I. 4 - Les Pilleurs de l'Aube

Notes de l’auteur : Et voilà le quatrième chapitre des Pilleurs de l'Aube ! Bonne lecture !

Le lendemain, en fin de matinée, Bahr convoqua Nadah dans sa tente. La jeune femme s’y rendit aussitôt, une boule au creux du ventre. Elle avait très mal dormi pendant la nuit, trop excitée par les évènements des derniers jours, et avait passé la matinée à se ronger les freins. À présent, elle appréhendait ce que son chef allait lui dire.

Ce dernier se tenait de dos, debout au fond de la tente, les mains croisés derrière lui. Assise dans un autre coin, Judith adressa un grand sourire à Nadah quand celle-ci entra dans la tente de son chef.

Bahr se retourna et la dévisagea longuement avec un air indéchiffrable. Nadah ne put se retenir plus longtemps et rompit le silence.

- Tu m’a convoquée, Bahr ?

Son visage s’éclaira lentement et il s’éclaircit plusieurs fois la voix. Il jeta un regard vers Judith qui lui fit un petit signe encourageant.

- Oui, Nadah. J’ai longuement réfléchi depuis hier soir, et j’ai eu une longue discussion avec l’homme du Dessous ce matin.

Nadah retint son souffle, attendant la suite. Bahr avait fixé sur elle ses deux yeux gris.

- Nous ne connaissons rien du Dessous, et encore moins de cet étranger. Néanmoins… je pense que tu as raison, lâcha-t-il dans un soupir.

Nadah expira brusquement sous le choc.

- Je n’ai pas fini, continua-t-il en voyant que Nadah ouvrait la bouche. Ce monde souterrain est peut-être plein de dangers, et nous ne pouvons connaître ceux auxquels fera face la délégation. Mais si le Dessous se manifeste, nous ne serons probablement pas les seuls à découvrir son existence. Les temps changent, ajouta-t-il avec une mine sombre. Envoyer une délégation pour établir une alliance entre nos deux peuples est une bonne chose, sûrement la meilleure à faire. Aussi dangereux cela puisse être. Parce qu’avant tout, je veux protéger mon Clan.

Nadah voulut à nouveau intervenir, mais Bahr l’interrompit à nouveau.

- Je n’ai toujours pas fini, dit-il en haussant le sourcil. Tilham sera le chef de cette expédition et représentant du Clan de l’Aube. Mais il me faut un regard neuf, quelqu’un qui puisse être convaincu plus que n’importe qui du bien fondé de cette expédition, qui désire plus que tout une alliance entre nos deux mondes. Un Pilleur excellent, qui soit capable d’expliquer qui nous sommes. Qui est le Clan de l’Aube.

Judith, qui jusqu’ici écoutait sans rien dire, se leva brusquement.

- Bahr, tu ne comptes pas sérieusement envoyer Nadah avec cette expédition ? demanda-t-elle avec une voix inquiète.

- Nadah n’est plus une enfant, Judith. C’est à elle que revient cette décision, et à elle seule.

La jeune femme en question déglutit avec difficulté, incapable d’articuler le moindre mot. Elle s’attendait à tout, sauf à ça ! Bahr acceptait son idée de délégation, et par-dessus le marché il lui proposait d’en faire partie ?

- Quelle que soit ta décision, je veux te dire que je suis fière de toi. Je n’ai jamais cru à l’existence du Dessous, et… j’ai eu du mal à l’accepter, ajouta-t-il avec un sourire crispé. Toi, tu n’en as jamais douté, et tu as toujours rêvé de le découvrir. Je t’en donne l’occasion, fille. Il est temps pour toi de voler de tes propres ailes.

Les derniers mots de Bahr se brisèrent dans sa gorge. Nadah ne l’avait jamais vu aussi ému, et elle sentit ses yeux s’humidifier. Sans réfléchir, elle se jeta dans ses bras.

- Merci, Bahr, lui dit-elle.

Ils restèrent ainsi, quelques instants, puis Bahr l’écarta de lui et la regarda droit dans les yeux, un grand sourire sur les lèvres.

- Tu ne m’a toujours pas dit ta décision, fille.

Nadah sourit à son tour et s’essuya une larme au coin de l’œil.

- Bien sûr que j’accepte, répondit-elle, la gorge enserrée par l’émotion.

