Interlude

Par AGL

M’assurant que nous n’avions pas été suivis, je toquai doucement à la porte. On ouvrit presque aussitôt.

— Béatrice, c’est bien vous ?

La femme me regardait avec un sentiment mêlé de méfiance et d’apaisement.

— C’est moi.

— Je suis Monsieur A, nous nous sommes parlé au téléphone…

— Je sais qui vous êtes, dit-elle en me coupant.

Elle posa un regard bienveillant sur Julia.

— C’est toi, Julia ?

— Oui.

Elle nous ouvrit le passage.

— Entrez, vite.

J’enlevai mes souliers en analysant un moment autour de moi. C’était une maison propre, à la fois spacieuse et modeste. Seules quelques peintures colorées habitaient les murs. Julia me prit la main.

— Où sommes-nous, Monsieur A ?

Je me penchai à sa hauteur.

— Ne t’en fais pas, mon enfant. Nous sommes en sécurité, ici. Maintenant, je vais aller discuter avec madame Béatrice, j’aimerais que tu restes dans le salon.

— Mais…

— Ce n’est pas de toi dont je veux parler, Julia. C’est de madame dont il sera question. Je ne suis pas un bureaucrate : je ne mens pas.

Elle hocha la tête.

— D’accord.

Je l’embrassai sur le front et me relevai. La femme me désigna le chemin vers la salle à manger. Je la suivis. Une fois assis, nous nous regardâmes un instant en silence.

— Vous savez qu’on ne parle que de vous à la télé.

— Je ne suis pas de ceux qui possèdent une télé.

Un sourire fit une apparition sur son visage. Je continuai.

— Vous avez un piano ?

— Non.

— Quand avez-vous vu votre frère pour la dernière fois ?

— À la mort de sa femme.

— Pourquoi ne jamais l’avoir revu ?

Elle poussa un soupir sarcastique.

— Vous ne l’avez jamais connu, ça se voit ! Mon frère est un égoïste narcissique, sans une once de respect. C’est lui qui a poussé sa femme à bout, jusqu’à la rendre malade. Je ne voulais pas que la petite connaisse le même sort, alors je lui ai demandé de me la confier. Nous nous sommes chicanés, il s’est éloigné, et je ne lui ai jamais reparlé depuis.

— Pourquoi n’avez-vous jamais eu d’enfants ?

Elle détourna le regard un instant.

— Disons que je n’ai jamais trouvé l’homme qu’il me fallait.

— Et l’adoption ?

Son regard était sévère.

— Il n’y a qu’un enfant que j’ai toujours voulu adopter, Monsieur A.

Je hochai la tête.

— D’accord. Voici, Béatrice, votre voix au téléphone, vos yeux désormais, ils m’ont dit qui vous êtes. J’ai confiance en vous, je sais que vous feriez une bonne mère. Or, ce n’est pas à moi d’en décider, c’est à Julia. Je vous donne une semaine pour gagner sa confiance et son amour. Pendant ce temps, je devrai rester ici, à ses côtés.

— Votre confiance me touche. Or, vous savez que, dans tous les cas, je suis sa seule titulaire légale, n’est-ce pas ?

Je souris.

— Légale, non légale. Que m’importe encore la Loi, ma chère ! Ne suis-je pas l’homme le plus recherché du pays ? Devrais-je encore me cacher avec Julia pendant des années, je le ferai ! Je ferai tout pour qu’elle ait la meilleure des vies !

— Moi aussi, Monsieur A.

Je pris les mains de la femme et scrutai son âme.

— Alors, prouvez-le !

 

***

 

Cinq jours étaient passés. Cinq jours durant lesquels j’avais essayé de m’éloigner, tout en étudiant la relation qui se bâtissait entre Julia et Béatrice. Ce soir-là, comme toujours, j’allai border Julia.

— Monsieur A ! Où étiez-vous toute la journée ? Vous avez manqué l’après-midi de jeux de société !

Je souriais.

— J’étais occupé, ma petite. Dis-moi, c’était plaisant ?

— Oui ! J’ai appris à jouer aux échecs ! J’aimerais faire une partie contre vous !

— Demain. Pour l’instant, c’est l’heure de dormir.

Elle s’assit dans son lit.

— Mais je ne suis pas fatiguée !

— La fatigue ne t’a-t-elle jamais prise, petite étoile !

Elle brillait.

— Ô Monsieur A, racontez-moi donc une histoire ! Cela fait déjà si longtemps que vous n’avez pas partagé vos trésors avec moi ! S’il vous plaît, juste une histoire !

Je me mis à réfléchir.

— Une histoire, n’est-ce pas ? Il y en a bien une. Je me surprends même de ne pas te l’avoir déjà racontée.

— Racontez-moi, il est grand temps !

Je hochais la tête.

Oui, mon enfant, il est grand temps…

Émotif, je poussais un soupir.

— Ouvre grandes tes oreilles, ma petite boule de feu. C’est ici que je te raconte l’histoire…

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez