I, 10 - Les confidences

Par Seja

Teo n’avait pas réussi à fermer l’œil. La veille, il avait eu l’esprit bien plus tranquille, malgré les insectes autour. Mais depuis, il avait vu toutes ces choses bizarres et l’adrénaline du début était retombée. Il avait compris qu’explorer, ça pouvait être dangereux et qu’on pouvait se retrouver coincé sur un monde. Et surtout, il avait compris que ça serait impossible de revenir.

Roulé en boule sur le sol dur, il écoutait Leibju et Haido discuter. Ils avaient baissé la voix, mais, dans le silence de la nuit, tout ressortait. Teo essayait de ne pas bouger. Peut-être qu’ils diraient des choses intéressantes sur le multivers. Quand ils commencèrent à parler de fantômes, il se dit que ça serait bien que les soleils se lèvent enfin. Et enfin, il entendit Leibju aller se coucher. Il attendit encore quelques minutes, puis se releva doucement pour s’approcher d’Haido.

— Qu’est-ce que tu fais debout, toi ?

Teo marmonna quelque chose et s’assit à côté.

— Tu tiens le coup ?

— Oui, baragouina le garçon.

— Bon. Et si tu me racontais ce qui s’est vraiment passé avec tes passages ?

— Je suis vraiment tombé.

— Dans un vortex… Ce ne sont pas des choses qui arrivent.

— Oui, bah c’est arrivé.

Haido garda le silence quelques secondes.

— D’accord, dit-il enfin. Je te crois. Et on retrouvera ton monde une fois qu’on sera partis de celui-là. Tes parents doivent s’inquiéter.

Teo hocha vaguement la tête. Dans le noir, Haido ne pouvait de toute façon pas le voir.

— Tu viens aussi de la Sixième Terre ? demanda-t-il à la place.

— Non. Il y a très peu de ceux des Grandes Terres qui vont à l’Académie.

— Pourquoi ?

— Parce qu’ils se destinent à autre chose.

— A quoi ?

— A diriger.

— Diriger quoi ?

— Bah… diriger. Le multivers. Ce qui le constitue. Tout ce qui fait tourner nos mondes.

— Leibju, elle va diriger ?

— Je n’en sais rien. En tout cas, sa famille fait partie de la noblesse de la Sixième. Sa mère est l’une des dirigeantes du bureau des traversées. Pour ça que Leibju est à l’Académie. Pour apprendre comment ça marche.

— Elle va pas devenir exploratrice ?

— Pas que je sache.

— Oh.

Teo sentit de la déception. Leibju était la première personne qu’il avait croisée depuis son accident et il s’était dit que ça serait bien d’être un explorateur en apprentissage comme elle.

— Et toi ?

— Moi, je viens du monde des Raconteurs d’Histoires.

— Le quoi ? demanda Teo en fronçant les sourcils.

Il entendit Haido rire face à sa surprise.

— C’est le monde où sont partis tous les artistes au début des découvertes des Terres. Et puis, c’est devenu le lieu où la production de la culture s’est développée.

— Tes parents racontent des histoires ?

— Ouais, ils écrivent ensemble parfois. C’est bien le seul moment où ils se tolèrent.

Il fit une pause et Teo se demanda s’il devait dire quelque chose. Il n’était pas très calé sur la question des parents.

— Mon père en est à cent vingt-deux bouquins. Ma mère est à cent quarante-huit. C’est une sorte de compétition entre eux. Et puis, parfois, ils écrivent ensemble.

— Et tout le monde écrit sur ton monde ?

— Pas que. Certains peignent. D’autres font de la musique. Tout ce qui est artistique finit chez nous.

— Et toi, tu explores ?

— La grande déception de mes parents. Ils ont pourtant tout fait pour que je prenne la plume. J’ai bien tenté quelques petites choses, mais ça ne m’a pas vraiment plu. Alors, on a passé un marché. Je deviens explorateur et je leur ramène des histoires de ce que j’aurais vu.

Teo ne dit rien pendant un moment. Il tenta de s’imaginer à quoi devait ressembler le monde d’Haido. Avant cet accident, il n’avait vu que le sien. Alors, il s’était dit qu’ailleurs, ça devait être pareil. Sauf que non. Pendant un moment, il ressentit une pointe d’envie. Parce que son monde à lui n’avait rien d’intéressant. Les gens passaient leur vie à travailler à l’usine et c’était à peu près tout. Lui aussi, il allait y finir, sœur Bérengère n’avait jamais fait beaucoup de mystères dessus.