Elle se tourna vers la femme du chef de clan, qui la regardait d’un air attendri, les yeux humides.

- Judith ?

- Bahr a raison, même s’il m’en coûte de l’accepter. Tu es une adulte désormais, répondit celle-ci en s’approchant d’elle et en la prenant tendrement dans ses bras

Nadah fourra son nez dans les cheveux de Judith, humant un parfum qu’elle aurait reconnu entre mille. Le parfum de celle qui l’avait élevée comme sa propre fille.

- Merci, répéta la Pilleuse d’une voix qui tremblotait sous le coup de l’émotion.

Elle inspira plusieurs fois, puis s’écarta. Elle se sentait incroyablement bien. Tous les soucis qu’elle avait accumulé ces derniers jours s’étaient envolés en un clin d’œil.

Elle allait partir découvrir le Dessous.

Bahr se racla la gorge puis reprit la parole.

- Comme je te le disais à l’instant, j’ai eu une longue discussion avec l’étranger, et je pense que nous pouvons lui faire confiance. Il m’a assuré des chances de réussite de la mission, mais il est hors de question que nous nous remettions entièrement à lui. La délégation ne partira pas avant plusieurs jours, le temps de faire les préparatifs et de choisir les membres de la délégation. Le chef en sera Tilham, c’est notre meilleur guerrier.

Bahr marqua un temps.

- Tu t’occuperas de Fahrek pendant ces quelques jours, ainsi tu jugeras toi-même de sa franchise et de son honnêteté. Parce que de fait, nous ne le connaissons pas. D’accord ?

Nadah hésita.

- D’accord, mais euh…

- On ne te demande pas d’être toujours derrière lui, intervint Judith. Simplement de lui expliquer le fonctionnement du Clan. Si c’est effectivement un ambassadeur, il doit comprendre a minima notre Clan. Ton avis nous importe beaucoup.

La jeune femme acquiesça lentement. Elle devait s’occuper de Fahrek ? Elle ne savait pas exactement quoi en penser. D’un côté, il semblait étrange de devoir guider un parfait inconnu, mais d’un autre, c’était un habitant du Dessous. Ce qui signifiait qu’elle pourrait lui poser toutes les questions qu’elle voudrait.

- D’ailleurs, ajouta Bahr, je lui ai demandé de venir, ainsi qu’à Tilham.

- Toc toc toc, fit à cet instant une voix à l’extérieur de la tente.

- Tiens, les voilà. Entrez ! dit Bahr en haussant la voix.

Le tenture se souleva pour laisser passage à Tilham suivi de Fahrek.

- J’ai fait venir l’homme du Dessous, Bahr, prononça lentement Tilham de son énorme voix.

- Fahrek.

Tilham leva un sourcil, surpris.

- Mon nom à moi, c’est Fahrek, répéta l’homme en question d’un ton narquois, devant l’air imperturbable du Guerrier.

Il balaya la tente du regard, et reconnut Nadah à qui il décocha un sourire splendide, puis s’avança vers Bahr.

- Vous m’avez fait demander ?

- Oui, répondit Bahr. J’ai décidé d’envoyer une délégation en Dessous.

Fahrek fit la moue.

- Le Dessous est difficile d’accès. Les Puits qui soient en assez bon état pour être utilisé sont rares.

Mais je peux vous conduire à l’un d’eux, ajouta-t-il. Avez-vous une carte ?

Bahr, sans un mot, s’approcha de la table et déplia une grande carte. Fahrek s’approcha, et tout le monde l’imita.

- Nous sommes ici, dit le Chef de Clan en posant son index sur la carte. Dans les Landes de Brume, à quelques kilomètres du Grand Fleuve.

L’ambassadeur réfléchit intensément pendant quelques instants.

- L’entrée du Puits le plus proche est dans une Ville, au bord d’un lac dont l’eau est pareille à du sang.

- Le Lac Rouge, répondit Bahr en faisant remonter son index.

- Ce n’est pas tout près, remarqua Nadah.

Elle même n’était jamais allé si loin, mais elle connaissait le lac par les légendes qui en parlaient.

- Non, en effet, répondit Bahr. Il y a près de…

Il calcula rapidement.

- Neuf cent cinquante kilomètres. À dos de Haris, c’est l’affaire de neuf ou dix jours. Nous ne déplacerons pas le campement, nous attendrons votre retour ici même. Est-tu sûr que cette entrée est encore utilisable ? demanda-t-il en se tournant vers Fahrek.

