III.1 Âme-Liée

Chapitre 1 : Âme-Liée

~829 jours avant le cataclysme

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La Lande Océanique court sur toute une partie de la côte ouest, avec une faible largeur. Avec les quelques îles désertées au large, il s’agit des derniers vestiges du clan ondien. Une terre sans protection, difficile à vivre en raison des oppositions entre les restes de magie aquatique et l’influence brûlante du désert. Un des endroits les plus désolés d’Atlantide, où personne ne va sans une bonne raison. Il ne reste que très peu de magiciens ondiens, éparpillés sur tout le continent. Il arrive parfois qu’un magicien ondien naisse dans une famille d’un autre clan. C’est généralement perçu comme le signe d’une catastrophe à venir.

Notes de Max.

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Repue, Callune somnolait à côté d’un feu. Les flammes dansaient et projetaient des étincelles bleues ou vertes, illuminant des restes de coquillages et de poissons. Elle n’avait pas aussi bien mangé depuis le début de son exil. Malgré sa situation… compliquée, elle se sentait plus en sécurité que depuis longtemps. Son passage sur l’île ondienne l’aidait à relativiser. Tout plutôt que les prisons, le mépris, la violence et les sacrifices. Elle avait beau être piégée dans une petite crique entourée de hautes falaises blanches, personne ne souhaitait sa mort immédiate. Et la nourriture abondait. Il y avait même eu assez de bois flotté pour cuire le repas.

Que demander de mieux ?

« Ta mort.

Cela soulagerait tant de personnes. »

Callune se crispa et elle planta ses ongles dans ses paumes pour retenir un tremblement. Une Sidhe. Avec la voix de Rose. La plus classique. La plus facile à repousser, habituellement. Mais depuis son réveil, les Sidhes se montraient particulièrement présentes et agressives. Plus que depuis des années. Les efforts que Callune devait fournir pour les ignorer l’épuisait petit à petit. L’attente anxieuse, de leur disparition ou de leur apparition, malmenait ses nerfs. Et cette simple remarque de la Sidhe-Rose, si anodine et rabâchée, lui donner envie de craquer.

« Tu es faible.

Ne te cherche pas d’excuse. »

Il fallait penser à autre chose. S’efforcer de se concentrer.

S’épuiser pour faire fuir les Sidhes et juste continuer à exister.

Lorsque Callune s’était réveillée, plusieurs heures plus tôt, le changement de décor l’avait déstabilisée. Une nouvelle plage. De galets cette fois-ci, cernée par des escarpements de craie blanche. Bien loin des souterrains, son dernier souvenir. Avec un sourire amical, Noelia lui avait raconté qu’Hawk et elle l’avaient retrouvée et qu’ils avaient réussi à rejoindre le continent grâce au passage sous l’aequor. Ces explications lui suffisaient et Callune avait sereinement profité de la nourriture. Il ne fallait pas trop réfléchir. Cela attirait les Sidhes.

Une gêne, entre les deux dimidius. Même elle l’avait senti.

Elle s’était gardée de poser la moindre question, mais une tension, des non-dits entre ses deux compagnons plombaient l'atmosphère. Hawk, plus assombri que jamais, fixait le malaise de Noelia en silence. Pour une fois, Callune avait été oubliée, mise de côté. Cela lui convenait parfaitement. Abandonnée seule près du foyer, Noelia avait été entraînée par Hawk sur un chemin entre aequor et falaise. Officiellement pour explorer et tenter de trouver un endroit où escalader. Officieusement…

Elle ne souhaitait pas savoir. Elle avait assez à faire avec ses Sidhes.

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— Hawk, on ne peut pas laisser Callune seule, et si…

— Et si rien du tout ! Tu t’es assez débinée ! Si tu m’ressors Callune comme excuse, je vais l’étrangler, ça réglera l’problème !

Noelia baissa les yeux et fixa les galets, autant pour ne pas glisser que pour fuir le regard de son ami. Active comme jamais, elle avait décrété dans un premier temps qu’il fallait explorer les environs, s’occuper de Callune, ramasser des coquillages, pêcher… Tout plutôt que cette conversation. Mais à présent, isolée face à l’inflexibilité de Hawk, elle ne pouvait plus se dérober.