Sauf qu’il y avait d’autres mondes. Des mondes où on pouvait passer sa vie à raconter des histoires. Des mondes où on pouvait avoir des parents et se plaindre d’eux.

Teo fut tiré de ses pensées par un bruit de chaines. Il sursauta violemment, se rapprocha d’Haido. Sa lampe balaya les alentours, mais ne trouva rien de suspect.

— C’était quoi ? couina Teo.

— Rien, soupira Haido en éteignant. Le vent, sûrement.

— C’était comme des chaines.

— Ce n’était rien.

Mais le ton n’était pas certain et la nuit n’était pas rassurante.

— Rien du tout. Bon, j’aimerais bien savoir comment tu t’es arrangé pour ne pas connaitre le matricule de ton monde. C’est la première chose qu’on apprend partout dans le multivers.

— Pour quoi faire ? demanda Teo. Personne part jamais de chez nous.

— Personne, personne ?

— Bah non.

— Aucun voyageur, jamais ?

— Ils passent parfois. Mais pas longtemps. Pas grand-chose à voir.

— C’est un peu triste. Et ceux qui décident de devenir explorateurs ?

— Personne décide ça.

— Et toi, tu voulais devenir quoi ?

— Il y a rien à devenir, bougonna Teo.

Il aurait largement préféré ne pas avoir à continuer la conversation. Parce que quand il en parlait, il avait l’impression de décevoir sœur Bérengère. Elle avait toujours tout fait pour lui et les autres. Et lui, il n’était qu’un ingrat.

— Tout ce qu’il y a, dit enfin Teo, c’est une usine. Elle fait des conserves. Et voilà.

— Un monde tertiaire, dit Haido pensivement.

— Un quoi ?

— C’est… c’est un monde qui ne produit qu’une seule ressource. Comme vos conserves.

— Ah.

Teo ne savait pas que ça avait un nom.

— Tes parents travaillent là-bas ?

— Sûrement, marmonna Teo.

Il sentit le silence perplexe d’Haido.

— C’est les sœurs qui nous élèvent, dit-il. Les parents… je sais pas. Il y juste cette dame qui passe me voir de temps en temps. Elle me demande comment je vais, ce que j’apprends. Puis, elle repart. Je pense que c’est ma mère. Enfin, elle me l’a jamais dit.

— Oh, commenta Haido. Je suis désolé.

— Pourquoi désolé ? C’est comme ça, c’est tout.

— Désolé parce que je me suis montré indiscret. Je n’aurais pas dû demander.

Teo haussa les épaules et ils restèrent dans le silence en attendant le jour nouveau. Il avait froid dans l’humidité du marais. Faim aussi. La veille, ils s’étaient bien partagé une ration de voyage, mais ça commençait à faire un moment.

Le premier rayon de soleil atteignit le marécage et quelque chose de bizarre se passa.

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Fannie
Posté le 10/04/2020
On commence à comprendre comment le multivers est organisé. Le monde de Teo est bien triste : ce n’est pas étonnant qu’il ait envie d’en explorer d’autres, qu’il imagine colorés et sympas. Mais là, il est mal tombé. Dommage que Haido n’ait pas l’étoffe d’un écrivain ; mais le marché conclu avec ses parents est un bon compromis. Quant à Leibju, destinée à diriger, elle en a probablement le potentiel, mais il y a encore du travail. Quel suspense à la fin de ce chapitre !
Coquilles et remarques :
— que les soleils se lèvent enfin. Et enfin, il entendit Leibju [Répétition de « enfin ».]
— Teo marmonna quelque chose et s’assit à côté [à côté de lui]
— Oui, bah c’est arrivé / Bah… diriger. / Bah non. [Ben / ben : ça veut clairement dire « eh bien ».]
— A quoi ? / A diriger. [À]
— Pour ça que Leibju est à l’Académie. [C’est pour ça]
— La grande déception de mes parents. [À la grande déception]
— Alors, on a passé un marché. [Pas de virgule après « Alors ».]
— et je leur ramène des histoires de ce que j’aurais vu [de ce que j’aurai vu ; futur antérieur]
— Puis, elle repart. [Pas de virgule après « Puis ».]
— pour s’approcher d’Haido / à quoi devait ressembler le monde d’Haido / Il sursauta violemment, se rapprocha d’Haido / Il sentit le silence perplexe d’Haido [Comme expliqué précédemment : « de Haido ».]
Rimeko
Posté le 23/09/2019
Coquillettes et suggestions :
"— Tu viens aussi de la Sixième Terre ? demanda-t-il à la place." J'avais oublié que Leibju venait de là, du coup ça m'a un peu perturbée... Du coup tu pourrais p'têt rajouter un "comme Leibju", j'sais pas... ?
""Il y a très peu de ceux des Grandes Terres qui vont à l’Académie." Je trouve la formulation bizarre...