- Oui, il fait partie des premiers Puits que le Gouvernement du Dessous a recensés.

- Très bien. Tilham ? Charge-toi de tout les préparatifs nécessaire à l’expédition, dit Bahr en se tournant vers le Guerrier.

- Bien, répondit celui-ci. Quand partons-nous ?

Un lueur indéchiffrable brilla dans les yeux de Bahr.

- Dans trois jours.

 

*      *      *

 

- Comment vous appelez ça ? Des Raaals ?

- Euh, oui.

- Mais pourquoi ?

- C’est parce que quand on leur court après, il fuient en courant et en poussant un cri étrange. On dit qu’ils râlent. D’où les Raaals.

Fahrek ricana, moqueur.

- Non, vraiment ? Et à quoi ça ressemble, un Raaal ?

Nadah réfléchit quelques secondes, puis écarta les bras au maximum.

- À peu près large comme ça, trois fois plus long, épaisse fourrure brune, deux cornes sur la tête, court sur pattes, mais… court très vite.

- Vous les chassez comment ? Sur ces drôles d’autruches, là-bas ?

La jeune femme leva un sourcil intrigué.

- Des autruches ? Non, ça c’est des Haris. Mais oui, c’est avec ces animaux qu’on chasse. C’est He’m, le vieil homme à côté d’eux, qui s’en occupe. Qu’est-ce que c’est, des autruches ?

- Des animaux de l’Ancien Monde. J’ai vu des veilles illustrations dessus, ça ressemblait plus ou moins à vos Haris, la bosse et la queue colorée en moins.

- Ah bon. Jamais entendu parler. Vous avez des animaux, en Dessous ?

- À part dans les musées, tu veux dire ? Non.

Il lui avait déjà parlé de leurs musées, où étaient entreposées des antiquités et des animaux empaillés de l’Ancien Monde. L’idée de collectionner des objets de l’Ancien Monde qui dataient d’avant les Jours de Feu, dans le but de comprendre le mode de vie de leurs habitants avait fascinée Nadah. La jeune femme poussa un long soupir et eut une pensée amère. Elle aurait tellement voulu découvrir le monde tel qu’il était autrefois ! Elle balaya distraitement le campement du regard. Ils s’étaient éloignés d’une dizaine de pas pour avoir une vue d’ensemble sur tout le campement.

- Et là-bas ? Qu’est-ce que c’est ?

La jeune femme suivit la direction indiquée par l’index de Fahrek.

- Ça ? C’est l’arène. C’est là que les Guerriers s’entraînent. Suis-moi.

Ils s’avancèrent vers l’imposant enclos à l’écart du campement. D’une circonférence d’une vingtaine de mètres et haut d’à peu près un mètre, il avait nécessité à peine deux heures de construction à tout le Clan. Les Guerriers passaient là le plus clair de leur temps, afin de s’entraîner au combat et former les plus jeunes.

En s’approchant, une vague de souvenirs submergea Nadah, et elle se revit plus jeune, au centre même d’une arène similaire à celle-ci, dans un autre campement. Tout Pilleur du Clan de l’Aube recevait une formation pour apprendre à se défendre, à l’âge de quinze ans et durant deux mois entiers, durant lesquels le jeune Pilleur apprenait les rudiments du combat. Certains décidaient d’y consacrer leur vie et devenaient Guerriers. Les autres étaient tenus de s’entraîner régulièrement au combat afin d’être toujours apte à défendre leur vie.

- Pourquoi certains d’entre vous apprennent-ils à se battre ? Quels pourraient bien être les dangers d’un monde comme le vôtre ? le questionna soudainement Fahrek.

La Pilleuse se tourna vers lui.

- Ils sont nombreux. Celui des Bêtes, même si elles quittent rarement la Forêt. Les attaques des autres clans, même s’il y en a peu avec qui nous ne soyons en bon terme. La principale raison, c’est les Charognards.

- Les Charognards ?

- On les appelle ainsi car ils sont sans foi ni loi. Ils agissent comme des vautours. Il n’appartiennent à aucun clan et attaquent tout le monde, sans distinction, dans le seul but de tuer et piller. En fait, on ne sait même pas s’ils sont réellement humains. Ils ne parlent jamais et portent des masques à plume. Les plus superstitieux d’entre nous, ajouta-t-elle avec amusement, pensent que ce sont des esprits de l’Ancien Monde revenus des morts pour se venger.