— Alors, qu’est-ce qui se passe ?

Noelia repoussa du bout du pied un galet avant de répondre dans un souffle.

— Je… Ne me prends pas pour une folle. Mais… Ondine, l’Esprit de l’eau… Eh bien… Depuis la cérémonie du sacrifice avec Charybde… Elle me parle.

Noelia redressa la tête, nerveuse à cause du silence. Elle s’attendait à des moqueries, une remarque méprisante. Une réaction quelconque. Il se contentait de la fixer, indéchiffrable. D’habitude, il ne se montrait ainsi que lorsqu’il se battait pour sa vie. Elle reprit d’une voix incertaine.

— Je… Je pense que c’est grâce à elle qu’on a survécu face à Charybde. Je… je ne me souviens que de l’autel d’Ondine, de quelqu’un qui me parlait. J’étais la seule à l’entendre. Ensuite… Je me suis réveillée sur la plage.

— Tu sais qu’entre temps, tu t’es mise à briller, que t’as sauté de la plate-forme et créé une bulle d’air pour nous entraîner, Callune et moi ?

Noelia pâlit. Elle hocha la tête pour répondre. Ondine ne se contentait pas de lui parler, elle avait aussi pris le contrôle de son corps. Plusieurs fois. L’Esprit leur avait sauvé la vie, elle devrait se montrer reconnaissante. Mais l’idée de perdre la maîtrise d'elle-même la gênait. On lui avait déjà enlevé tellement, que lui restait-il si on la manipulait si facilement ?

« Tu ne vas tout de même pas me reprocher mon intervention, petite nymphe ? »

Noelia sursauta. Hawk remarqua que quelque chose clochait. Il fronça les sourcils, s’apprêta à poser une question puis se ravisa. Un instant de silence flotta entre eux.

— C’est aussi elle qui nous a sauvés dans les mines ?

« … »

— Je… Je suppose.

— Et quoi alors ? Je dois m’rouler à tes pieds pour la remercier ? Ou elle essaie de s’faire pardonner pour des années de massacre de dimidius ?

« Quel rustre ! Je peux le punir, petite nymphe ? Seulement de quoi lui apprendre la politesse et le respect. »

Noelia fixa ses pieds, totalement désarçonnée par la demande. Hawk tendit la main vers la poitrine de son amie. Il s’arrêta à quelques centimètres du tissu, comme si quelque chose le repoussait. Il força un instant avant d’abandonner.

— Là, qu’est-ce qu’il y a ?

Noelia le regarda sans comprendre. Elle avait suivi son manège sans saisir où il voulait en venir. Elle passa ses doigts sous sa tunique et toucha sa peau. Elle sursauta en effleurant une structure étrange, au niveau de son sternum. Après une seconde de surprise totale, elle écarta son vêtement pour l'examiner. Elle arrêta de respirer l’espace d’un instant. Sa poitrine était à présent sertie d’une gemme bleue. Plate et longue de quelques centimètres, différentes teintes dessinaient des volutes à la surface. De petites expansions blanchâtres traversaient sa peau et l'immobilisaient. Noelia effleura du bout des doigts l’étrange ornementation. La pierre dégageait de la chaleur et paraissait presque… vivante. Et les griffes qui la retenaient… elle aurait parié qu’il s’agissait d’os. Les siens.

« Ah oui, j’ai peut-être oublié de te prévenir. J’ai apposé ma marque et j’ai fait de toi mon Âme-Liée. Félicitations. »

— Quoi ?!

La surprise de Noelia l’empêcha de noter le ton ironique d’Ondine sur le dernier mot. Âme-Liée ? Il s’agissait du plus haut statut chez les magiciens, des êtres d’élite qui partageaient un lien particulier avec un Esprit. Il n’en naissait pas à toutes les générations et depuis quelques siècles, les Âmes-Liées étaient devenus rarissimes. Alors pourquoi maintenant ? Et surtout… pourquoi elle ? Une dimidius ?

