Prenons une pause.

Je m’assis sur le trottoir, Julia m’imita. Elle posa sa tête sur mon épaule.

— Merci, Monsieur A.

— Ne me remercie pas, nous sommes recherchés à présent.

— Que m’importe, vous avez pris tête à la Loi pour moi. Vous ne m’avez pas abandonnée.

— Comment le pourrais-je ?

Je me levais.

— Viens, ma Julia. Il nous faut trouver un toit et de quoi manger avant que le soleil ne se couche.

Nous marchâmes quelques kilomètres à l’ouest du secteur résidentiel jusqu’à un motel. Je m’approchai de la réception et m’adressai à un vieil homme.

— Une chambre pour deux, s’il vous plaît.

C’est alors que, comme l’homme allait me répondre, un immense bruit emplit la pièce. C’était un signal d’alarme, semblable à celui d’une alerte nucléaire. La télévision, dans le coin de la pièce, se figea, avant de virer au rouge.

— Alerte. Enfant disparu dans le quartier sud de…

C’est alors qu’une photo s’afficha.

Et merde…

Subtilement, l’homme regarda derrière moi. Il reconnut tout de suite le visage de Julia et empoigna son téléphone. Je saisis la main de l’enfant et reprit la course.

— Arrêtez-vous !

À toute vitesse, nous sortîmes du motel et courûmes dans la direction par où nous étions venus. Je fis monter Julia sur mon dos, celle-ci n’étant plus capable de me suivre. Exténués, nous parvînmes à un parc, où nous nous cachâmes derrière quelques arbres et buissons.

— Qu’est-ce que c’était, à la télé, Monsieur A ? Il y avait une photo de moi.

— Une alerte nationale d’enlèvement.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Que tout le pays va te chercher sans arrêt. Et moi aussi.

Une voiture de police se fit alors entendre. Nous nous recroquevillâmes dans un buisson. Quand elle fut passée, je soulevai la tête et éclatai en sanglots.

— Ne pleurez pas, Monsieur A.

— Ô, ma Julia ! Pourras-tu me pardonner ? Je voulais te donner une meilleure vie, et voilà que je te cache dans un parc !

Elle essuya mes pleurs.

— Je le voulais ainsi.

Je souris.

— Ô, mon enfant, comme ce monde n’est pas digne de toi.

— Faites donc en sorte qu’il le devienne.

La nuit tombait, un vent frais se levait, nos ventres se plaignaient de faim. Nous entendions les policiers, au loin, ratisser les alentours.

— Monsieur A, racontez-moi une histoire.

— Ma Julia, j’ai froid, j’ai faim, j’ai peur. C’est l’une de mes histoires de destruction que tu souhaites entendre ? Voudrais-tu, en plus de tout ceci, faire des cauchemars ?

— Je n’ai pas peur de ce monde.

Je regardai ses yeux foncés dans la noirceur. Ils brillaient, remplaçant les étoiles invisibles. Je lui tendis la main, elle la saisit.

— Alors, suis-moi.

Nous quittâmes notre cachette pour nous aventurer vers une petite colline, qui surplombait le parc. Au sommet, nous nous assîmes entre deux conifères qui faisaient face à la rue.

— Tu te souviens des inventeurs de la voiture, ma petite ?

— Évidemment.

— Tu te souviens quand je t’ai dit que j’avais tant d’autres choses à te dire sur le monstre d’acier, mais que j’avais peur que ces hommes se suicident de honte ?

— Oui, je m’en souviens.

Je la regardai un instant.

— Il est temps que je te raconte la suite de cette histoire.

Elle souriait d’enthousiasme.

— Oui !

— Regarde vers la rue un instant.

Ce qu’elle fit.

— Vois-tu ces maisons à perte de vue, toutes pareil, toutes laides ? Vois-tu leurs lacs artificiels individuels dans leurs cours, leurs clôtures au centimètre près ? Et leurs stationnements, leurs voitures ? Et de ces rues, de ce parc vide, sans âmes qui vivent ? Ah ! oui ! tout ceci est bien une création de l’empire de la voiture. Ouvre bien les yeux, ma Julia, je te raconte l’histoire…

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