II. — IV. — À FAUSTUS

Par Hastur
Notes de l’auteur : Version 1 - 04/09/21

Les Astrusques sont sortis de l’ombre et nous nous sommes portés à leur rencontre. Titus-Livius a insisté pour que je fasse partie de la délégation. J’ignore de quels arguments il a usé, mais son état-major a accepté sans faire de difficulté. Livia, qui n’était alors pas présente à la session, pense que quelques bonnes formules sur les arts de la Nuit les ont convaincus.

Ainsi, un matin brumeux parmi d’autres, nous nous sommes mis en route, placés sous l’étendard de Vale. Nous ne comptions qu’un faible contingent. Nulle bataille ne pointait à l’horizon encore, seulement la perspective de pourparlers. L’ambiance a été lourde pendant le trajet. Je sentais la tension dans le pas de chacun, et remarquais les maladresses furtives nées de l’anxiété. Titus-Livius se montrait lui-même mutique, le visage fermé sous son casque plumé. Pour ma part, je l’imitais, l’esprit en quête de mon sang-froid. Je laissais s’étendre une partie de ma conscience dans mon kosmos, l’autre restait maintenue sur la terre ferme et humide d’Astrurie. Je me moquais que mon regard asymétrique éveille à nouveau la terreur des nôtres. La condition de mon âme, en un moment si critique, se révélait plus cruciale que l’engeance de la superstition.

Le large chemin boueux, que nous empruntions, s’est enfonçé dans l’ombre d’une haute forêt de pins. Alors que je franchissais l’orée de cette profonde demeure de la Nature, j’ai senti le ciel s’effacer. L’atmosphère s’est alourdie soudain d’un silence mortel, respecté par la faune.

Une sensation familière s’est glissé le long de mon cœur, lorsque j’ai caressé du bout des doigts le tronc d’un arbre centenaire. Là, le souvenir des Dorsales et de son vent d’outre-monde se sont ravivés. À cette révélation, j’ai cherché Quintus des yeux, mais il était resté au campement sous les ordres de Livia. Il n’aurait pas manqué de ressentir cette profonde parenté entre les deux œuvres de la Nature.

Nous avons débouché sur une vaste clairière qui couronnait de nudité le sommet d’un tertre. Les Astrusques nous attendaient déjà. Notre délégation s’est approchée et a réduit la distance à un honnête compromis entre politesse et prudence primitive.

Je rencontrais pour la première fois ces femmes et ces hommes d’une autre terre que la nôtre. Ils nous sont semblables en tout point, si ce n’est une peau très pâle, le teint tari par l’absence de soleil. Toutefois, ils possèdent chacun une sorte d’empreinte éthérée. Leur voix s’en retrouve dotée d’une contenance et d’un rythme particuliers, presque à la lisière de l’intimidation ; et leurs yeux, les pupilles brisées en mille étoiles, achèvent de convaincre de leur proéminence au sein des arts de la Nuit.

Ils étaient six, dont une femme de forte stature assise sur un trône boisé. Une étrange couronne ceignait son front, où dansaient de petites étoiles dorées. Nous nous tenions devant la reine astrusque, Élue Stellaire parmi son peuple.

Après une dernière respiration commune, Titus-Livius et la reine se sont avancés, accompagnés de leur interprète. À ma surprise, le consul a exigé ma présence. D’un pas plus solide que mon cœur ne l’était alors, je me suis confondu dans l’ombre de mon père.

Dans une atmosphère aussi glaciale que protocolaire, les deux dirigeants se sont présentés l’un à l’autre ; Titus-Livius et Ramthas se sont présentés. Le terme des négociations a été précipité par une volonté indomptable à brandir le fer. Le consul refusait de laisser impunies des décennies de piraterie sur les côtes de la Péninsule et n’accordait aucune considération aux propos de la reine Ramthas. Pourtant, ceux-ci m’ont paru empreints d’une rare sincérité. Elle y avouait à demi-mots que malgré son rang, elle ne régnait pas sur l’ensemble des Astrusques et certainement pas dans une mesure absolue. Ainsi, elle se soustrayait à la responsabilité des pillages et même, les condamnait d’une certaine manière.

Titus-Livius a conclu, aveugle et sourd, que le sang était le seul tribut possible au sang, avant de se détourner et repartir en direction des nôtres. Je m’apprêtais à emboîter le pas lorsque la reine Ramthas m’interpella, le doigt pointé sur ma personne. Au bout de son index, l’air ondula sous la chaleur d’une étoile naissante. J’ai interrogé notre interprète du regard.

— Es-tu son enfant ?

Le temps s’est figé à ses paroles. Je l’ai fixée, cette reine Astrusque, les pensées tétanisées par la surprise. D’un geste léger de la main, elle a dessiné une petite constellation, une chimère aveugle.

— Tu portes sa création. Pourquoi ?

— Elle était orpheline, ai-je répondu la gorge sèche.

J’ignore si mes yeux m’ont alors abusé, mais il me semble avoir surpris un frémissement sur le lait de sa peau.

Puis, je me suis détourné pour de bon.

Pathie nous a-t-elle jamais racontés qu’elle avait un jour arpenté la terre d’Astrurie ? J’avoue ne pas en avoir la certitude. Depuis que le sommeil m’a abandonné voilà trois années, il m’arrive de confondre le souvenir du fantasme. J’ai besoin de ton esprit clair sur cette question. Je t’en prie, réponds moi au plus vite sur ce sujet.

