III.14 Confusions

Par Flammy

~906 jours avant le cataclysme

 

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Dans le folklore de Kaea, les Métamorphes sont une gent capable de changer d’apparence à volonté. Certains vieux livres d’Astée y font référence, sans détailler plus. Aucun Métamorph n’a jamais été étudié, et pour cause. Comment trouver quelqu’un qui peut ressembler à n’importe qui ?

Notes de Max.

 

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Leur visite au Sanctuaire ne leur avait rien apporté.

Ils n’avaient fait que croiser Ludificus sans pouvoir l’interroger sur ce qui les intéressait vraiment. La divinité avait laissé une note comme quoi elle ne reviendrait pas avant plusieurs lunes d’argent. Il ne servait à rien de l’attendre, ils n’avaient plus aucune raison de rester. Ludificus s’était joué d’eux. Face à la nouvelle, Neruda s’était contenté de hausser les épaules. Cela arrivait régulièrement.

Lise ne savait pas vraiment quoi penser. D’un sens, elle se sentait… Elle n’aurait pas pu l’expliquer clairement, mais… soulagée. La veille, le regard inquiet de Rudy face à ses blessures et son empressement à l’aider l’avait particulièrement gênée. Ce malaise vis-à-vis de ses compagnons qui ne la quittait plus, cette gamine qui affirmait connaître Leihulm alors que celui-ci démentait…

Quelque part, il y avait des mensonges, des parts d’ombre. Elle trouverait probablement une réponse dans ses souvenirs. Mais elle n’était plus sûre de vouloir savoir. Elle se portait peut-être mieux dans l’ignorance. Comment être certaine ? Perdue dans ses pensées et ses doutes, elle voyait petit à petit une barrière d’incompréhension se construire entre elle et ses protecteurs, sans rien faire pour y remédier. Ils l’avaient perçue, eux aussi, sans commenter.

Pour le moment.

Ce n’était visiblement pas l'heure des questions gênantes et chacun s’évertuait à faire comme s’il n’y avait rien. Certains mieux que d’autres. Rudy n’arrivait pas à masquer cet air inquiet qui énervait tant Lise, mais elle se contrôla et refusa de s’emporter pour une fois. Ce n’était pas le moment de perdre son souffle. Après avoir profité de l’hospitalité de Neruda, ils s’étaient levés tôt et réunis sur l’estrade du Sanctuaire, prêts à partir.

La marche serait interminable et pesante jusqu’à Vianum.

Leihulm s’apprêtait à donner le signal du départ lorsque des pas de course résonnèrent à l’intérieur de la bâtisse, ainsi que des bruits de chocs et des exclamations étouffées. Téthys en émergea rapidement, portant difficilement un lourd sac. Sous les rayons du soleil, ses cheveux mi-longs prenaient la couleur du miel, avec de nombreux reflets plus clairs. Au milieu de la multitude de mèches, deux oreilles effilées émergeaient, semblables à celles des Ephëws. Ses yeux, complètement blancs, contrastaient avec son visage très vivant et chaleureux, agrémenté d’un nez busqué. Quelques rides lui conféraient un aspect très maternel. Elle était appréciée de tous grâce à son caractère à la fois joyeux et doux, empreint d’une profonde gentillesse. Et sa maladresse était reconnue jusque dans Vianum.

Alors qu’elle descendait les marches qui menaient au temple sans ralentir malgré son handicap, elle glissa et lâcha son paquet. Leihulm eut le réflexe de la rattraper par le bras, assez rudement. Elle en garderait probablement des traces. Personne ne s’occupa des vivres qui s’étalèrent sur le sol. Téthys cligna rapidement des yeux, surprise, sa bouche entrouverte laissant entrevoir ses canines particulièrement grandes.

— Oh ? Merci beaucoup ! J’avais peur que vous soyez déjà partis et… Les pommes !

Téthys laissa échapper un petit cri et se dégagea pour essayer de retrouver à l’aveuglette les fruits qui roulaient sur la plate-forme, se rapprochant dangereusement du bord. Rudy s’en chargea, tandis que Leihulm la remettait sur pied en tentant de la rassurer pour qu’elle ne prenne pas de risques inconsidérés. Quand Rudy voulut déposer les pommes dans ses mains, elle refusa d’un signe de tête.

— C’est pour vous ! De quoi tenir jusqu’à Vianum. C’est pour vous remercier pour hier.

— Vous avez déjà fait beaucoup pour nous, intervint Leihulm. Vous avez été très généreux.

— Ce n’est pas grand-chose voyons ! assura Téthys avec un sourire chaleureux. D’ailleurs, je…

Elle devint écarlate, sans que personne ne comprenne pourquoi. Quelques instants plus tard, un violent coup de vent s’engouffra sous sa jupe et souleva le tissu. Elle n'esquissa pas le moindre geste pour l'empêcher. Tous détournèrent le regard, gênés. Lise parvint à éviter le drame de justesse en plaquant le tissu contre ses jambes. Putain qu’elle détestait les robes ! Téthys l’entendit jurer et se tourna vers elle.

— Vous n’avez pas pris les poids avec la robe ?

— Les poids ?

Sans s’expliquer, Téthys sortit d’une poche des petites sphères métalliques, reliées à des crochets. Elle s’approcha à l’aveuglette de Lise, jusqu’à trouver ses épaules. Elle tâtonna en se baissant et attrapa maladroitement les bords de la jupe où elle y accrocha les billes. Une fois son œuvre faite, le tissu alourdi devint insensible aux rafales. Un instant sceptique, Lise se redressa et vérifia plusieurs fois que rien ne bougeait. Téthys lui adressa un large sourire, comme si elle attendait des remerciements. Lise se renfrogna.

— Vous auriez pas pu en parler plus tôt ?! grogna-t-elle.

