II — XVIII. — À LIVIA

Par Hastur
Notes de l’auteur : Version 1 - 09/01/22

Ton fidèle Panius a quelque peu trahi ta discrète attention. L’un de ces habituels regards où tempête l’impatience m’a conduit à la révélation de sa réelle mission. Malgré cela, je tiens à te rassurer. Ton geste n’en a pas moins conservé toute sa délicatesse, dont, il me semble, je demeure encore à ce jour, l’unique dépositaire.

Observez avec quelle habilité scripturale je taille quelques traits d’humour bien placés. Les moroses descriptions, dont vous nourrissez la rumeur, s’en retrouvent démenties, malicieuse sœur.

Argumentation par l’exemple m’objecterez-vous. Le procédé fallacieux que voilà. Seuls les plus vils sophistes y ont recours, ajouterez-vous. Fainéantise rhétorique, je vous répondrai en toute honnêteté. Là, a toujours été votre erreur la plus profonde, confondre malveillance et paresse.

Trêve de plaisanterie, je ne voudrais pas que Panius subisse les pénibilités du voyage pour nos puérils amusements. Et puis, ton billet m’a donné matière à réfléchir sur nos préoccupations. J’ai beaucoup à te dire.

À propos de notre père tout d’abord.

Dans ma jeunesse, j’ai connu un ancien qui portait un mal semblable à celui que tu me décris. Il s’appelait Fulvius, un potier de la cité. Il fréquentait notre école de pensées depuis peu et déjà Pathie avait décelé une anomalie à travers la Nuit. Elle prenait soin de ses élèves. Toujours avec justesse et donc équité. Alors elle m’avait demandé d’apporter mon aide à cet homme, de le servir en tout ce qui serait nécessaire à sa santé. Avant que je ne m’acquitte de ma tâche, ma mère m’avait mis en garde. « Voici un être dont les étoiles s’éteignent. L’esprit sombre et se réveillent les mauvaises humeurs. Viens me trouver si la violence et le danger te dépassent. ». Fort heureusement, nous ne sommes jamais arrivés à de telles extrémités. Néanmoins, à plusieurs reprises j’ai apaisé sa détresse lorsqu’il se surprenait à semer des bribes de souvenir. J’ai essuyé ses larmes gorgées des vestiges de sa pauvre raison, la main tremblante, terrifié par les questions élémentaires qu’il formulait. Je jouais alors un bien mauvais rôle, où le mensonge se conjuguait en vérité dans la prière de l’oubli.

J’étais jeune, pétrifié par cette incarnation de l’avenir. Aujourd’hui, je goûte l’amère ironie de cette émotion passée, car jamais je n’atteindrais l’âge de sombrer ainsi. Me penses-tu dément d’être habité par cette intuition noire ?

Maladresse et égo, voilà que j’ai recentré le sujet sur ma personne. Il est des défauts d’âme que toute expérience de vie ne saurait adoucir, rien qu’un peu.

Pour toi, j’endosserai une nouvelle fois mon rôle d’aide, dans la mesure de mes pouvoirs. Ils sont bien maigres, mais peut-être parviendrai-je à retenir le mal par les chemins de la Nuit. Nous verrons bien. Toutefois, j’y mise peu d’espoir. La médecine de l’esprit n’a jamais été mon fort, comme tu peux t’en douter.

Je resterai aussi vigilant quant à Talia. Quelle douce folie nous a donc tous aveuglés à l’issue de la fuite des Astrusques ? Il m’apparaît comme une évidence que sa présence aux côtés de notre père ne peut qu’exacerber les procès de ces adversaires politiques.

Comme toi, je demeure perplexe quant aux manœuvres de la reine Ramthas. La raison se dessine d’elle-même : semer le chaos. Cependant, le « comment » persiste derrière un brouillard d’incertitudes. Mais à bien y réfléchir, n’a-t-elle pas déjà touché au but ? Le piège ne s’est-il déjà pas refermé ? N’est-il pas trop tard ?

Sous le joug d’une émotion collective, nous avons pris des décisions hâtives. Moi le premier, fragilisé par ces étoiles étrangères que la Reine m’a insufflées de force, j’ai succombé le premier à un chaos émotionnel. Était-ce donc là son seul but en me libérant ? Aujourd’hui, je suis redevenu prince de ma Nuit et les tourments de ces étoiles ne sont plus que de vains échos dans mon kosmos. Ramthas pariait-elle seulement sur ces premières maladresses, prédisant que je maîtriserai sous peu le chaos instillé ?

Pour Talia, j’ignore de quoi il en retourne. Constitue-t-elle le danger par ses propres motivations ? Ou bien sa présence échauffera-t-elle les esprits au point de soulever la légion dans une sanglante rébellion ?

Les consuls assassinés ne manquent pas à la Mémoire. Une mauvaise langue affirmerait sans détour qu’il existe un trait culturel à cela chez les Valains.

Je t’abandonne sur ces réflexions.

Je m’en vais gagner ma Nuit. J’y attends les nouvelles de mon amie en provenance d’Arpa. L’Est se fait aussi le théâtre de curieuses manigances. Je ne manquerai pas de t’en informer comme convenu.

Prends soin de ta santé.

XXI jours après le Solstice Rouge.

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