I, 6 - Les sapins

Par Seja

— C’est bon, elles sont parties ailleurs.

Plié en deux, Teo essayait de reprendre sa respiration. Les courses-poursuites, il n’y était pas vraiment habitué.

— Allez, on se bouge, reprit Leibju. Elles peuvent revenir.

— Une seconde, grogna Teo.

— Elles peuvent revenir, répéta-t-elle.

— Ouais, bah, on les entendra venir de loin.

À présent, il ne savait vraiment plus où ils étaient. Et le point inquiétant, c’était que la fille aussi paraissait perdue.

— On va par où ? demanda-t-il en la regardant tapoter sur la drôle de montre qu’elle portait au poignet.

— On essaie de sortir de la forêt.

— Mais on est perdus !

— Je sais.

— Et…

Teo hésita.

— L’autre, là. Celui avec qui t’était. Il est où ?

Leibju baissa le regard sur lui. Elle semblait assez fâchée. En tout cas, c’était toujours à ça que ressemblait sœur Guenièvre quand quelqu’un sortait une ânerie et qu’elle se demandait comment le punir.

— Il est mal tombé. À cause de toi, rajouta-t-elle d’un ton venimeux.

— Moi ? Mais j’ai rien fait !

— C’est ça.

Teo se releva. Sa respiration s’était calmée et le point de côté était presque parti.

— C’était quoi ? se risqua-t-il enfin. Les cabanes, là. Elles… c’est normal qu’elles avaient des pattes ? Et qu’elles voulaient nous manger ? Et…

— J’en sais rien.

— Comment ça ? T’es une exploratrice, non ? Tu dois savoir ce genre de trucs.

La fille ne répondit rien et se remit en route. Teo trottina derrière. Les arbres étaient encore plus sombres ici. Il n’y avait que des sapins. Enfin, ça devait s’appeler comme ça. Il en avait vus dans les livres d’images de sœur Bérengère quand elle leur avait parlé des autres mondes. Dans son monde à lui, il n’y avait pas de sapins. À côté de la plage où se trouvait la pension, il n’y avait que des palmiers. Et plus loin de la mer, il ne savait pas trop ; il n’y était jamais allé.

— Comment on va en sortir de la forêt ?

— J’en sais rien, siffla Leibju.

Teo ne s’était pas imaginé sa fin de périple comme ça. Il pensait qu’il allait devenir un grand explorateur, parcourir des centaines de mondes et ramener plein d’histoires. Mais il avait exploré en tout trois malheureux mondes et maintenant, il était perdu dans une forêt qui faisait peur et où des cabanes tentaient de le manger. Il s’éclaircit la gorge pour la dénouer.

— Quoi encore ? s’agaça la fille.

À elle non plus, ça ne devait pas lui plaire beaucoup de finir comme ça. Enfin, sûrement. C’était en tout cas, une réaction normale. Même si Teo ne savait absolument rien d’elle.

— T’y es née, sur la Sixième Terre ? demanda-t-il comme ils avançaient toujours.

— C’est pas tes affaires.

— Non mais je pensais que comme on allait mourir ici, tu pourrais…

— Mourir ici ? Non mais c’est bien. T’as raison. La panique, c’est parfait. Pile ce qu’il nous faut.

— Je panique pas.

— Bah voyons. Je sais pas d’où tu viens, mais j’imagine que c’est un monde paumé. Donc forcément, les sensations fortes, ça doit être compliqué à gérer.

Teo se renfrogna et ne dit plus rien. Les sensations fortes, il en connaissait un rayon dessus, merci bien. Quand on avait affaire à sœur Guenièvre tous les jours, les sensations fortes, ça ne manquait pas.

— Désolée, lâcha-t-elle après un très long silence. On va en sortir de cette forêt.

Soudain, ils sursautèrent tous les deux. Un bip strident avait déchiré le silence de la forêt. Leibju jeta un coup d’œil à sa montre, mais elle ne semblait toujours pas fonctionner. Avec une hésitation, elle sortit l’autre montre, celle qu’elle avait ramassée dans la cabane. C’était elle qui s’était mise à hurler.

— Elles vont nous entendre, murmura Teo qui sentait la panique le gagner. Les cabanes.

— À supposer qu’elles ont des oreilles, grogna Leibju en appuyant sur tous les boutons possibles pour faire taire la montre.

Le silence revint alors sur le sous-bois, pesant, sombre. Teo ne savait même pas l’heure qu’il était, le soleil ne filtrait pas ici. Ou plutôt, les soleils. Il frissonna. Dans sa vision des choses, l’exploration, c’était animé, plein de couleurs et de nouveaux mondes. Ce n’était pas des forêts terrifiantes peuplées de cabanes voraces.

— Comment on va sortir ?

La fille ne répondit pas et reprit le chemin. Teo décida de ne pas insister. Elle lui faisait peur. Un peu moins que ce qui peuplait le bois, mais quand même.

Du coin de l’œil, il la voyait jeter des regards à la montre qu’ils avaient récupérée. Puis, elle s’arrêta tout d’un coup, scruta les ténèbres devant eux.

— Quoi ?

— Tais-toi.

— T’as vu quelque chose ?

— Boucle-la, gamin.