— Lise ! intervint Leihulm. Merci beaucoup Téthys.

Lise détourna le regard, de mauvaise humeur. Leihulm la fixa, déconcerté par son éclat. Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire de toute façon ?! Rudy, habitué depuis un moment aux colères de son amie, n’y prêta pas garde. Il interrogea plutôt Téthys :

— Pourquoi vous n’en portez pas, vous ?

Téthys rosit et tourna le visage, gênée.

— En fait… Il s’agit des instructions de Ludificus. Les habitantes du Sanctuaire n’ont pas le droit.

— Mais pourquoi ? intervint Rudy, plus que surpris. Ce n’est pas pratique du tout !

— Pour la vue mon cher petit. Tu comprendras quand tu seras un homme.

Tous sursautèrent en entendant la voix de Ludificus s’élever parmi eux, alors qu’il n’était pas là l’instant d’avant. Il se tenait entre le bord de la plate-forme et Téthys, assis sur ses talons, un coude calé sur une cuisse pour maintenir son menton. Malgré les vents changeants, ses longs cheveux noirs ne vinrent jamais se plaquer contre son visage, parfaitement disciplinés. Il souriait d’un air ravi, comme s’il attendait quelque chose. Rudy passa une main sur sa nuque, perdu.

— La vue, quelle vue ?

Personne ne prit la peine de lui expliquer.

Leihulm trahit un mouvement d'humeur. Il ouvrait la bouche pour parler mais Lise le devança. Elle se rapprocha de Ludificus, ses talons claquants durement contre la roche. Elle s'apprêtait à hurler, avant de se figer. Elle inspira profondément plusieurs fois puis se força à sourire. Elle se contenta d’un simple mot, presque lâché négligemment.

— Pervers.

Ludificus lui adressa une moue charmeuse.

— Quoi ? Ce n’est pas très sympathique de m’insulter, susurra-t-il d’une voix douce que seule Lise devait entendre. Tu devrais te montrer plus gentille avec moi. Tu veux récupérer tes souvenirs ou non ?

La question fit l’effet d’une décharge à Lise. Complètement glacée, elle fixait Ludificus. Celui-ci semblait s’amuser à ses dépens. Il la détaillait, ses yeux à la fois rieurs et charmeurs. Il se moquait d’elle ou quoi ? Et… Lorsqu’il se passa la langue sur les lèvres, ce fut l’affront de trop pour Lise. Elle avait assez de problèmes sans qu’une divinité se prenne d’envie de la draguer.

Sans même réfléchir, elle leva la jambe et appuya son pied contre l’épaule de Ludificus. Celui-ci bascula en arrière et tomba dans le vide, sans même essayer de se rattraper. Des cris de surprise fusèrent derrière. Paniqué, Rudy se rapprocha en courant et jeta un coup d’œil en contrebas. Il n’y avait plus aucune trace du dieu, aucun indice pour dire s’il avait percuté ou non la surface des vagues qui s'abattaient contre la falaise. Leihulm secoua durement le bras de Lise.

— Tu es folle ?! Nous étions venus pour lui parler ! Qu’est-ce qui t’a pris ?!

Lise détourna le regard. La réponse ne lui plairait pas. Elle avait enfin admis qu’elle ne voulait pas retrouver ses souvenirs. Cela l’effrayait trop.

— Arrête d’agir sur des coups de tête ! Il faut…

Un petit raclement de gorge l’interrompit.

— Euh… Est… Est-ce qu’il s’est bien passé ce que j’ai cru que…

Téthys paraissait un peu perdue, se tapotant l’oreille comme si elle n’était pas sûre d’avoir correctement entendu.

— Je… J’ai eu l’impression de tomber, et un rire…

Elle resta silencieuse, avant d’adresser à la ronde un sourire contrit.

— Désolée, j’ai parfois un peu de mal à analyser mes visions, il ne faut pas y faire attention dans ces cas-là ! Je vais encore passer pour folle.

Téthys entortillait une mèche de cheveux dans ses doigts, prête à se moquer d'elle-même.

— Une vision ? Pour une aveugle ? C’est pas un peu bizarre ? commenta Lise.

La remarque lui attira un regard noir de la part de Leihulm. Il s'apprêtait à la réprimander lorsque Téthys répondit avec un petit rire dans la voix, pas du tout gênée.

— Oui, c’est vrai… C’est ce qui rend d’ailleurs mes prédictions si confuses et difficiles à comprendre. Je peux percevoir le futur grâce à mes cinq sens, mais n’ayant jamais rien vu… Cela complique beaucoup leurs interprétations. Quel intérêt de savoir s’il va faire chaud si je ne peux même pas dire quand, n’est-ce pas ?

Téthys expliquait tout cela avec un petit air honteux. Un silence plana quelques instants, que Maxhirst aurait visiblement souhaité rompre pour poser des questions, mais il se retint.

— Et dire que l’Aile du Corbeau veut ma mort pour ça. Il y a des gens bizarres quand même !

Lise détourna les yeux. L’envie de répondre quelque chose de pas très sympathique la titillait beaucoup mais l'idée des remontrances de Leihulm l'en empêchait. Après une nouvelle pause, il reprit la parole pour conclure la conversation.

— Encore une fois, merci beaucoup pour votre accueil et tout ce que vous avez fait pour nous. Faites attention lors de votre prochaine promenade.

Un sourire fleurit de nouveau sur les lèvres de Téthys.

— Oui, bien sûr ! Faites un bon voyage !

Leihulm donna le signal du départ et, après quelques salutations d’usage, le petit groupe s’engagea sur l’une des passerelles qui conduisaient vers la falaise. Téthys leur adressa de grands signes de la main tandis qu’ils s’éloignaient. Une fois qu’ils furent hors de vue, son bras retomba mollement le long de son corps. Son expression changea brutalement et devint froide, presque sans vie. Elle tourna les talons et retourna vers l’intérieur du Sanctuaire.