Son visage s’assombrit.

- Ils n’existent que depuis une dizaine d’années. Au début, ils étaient assez peu dangereux,mais le temps passant, ils sont devenus plus nombreux. Et plus dangereux.

Fahrek acquiesça lentement.

- Je vois.

Ils restèrent quelques instants silencieux, à contempler l’arène vide, puis Nadah rompit le silence et se dirigea vers une des grandes tentes non loin d’eux, invitant Fahrek à la suivre.

- Viens, je vais te montrer le reste du campement.

 

*      *      *

 

La journée s’écoula rapidement ainsi. Nadah fit visiter à Fahrek l’intégralité du campement, lui expliquant le fonctionnement du Clan et le rôle de chacun. L’étranger écoutait attentivement, un léger sourire indéfinissable au coin des lèvres, et posait de temps à autre une question. Ils s’interrompirent seulement à midi pour déjeuner.

Nadah, qui avait considéré cette visite au début comme une corvée, y prenait à présent goût. Il était amusant d’expliquer un quotidien qu’elle trouvait presque banal à un étranger qui ne connaissait rien de toute cette vie.

Fahrek était un homme mystérieux. Il parlait très peu, sans jamais se défaire de son étrange sourire narquois. Néanmoins, elle était heureuse de pouvoir lui poser des questions à propos du Dessous et de pouvoir comparer ses récits avec les légendes qu’elle connaissait.

 

*      *      *

 

Vint le moment de la veillée. Comme tous les soirs, deux immenses feux furent allumés, et tout le Clan fut invité à s’installer en demi cercle, de façon à qu’une scène se forme naturellement de l’autre coté. Nadah et Fahrek s’assirent en tailleur, vers l’avant du public. L’ambassadeur, qui avait paru réellement surpris lorsque la jeune femme lui avait expliqué en quoi consistait la veillée, regardait à présent autour de lui d’un air intrigué, un léger sourire flottant au coin des lèvres.

Quelques Pilleurs, chargés de distribuer le repas au reste du Clan, passèrent parmi les rangs avant que la veillée ne commence. Puis, lorsque tout le monde fut servi, un Pilleur d’une trentaine d’années, du nom de Rithar, s’avança sur la scène. Il se positionna entre les deux feux, dont les flammes s’élevaient à présent haut dans le ciel.

- Pilleurs du Clan de l’Aube ! commença-t-il d’une voix joyeuse. Chasseurs et Guerriers ! Ce soir, laissez-moi vous conter l’extraordinaire quête d’un jeune homme qui sauva sa contrée d’une guerre interminable ! Prêtez l’oreille au récit des innombrables dangers auxquels il fit face ! Écoutez de quelle façon il affronta son destin !

Un grand sourire étira les lèvres de Nadah. Ce conte était un de ses préférés, et elle l’écoutait toujours avec un grand plaisir.

- Tout commence dans un petit village, forcé de verser un Tribut annuel à ses envahisseurs…

Et sous la voix envoûtante du narrateur, l’histoire prit vie. Rithar était un conteur formidable, et le Clan tout entier était suspendu à ses lèvres.

Quand le conte prit fin, un grand silence s’installa. Chacun goûtait l’impression laissée par l’histoire. Mais il ne dura pas, et bientôt des chants s’élevèrent joyeusement. La veillée reprit son cours.

Nadah jetait régulièrement des coups d’œil à Fahrek, assis à sa droite. De premier abord, il semblait détaché, presque désintéressé. Mais au fond de ses yeux brillait une lueur amusée.

Nadah aurait dit qu’il était heureux.

Après les chants, ils eurent droit à des numéros d’improvisation et l’histoire tant attendue de To’r. Il raconta les innombrables dangers auxquels il avait du faire face afin de sauver in extremis un homme du Dessous de dangers plus terribles encore. L’histoire déclencha l’hilarité générale. Content de son succès, To’r ne cessait d’en rajouter. Les enfants, assis à l’avant, riaient si fort que le jeune Chasseur était parfois forcé d’interrompre son récit le temps qu’ils reprennent leur respiration. Fahrek, personnage principal de l’histoire, souriait encore plus que d’habitude et s’amusait beaucoup. Lorsque To’r termina son histoire, de nombreux applaudissements éclatèrent. Tout le monde savait qu’il n’y avait rien de vrai dans tout ce qu’il avait raconté. Mais cela n’empêchait pas chacun d’apprécier l’histoire.

