II. — II. — À FAUSTUS

Par Hastur
Notes de l’auteur : Version 1 - 17/08/21
Après une longue pause, je suis parvenu à me remettre à la tâche ! C'est avec une grande satisfaction que je viens de passer mon gros passage à vide, en espérant que je poursuive sur une belle lancée de lettres. Je vous souhaite à toutes et tous une très bonne lecture. Merci encore pour tous les commentaires qui motive à fond !

Les fruits de l’arrogance goûtent la mauvaise part de l’amertume ; s’y mêlent l’exaspération de l’évidente bêtise et les regrettables paroles restées intimes à l’esprit. Pour notre plus grand malheur, mérité si ce n’est recherché, nous en avons récolté plus d’une corbeille.

Dans ma précédente lettre, je t’avais confié les appréhensions qui alarmaient mon cœur. Le doute me rongeait ; la peur aussi. J’allais embarquer pour l’Astrurie, courir la plus sinistre des aventures humaines ; celle où le soleil et le fer se disputent la palette écarlate. Malgré tout, sans vouloir verser dans la mauvaise tournure, je doutais de mon propre doute. Inexpérimenté dans les affaires militaires, et trop heureux de me rassurer auprès des figures d’autorité, je ne comprenais pas qu’elles prêchaient la bêtise, aveugles et ignorantes en tout.

La faute se résume aisément. Aucun de nos si fins stratèges n’a tenu compte des arts de la Nuit. Évidence balayée par le mépris qu’ils éprouvent pour notre école. À la place, les généraux ont disserté sur les honneurs promis à chacun et les magistratures prochaines. La victoire leur semblait déjà acquise. Bêtise que cela.

Enfin…

Laisse-moi te relater cette débâcle.

Nous avons quitté les quais de Tubirie avec la bénédiction des augures. De la traversée, il n’y a pas grand-chose à dire. Les eaux ont été paisibles et les vents, peut-être commandés par la volonté des dieux, nous ont poussés généreusement vers notre destination. Ce n’est qu’à l’approche des côtes d’Astrurie que le chaos s’est levé. Je me trouvais alors sur le pont d’une trirème située à l’avant de la flotte, entouré de Livia, Quintus et du consul Titus Livius.

La nuit avait depuis longtemps drapé le ciel de son linge étoilé lorsque je sentis une onde me traverser, un sursaut timide, peut-être né dans le lointain au-delà de l’horizon marin. Le souffle était léger, presque doux ; mon corps ne lui offrit pas plus de résistance qu’une nappe de brouillard. Il y avait une note cachée dans les profonds replis de l’onde. Une note grave et sinistre. Je comprends, non sans une certaine amertume aujourd’hui, qu’il s’agissait d’un râle, un ultime appel tant à la vaillance qu’à la prudence. La Nature abdiquait, défaite par une volonté supérieure. Je vis alors, devant mes yeux ronds d’impuissance, la voûte céleste s’emmêler en milliers de traînées étoilées. La nuit ordinaire se métamorphosait en un flou coloré et opaque, une gigantesque nébuleuse d’inventivités, où perçaient en cadence des éclairs nimbés tout entiers d’un mortel silence. L’espace d’un crucial instant, où nos cœurs cessèrent de battre à l’unisson, la brume stellaire s’évanouit et révéla les constellations nées d’un esprit terrestre.

Un kosmos venait de conquérir le ciel.

Je n’eus pas le temps de retrouver mon souffle, car déjà une parcelle de la toile nocturne s’animait. De fines lignes s’élançaient d’étoile en étoile pour donner corps à une constellation. Mon sang se glaça lorsque la créature poussa un grondement plus pesant que le ciel. Sa tête reptilienne s’agita avant de porter ses deux géantes bleues en contrebas, sur notre flotte, fragile de sa modeste charpente.

À mes côtés, Titus Livius s’exclama dans une vaine volée de jurons. Vaine oui… La créature, une tortue si mes yeux ne m’ont point abusé, toute satisfaite de sa nouvelle contenance matérielle, s’évada de sa prison céleste d’une lente chute, folle, vertigineuse.

L’animal déchaîna le chaos lorsqu’il percuta la surface de l’océan. Une partie de notre flotte vola en éclat sous l’impact. D’autres chavirèrent, emportées par des vagues plus hautes que les Dorsales. Ma trirème se retrouva pulvérisée sous la masse du reptile. Le choc. Le choc Faustus. Je n’avais jamais rien ressenti de comparable au plus profond de ma chair. Je perdis connaissance un court instant, assommé par cette démesure à l’image d’une nature primordiale. De repère, je fus dépourvu, cerné par les eaux noires et glacées dans lesquelles je m’enfonçais. Les ténèbres. Le froid. Insaisissables, mais omniprésents. Puis, mon esprit se libéra de son inertie et mes pupilles volèrent en éclats pailletés sous l’injonction de ma pulsion de vie. J’invoquai les arts de la Nuit. Mes étoiles s’invitèrent alors dans ces lieux d’ombre aqueux et resplendirent de mille feux. Surgissant du néant, elles naissaient d’une singularité et gonflaient jusqu’à rendre la lumière du jour jalouse de leur éclat. Enfin, parmi mes astres, des lignes familières s’élancèrent, et la Voilée, la constellation vagabonde, nous porta secours.