« Vu la sélection d’arriérés qu’on amène à mon autel, le choix — ne le prends pas mal — était plutôt limité. Poséidon, que j’ai horreur qu’on tue en mon nom ! Charybde est une brave bête, pas besoin de lui imposer ces simagrées. »

— Noe, j’aimerais une réponse bordel !

Elle leva les yeux vers Hawk, presque craintive.

— Je… Il semblerait que je sois devenue Âme-Liée, et que cette gemme en soit la marque.

Hawk se recula d’un pas, comme si elle venait de le gifler. Son visage se ferma définitivement. Il n’aurait pas réagi autrement si elle avait essayé de le tuer. Ils se fixèrent longuement, dans une immobilité totale. Les vagues léchèrent les galets à leurs pieds sans qu’ils y prennent garde. Le bruit de leurs entrechoquements ponctuait le silence. Noelia savait parfaitement que Hawk haïssait les Esprits, plus encore que les magiciens. Il les considérait comme les investigateurs de cette mise en scène macabre qui plaçait les dimidius dans le rôle de bête à abattre. Un tel lien avec Ondine ne pouvait que le dégoûter profondément. Surtout s’il lui devait la vie par deux fois.

Alors ?

Est-ce que lui aussi allait la rejeter, comme tous les autres ?

Elle-même était mal à l'aise avec cette relation avec la divinité, ne saisissant pas tous les tenants et les aboutissants. Mais dans tous les cas, elle était redevable envers Ondine de l'avoir sauvée. Cette reconnaissance insupportait Hawk. Elle sentait sa rage contenue, comme une aura électrique autour de lui. Elle esquissa un sourire triste. Il ne restait plus qu’à attendre que son ami se calme et digère la nouvelle. Depuis le temps, elle le connaissait suffisamment pour savoir comment le gérer, même si cela demandait de la patience.

Il ne l’abandonnerait pas. Jamais. Elle en était certaine.

— Débarrasse-t’en.

Un ordre, sec.

— Quoi ?

— Ce truc. Jette-le. Ça va nous apporter juste des emmerdes.

Une panique sans nom tordit le ventre de Noelia. Mais… d’où venait ce sentiment ?

« N’enlève surtout pas la gemme. Jamais. »

— P-Pourquoi ?

« C’est extrêmement important. Ne l’ôte jamais »

— Qu’est-ce qu’il se passe Noe ?

— Elle dit qu’il ne faut pas y toucher, mais je ne sais pas pourquoi…

— Elle te parasite, faut arrêter ça !

« Tu vas mourir si… »

— Noe ! Faut…

— Assez ! hurla Noelia.

Elle ferma les yeux et plaqua ses mains contre ses oreilles. Trop d’informations, trop d’ordres, trop de tout. On n'essayait pas seulement la tuer à tout bout de champ. Maintenant on voulait la manipuler, lui dire quoi faire comme à un gentil animal bien dressé mais… mais…

Elle pleurait.

Hawk lui saisit délicatement les épaules et redressa ensuite son visage. Son expression était toujours indéchiffrable. Il irradiait une fureur sans nom contre les Esprits. Mais face à sa panique, il se contenait.

— C’est bon.

Hawk n’ajouta rien de plus, mais il resta à ses côtés, le temps qu’elle se calme. Noelia lui en fut reconnaissante. De longues minutes s’écoulèrent dans un silence reposant.

La conversation close pour le moment, elle s’apprêtait à partir retrouver Callune lorsqu’un hurlement bestial lui figea le sang. Elle tourna la tête vers le large. Une créature, toute en longueur, fonçait droit sur eux, tous crocs dehors. Elle ondulait élégamment, projetant des gerbes d’eau sur les côtés. Son corps, recouvert d’écailles bleutées, brillait de mille feux sous les rayons du khor de la matinée. Avant que Hawk ou Noelia n’aient le temps de réagir, l’animal remonta la plage sur de courtes pattes griffues et vint s'enrouler autour des jambes de Noelia.