Hé mais je proteste contre ce cliffhanger ! Comme quoi c'est une bonne idée de prendre des chapitres de retard, comme ça on a pas à attendre héhé
Elle était touchante, cette petite conversation nocturne. Je me sens un peu triste pour Teo maintenant, ça donne de la profondeur au personnage - parce que ouais, ça a vraiment pas l'air cool son monde, on comprend mieux son envie d'explorer (comme quoi ce n'est pas juste un gamin gâté trop curieux, si tu vois ce que je veux dire)... Oh, et aussi, j'adorerais habiter sur le monde de Haido XD
Seja Administratrice
Posté le 29/03/2020
Ouais, j'ai un peu forcé sur les cliffhangers ici xDD PARDOOOON <3 Ouais, mais il reste quand même tête à claques :p Mais allez, je vais p'têt pas le tuer direct <3 Le monde d'Haido est grave cool, on est d'accord :p
Jupsy
Posté le 22/07/2018
T'es sérieuse avec ta fin en cliffangher ? Elle est où la suite ?
Bon d'accord, je devrais commencer par le début : Bonjour Seja. Comment vas-tu ? Alors ça fait quoi de tout recopier ?
En tout cas, c'est bien triste cette discussion. (j'avais écrit déduction. Un jour la fatigue me quittera... ou je la quitterai, on a pas décidé qui devait le faire. Bref, je suis pas là pour te raconter ma vie même si c'est utile pour meubler un peu quand l'organisation des pensées est difficile... Ah mais t'attends mon avis ? Ah oui c'est vrai... Et ben moi j'attends la suite donc tu peux attendre un peu. Okay je sors et j'arrête la parenthèse :P)
Bref cette parenthèse est bien triste pour Teo, qui n'a pas de parents, juste Soeur Bérengère qu'il déçoit toujours. C'est super triste parce que ça donne l'impression que personne n'attend son retour, qu'il est juste un orphelin qui n'intéresse personne, qui servira juste d'ouvrier et qui sera sans doute remplaçable sans trop trop de souci. C'est horrible...
Et à côté, on découvre que y a des mondes sympas où ça produit de la culture en masse, que ça compétitionne en bon couple heureux. La maison, ça devait être sympa pour Haido avec deux parents qui écrivent. Je les imagine bien scribouiller, puis râler pour savoir lequel va aller s'occuper du fiston avant de le traiter d'ingrat lorsqu'il a décidé de filer explorer des mondes. Bref une enfance plus normale que Teo.
 
N'empêche Teo, je suis sûre qu'il voudrait bien que Leibju soit sa maman. Bon il l'a vue la première mais c'est quand même elle qui choisit comme maîtresse d'apprentissage alors qu'elle est la douceur incarnée à son égard. Peut-être qu'il y voit la substitution de Soeur Bérengère pour remplacer une figure maternelle désespérement absente. Ou alors j'analyse trop et je me fais des films. Possible aussi...
 
Mais bon l'essentiel, ce n'est pas ça. L'essentiel c'est que tu termines par un cliff où on ne sait même pas si le bizarre c'est un bonhomme de mousse (celui de cetelem ?) qui débarque avec ses chaînes ! La suiiiiite !
Seja Administratrice
Posté le 22/07/2018
Je suis toujours sérieuse :P
Techniquement parlant, il est pas orphelin x) Mais personne ne l'attend, c'est vrai ♥ Sava, tu m'aimes. 
Eh ouais, un monde qui est une extension du village PAen. Depuis le temps que j'en rêvais :P
Le seul souci, c'est que Leibju est au niveau zéro de l'instinct maternel x) 
Je sais, tu m'aimes pour les cliffs. Mais comme je suis méga sympa, j'ai mis la suite :P 
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