II. Le rêve de tout homme

Il se tenait debout, face au monde. Ses paumes tendues accueillaient le souffle du vent, qui batifolait avec ses cheveux libres. Une bourrasque soudaine ébouriffa ses vêtements, sa cravate trop serrée comme un collier de fer, sembla prête à céder.

Il se tenait debout, face au monde. Il contemplait avec une joie immense le ciel qui méprisait de sa grandeur les ridicules constructions qui tentaient de le gratter. Au sein de cette fourmilière où tout le monde était unique, il s’était senti à l’étroit.

Il se tenait debout sur la rambarde, d’un équilibre éphémère qu’il hésitait à rompre. Il ignorait les cris et les supplications des fourmis derrière lui. On s’agitait, on le fixait en échangeant des phrases inquiètes à voix basse. Tous le considéraient avec pitié, il le savait. Ils avaient peur pour lui, peur de ce qu’il allait faire.

Ne vous en faites pas, leur aurait-il dit s’il en avait eu l’envie, moi je ne suis pas triste de partir, alors ne le soyez pas pour moi.

Il ne baissait pas les yeux vers la fourmilière, il savait qu’il risquait d’être pris de vertige. Il ne devait pas avoir peur, car la peur nuirait à son plaisir, son plaisir de voler.

Il ne serait pas le premier dans l’histoire, il le savait, mais il allait réaliser le rêve de tout homme.

Voler.

Voler véritablement, sans aide ni artifice. Sans accroche, sans retenue.

Voler.

Et cela n’avait pas de prix.

Il avait toujours voulu voler, et tout le monde partageait ce rêve. Mais là où il se démarquait c’est qu’il en avait compris le sens.

Voler, c’était être libre.

Une liberté infinie.

Absolue.

Voler, c’était échapper aux contraintes, aux faux sourires, aux remontrances.

C’était s’évader de cette réalité putride, vers la pureté d’un éther.

Voler, c’était observer la terre depuis le ciel et la repeindre à sa façon.

Redonner du goût aux saveurs perdues, de la couleur à ces villes insensibles, de la musique à ces arbres silencieux.

Voler, c’était s’acquérir sois-même, être celui que l’on est réellement.

Voler… toutes ses pensées le gonflaient d’espoir. Il inspira, ignorant les relents des humains, il sentait déjà les chaînes de la société s’étioler. Son regard dériva vers le soleil, mais il dut fermer les paupières. Cet astre était tellement parfait qu’on ne pouvait poser les yeux sur lui qu’une seule seconde. Mais ce n’était pas grave, bientôt il pourrait le regarder à loisir.

Une fourmi s’approcha de lui et lui saisit la cheville, en l’implorant de l’écouter.  Elle voulait savoir quel était le problème, elle voulait qu’il lui parle. Tout le monde se tenait derrière elle, la soutenant silencieusement, ils semblaient s’être passés le mot. Tous, si inquiets pour lui, si peureux.

Il se sentit au-dessus d’eux, qui s’en tenaient à leur bas instinct, et avaient peur de la mort.

Mais ils n’avaient pas compris, ce n’était pas vers la mort qu’il allait, mais vers la liberté.

Il savoura ces derniers instants avec eux, la certitude de sa libération éclairait le monde de son importance. S’il n’avait pas été si moche, il n’aurait pas trouvé le ciel si beau. Il n’aurait pas eu envie le quitter.

Bientôt. Il attendait le bon moment, une rafale plus forte que les autres qui saurait le porter. Elle arriverait bientôt, il le savait.

La fourmi le serra plus fort, il lui jeta un regard agacé.

Pourquoi ne voulaient-ils pas comprendre ?

S’ils souhaitaient vivre enfermés toute leur vie, libre à eux. De quel droit lui imposaient-ils leur servilité ?

Ils avaient peur, c’était leur problème, lui s’était déjà libéré de ça.

Il allait s’évader, s’envoler vers ce bonheur capricieux. Il était sûr qu’il se trouvait dans le ciel, après tout il n’y avait des ombres que sur terre.

Là-haut, la vie ne s’abattrait plus sur lui coup par coup en le laissant tremblant et désespéré. Là-haut, les possibilités seraient infinies, sa liberté une évidence. Qui ne voudrait pas de ce monde-là ? Il en était sûr, tous ceux qui l’enjoignaient de les rejoindre sur le balcon avaient déjà voulu voler. Alors pourquoi l’embêtaient-ils ?