« Un aquaéride. Il doit sentir ma présence. J’ai toujours eu une forte affinité avec cette espèce-là. »

Un dragon aquatique. Il leva son long museau surmonté de moustache et une langue bifide lui lécha le visage. Noelia tenta de le repousser, mais l’animal, beaucoup plus gros et puissant qu’elle, résistait sans effort. Elle chuta sur le sable et l’aquaéride lui monta dessus, l’écrasant et lui coupant la respiration. Le dragon paraissait juste joueur, il n’avait pas mordu. Mais sans le vouloir, il finirait par l’étouffer. Hawk essaya de saisir l'animal, long de plusieurs mètres et pesant plusieurs centaines de kilos. À part réussir à arracher quelques écailles dans l’indifférence générale, Hawk ne dérangea pas le reptile dans son jeu mortel. Du coin de l’oeil, il aperçut d’autres aquaérides se diriger vers eux. Celui de tête, le plus massif de tous, était chevauché par un homme d’une trentaine d’années. La peau sombre marbrée de taches plus claires, ses cheveux noirs étaient coiffés de tresses collées contre son crâne. Souple, il montait à la perfection, se passant de selle avec une facilité déconcertante.

Parvenu sur la plage, il sauta sur le sable et se précipita vers le dragon qui étouffait toujours Noelia. Il l’attrapa par le cou et lui parla dans une langue étrange, un mélange entre des mots inventés, des crachotements et des petits cris. L’animal secoua la tête un instant et résista à l’inconnu qui essayait de l’emmener. Celui-ci insista et son ton devint plus sec et tranchant. Le reptile s’écarta, la tête basse. Il s’enroula sur lui-même et le laissa tomber lourdement au sol. Il paraissait presque penaud et resta immobile, à suivre de ses yeux noirs l’homme à la peau sombre. Un Athanorien, sans aucun doute. Dans le même dialecte, l’étranger s’adressa aux autres aquaérides qui regagnèrent l’eau sans s’éloigner trop. Une fois la situation apaisée, l’inconnu soupira et passa une main sur ses tresses. Il se tourna vers les deux dimidius et leur sourit chaleureusement, ce qui éclaira ses prunelles d’un ocre doré.

— Je suis désolé. Oyashio est encore tout jeune, il a du mal à résister à sa curiosité. J-Je vais vous aider.

L’inconnu sembla seulement remarquer que Noelia était toujours allongée par terre, les vêtements et les cheveux en bataille, l’air perdu. Sans attendre de réaction de ses interlocuteurs, il saisit Noelia sous les aisselles et la souleva comme si elle ne pesait rien. Il la remit sur pieds et épousseta ses affaires. Très grand et large d’épaule, il avait la musculature d’un homme en parfaite santé qui s’entretenait.

— J’espère qu’il ne vous a pas blessé, il voulait juste jouer. Il…

— Et vous êtes ?

L’inconnu cligna des yeux, totalement pris au dépourvu par la question. Il se tourna vers Hawk qui, les bras croisés et le visage fermé, attendait visiblement autre chose qu’un babillage joyeux. Immédiatement, les joues de l’homme s’assombrirent. Il parut d’un coup beaucoup moins impressionnant, intimidé comme un enfant face aux remontrances d’un adulte.

— Je… Euh… Je suis désolé. Je m’appelle Noor. Je travaille dans un élevage de dragons un peu plus au nord et je…

 Il répondit d’abord précipitamment, puis parla de plus en plus faiblement et bafouilla. Sa voix s’éteignit dans un souffle et il baissa la tête, affreusement gêné. Même voûté, il surplombait toujours les dimidius. Un silence pesant s’installa avant que Noelia ne prenne les choses en main.

— Merci beaucoup pour votre aide. Et ne vous inquiétez pas O… Oyashio a juste été un peu encombrant.

Dans l’eau, les aquaérides levaient leur museau vers elle, eux aussi attirés. Noelia remercia mentalement le dresseur d’avoir bien réussi son travail avec ceux-là, beaucoup plus gros que le premier. Elle n’aurait pas survécu à une demi-douzaine de dragons trop curieux. La douceur dans la voix de Noelia sembla rassurer Noor, qui se redressa. Il se gratta distraitement le cuir chevelu, n'ayant aucune idée de comment se tirer de cette situation gênante. Noelia reprit avec un sourire.