Nadah remarqua en s’amusant que la moitié du Clan jetait régulièrement des regards à Fahrek. L’ambassadeur intriguait. Si certains Pilleurs avait montré de la méfiance à son égard au début, elle s’était envolée lorsque Bahr l’avait accueilli officiellement en tant qu’en qu’ambassadeur, et avait annoncé le départ prochain de l’expédition qui irait découvrir le Dessous. Nadah ne doutait pas une seule seconde que tous ces évènements alimenterait les ragots et les débats au sein du Clan pendant de nombreuses semaines.

Nadah fut tirée de ses pensées par un murmure qui enflait parmi les Pilleurs. Non. Pas un murmure. C’était un chant. Nadah esquissa un sourire, prit une inspiration et mêla sa voix à celle de tous les autres.

Ils chantaient à bouche fermée, modulant à l’aide de leur gorge. La poitrine de la jeune femme vibrait et la lente mélopée qui s’en échappait s’élevait majestueusement, s’accordant dans un ensemble parfait avec celles des autres Pilleurs. Puis le murmure se fit paroles. Nadah ferma les paupières afin de mieux en apprécier la beauté.

 

 

Le vent a cessé son long soupir

Qui contait aux arbres sa lente mélopée ;

Tout se tait, tout semble s'assoupir,

Tout est attentif au murmure de Cassiopée.

 

La nuit noire a étendu son voile

Dévoilant un monde rempli d'ombres ;

Des arbres aussi nombreux que les étoiles

La Forêt immense, terrible et sombre.

 

Une Ville, dévorée par le temps

Dresse ses ruines gigantesques,

Hantée par le même souvenir miroitant

Sur ses vieilles pierres et leurs arabesques.

 

Une plaine aride, s'étirant à l'infini

Terne et grise, couverte de poussière ;

Et, traçant la ligne sombre entre terre et nuit,

Se pare déjà de reflets de lumière.

 

Voilà qu'au loin pâlit l'horizon,

Qui dessine au ciel ses timides zébrures,

Annonçant l'astre, sublime vision,

Qui revêt ses plus belles parures.

 

Bientôt se lèvera l'aurore

Drapant la nature d'une somptueuse aube ;

Et, montés sur nos Haris aux plumes d'or,

Nous chanterons ce chant. Celui du Clan de l'Aube.

 

 

La dernière note mourut dans l’air, accueillie par un silence religieux. Seuls les feux qui s’éteignaient doucement laissaient échapper un craquement, accompagné d’une gerbe d’étincelles rougeâtres et des braises qui clignotaient faiblement.

Nadah rouvrit lentement les yeux. Elle avait beau l’avoir entendu de nombreuses fois, ce chant l’émouvait toujours autant. Il la faisait vibrer de tout son être, réveillait et enflammait chacune des fibres de son corps. Lui donnant l’impression qu’elle pouvait déployer des ailes immenses, là, maintenant, et s’envoler pour toujours vers l’immensité des cieux.

Ce chant lui donnait une envie d’infini.

Elle tourna doucement la tête. Fahrek avait fermé les yeux, la tête posée sur les genoux, les bras enserrant ses jambes ramenées contre son torse. Elle garda son regard fixé sur lui quelques instants, se répétant intérieurement que cet homme venait du Dessous.

C’était incroyable. Et plus incroyable encore, ils partaient dans trois jours découvrir ce monde légendaire. Nadah avait toujours du mal à y croire. Elle vivait un rêve.

À cet instant, l’homme releva la tête. Il vrilla ses deux yeux dans ceux de la jeune femme. Quelques instants passèrent ainsi, sans qu’aucune parole ne soit échangée, les yeux dans les yeux. Puis Fahrek chuchota :

- Merci.

La Pilleuse sourit faiblement, le visage éclairé par la faible luminosité dégagée par les deux foyers mourants, et hocha la tête. Elle ne savait pas trop quoi répondre.

Elle en fut dispensée, car au même instant, il y eut un mouvement dans l’assemblée. La veillée touchait à sa fin. Chacun se leva.