*

Nous combattons demain. Mes mains tremblent à l’idée de guerroyer au soleil levant. Combien d’âmes vais-je arracher à la terre ? En quel nom mon glaive percera-t-il la chair ?

Verserai-je plus de sang que de larmes ?

L’ombre de mon esprit s’anime et me susurre de terribles mots.

Je suis las, si las d’être ; sans repos d’aucune sorte.

Oh ! Pardonne-moi mon frère.

Pardonne-moi mes noirs tourments.

Je t’en prie, écris-moi, console mon cœur.

23 jours après le Beau Solstice.

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MariKy
Posté le 24/07/2023
De nouvelles révélations à venir concernant pathie... Et je me rends compte que j'ai écrit Asturien au lieu d'Astruque dans mes commentaires précédents (j'étais pourtant sûre d'avoir vu le mot, oups).
Je me doutais que nous allions avoir une démonstration de magie du côté des Astruques, je suis de plus en plus convaincu que notre Scaevius a beaucoup à apprendre d'eux.
AnatoleJ
Posté le 05/10/2021
Re !

Je sais qu’on est forcément biaisé puisqu’on ne connait que la version de Scaevius, mais son nouveau père n’a clairement pas le beau rôle... Ses raisons de partir en guerre paraissent presque dérisoires à présent (enfin, partir en guerre parait toujours absurde de l’extérieur, de toute façon ? Je suis peut-être juste biaisé de manière générale haha). Cette phrase notamment me souffle que ça va être très vite la merde :
« Titus-Livius a conclu, aveugle et sourd, que le sang était le seul tribut possible au sang »
Pauvre Scaevius, si ça n’avait tenu qu’à lieu je sens qu’on aurait évité une guerre, mais malheureusement ça n’a pas l’air d’être le cas du tout !

« Livia, qui n’était alors pas présente à la session, pense que quelques bonnes formules sur les arts de la Nuit les ont convaincus. »
Vu la situation ça parait en effet plus prudent d’avoir quelqu’un qui maitrise un minimum le sujet dans les parages ! (même s’il n’a pas réussi à changer grand chose à la situation, pour le moment, au moins il a un pied dans la solution ? On croise les doigts)

« Je me moquais que mon regard asymétrique éveille à nouveau la terreur des nôtres. »
Alors je t’avoue qu’à la première lecture j’ai cru qu’il louchait xD (et je doute que ce soit le cas ?)

« À cette révélation, j’ai cherché Quintus des yeux, mais il était resté au campement sous les ordres de Livia. »
Comment ça il l’emmène pour ensuite le laisser en arrière ? C’est pas prudent, ça...

A bientôt :D
Hastur
Posté le 06/10/2021
Re :) !

Y a-t-il une bonne raison de partir en guerre effectivement ? ^^'. Après pour donner un peu de lumière sur Titus, la guerre est aussi une arme politique qui peut lui servir à Vale si jamais il est amené à la gagner... Entre autre chose ^^.

Ah ah ! Je n'y avais pas pensé pour les yeux, je voyais seulement un œil étoilé et pas l'autre x).

Arf c'est pas Scaevius qui décide, il n'a que bien peu de pouvoir de décision le pauvre... :)

Merci encore pour tes retours !

A bientôt ;).
Mathilde Blue
Posté le 08/09/2021
Coucou !

Encore une fois, cette lettre permet une belle avancée. On rencontre enfin ces fameux Astrusques :) J'aime bien le personnage de la reine, qui est une femme sincère, n'hésitant pas à avouer que son pouvoir ait des limites. Ça aurait pu être également une ruse pour se dédouaner, mais j'apprécie l'idée ! Et visiblement elle connaît Pathie, qui continue à apporter de nombreux mystères malgré son absence...

Sans grand étonnement, la guerre aura lieu, même si j'ai été un peu surprise par l'emportement de Titus-Livius, je le voyais comme une personne plus posée et plus à même d'écouter les arguments, mais peut-être que je m'en étais fait une image biaisée !

En tout cas, le désarroi de Scaevius est palpable :)

Des petites notes :

"Leur voix s’en retrouve dotée d’une contenance et d’un rythme particuliers, presque à la lisière de l’intimidation"
"Leur voix se retrouve" me semble plus fluide !

"Dans une atmosphère aussi glaciale que protocolaire, les deux dirigeants se sont présentés l’un à l’autre ; Titus-Livius et Ramthas se sont présentés."
Je ne sais pas si c'est volontaire, mais je ne suis pas très fan de la répétition de "présenter", je trouve que ça alourdit nettement la phrase :)

Voilà ! À bientôt :)
Hastur
Posté le 09/09/2021
Hello :).

Très content que cette première rencontre avec les Astrusques t'ait plue ! :).

C'est vrai que dans le livre I, comme Titus-Livius est en quête de convaincre les siens, il parait avoir plus sang-froid et semble plus calculateur. Mais désormais, non seulement il revêt la magistrature suprême et le poids du pouvoir joue sur l'esprit, mais en plus cette fois-ci il a affaire à des étrangers, et en bon républicain Valain, il est moins... cool ? Il ne faut pas oublier, que dans le livre I, il est quand même accusé par le Sénat d'avoir mené une guerre illégale. Il a l'esprit bagarreur bien encré ;). Et puis il veut la guerre, pourquoi faire des simagrées ? ^^

Merci pour les remarques ! Je prends note :).

Encore merci pour tes fidèles retours !

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