— Vous venez souvent par ici ? Je ne savais pas qu’il y avait un élevage dans la Lande Océanique, c’est un endroit si désertique.

Un lieu si désolé qu’on y habitait que si on n’avait pas le choix. Noor ne sembla absolument pas dérangé de la question.

— Oui oui, les aquaérides ont besoin de passer pas mal de temps dans l’eau. L’aequor est idéal pour eux, ils n'embêtent personne ici. Enfin… d’habitude…

De nouveau gêné, il s’attaqua le crâne à coup d’ongles. Hawk, rigide et le visage toujours fermé, paraissait s’être transformé en statue. Noelia, malgré son apparence avenante et son manque de trouble visible, commençait réellement à paniquer. Comment expliquer leur présence là, dans une crique emprisonnée par de hautes falaises, sans aucun accès vers l’extérieur ? Surtout qu’il se trouvait dans l’une des régions les moins peuplées d’Atlantide. En cas de problème avec Noor, Hawk pourrait sans soucis le maîtriser. Mais pas les dragons. Même avec sa particularité et ses talents magiques, il ne s’en sortirait pas. La gêne teintée de tension se réinstalla mais cette fois-ci, Noor reprit malgré ses hésitations évidentes.

— Je… Je ne voudrais pas être indiscret mais…

Noelia sourit un peu plus, autant pour encourager le dresseur que pour cacher ses craintes et son amusement. À côté d’elle, elle pouvait presque entendre Hawk retenir de justesse une pique comme « Alors pose pas ta question, Fomoire ! »

— Qu’est-ce que vous faites ici ? Vous… vous n’avez pas eu de problèmes, j’espère ?

 Noelia eut un instant d’hésitations. Qu’inventer qui paraîtrait crédible ? Elle savait mentir sans frémir, mais dans une telle situation, comment ne pas éveiller les soupçons ? Hawk prit enfin la parole.

— Des problèmes autres qu’un dragon incontrôlable vous voulez dire ?

Noor piqua un fard, plus sombre que jamais. Impitoyable, Hawk enchaîna, comme s’il était pressé ou que quelque chose l’inquiétait.

— Bien sûr qu’on est pas là en joyeuses vadrouilles ! Ma crétine de soeur est tombée de la falaise dans l’aequor. On est descendu pour la récupérer mais elle est trop mal en point pour repartir.

Noelia resta imperturbable, mais afficha quand même une expression anxieuse de circonstance. Intérieurement, elle souriait. Même en jouant la carte du grand frère inquiet, il paraissait agressif. Noor se recroquevilla sur lui-même dans un premier temps, avant de se redresser, alarmé par la nouvelle.

— C’est vrai ?! Est-ce qu’elle va bien ? Je peux vous aider ou…

— Et pourquoi nous vous ferions confiance ?

Noelia fut impressionnée par son ami. Il avait parfaitement retourné la situation. Avec son mensonge, il se posait dans le rôle de l’accusateur agressé. Noor, avec sa timidité, avait totalement oublié le fait que ses interlocuteurs se trouvaient perdus sans raison valable au milieu de nulle part. Il allait les sortir du pétrin sans oser les questionner, se sentant coupable. Parfait. Noor prit sur lui et ficha ses yeux mordorés dans ceux de Hawk.

— Avec les temps qui courent, c’est normal de s’entre-aider. Et puis, je vous dois bien cela pour l'accident avec Oyashio. Je vous en prie, je peux au moins vous ramener dans un endroit plus peuplé. L’élevage où je travaille n’est pas très loin d’ici.

Un instant de silence flotta, comme si Hawk s’accordait un moment de réflexion. Il finit par hocher sobrement la tête.

— Très bien. Je vais chercher ma soeur, je reviens tout de suite.