 

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La descente vers Vianum s’effectua dans un silence pesant. Maxhirst avait presque terminé de récupérer de la fatigue accumulée depuis son passage sur Lyon. Malgré cela, il trébuchait régulièrement et Leihulm devait se tenir à ses côtés, prêt à le retenir en cas de soucis. Lise se contentait d’avancer, les yeux fixés sur le chemin pour éviter de se tordre la cheville. Elle n’avait pas apprécié que Leihulm la reprenne si vertement, même si elle le comprenait parfaitement. Mais le comportement de Ludificus… C’était la goutte d'eau de trop. Rudy restait près d’elle, pour prévenir les accidents. Il n’eut jamais à intervenir. Au début, il avait tenté d’engager la conversation avec elle, mais devant le manque de réaction, il avait abandonné. C’était plus profond qu’une simple bouderie.

Au bout de plusieurs heures de marches, ils atteignirent le bas de la falaise, ainsi que le poste de contrôle géré en permanence par des Protecteurs divins. Ils parurent surpris de voir des étrangers descendre, malgré l’interdiction de passer qui durait maintenant depuis presque une lune d’argent. Neruda avait anticipé la méfiance naturelle de ses hommes et il avait confié deux lettres à Leihulm, chacune portant son sceau. L’une ordonnait aux soldats de rouvrir l’accès vers les territoires de Ludificus, l’autre autorisait le maître d’arme et tous ceux qui l’accompagnaient à circuler librement. Un remerciement pour son aide lors de l’attaque des brigands.

Le retour dans Vianum même donna un sentiment d’irréel à Lise. La grande Foire des Couleurs approchait à grands pas, toutes les rues grouillaient de vie et d’activités, plus que chargées en badauds en tout genre. Des décorations commençaient à être installées sur tous les bâtiments les plus hauts de la cité, lui conférant un aspect encore plus bigarré que d’habitude. Même les cages d’oiseaux chanteurs paraissaient plus nombreuses, égayant la cacophonie de la ville. Plus que jamais, Vianum éclatait d'énergie et de joie. Personne n’aurait pu s’y promener sans retrouver le sourire et s’émerveiller d’un rien. Sauf que Lise se sentait désespérément seule et vide. Froide aussi, malgré la moiteur de l’été. Ses souvenirs l’obsédaient tout en l’effrayant, occupant tout.

Leur triste procession fendit la foule en direction de leur auberge. Ils y avaient laissé la plupart de leurs affaires, ne pensant pas s’absenter longtemps le jour de leur entretien avec Ambroise. Il s’agissait d’un établissement respectable et Leihulm avait payé pour plusieurs jours à l’avance, il n’y aurait donc pas dû y avoir de soucis. Normalement. Mais si près de la Foire des Couleurs… Leihulm envoya Rudy en éclaireur, pour s’assurer que tout se passerait bien. Alors qu’ils approchaient de l’auberge, Rudy en sortit, un air navré peint sur le visage. Il portait avec lui tous leurs sacs. Leihulm fronça les sourcils.

— Ils pensaient qu’on ne reviendrait pas et vu qu’ils ont eu des personnes très… insistantes, ils n’ont pas osé garder des chambres vides.

Leihulm trahit un mouvement d’humeur.

— Je vais leur expliquer…

Rudy le retint en secouant la tête.

— Honnêtement ? J’ai vu les clients dont ils parlent. Ils ont pas l’air commode et yen a un qui a des bras comme mes cuisses. On risque surtout des ennuis. C’est normal qu’ils aient cédé.

Leihulm hésita encore un instant avant d’abandonner. Il se tourna vers Maxhirst.

— Avec la Foire des Couleurs, on ne trouvera de place nulle part…

Le regard fuyant, Maxhirst remonta ses lunettes sur son nez. Il étira longuement du doigt la cicatrice sur sa tempe. Il finit par souffler, vaincu.

— Je suppose que nous n’avons vraiment pas le choix. Allons... chez moi.

Lise fixa Maxhirst, surprise. Il n’aurait pas agi différemment si on avait parlé de l’envoyer à l’abattoir. Après une seconde de flottement, Maxhirst inspira largement et se remit en route, dans une nouvelle direction. Tous le suivirent sans commenter.

Au bout d’une heure de marche, ils arrivèrent dans une petite rue, dans un quartier qu’elle n’avait pas encore visité. Elle voyait peu d’enseignes, peu d’étals qui empiétaient sur les pavés. Il devait s’agir majoritairement de logements. Les bâtiments, de tailles modestes, semblaient tous assez anciens, mais parfaitement entretenus. Rudy se posta à côté de Lise et engagea la conversation :

— C'est l'un des plus vieux faubourgs de Vianum ! Il paraît que les Max ont fait partie des premiers habitants de la cité. En tout cas, leur maison fait partie des plus vieilles. Tiens regarde, on la voit d’ici !

Il tendit le doigt en direction d’une tour qui s’élevait à quelques rues de là. Très grande, le sommet disparaissait dans les nuages, seul bâtiment haut des environs. Chaque étage arborait un design unique, mettant en avant un style différent et original, comme si elle avait été construite progressivement, au fil du temps et que l’architecture avait suivi les modes de différentes époques. Lise s’arrêta, figée par la vue de l’étrange tour qui ne semblait pas bien droite, légèrement penchée d’un côté ou d’un autre selon le niveau. Pourtant, ce n’était pas l’aspect bancal qui la gênait. Le visage fermé, elle serra les poings.

— Tu veux dire que Max possède une maison aussi grande pour lui tout seul ?

