I, 8 - Le marécage

Par Seja

Le marécage était exactement comme Teo l’avait lu dans les bouquins. Il y avait de l’eau croupie qui sentait mauvais. Il y avait les arbres bas aux branches envahies de mousse. Il y avait la lumière qui n’arrivait que par miettes. Mais ce qu’il y avait surtout, c’était le silence. Et ça, il savait que ce n’était pas normal. Sœur Bérengère leur avait raconté que c’était peuplé par toutes sortes de bestioles.

— On est pas vraiment plus avancés, grogna Leibju.

— Un peu, quand même, répondit Haido. Regarde, on n’est plus dans la forêt.

Teo jeta un coup d’œil à la cabane qui les avait menés là et sentit la panique le saisir. Elle n’était plus seule. Il se raccrocha à la manche de Leibju, elle se dégagea d’un geste impatient.

— Quoi ?

— Là, là…

— Ah, je savais bien que je ne l’avais pas imaginée, commenta Haido.

Son ton était beaucoup trop calme, comme si ce n’était pas terrifiant du tout de voir apparaitre de nulle part une forme encapuchonnée. Teo raffermit sa prise autour de la manche de Leibju et elle sembla trop saisie pour le repousser.

— On peut lui parler… tenta-t-elle.

— Pas très causante, répondit Haido.

— Alors, quoi ?

Ils se reculèrent d’un même mouvement. Ce geste ne fut pas du goût de la silhouette. Elle s’avança vers eux, la cabane sur les talons. La vent repoussa soudain sa capuche et Teo glapit en fixant ses cheveux filasses, sa peau usée et ses yeux morts. Il sentit Leibju le saisir par le bras, sans doute pour l’obliger à bouger.

Jamais encore, il n’avait eu aussi peur. Même pas quand sœur Guenièvre le convoquait dans son bureau pour le fixer jusqu’à ce qu’il avoue ce qu’il avait fait. Tellement peur qu’il se sentit incapable de suivre le mouvement.

C’est alors qu’il sentit la claque et qu’il émergea. Mais pas assez vite. La femme n’était plus qu’à quelques pas. Assez pour confirmer ce qu’il avait compris. Elle n’était pas vraiment vivante.

Il plissa les yeux. Leibju non plus ne bougeait plus. Et soudain, quelque chose changea.

Le silence n’était plus.

Teo entrouvrit prudemment les paupières pour tomber sur des centaines d’yeux globuleux. Des grenouilles. Il y en avait partout et leurs coassements ressemblaient à des grognements.

Mais il n’y avait pas qu’elles.

La vieille femme s’était arrêtée devant une autre silhouette sortie de nulle part. Elle lui avait barré le chemin, l’avait empêchée d’arriver jusqu’à eux. Teo entendit Leibju murmurer quelque chose à Haido, mais n’en saisit pas le sens. Il était bien trop fasciné par la nouvelle venue. En la regardant, il ne ressentait pas la peur panique et paralysante qui était là avec la vieille femme.

Il sentit Leibju lui faire signe de reculer. Alors, il fit un pas en arrière. La vieille femme aussi. Elle recula encore et encore. La cabane hésita un peu, puis la suivit dans les ténèbres de la forêt.

La nouvelle venue se retourna vers eux.

— On part, murmura Leibju. Maintenant.

Mais l’armée de grenouilles tout autour d’eux ne sembla pas d’accord. Elle leur barrait la route et coassait de plus en plus fort.

— Ouais, répondit Haido. Et tu vois ça comment ?

— Elles vont bien finir par partir.

— Compte là-dessus.

Teo, lui, ne dit rien. Il était occupé à détailler celle qui avait fait fuir la menace.

Elle les fixait tour à tour. Puis, elle s’approcha. Teo se demanda si c’était normal, la peau verdâtre. Il n’avait pas beaucoup voyagé, peut-être que c’était un phénomène habituel. Les yeux entièrement noirs, en revanche, il n’était pas sûr. Ou les cheveux mêlés à de la mousse. Ou encore les cinq grenouilles perchées sur ses épaules.

En fait, elle lui rappelait sœur Bérengère. Elle avait le même âge indéfini, la même silhouette rondouillarde, la même sévérité sur le front. Il sentit sa gorge se nouer. Il aurait voulu la revoir et il n’avait même pas honte de l’avouer.