Le kosmos Astrurien s’effaça rapidement après sa terrible démonstration. Les liens du reptile céleste se dénouèrent et ses étoiles moururent, emportées par les remous marins de sa chute. Notre flotte brisée, notre armée dispersée et terrifiée, c’est avec une extrême difficulté que nous sommes parvenus à rejoindre la côte Astrurienne. La Voilée aida à déposer les survivants sur les vaisseaux intacts. Peu d’entre nous y ont laissé la vie, je dois bien l’admettre. Cette escarmouche s’est révélée plus spectaculaire qu’efficace de ce point de vue. En revanche, nous avons perdu quantité de matériel et de vivres. J’en crains les conséquences.

Désormais, nos stratèges prendront peut-être plus au sérieux les arts de la Nuit et leur potentiel militaire.

Je dois t’abandonner sur ces mots. Mon temps de repos touche à son terme. Je retourne prêter main-forte à la construction du camp. Dans une situation aussi critique, proche de la rupture tant la peur imprègne l’esprit de chacun, nous sommes tous sollicités, même les drôles d’êtres de ma sorte.

Je te souhaite le meilleur. Il me tarde d’avoir quelques nouvelles de notre douce Arpa.

4 jours après le Beau Solstice.

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MariKy
Posté le 24/07/2023
Salut Hastur ! Je reviens après une longue pause, et je reprends ma lecture avec plaisir. J'aime toujours autant le style d'écriture, c'est beau et ça se lit doucement pour en profiter :) Et pour la fan de magie que je suis, cette lettre était incroyable. J'ai hâte d'en découvrir plus.
AnatoleJ
Posté le 01/10/2021
Hello !

Le côté surdramatique de Scaevius me fait toujours un peu rire/sourire, surtout le premier paragraphe qui est par ailleurs très joli ! On dirait cependant que cette fois-ci Scaevius n’abuse pas tant que ça, la situation est effectivement assez terrible...
Les kosmos ennemis ont l’air sur un tout autre niveau que ce qu’on a pu voir jusqu’ici, c’était très joli, surtout le passage où Scaevius invoque le sien :D On a donc l’explication de ce que sont ces Titans, je ne m’attendais pas à ce côté si littéral de géants qui débarquent sur leur plan d’existence tout droit tirés des kosmos de nos adeptes de la Nuit. (Et qui tombent du ciel, aussi ? ça remet en cause toute l’astronomie on dirait bien haha)

A bientôt :D
Hastur
Posté le 02/10/2021
Hello !

Pour une fois effectivement, il y a un meilleur équilibre entre son ressenti et les événements dont il est témoin. ^^

Très content que l'invocation des kosmos te plaise ! :).

J'espère que les idées qui suivent te plairont tout autant.

A bientôt :)
AnonymeErrant
Posté le 09/09/2021
Hello par ici !

Un plaisir de retrouver ta plume et Scaevius, d'autant que l’inspiration semble définitivement de retour, puisque deux autres lettres suivent celle-ci 😊

Ah, ce début sur les arts de la guerre, ses enjeux et ce qu’on en retire. Bref mais révélateur. Qui plus est, il n’y a rien de beau là-dedans et c’est très représentatif, en quelques lignes.

Titus Livius était déjà Consul avant ? J’ai un doute, j’étais restée sur son titre d’Imperator.

Sinon, suivre le déploiement de ce kosmos en direct et dans l’action était aussi gratifiant qu'impressionnant. Ca permet d’entrevoir plus concrètement ce pouvoir qui n’était alors qu’évoqué. Et ça laisse toujours place à l’imagination. La tortue qui se matérialise est-elle un écho de celui qui la crée ? Chaque kosmos peut-il arborer une forme distincte ? Je crois me souvenir que ceux qui pratiquent les arts de la Nuit se distinguent entre eux, mais atteindre une telle maitrise et faire une telle démonstration est-il donné à tous ? A quoi ressemble celui de Scaevius vu de l’extérieur ? Je suppose que l’avenir nous le dira.

Bon je me réserve la suite pour plus tard ^^
Hastur
Posté le 09/09/2021
Hello !

Bon retour ici ! :)

Titus-Livius n'était pas consul avant. Il a été élu récemment durant la dernière année des trois années qui séparent les livres I et II ;).

Très content que les arts de la Nuit qui se font un peu plus concrets te plaisent ;). Peut-être que les kosmos peuvent donner vie à plusieurs créatures, après tous le ciel est rempli de constellations... Hu hu hu :D.

Les réponses viendront ! Après tout, Scaevius a les pieds sur les terres d'un peuple où les arts de la Nuit sont très présents !

Merci pour ton retour :). A bientôt !

Mathilde Blue
Posté le 20/08/2021
Coucou !

C'était un plaisir de retrouver la plume de Scaevius, malgré les nouvelles qu'il écrit à son frère. Ton écriture est toujours aussi belle et poétique, j'aime beaucoup !

Ce fut donc un début de voyage mouvementé ^^ J'ai beaucoup aimé découvrir la manifestation des arts de la Nuit, ce kosmos était impressionnant, et le passage où il se déploie était particulièrement puissant. On imagine bien le choc que ressent Scaevius, et sa réponse était tout aussi spectaculaire ! Comme il le dit, cela poussera peut-être les militaires à réfléchir davantage...

J'attendrai la prochaine lettre avec impatience ! Bon courage et à bientôt :D
Hastur
Posté le 21/08/2021
Hello !

Merci beaucoup pour ton retour ! :)
Après ma grosse pause, ça me rassure que l'écriture te plaise toujours, ainsi que la direction prise pour le moment :).

Je me remets bientôt à lire sur Plume, on se retrouve bientôt par chez toi aussi :D.
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