Il fit signe à Noelia de rester là, et elle acquiesça sans un mot. Maintenant qu’elle était sur ses gardes, elle pourrait toujours se protéger en cas de soucis avec son pouvoir de dimidius : la création de boucliers infranchissables. Il lui fallait juste garder suffisamment ses distances avec les potentielles menaces pour pouvoir activer ses défenses.

Devant elle, Noor se gratta la nuque, mal à l’aise. Il avait manifestement plus l’habitude de rester en compagnie d’animaux que d’êtres humains. Noelia songea amèrement que de côtoyer des dimidius, plus vus comme des bêtes assoiffés de sang que comme des personnes, ne le changerait guère des dragons.

~0~

Assise près des restes du feu, Callune examinait pensivement ses blessures pour ignorer la Sidhe-Rose. Sa chute, dans les souterrains ondiens, l’avait profondément marquée. Son bras et sa cuisse gauche étaient profondément éraflés. Elle ne pouvait les bouger correctement sans risquer de rouvrir les croûtes à l’aspect étrange. Ses plaies se révélaient particulièrement sensibles et visuellement inquiétantes. Sans source d’eau douce, elle ne pouvait rien nettoyer. Callune se mordit la lèvre inférieure. Elle savait parfaitement que son clan, les Dryadiens, se montrait particulièrement fragile face aux infections. Mais sans magie et sans plantes médicinales…

Elle redressa les yeux lorsqu’elle entendit quelqu’un se rapprocher d’elle. Pas une Sidhe, un être de chair qui faisait rouler les galets sous ses pieds. Hawk revenait seul vers elle, indéchiffrable comme toujours. Le visage fermé, il détailla ses blessures et hocha la tête, comme s’il était satisfait de ces marques visibles sur son corps. Cela la laissa perplexe, mais elle préféra ne pas poser de questions. Il paraissait relativement calme pour une fois, elle ne voulait pas s’attirer ses foudres. Surtout sans Noelia dans les parages. Il se planta devant elle et se dressa de toute sa hauteur, ne prenant même pas la peine de descendre ses yeux froids vers elle.

— Dis-moi princesse, toi qu’es censée t’y connaître en politique, comment tu ferais pour forcer quelqu’un à t’aider ?

Callune fut déconcertée par l’interrogation. Plus que les étranges questionnements de Hawk, le fait qu’il requiert son avis l’ébahissait. Elle mit rapidement sa surprise de côté, devant l’impatience évidente de son interlocuteur. Celui-ci croisait déjà les bras et tapotait du pied les galets. Callune retint de justesse une grimace. La théorie politique, elle maîtrisait. Son père avait engagé suffisamment de professeurs pour la former correctement. Un seul souci l’avait toujours accablé, l’empêchant d'appliquer ses enseignements. Elle s’était systématiquement montrée incapable de s’imposer en public, provoquant des rires dissimulés sous des sourires et l’exaspération de son père à cause de sa tare. Elle avait campé une bien piètre princesse. Mais si on lui demandait un avis théorique, elle savait se rendre utile.

— D’après moi, il faut toucher la corde sensible de la personne. Qu’il s’agisse, d’argent, de chantage ou de pitié. C’est ainsi que s’y prenait ma mère et…

— Ca va, pas besoin de raconter ta vie, j’m’en fous ! Mais ravi qu’tu sois d’accord avec moi.

Il tendit la main vers elle et attendit. Callune, les yeux écarquillés, ne comprenait pas ce qu’il voulait. À son habitude, il s’énerva rapidement. Il secoua les doigts sèchement.

— On a pas toute la journée.

Hésitante, Callune saisit sa main. Il la tira d’un coup et la força à se remettre sur pieds. Elle perdit l’équilibre et elle se rattrapa sur Hawk. Figée, elle entendit les représailles.

— La corde sensible de Noor, c’est le malheur des autres.

Callune cligna des yeux, surprise. Noor ? Et pourquoi lui parler de cela maintenant ? Est-ce que…

Le poing de Hawk s’enfonça avec violence dans son ventre. Elle sentit ses poumons se vider et le goût de la bile emplir sa bouche. Elle s’écroula, inconsciente.