Elle avait parlé d’une voix neutre, tentant de juguler la chaleur de la Colère qui montait petit à petit. Rudy ne remarqua rien.

— Il y a quelques autres personnes qui y vivent, mais oui, c’est le dernier de sa lignée donc ça lui appartient.

— Tu te fous de ma gueule ?! Alors pourquoi est-ce qu’on a logé à l’auberge, alors qu’il n’y avait pas assez de chambres pour tout le monde ?

Elle vit Maxhirst sursauter et détourner précipitamment les yeux, horriblement mal à l’aise. Leihulm la fusilla du regard et personne ne lui répondit. Même Rudy garda le silence, gêné. Il fixait Maxhirst, une expression triste sur le visage. Visiblement, elle avait gaffé. Mais comment ? Il était tabou de parler de la demeure de Maxhirst. Pourquoi ? Qu’est-ce qui se cachait derrière ce malaise ?

Encore un secret. Encore un non-dit.

Au lieu de la Colère, la morsure du froid revint. Qu’est-ce qu’ils taisaient ?

Au bout de quelques minutes de marches, ils arrivèrent enfin devant l’entrée de la tour. Plus disparate et branlante de près, elle oscillait avec les vents un peu trop forts. Plus encore que le reste de Vianum, Lise avait l’impression qu’une armée d’architectes avait été engagée pour ériger ce drôle de bâtiment et que chacun avait pris ses propres décisions dans son coin, sans s’inquiéter de l’harmonie du résultat final. Des colonnades côtoyaient des gargouilles et des murs recouverts d’étoffes colorées. Chaque étage avait été construit avec des matériaux et des styles différents, qui donnait un aspect de mille-feuille étrange.

— C’est ça, la maison de Max ? Et… Vous êtes sûrs qu’il n’y a pas de risques ? Ça va pas s’écrouler ?

— C’est pas toi qui te plaignais qu’on ne soit pas venu plus tôt ?

Lise lança un regard noir à Leihulm, qui lui adressa un léger sourire moqueur. Il dut percevoir sa mauvaise humeur, car il reprit, sur une voix plus douce :

— Ne t’inquiète pas. Les grands plus sorciers de l’Histoire ont vécu ici et ils se sont occupés de tout. Il y a plus de sorts de protection que dans n’importe quel autre endroit de Vianum.

 

Lise ne daigna même pas lui accorder un regard. Résolue à ne plus subir de railleries, elle s’avança d’un pas rapide vers la porte, devançant ses compagnons. Elle devait s’isoler maintenant si elle ne voulait pas exploser. Ou fondre en larmes, elle ne savait plus. Elle tendit la main vers la poignée quand Maxhirst s’écria :

— Lise, non ! Tu…

Il n’eut pas le temps de terminer qu’une lumière vive l’éblouit et qu’une détonation retentit. Quelques secondes plus tard, Lise était assise par terre, hébétée et certaines parties de ses vêtements calcinées. Maxhirst se précipita vers elle et vérifia que tout allait bien. Le sort n’avait touché que le tissu, comme prévu lors de la première tentative d’intrusion. Il aida ensuite Lise à se remettre sur pieds.

— Désolé. Je laisse systématiquement des protections quand je ne viens pas pendant un moment, surtout… surtout depuis qu’il y a eu des vols. Donne-moi le temps de les enlever.

Elle hocha la tête, toujours sonnée par la petite explosion qui l’avait repoussée. Maxhirst s’approcha de la porte lorsqu’une voix provenant de plus haut l’interpella.

— Maxouuuuu ! Enfin de retour ? Ça tombe bien, on commençait vraiment à s’ennuyer ! Presque à en regretter la présence d’hommes !

Trois rires retentirent, joyeux. Penchées à l’une des fenêtres du deuxième étage, trois jeunes femmes adressaient de grands signes de mains. Dans la rue, les passants les fixaient, particulièrement choqués, voire hostiles. Maxhirst remonta ses lunettes sur son nez, les joues légèrement colorées. Il toussota avant de s'incliner vers la porte et de se concentrer. Lise observa les trois belles-de-nuit, habillées de peu de tissu et très à l’aise avec leurs manières exubérantes. Elles lancèrent des baisers à Maxhirst et rirent d’autant plus lorsqu’il rougit de plus belle. Lise surprit des remarques scandalisées de certains badauds.

— Il n’a vraiment honte de rien ! Garder chez soi trois de ces… filles aux mœurs légères ! L’héritier de la lignée des Max ! C’est vraiment…

La fin du commentaire se perdit dans le brouhaha de la rue. Leihulm se crispa à côté d’elle. Il avait entendu, lui aussi. Lise fronça les sourcils, sans comprendre. Des  « filles aux mœurs légères » ? Des prostituées ? Qu’est-ce qu’elles faisaient là ? Elle n’aurait jamais cru que c’était le genre de Maxhirst. Et de toute façon… Il était absent depuis un moment, pourquoi rester dans la maison si le propriétaire des lieux n’y était pas ? Quel intérêt ? Malheureusement, elle ne voyait pas à qui demander ce qu’il faisait avec des filles de joie chez lui, entre Maxhirst écarlate, Rudy qui ne semblait pas comprendre le côté gênant de la situation et Leihulm qui… Eh bien, Lise envisageait mal d'aborder ce genre de sujet avec lui. Encore des questions sans réponses.

Quelques instants plus tard, la porte s’ouvrait et Maxhirst s’engouffra à l’intérieur sans subir aucun désagrément. Des bruits de courses dans l’escalier l’accueillirent et les trois femmes se jetèrent à son cou.

— Maxou ! Tout s’est bien passé ! Le ménage est fait, on s’est bien occupé de ton locataire du dernier étage, rien de bien particulier à signaler. La matrone t’enverra une note !