Teo bougonna et fixa à son tour l’obscurité. Puis il distingua un léger grognement, il sentit l’odeur de la terre retournée.

— Elles nous ont retrouvés, glapit-il.

Leibju ne répondit rien, elle fit quelques pas prudents vers la source des grognements. Teo se sentait trembler. Comme quand sœur Bérengère racontait ses histoires d’Enflammeurs, qu’il faisait sombre et qu’on avait l’impression qu’ils rodaient à côté. Mais là, c’était pire, parce que c’était réel et qu’il commençait à se dire qu’ils n’allaient pas sortir de la forêt.

Il ne lâcha pas la fille d’une semelle. Elle s’enfonçait plus sûrement dans les tréfonds de la forêt et le grognement devenait plus proche. Mais le truc bizarre, c’était qu’il ne ressemblait pas aux grognements avec lesquels les cabanes les avaient accueillis.

Avec horreur, Teo se dit que les cabanes n’étaient peut-être pas les seules choses à peupler cette forêt. Il se raccrocha à la manche de Leibju. Elle ne lui prêta pas attention.

Et tout d’un coup, les sapins se finirent et ils débouchèrent sur une clairière. Teo tira sur la manche, il sentait ses dents s’entrechoquer.

Devant eux, il y avait une cabane. Peut-être celle qui les avait pourchassés, peut-être une autre. Elle s’était accroupie sur ses pattes de poulet et émettait ce bourdonnement étrange.

Mais ce qui était le plus bizarre, ce n’était pas elle. C’était le garçon assis en tailleur en face d’elle qui semblait lui parler. Teo distingua une ribambelle de sifflements et de murmures, et il se dit que c’était bizarrement rassurant. Il se dit aussi que c’était une langue qui ne lui disait rien du tout.

Il sentit Leibju s’avancer et tira plus fort sur la manche. Elle se dégagea d’un geste impatient.

— Haido ? murmura-t-elle.

Le garçon se retourna vers eux, leur lança un bref regard. Puis, il sourit et posa l’index sur ses lèvres. Et enfin, il se leva, s’approcha de la cabane et lui tapota le chaume du toit. Teo aurait juré que la maisonnée ronronna de plaisir.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Fannie
Posté le 09/04/2020
Leibju devrait tout savoir. Ben oui, elle est plus grande que Teo et on l’a envoyée lui courir après pour le ramener chez lui. Alors si même elle est perdue et se demande comment se sortir de tout ça, c’est mauvais signe.
Bon, si Haido a appris à apprivoiser les cabanes, ça semble tout de suite moins dangereux. La cabane qui ronronne, quelle drôle de charmante idée… ;-)
Coquilles et remarques :
— À cause de toi, rajouta-t-elle d’un ton venimeux [ajouta-t-elle]
— Il en avait vus dans les livres d’images [Normalement, après « en », on n’accorde pas le participe passé.]
— Comment on va en sortir de la forêt ? / On va en sortir de cette forêt. [Virgule après « en sortir ».]
— C’était en tout cas, une réaction normale. [Il faut enlever la virgule ou placer « en tout cas » entre deux virgules.]
— Bah voyons. Je sais pas d’où tu viens [Ben voyons ; « ben » et « bah » n’ont pas le même sens (voir chapitre 3).]
— Puis, elle s’arrêta tout d’un coup, scruta les ténèbres devant eux. [Pas de virgule après « Puis » dans ce contexte. Si tu disais : « Puis, s’arrêtant tout d’un coup, elle scruta les ténèbres », il faudrait en mettre.]
— qu’on avait l’impression qu’ils rodaient à côté [rôdaient ; roder, c’est autre chose : roder un moteur, par exemple]
— Et tout d’un coup, les sapins se finirent [C’est l’étendue ou la zone de sapins qui se finit, pas les sapins eux-mêmes.]
— Puis, il sourit et posa l’index sur ses lèvres. [Pas de virgule après « Puis » dans ce contexte.]
— Teo aurait juré que la maisonnée ronronna de plaisir. [Concordance des temps : « ronronnait » ou « avait ronronné » ; concernant « la maisonnée », voir chapitre 4.]
Isapass
Posté le 11/09/2018
J'arrête pas de rigoler toute seule devant mon PC ! La cabane qui ronronne, accroupie sur ses pattes de poulet, c'est le pompon !
Détail : 
"Mais il avait exploré en tout trois malheureux mondes" : c'est marrant, parfois on a l'impression qu'il a fait trois sauts, et parfois beaucoup plus (surtout quand c'est Leibju et Haido qui en parlent)
Seja Administratrice
Posté le 26/08/2019
Tellement choupette, cette cabane <3
Jupsy
Posté le 20/05/2018
Coucou,
Je me souviens vaguement du début, mais bon tant pis. J'ai quand même lu. Je me suis alors souvenue des cabanes si particulières.
Et c'était sympa à lire. Bon je t'avoue que faut replacer des choses dans le contexte embrumé de mon cerveau, mais ça va revenir...
Et puis d'ici que ça se replace, je dois lire la suite avec la maisonnée ronronnante de plaisir !
(oui ce commentaire était utile, je sais :P) 
Seja Administratrice
Posté le 20/05/2018
Les jolies cabanes :P J'espère que ça a pas été trop dur à resituer x)
Vous lisez