La femme les dépassa, sans plus leur accorder un regard.

— On fait quoi ? demanda Teo. On la suit ?

— Pourquoi on la suivrait ? bougonna Leibju.

— Elle a l’air gentille.

Il se reçut un regard de pitié.

— Et puis, rajouta-t-il, il y a les grenouilles.

— C’est juste des grenouilles.

— Elles ont quand même l’air très remontées, soupira Haido. Venez…

Leibju et Haido passèrent devant et Teo se retrouva en arrière avec la horde de grenouilles énervées. Avant, il n’en avait jamais vu, alors il se dit que c’était sans doute normal. D’ailleurs, il se dit qu’à partir de maintenant, il allait partir du principe que les choses les plus folles étaient normales et n’allait plus s’étonner de tout comme un touriste. C’était sûrement comme ça que devaient se comporter les explorateurs.

Mais ces grenouilles faisaient quand même peur.

— Traine pas, lança Leibju en se retournant.

— Je traine pas.

— Tu traines.

Pendant ce temps-là, Haido avait rattrapé la femme et tentait d’engager la conversation. Sans grand succès. Finalement, il revint vers Leibju, haussa les épaules.

— Les cabanes étaient plus simples à aborder.

— Rappelle-moi pourquoi on la suit.

— Parce qu’on n’a aucune idée sur comment sortir d’ici, qu’on n’a encore vu aucun vortex dans le ciel et que ça donne un but.

Teo se dit qu’il aurait voulu avoir la même nonchalance qu’Haido. On aurait dit que toute cette situation l’amusait.

Tout à ses réflexions, il ne se rendit pas de compte de suite que leur guide avait dévié du chemin qu’ils suivaient. Il ne s’en rendit compte que quand elle fut dans l’eau marécageuse jusqu’à la taille. Encore une fraction de seconde et elle disparut complètement, tête comprise. Ses cheveux surnagèrent un moment avant de se faire dévorer par la vase.

— Euh…

— Madame ? tenta Haido.

Mais il n’y avait plus aucun signe d’elle, même pas une bulle d’air à la surface.

— Elle est où ? miaula Teo. Elle est pas… ?

Il secoua Leibju par la manche.

— J’en sais rien, cracha-t-elle.

— Mais…

Il se tourna alors vers Haido, mais même lui fixait la mare d’un air perplexe.

— Hum… On va dire que c’est normal.

— Elle s’est noyée !

— Peut-être qu’elle peut respirer sous l’eau.

— Peut-être qu’elle peut pas !

— Écoute, gamin, siffla Leibju. C’est pas comme si quelqu’un l’avait poussée. Elle a choisi d’y aller. Fin de l’histoire. Nous, on continue.

— Mais…

— Chut !

Haido lui adressa un petit sourire  et haussa les épaules.

— Pas de bol avec ton accident de vortex, hein ? dit-il avec un regard amusé.