— Attention, elle risque d’être plus salée que d’habitude ! Elle était furieuse.

— Oh oui, comme rarement ! Vu que tu es resté absent plus longtemps que prévu et que Cybèle a son petit succès en ce moment et qu’elle ne pouvait pas sortir…

— Un peu de vacances, ça ne me gêne pas du tout !

Les trois femmes piaillaient les unes après les autres, ponctuant leurs paroles de rires et de grands gestes. Elles tournaient autour de Maxhirst dans un froufrou de jupons. Dans un ensemble parfait, elles firent une révérence maladroite avant de jaillir hors de la maison.

— À la prochaine ! Et il faudra refaire les provisions d’alcool !

Dans la rue, elles marquèrent un arrêt devant Lise avant de graviter autour d'elle et de la palper sous tous les angles.

— Ooh ! Cela fait tellement plaisir de te voir !

— Tu as l’air en forme par rapport à avant !

— C’est si émouvant !

— Notre oisillon est revenu en si bonne santé !

— Un peu maigrichonne mais…

— Adorable !

Sans laisser le temps à Lise de les repousser ou de parler, elles s’éloignèrent rapidement, amusées par les badauds qui s’écartaient largement à leur approche. Lise se frotta le bras, étourdie par le manège tourbillonnant des trois inconnues.

— Ah ouais. Entre elles et Hirst, Max aime les femmes euh… bruyantes.

Maxhirst, totalement écarlate, lui lança un regard affreusement gêné.

— Ce n’est pas ce que tu crois ! C’est juste… ce sont les seules qui acceptent de venir s’occuper de la maison.

— Oui enfin, pas besoin de vivre ici pour…

Lise s’interrompit. Leihulm avait posé sa main sur son épaule et l’avait doucement serrée. D’un signe de tête, il lui intima de ne pas insister. Devant elle, Maxhirst se détourna et s’engagea dans les escaliers, les gravissant à toute vitesse. À côté d’elle, Leihulm soupira.

— Je t’expliquerai plus tard. C’est… la raison pour laquelle il n’aime pas venir ici. Rudy, fais visiter à Lise, montre-lui sa chambre. Je vais voir Max.

Sans attendre de réponse, il s’attaqua à son tour aux longues volées de marches. Lise resta figée, surprise par la vitesse à laquelle l'ambiance évoluait. Elle lança un regard à Rudy, espérant presque qu’il prendrait la situation en main avec son enthousiasme habituel. Il paraissait aussi perturbé qu’elle, vaguement mal à l’aise et triste.

Lise jeta un coup d’œil aux alentours. Le hall, très sobre, donnait sur plusieurs pièces. En se déplaçant de quelques pas, elle distinguant à travers l’embrasure d’une porte une vaste cuisine, digne d’une grande auberge. Un autre battant s'ouvrait sur un salon, avec des meubles particulièrement usés, qui ne semblaient rester entiers que par magie. C’était probablement le cas. Deux débarras étaient pleins à craquer, au point que Lise ne comprenait pas comment tout le bazar tenait sans s’écrouler à l’extérieur. Elle referma rapidement, n’ayant aucune envie de se retrouver ensevelie. Rudy se réveilla lorsqu’elle se dirigea vers la dernière porte, en partie cachée sous l’escalier.

— Si j’étais toi, j’éviterais ! Ça donne sur la cave et… C’est là où Max teste les sortilèges un peu dangereux. Il y a parfois… des restes, ça peut faire des trucs bizarres. Je me suis retrouvé avec des cornes bleues, petit.

Lise le dévisagea, espérant presque qu’il s’agissait d’une blague, mais il paraissait parfaitement sérieux. Cela ne ressemblait même pas à un mensonge pour l’empêcher de visiter une partie de la maison. Qu'est-ce qu'avait pu donner son enfance, entre apprendre à manier l’épée et vivre entouré par les manifestations magiques diverses et variées ?

— Viens plutôt à l’étage ! Je vais te montrer les chambres, vu que tu as déjà repéré le bas.

Rudy s’engagea dans l’escalier et attendit que Lise le suive. Ils ne gravirent qu’une volée de marches et s’arrêtèrent sur un palier qui ressemblait à s’y méprendre au rez-de-chaussée.

— Il y a je-sais-plus combien d’étages, yen a pour tous les styles ! Mais en général, on ne vit que dans deux ou trois étages. C’est trop grand sinon et je te dis pas la galère pour tout monter, même s’il y a l’ascenseur.

— L’ascenseur ? Tu te fiches de moi ! rugit Lise. Ya pas d’électricité ici !

Rudy se figea et la fixa un moment en clignant des yeux.

— Ele-quoi ? Je… Je connais pas. C’est un truc de ton monde ?

— Comment il marche ton ascenseur sans électricité ?

— Ba… C’est de la sorcellerie. C’est le Max du dixième étage qui a mis ça en place. Après, je sais pas trop comment ça fonctionne, mais si tu veux, tu pourras demander à Max.

Lise soupira. TGCM[1], hein ?

— Laisse tomber. Vous habitez tous ici ?

— Oui, on a tous une chambre, même si Lei et moi, on est pas souvent là.

Rudy se dirigea vers une porte et l’ouvrit sur une pièce, très grande, mais qui paraissait pourtant étouffante. Les murs étaient recouverts d’étagères qui croulaient sous les livres. Des piles d’ouvrages jonchaient le sol, ainsi que des plumes et des morceaux de parchemins. Des vêtements traînaient aussi, dans un capharnaüm total.

— Là, c’est Maxhirst. Je te déconseille d’y rentrer. Je suis persuadé depuis toujours qu’il a posé des sortilèges piégés, mais il dément à chaque fois. Je sais pas comment il fait pour s’y retrouver.