Il savait pourquoi, en réalité, c’est parce qu’ils étaient stupides. À force de vivre dans la puanteur ils s’en étaient accommodée jusqu’à l’aimer. Mais lui avait le nez trop fin. Et il détestait cette puanteur.

Une mélodie dissonante fit vibrer sa poche, c’était sa génitrice. Sans doute était-elle affolée de voir l’œuvre de sa vie s’envoler loin d’elle. Mais après tout n’était-il pas naturel que les enfants s’envolent loin de leur parents ?

Cette pensée le fit sourire, cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas provoqué cela chez lui, cette hypocrite.

D’un geste vif, il lança le portable. L’objet décrivit une jolie courbe avant d’être rattrapé par le monde. Hypnotisé, il le vit retomber vers le sol lointain.

Cette vision lui donna le vertige, il se sentit reculer.

Non, s’intima-t-il, ne pas y penser. Tu ne tomberas, tu voleras. Tu ne reviendras pas vers le monde, tu le quitteras. Regarde en haut, le beau ciel, n’est-il pas parfait ?

Il se calma, posa ses yeux sur l’immensité trouble. Oui, il allait atteindre cette perfection.

Mais il devait faire vite, il avait aperçut les fourmis bleues commencer à déployer un coussin géant au sol, cette bouillabaisse risquait de l’engluer et d’empêcher son vol. Il devait partir avant.

Et comme obéissant à ce souhait, il l’entendit venir, la rafale qu’il attendait. Une douce mélodie qui serpentait entre les tours de béton. Il étira les bras au maximum, ouvrant la bouche pour goûter la liberté.

- Regardez ! cria-t-il aux fourmis. J’exauce votre vœux !

Les fourmis crièrent en retour, elles l’encourageaient joyeusement, crut-il. Les nuages lui tendaient leur bras cotonneux.

Il s’élança.

Vers la liberté absolue, sans limite.

Vers le bonheur, le repos.

Vers la pureté, la perfection.

Vers la lumière, la beauté.

Il s’élança.

Libéré des masques, des fers, de la ville, de la vie.

Le carcan douloureux se dilua, comme ses pensées.

Le sifflement du vent était un hymne à la joie.

Ses yeux se jetèrent vers le soleil magnifique, la clarté envahit son univers.

Ses cheveux, son cœur, ses larmes s’envolèrent.

Et son esprit.

Il était vent. Il était libre.

Plus rien ne le retenait désormais, il avait acquis la liberté absolue.

Il s’envola.

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Boodoo
Posté le 27/12/2022
Une fin tragique, un texte poétique. C'est une description des derniers moments d'un homme sur la terre qui l a porté ( allusion à la génitrice qui l'a également porté) et la présence du ciel est fortement accentué. Le désir de cet homme est de s'envoler, il ne veut pas en finir avec la vie. Il désire la liberté et il n'accepte pas le fourmillement qui l'entoure. S'envoler alors lui paraît la seule option.
J'ai bien aimé cette nouvelle. Je lirais d'autres textes. Merci.
AudreyLys
Posté le 27/12/2022
Merci à toi pour ton passage ici et ton gentil commentaire !
Zultabix
Posté le 04/05/2021
ReBonjour AudreyLys,

Encore une histoire de chute ! Décidemment ! :-)
Là encore, j'ai beaucoup aimé l'idée, le climax tout en retenue, l'interaction surnaturelle entre ton personnage éperdu et la sensibilité des fourmis. Somme toute, je partage encore l'avis de DoublureStylo. Décidemment ! Il y a trop de répétitions et le verbe "voler"est trop martelé. Tu es très sensible et très généreuse dans ton écriture, tu offres ton coeur sur ta main. Mais fais confiance à tes lecteurs. La plupart, principalement ceux qui lisent et écrivent, sont tout aussi sensibles que toi ! Comme tu mets beaucoup de ta personne dès tes entames, je pense que même si tu travaillais à demi-mots, tu parviendrais à nous faire percevoir ton ipséité, laquelle se répercuterait inévitablement sur la profondeur de tes personnages. De mon côté, plus j'écris, plus je prends plaisir à jeter mon mandala aux flots, pour mieux parfaire le suivant. Je te livre ici le lien d'un bel article écrit par une amie auteure, qui t'aidera peut-être à perfectionner ton art tout en douceur !