Teo grogna, lança un dernier regard au marécage, aux grenouilles, et leur emboita le pas.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Fannie
Posté le 10/04/2020
Cette visite touristique involontaire nous permet à nous, lecteurs, de voir toutes sortes de choses et de créatures fantastiques. Ça doit être nettement moins drôle pour les protagonistes. Ah, des grenouilles : ça aurait été étonnant qu’il n’y en ait pas dans ce genre d’histoire. Voilà encore une sorte de femme bien étrange ; ces êtres ont l’air d’errer là comme des esprits et communiquent ou interagissent très peu avec les humains, mais c’est difficile de savoir comment ils sont disposés à leur égard. En tout cas, la disparition dans l’eau de la femme aux grenouilles ne me paraît pas du tout inquiétante : d’après sa description, le marais semble être son milieu naturel.
Coquilles et remarques :
— Il se raccrocha à la manche de Leibju, elle se dégagea d’un geste impatient. [Je mettrais un point-virgule.]
— Teo raffermit sa prise autour de la manche de Leibju et elle sembla trop saisie pour le repousser [« semblait » ; ça dure plus longtemps que le geste de Teo. / Je propose « qui semblait » plutôt que « et elle semblait ». / Comme tu emploies le verbe « saisir » un peu plus loin, tu pourrais choisir un synonyme : trop ébahie, éberluée, figée, abasourdie…]
— On peut lui parler… tenta-t-elle. [« Tenter » n’est ni un verbe de parole, ni un verbe qui suggère la parole ; des verbes comme suggéra-t-elle, proposa-t-elle, hasarda-t-elle conviendraient mieux.]
— Alors, quoi ? [Pas de virgule après « Alors ».]
— La vent repoussa soudain sa capuche [Le vent]
— Alors, il fit un pas en arrière [Pas de virgule après « Alors ».]
— Puis, elle s’approcha. [Pas de virgule après « Puis ».]
— Il se reçut un regard de pitié. [« Il reçut » ou « Il se ramassa ».]
— Avant, il n’en avait jamais vu [Pas d’accord avec Rimeko : il ne faut pas accorder le participe passé parce qu’il est précédé de « en ».]
— alors il se dit que c’était sans doute normal. / D’ailleurs, il se dit qu’à partir de maintenant [Il faudrait trouver un synonyme pour un des deux « se dit » ; « il se promit » ou « il décida » pour le deuxième, peut être ?]
— Parce qu’on n’a aucune idée sur comment sortir d’ici [aucune idée de]
— la même nonchalance qu’Haido [Dans le chapitre précédent, tu écris « le regard de Haido ; il faut donc écrire « que Haido », ce qui suggère que le « H » se prononce. Autrement, il faut le traiter partout comme un « H » muet et faire les élisions.]
— il ne se rendit pas de compte de suite que leur guide avait dévié [pas compte / tout de suite]
— Madame ? tenta Haido [Même remarque qu’un peu plus haut à propos du verbe « tenter » ; je propose « appela Haido », peut-être en précisant qu’il le fait sans conviction.]
Rimeko
Posté le 23/09/2019
Coucou Seja !
Hier soir à une heure indue je me suis dit que des chapitres courts c'était une bonne idée pour finir le Club de Lecture (et je me suis endormie avant de pouvoir poster mes coms, woops)

Coquillettes et suggestions :
"C’est alors qu’il sentit la claque et qu’il émergea. Mais pas assez vite. La femme n’était plus qu’à quelques pas. Assez pour confirmer ce qu’il avait compris. Elle n’était pas vraiment vivante." ça donne un peu trop haché je trouve...
"Alors, il fit un pas en arrière. La vieille femme aussi. Elle recula encore et encore. La cabane hésita un peu, puis la suivit dans les ténèbres de la forêt." Donc... la cabane et la vieille femme reculent dans la forêt, et les trois "touristes" vers le marécage... non ?
"Avant, il n’en avait jamais vu(es" Accord avec "grenouilles" ^^
"Parce qu’on n’a aucune idée sur (de ?) comment sortir d’ici"
"il ne se rendit pas de (mot en trop) compte de suite que leur guide "

Oh, des grenouilles, je ne m'y attendais pas à celle-là :P En tous cas la Miss reine des grenouilles était bien cheloue, je me demande si elle va pas ressortir de l'eau d'un coup... Enfin, je file au prochain chapitre pour savoir ça !
(Et le passage où Teo se promet de tout considérer comme normal, ça m'a bien fait rire aussi XD Genre... non, Teo, non, meurs pas steuplaît !)
Seja Administratrice
Posté le 29/03/2020
Yooo !
Merci pour les coquillettes !
Bah, des grenouilles dans un marécage, ça me parait normal :p Eh, p'têt qu'il va y passer, le petit Teo :p
Jupsy
Posté le 20/05/2018
Zut la mousse les a pas mangés. Je suis déçue...
Bon après les grenouilles sont venues racheter l'ensemble. Mais. Mais... c'est pas de la mousse qui mange de la cervelle.<br /><br />Mais les grenouilles quand même. Je note que Leibju est douée avec Teo. Cette délicatesse dans la manière qu'elle a de lui expliquer que la madame son sort on s'en moquait pas mal... C'était beau. Bon en même temps, je suis pas sûre que la douceur aurait fonctionné non plus. J'aurais bien aimé voir Teo plongé et voir la réaction de Leibju... Ou pas en fait. Je sais pas, j'hésite... Bref allons lire la suite :P
Seja Administratrice
Posté le 20/05/2018
Il y a différentes sortes de mousse, tu sais x) Nah mais Leibju est très subtile. Roh, tu veux que je tue un gosse de douze piges ? Monstre.
Vous lisez