Enthousiaste comme un guide touristique, Rudy ferma la porte avant de se diriger vers la suivante. La pièce, plus petite, paraissait pourtant bien plus spacieuse. Absolument rien ne traînait, tout était parfaitement rangé et le lit était parfaitement fait, les draps tirés au maximum. Comme meuble, il n’y avait en plus du couchage que deux chaises et une commode. Tout le reste de l’espace était occupé par une belle accumulation d’épées et de lames en tout genre, accrochées aux murs ou sur des présentoirs.

— Là c’est la chambre de Lei. Il tient beaucoup à sa collection, alors fais attention avec. Et il est un peu maniaque niveau propreté et rangement, donc il risque de le remarquer si tu bouges quelque chose. Je me suis fait réprimander plus d’une fois.

Rudy montrait tout avec enthousiasme, réellement heureux de lui dépeindre son univers. Il souriait, à la fois amusé et attendri de repenser à ses souvenirs d’enfance et de les partager. Lise se demanda si Rudy avait beaucoup d’amis et s’il avait souvent reçu des personnes chez lui. Au final, elle ne savait rien de sa vie. Cela ne ressemblait sûrement pas à son adolescence. Après le capharnaüm de l'antre de Maxhirst et le musée des armes de Leihulm, qu’allait-elle découvrir dans la chambre de Rudy ?

Il poussa l’un des deux derniers battants du palier et invita Lise à entrer. Il s’agissait probablement de la pièce la plus normale qu’elle visitait dans l’étrange tour. Quelques meubles, un peu de bazar mais sans plus. La demeure de quelqu’un qui y vivait, qui avait accumulé quelques souvenirs et des affaires et qui faisait des efforts pour ranger, sans plus. Sur une étagère, quelques objets trônaient, une dague, des fleurs séchées, mais aussi ce qui ressemblait de très très loin à une peluche. Sans demander l’autorisation, elle l’attrapa et la regarda sous tous les angles. La personne qui l’avait cousue aurait mieux fait de ne jamais rencontrer une aiguille, pour le salut des yeux des autres. Mal assemblé, cela donnait un aspect étrange à l’ourson, même si le tissu avait dû être particulièrement doux à une époque révolue suite à de trop nombreuses manipulations.

— C’est quoi cette horreur ? se moqua Lise.

Rudy se rapprocha et récupéra avec délicatesse la peluche, comme un trésor. Il souriait, un air attendri sur le visage.

— Il s’agit d’un cadeau d’une personne très chère.

— Une personne chère hein ?

Amusée, Lise lui assena un coup de coude pour appuyer ses paroles avant de montrer son tatouage.

— C’est ta femme, c’est ça ? Elle est où ? Elle doit pas t’aimer beaucoup pour t’offrir quelque chose d’aussi moche.

— Elle… Elle n’est plus là.

Lise n’avait pas perçu le tremblement dans sa voix. Elle poursuivit sur sa lancée, sans se rendre compte qu’elle s’engageait sur un sujet délicat.

— Quoi ? Elle t’a quitté ? Je croyais qu’on ne divorçait pas de ce type de mariage.

— Je n’ai pas su la protéger, murmura Rudy.

Son regard, toujours fixé sur la peluche, s’était voilé. Il continuait pourtant à sourire, même si Lise remarqua enfin la rigidité de son visage. Il se forçait. La bonne humeur de Lise s’envola d’un coup, remplacée par une chape de plomb. Elle se sentait glacée. Kaea… était un monde violent. Elle avait un peu trop tendance à l’oublier. Mourir jeune ne paraissait pas si anormal. Elle aurait préféré rester dans l'ignorance.

— Je suis désolée…

Rudy secoua la tête, ce qui agita ses longues mèches rousses.

— Ne t’excuses pas, tu… tu ne pouvais pas savoir. Ce n’était pas méchant.

Il lui adressa un sourire un peu plus franc, un peu plus dépourvu d’âme. Il serra la peluche avant de la remettre avec douceur à sa place. Lise se sentait affreusement mal à l’aise. Rudy était réellement peiné pour la première fois depuis leur rencontre. Pourtant, elle percevait autre chose, sans déterminer quoi.

— Tu sais, t’es pas obligé de te forcer pour donner le change, si tu veux être triste, tu as le droit.

— Non.

Ferme et définitif. Rudy lut l’incompréhension dans le regard de Lise.

— Ce sont des souvenirs heureux, pourquoi je pleurerais en y repensant ? Et puis, je la connais. Elle ne souhaiterait pas que je me morfonde à cause d'elle, au contraire.

Lise sentit sa gorge se serrer. Ces paroles semblaient si… matures, elles lui remuaient les entrailles. Elle n’aurait jamais cru Rudy aussi adulte. Avec de telles blessures, malgré son sourire et sa joie de vivre habituelle. Elle culpabilisait d’avoir réveillé de si mauvais souvenirs, même si elle avait presque l’impression que cela lui faisait du bien d’en parler un peu. Rudy l’invita sans un mot à quitter la pièce. Après quelques instants de flottement, il tenta de reprendre son rôle d’hôte parfait, avec tout de même moins d’entrain.

— Il ne reste plus que ta chambre à te montrer ! C’était celle de la dernière fois, on a tout laissé en l’état, mais si tu veux bouger, n’hésite pas, ya de la place. Tu peux même changer de pièce tous les jours ! Il y en a assez pour ça.

Avec une facilité déconcertante, Rudy avait repris son aspect habituel. Lise se sentit vaguement mal à l’aise. Elle ne l’aurait pas cru capable de jouer aussi bien la comédie. Cette découverte avait un goût amer. S’il pouvait si bien cacher sa tristesse et sa douleur, que pouvait-il masquer d’autre ? Le désagréable souvenir d’une défection oubliée revint la titiller. Cette hallucination, cette impression que ses compagnons l’avaient trahie… Et s’il ne s’agissait vraiment pas que d’un rêve ? Mais d’une réminiscence ?