Bien à toi !

https://catarinaviti.com/2021/05/03/ecrire-une-question-de-souffle/
AudreyLys
Posté le 04/05/2021
Re-coucou !
Haha oui mais leur écriture a été séparé de plusieurs mois ^^ Merci pour ce partage ! Je lirai ça avec attention !
Vylma
Posté le 02/10/2019
Joli texte !

Sur la forme, j'ai eu un peu de mal avec la phrase "Là-haut, la vie ne s’abattrait plus sur lui coup par coup en le laissant tremblant et désespéré". Je ne saurais pas trop te dire pourquoi, j'ai dû la relire plusieurs fois. Peut-être le "coup par coup" qui saute quand on lit trop vite ?

Sinon je crois que c'est "soi-même" et non "sois-même".

Et sur le fond, j'ai trouvé ça assez intéressant. D'autant que la fin laisse libre cours aux interprétations (en tout cas pour moi ^^).

Bravo !
AudreyLys
Posté le 03/10/2019
Merci^^

C’est vrai que je viens de lire « par coup » au lieu de « coup par coup » XD je m'y pencherai.

Ok je note la coquille ^^

Cool^^ C’est bizarre parce que pour moi la fin n’est pas vraiment ouverte XD Mais comme le texte est un peu nébuleux je crois que je vois

Merci pour ta lecture et ton commentaire <3
Vylma
Posté le 03/10/2019
Je comprends la fin de deux façons :
- soit il s'envole, tout le monde est en mode WTF, et ça me fait un peu rigoler
- soit c'est une métaphore pour la mort et il était juste en train de délirer sur le moment de la chute qui était une liberté absolue pour lui
AudreyLys
Posté le 03/10/2019
Ah oui je vois ^^
DoublureStylo
Posté le 15/04/2019
Je ne peux pas (ou je n'ai pas trouvé comment) répondre à ta réponse alors je refais un commentaire :p
Pour les répétitions, elles sont,, je pense, stylistiques  et volontirement martelées (notamment le mot "voler"). Elles ne nuisent pas à l'histoire et pas vraiment à la lecture, mais je trouve qu'elles "plombent" le⋅a lecteur⋅ice, qu'elles le⋅a lestent alors qu'iel voudrait sans doute s'envoler avec ton personnage, éprouver ce désir de liberté, cette soif de légèreté.
 
Dans le genre d'éléments à mon avis dispensables, on a la fin de cette phrase :
"Ils avaient peur, c’était leur problème, lui s’était déjà libéré de ça. ) 
D'après moi, "Lui s'était déjà libéré de ça" est inutile. On s'en doute, puisqu'il se met en opposition avec "Ils". Ça devrait rester implicite et on pourrait trouver plutôt quelque chose comme
'Leur problème, c'est qu'ils avaient peur".
Va savoir pourquoi, l'inversion me semble plus appropriée (sans doute parce que c'est l'élément crucial de la phrase ?).
Je n'ai pas fait un relevé systématique et c'est le pasage qui m'a sauté aux yeux mais je sais (parce que je le fais aussi) qu'on a tendance à écrire des choses qui ne sont nécessaire ni à l'histoire, ni à la compréhension des personnages. C'est un défaut auquel on doit tous⋅tes faire attention ^^
AudreyLys
Posté le 15/04/2019
Ok merci^^
Pour moi ce n'est pas forcément un défaut, mais je prends note^^ 
DoublureStylo
Posté le 15/04/2019
J'ai beaucoup aimé ce texte. Sur le fond, rien à dire. Sur la forme, pas grand chose. Quelques passages à alléger un peu. Il y a des phrases dispensables et quelques répétitions qui cassent un peu le rythme. La ponctuation est parfois manquante ou mal placée. En dehors de ça, j'ai trouvé ce texte vraiment bien.
AudreyLys
Posté le 15/04/2019
Je suis contente que tu l'ai aimé^^
Aurais-tu des exemples quand tu parles de phrases dispensables et de répétition ?
Merci pour la lecture et ton commentaire^^ 
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