Ils se mirent tous en cercle autour des feux, puis défilèrent les uns derrière les autres, afin que chacun puisse se dire bonsoir. C’était la tradition depuis toujours au sein du Clan de l’Aube.

Une fois la ronde terminée, chacun s’en alla silencieusement se coucher, pour ne pas rompre le silence. Fahrek lança un dernier regard à Nadah, puis s’enfonça dans la nuit, vers la tente qui lui avait été assignée. La jeune femme le regarda disparaître d’un air songeur, puis se dirigea vers la sienne. Elle avait hâte de se coucher.

Et, en effet, à peine s’était-elle allongée que le sommeil étendait sur elle son voile. La dernière pensée qu’elle emporta fut l’image de deux yeux verts.

La fixant dans une expression narquoise.

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Emmy Plume
Posté le 11/06/2021
Quel chapitre splendide!!

J'ai bien aimé la reconnaissance que Nadah obtient enfin de ses parents adoptifs! On sentait bien l'émotion que provoque le fait de dire des vérités si importantes.

La visite du campement était intéressante et instructive. Je me demande bien qui sont les Charognards... et j'ai peut-être une théorie, mais elle est un peu farfelue ^^'
En tout cas, la perspective de suive Nadah à travers son périple sous terre me réjouit grandement ! Comment va évoluer sa relation avec le mystérieux Fahrek, j'ai hâte de le découvrir XD

Et puis cette veillée... quelle merveilleuse veillée ! Je me trompe peut-être, mais je dirais d'après ce passage que tu as une affection toute particulière pour la musique (cette manière de décrire le chant final... juste parfait et immersif !), et que tu as probablement été scout (ou un truc du genre). ;)

Magnifique chanson et superbes descriptions ! On en veut plus ! Un grand bravo de ma part et tout mes encouragement pour la suite =^v^=

Emmy
Pétrichor
Posté le 17/07/2021
Salut Emmy !

Désolé de ma réponse si tardive :(
J'étais pas mal absent ces temps ci, j'ai fait une grosse pause écriture.

Mais je suis heureux de relire ton commentaire, et plus encore d'y répondre ;)

Ah ouais ? J'aimerais bien connaître ta théorie !

Génial que tu aies apprécié le passage de la veillée, je l'ai soigné comme il faut ! Tu as raison sur les deux points. J'ai une grande affection pour la musique (je crois que je préfère même ça à l'écriture, pour te dire...) et j'ai été (et suis toujours, d'ailleurs) scout.

Chouette que tu apprécies le chant aussi ! Je l'ai d'abord écrit comme un poème, étant davantage poète que parolier...

Encore un grand merci pour ton commentaire et le temps que tu passes à me lire, ça fait chaud au coeur !

Et, promis, je commente tes nouveaux chapitres dès que possible, j'en ai laissé passer bien trop :D

A très vite !

Pétrichor.
Blanche Koltien
Posté le 05/04/2021
Wouah!! Ce chapitres est, je pense, mon préféré, surtout avec le moment de la veillée, la ronde de nuit, les lueurs du feu...
J'aime beaucoup aussi quand Nadah fait découvrir le camp à Fahrek, ça nous permet à nous aussi, lecteur, de nous immerger dans le décor!

Le chant du Clan de l'Aube est top aussi!! Pas trop long, pas trop court, il claque vraiment bien!!!
Et c'est marrant, le fait qu'entre le Dessous et le Dessus ce n'est pas les mêmes animaux et tout, alors qu'on commence à deviner que le Dessous ressemble à un monde proche du notre!

Enfin bref, vraiment très très chouette tout ça! Le style est léger, fluide, agréable à lire, et soutenu en même temps! Franchement, bravo! Trop hâte d'avoir la suite!
Pétrichor
Posté le 06/04/2021
Salut Blanche !

Merci beaucoup pour ce beau commentaire !
J'ai beaucoup aimé écrire la veillée... Ces moments là au coin du feu sont vraiment oufs, j'ai essayé de le retranscrire au mieux...
Content que le chant te plaise ! J'ai du le réécrire plusieurs fois avant qu'il me convienne.
Oui ! Je trouvais marrant de faire ça, créer un décalage entre ce qu'on connait nous en tant que lecteur (une autruche par exemple) et ce que Nadah connait, elle, de son propre monde.
Ça arrive, ça arrive... Je veux bien la suite du tien moi aussi ;)

A bientôt !

Pétrichor.
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