Affreusement mal à l’aise, Lise garda le silence et se dirigea vers la dernière porte. Qu’est-ce qu’elle allait découvrir cette fois-ci ? Probablement beaucoup de poussière et rien d’autre. C’était déjà assez irréel qu’elle possède sa propre chambre dans un lieu où elle ne se souvenait pas d’être venue. Elle effleurait la poignée lorsque Rudy sursauta. Il porta par réflexe la main à la petite sacoche accrochée à sa ceinture avant de se précipiter vers elle.

— Attends ! Il… Il faut que je vérifie un truc, n’entre pas tout de suite.

Il écarta le battant le moins possible et se glissa à l’intérieur. Quelques instants plus tard, il réapparut et laissa la place à Lise. Son souffle se figea dans sa gorge. Sa chambre était… parfaite. Tout était bien rangé et la poussière avait été chassée de la pièce récemment. L’air sentait le frais et non pas le renfermé. Quelqu’un devait venir régulièrement pour aérer et nettoyer. Pourquoi se donner cette peine alors qu’elle avait quitté Kaea et qu’elle n’était revenue qu’à cause des Connaws ?

Le lit était grand, plus que les autres qu’elle avait pu voir, avec un matelas épais comme elle les adorait. Des coussins colorés décoraient tous la pièce. Une table de chevet supportait deux piles de livres, certains avaient la tranche abîmée, d’autres paraissaient neuf. Intriguée, Lise se rapprocha. Elle ne parvenait pas à lire, quel intérêt de lui laisser des ouvrages ? Elle en feuilleta un et réalisa qu’il s’agissait d’illustrations, de peintures et d’images, il n’y avait que très peu de symboles étranges. Juste des paysages, des villes, des personnes… La vie de Kaea résumée en quelques dessins. De quoi lui permettre de découvrir et de rêver malgré ses lacunes. Rudy se plaça à côté d’elle et désigna la première pile.

— Ceux-là, tu les avais déjà lus. Les autres, Max les a dénichés depuis ton départ et les a mis de côté.

— Mais pourquoi ? s’étonna Lise. Vous aviez prévu mon retour ?

Il secoua négativement la tête.

— Non. Sans le passage de Riesz, tu serais restée tranquillement chez toi.

— Mais…

Rudy se contenta de hausser les épaules.

— Il a jamais été capable d’expliquer pourquoi il les ramenait. Et on allait pas les jeter.

Lise garda le silence, la gorge nouée. Elle se détourna des livres et se concentra sur la commode pour se donner contenance. Un grand miroir était appuyé dessus, le premier qu’elle découvrait dans la demeure. Une brosse en poils était posée devant, ainsi que toute une série de barrettes et de pics à cheveux, parfaitement parallèles les uns les autres, à l’exception d’un, légèrement décalé. Elle fronça les sourcils et le prenant entre ses doigts. Elle le reconnaissait. Elle l’avait admiré, quelques jours plus tôt sur le marché. Elle coula un regard de côté à Rudy, qui fixait obstinément le mur. Elle reposa le bijou sans commenter et ouvrit l’un des tiroirs qui renfermaient des piles de vêtements, parfaitement organisés et pliés. Elle en sortit un. Il s’agissait d’un pantalon bouffant, probablement ce qui lui ressemblait le plus et qu’elle avait vu porté par une femme dans la rue.

— Tu ne me feras pas croire que c’est moi qui ai rangé tout ça aussi bien !

Rudy rit avant de répondre.

— Quand je te disais que Lei était légèrement maniaque ! Le connaissant, ça doit être lui. Même avec un sort, Max serait pas capable de ça.

— Je… fit Lise, prise de court. J’espère qu’il n’a fait pas pareil avec les sous-vêtements, sinon ça devient glauque !

Cette découverte paraissait beaucoup amuser Rudy, mais pas tellement l’étonner. Lise aurait voulu dire quelque chose de plus que sa moquerie, mais ne trouva pas les mots. Elle n’aurait jamais dû revenir. Et malgré tout, on avait continué de s’occuper de sa chambre presque avec… ferveur ? Est-ce qu’ils… avaient-ils regretté son départ à ce point ? Pourtant, ce vague souvenir de trahison… Que croire ? Les petites attentions ou les doutes qui ne la quittaient plus ? À moins que tout ne soit qu’une mise en scène pour la tromper. Elle ne voulait pas y réfléchir. Et Rudy qui jouait si bien la comédie…

Le visage de Lise s’était assombri, incapable de démêler ses pensées et les sentiments contraires qui l’agitaient. Rudy se rendit compte de son malaise et s’approcha d’elle. Il posa une main sur son épaule et se pencha vers elle, inquiet, mais toujours souriant.

— Ç-Ça va ? Tu as un souci ? Tu veux que j’aille chercher Max ? Tu veux un verre d’eau ou à manger ?

Lise s’enflamma d’un coup et une Colère sans nom déferla sur elle. Non, elle ne se sentait pas bien. Des types espéraient sa mort, elle se trouvait dans un endroit inconnu, son corps agissait parfois par lui-même et elle n’était même pas sûre de pouvoir faire confiance à ceux qui l’aidaient.

C’était trop. Beaucoup trop.

Elle essayait de refouler son malaise depuis des jours, mais elle n’y parvenait plus. Elle se sentit submergée. Et Rudy n’arrangeait rien, bien au contraire. Ses sourires, sa constante bonne humeur, son éternelle sollicitude, sa stupide peluche et sa tristesse. Sa capacité à tromper. Tout l’agaçait au plus haut point. D’un geste sec, elle repoussa brutalement la main de Rudy et s’éloigna de quelques pas. Elle leva des yeux brillants vers lui.

— Non, ça ne va pas putain ! hurla Lise. Comment ça pourrait aller ?! Ya les Connaws et un fou furieux qui était prêt à détruire Lyon pour m’attraper ! Je suis dans un monde inconnu, ya… ya quelque chose dont je dois me souvenir mais j’y arrive pas ! Ya quelque chose de louche et j’arrive pas à m’en rappeler, c’est ridicule ! Et toi… toi qui fais tout pour me faire chier !

Lise avait crié à s’en casser les cordes vocales. Elle avait parfaitement conscience que Rudy ne méritait pas un tel traitement et cela lui donnait envie de pleurer de s’acharner ainsi sur lui. Mais elle ne parvenait plus à s’en empêcher. Il leva les mains en signe d’apaisement, mais cela l’enflamma juste encore plus et elle se retint à grand-peine de continuer sur sa lancée. Elle cacha son visage dans ses paumes pour essayer de se calmer.

Des larmes sur sa peau.

Elle avait pleuré sans même se rendre compte que des sanglots l’agitaient. Rudy voulut s’approcher d’elle mais elle le repoussa et s’enfuit hors de la chambre. Elle avait besoin d’air. Il fallait qu’elle se reprenne. Après avoir dévalé les escaliers, elle jeta un coup d’œil derrière elle. Personne ne la suivait. La gorge serrée, elle se précipita à l'extérieur de la maison.

 

~0~

 

Maxhirst retint son souffle lorsqu’il parvint au dernier étage de la tour. Il s’agissait de la construction la plus récente, quelques lunes d’or avant sa naissance. Son père s’en était occupé, à son image. C'était l'endroit le plus austère de la demeure. Aucune décoration, les meubles réduits au strict minimum. Les matériaux avaient été choisis pour leur qualité, leur solidité, mais pas du tout pour l’aspect esthétique. Tout était fonctionnel, utile. Pas de fioritures superflues. Maxhirst sentit sa gorge se serrer, comme à chaque fois qu’il venait là. Tout lui rappelait son père. Même l’odeur de poussière, alors que tout était régulièrement nettoyé. Après un instant d’hésitation, il se dirigea vers l’une des chambres. Sa main trembla au moment de toucher la poignée. Il se força à respirer profondément avant de pousser le battant.

La pièce était plongée dans l’obscurité, les rideaux tirés devant les fenêtres. Un lit, une commode et une étagère recouverte de livres. Il n’y avait rien d’autre. Tout était parfaitement propre et ordonné et, malgré tout, une odeur de renfermé flottait dans l’air. Un homme âgé était assis sur le bord du matelas, le dos droit et les mains parcheminées sagement posées à plat sur ses genoux. De courts cheveux blancs encadraient un visage ridé aux traits austères, figé dans une expression sérieuse. Seuls ses yeux marrons dénotaient. Vides, ils fixaient devant lui, reflet d’une absence dérangeante d’émotions et d’âme. Il en était ainsi depuis plus de vingt lunes d’or, lorsque l’esprit de Maxhell avait été détruit. Il ne restait qu’une coquille creuse, qui se contentait de respirer, de manger et de dormir. Et encore, il avait besoin d’aide. Maxhirst s’assit à côté de son père et saisit sa main, sans qu’il ne trahisse aucune réaction.

— Bonjour papa. Je… Le voyage sur Terre s’est bien passé. On a pu sauver Lise. C’est grâce à toi, grâce au sortilège que tu as inventé. Même si…

Sa voix s’étrangla dans sa gorge. Il hésita avant de reprendre en changeant de sujet.

— On est pas tiré d’affaire pour autant. Mais… On s’en sortira, j’en suis sûr.

Maxhell resta parfaitement immobile, il ne paraissait même pas respirer. Tremblant, Maxhirst attrapa la cruche et remplit un verre d’eau, avant de l’apporter aux lèvres de son père. Il dut tenir son cou et verser le liquide lentement, par à-coup, pour que Maxhell puisse boire sans en mettre partout. Comme à chaque fois, cette vision terrorisait Maxhirst. Il enleva ses lunettes et s’essuya les yeux.

— Tu me manques, papa…

Il resta de longues minutes immobile, espérant toujours une réaction malgré le temps écoulé depuis le drame, mais son état n'avait pas évolué. Rien n’avait plus changé pour Maxhell depuis qu’il avait, le premier, créé un sort pour rejoindre la Terre. Quelqu’un frappa à

 

la porte de la chambre. Maxhirst s’accorda quelques instants avant de répondre, le temps de remettre ses lunettes et de se ressaisir.

— Oui ?

Quelqu’un rentra à l’intérieur. Leihulm.

— Est-ce que… il y a de l'amélioration ?

Maxhirst secoua négativement la tête. Il ne se sentait pas capable de prendre la parole. Devant le manque de réaction de son ami, Leihulm s’approcha et serra doucement son épaule. Il n’avait pas besoin de parler, il savait que sa présence suffisait. De toute façon, aucun mot n’aurait pu le réconforter. Certaines plaies ne guériraient jamais.

 

[1] TGCM : Acronyme de « Ta Gueule C’est Magique »

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Jibdvx
Posté le 13/03/2020
Les personages s'étoffent un peu plus, c'est le bienvenue. On comprend bien pourquoi Lise est torturée par ce qui lui arrive et les révélations sur Max sont très touchantes.
Flammy
Posté le 22/03/2020
Coucou !

Les personnages s'étoffent en effet, ça aura pris du temps ^^" Mais j'avais vraiment beaucoup de choses à présenter dans cet arc. Mais a priori, ils devraient de plus en plus s'étoffer maintenant =D

Merci pour ta lecture et ton commentaire !

Pluchouille zoubouille ^^
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