Horizon

Par Elf

- Waouh… souffla Raffi l’air hagard.

Le regard encore rivé sur le ciel, il semblait égaré dans un songe hypnotisant.

- Quoi donc ? demanda l’aventurière.

Son compagnon baissa la tête, se frotta longuement les paupières, sans un mot. Piccola Luce s’était approchée, curieuse, la tête penchée vers la droite. De la pointe de ses chaussures mal lacées, il jouait maladroitement avec quelques cailloux. Hésitant, il murmura :

- Je…

Une vague de larmes remonta devant ses prunelles. Raffi inspira brusquement.

- Je-vois-complètement-les-couleurs, déclara-t-il promptement.

Une mèche s’accrocha à ses joues déjà humides tandis qu’il gardait le visage tourné vers le sol. Il bafouilla encore quelques mots inaudibles.

- Hé.

Luce glissa un index sous le menton du garçon et remonta sa figure pâlie par l’émotion.

- Tout va bien.

- Ça me pique les yeux, ça me brûle la rétine, ça me tord ventre… c’est... trop éblouissant.

Piccola Luce émit un rire attendri en lui prenant les mains. Elle les pressa doucement.

- Comment appelle-t-on la couleur du ciel ? chuchota-t-il honteusement.

- Bleu, quand il fait beau. Mais il est parfois blanc, gris, orange, violet, noir et rouge.

- Et de l’herbe ?

- Vert. Parfois jaune, quand elle est trop sèche.

Lentement, Raffi lâcha Luce, observa autour de lui. Ils atteindraient bientôt à la lisière du bois, les arbres s’espaçaient, et les buissons devenaient moins luxuriants. Le ciel se découpant entre le feuillage laissait passer des rayons encore éblouissants de lumière. Raffi retenait une allégresse qu’il jugeait enfantine, mais il lui semblait que tout son corps se ployait d’admiration. D’une fausse nonchalance, il s’avança vers un coquelicot et s’agenouilla. Fasciné, il contempla la fleur puis finit par la cueillir délicatement. Il revint vers son amie.

- Et cette fleur ?

- Les pétales sont rouges. La tige est verte. L’intérieur est noir et jaune pâle.

Il la lui tendit avec un sourire timide.

Et c’est ainsi qu’ils continuèrent leur chemin, Signore Raffinato demandant régulièrement la couleur des choses, Luce ajoutant des nuances.

- Du pourpre au vermeil, du marine au turquoise en passant par le bleu canard, de l’indigo au mauve, du doré, du clair et du foncé…

Son compagnon buvait ses paroles, encore avec une moue renfrogné que ses yeux démentaient. Brusquement, un cri d’exaltation sortit des lèvres de Luce :

- La mer !

Sur le bord du chemin, le miroir du firmament ondulait gracieusement. La ligne d’horizon devenait floue tant ciel et mer se confondaient à perte de vue. Luce accourut sur le sable fin constellé de coquillages. Béate, la respiration saccadée d’émerveillement, elle s’arrêta. Le soleil brûlait face à elle, et sa myriade de rayons dansait sur l’étendue en d’innombrables reflets scintillants. Un vent tiède ramenait des effluves salées, d’infinies et de liberté. Luce respira à pleins poumons comme pour remplir son cœur de la quiétude du lieu. Elle se déchaussa rapidement et s’approcha encore. Elle s’enfonçait dans le sable chaud et poussait des cris de joies aigus. Quelques vaguelettes caressaient le rivage avec grâce avant de s’évanouir dans un délicieux clapotis. L’intrépide y glissa ses pieds nus et se délecta des chatouilles de l’écume.

Signore Raffinato, de moins en moins taciturne, s’était lentement avancé. Il sentait au plus profond de ses entrailles un renouveau, comme une sorte d’explosion d’extase face à la beauté. Il demeurait saisi, le visage presque impassible. Son regard brillait. Comment avait-il pu, depuis toutes ces années, passer à côté de ces paysages enchantés, de ces couleurs ? Comment avait-il pu seulement voir du gris alors que la nature était un feu d’artifice chatoyant ?

Ils ne surent parler pendant quelques minutes, savourant chaque brise saline, chaque grain de sable sous leurs pieds, chaque regard sur le prodigieux décor. Soudain, se détacha la silhouette d’une barque. Contre le soleil doucement déclinant, et à mesure qu’elle se rapprochait de la plage, il se découpa nettement un marin maniant sa petite embarcation. Une rencontre se profilait littéralement à l’horizon. Luce, insatiable, désirait déjà tout savoir de cet inconnu parcourant la mer. Elle leva ses deux bras et fit signe au navigateur. Impatiente, elle gambadait, s’amusait à laisser ses traces dans le sable, retournait vers les vagues, tourbillonnait, sans jamais qu’un immense sourire ne quitte son visage rayonnant.

- Raffi. Je suis heureuse. Le gris n’existe pas ici ! T’en rends-tu compte ?!

Son compagnon répondit par un hochement de tête. Luce rit.

- Vas-tu sourire, mon ami ?

Celui-ci rougit, et ses joues se fendirent d’un doux sourire. Luce s’avança et pointa du doigt la teinte pivoine que prenait ses pommettes.

- Et là, tes joues sont roses.

- Je… mais… balbutia-t-il.

Le garçon soupira en triturant une mèche filasse.

- Je ne suis pas habitué à tant de ravissements colorés. Je ne sais pas comment réagit-on en pareilles circonstances.

- Tu n’as qu’à faire ce que ton cœur te susurre.

Et Luce retourna vers la mer en sautillant pour accueillir le nouveau venu qui accostait. Signore Raffinato se pencha vers le chat Sorriso qui n’osait trop s’approcher de l’eau et se mit à le caresser pensivement.

- Bonsoir ! s’écria Luce.

- Bonsoir mademoiselle ! Et m’sieur ! Et l’chat ! Et… cet hibou veille sur vous ? répondit une voix joviale.

Luce tapa dans ses mains.

- Probablement.

- Admirable, répliqua l’homme en sortant de sa barque.

Il avait un filet à la main rempli de poissons qu’il maniait avec aisance. Sa seule tenue se constituait d’un pagne et de tatouages sur son torse et ses bras bronzés. Luce l’attendait sur la plage et il ne tarda pas à la rejoindre, les muscles bandés pour porter sa lourde charge qu’il rejeta sur le sable.

- Ah ! Voilà qui f’ra de bons repas !

Il repoussa ses longs cheveux humides et sourit aux deux aventuriers.

- Quel bon vent vous amène ?

- Le vent impétueux de l’espoir, monsieur.

- Formidable !

L’homme retourna dans la mer et ramena sa barque à côté de sa pêche fructueuse. Piccola Luce s’était tue, songeuse. Une profonde sérénité pénétra son cœur.

- Et bien, n’avez-vous pas faim ? Le soir n’tardera pas, faisons un feu et grillons mes poissons ! proposa le joyeux pêcheur.

- Oh, avec plaisir !

Ils se mirent incessamment à chercher du bois plus loin, tout en bavardant gaiement. Raffi, réservé et méfiant, parlait peu, mais petit à petit, il se détendit. Ils apprirent ainsi que le marin se nommait Dividi, et qu’il vivait d’amour, mais surtout d’eau salée.

- J’vis au gré de la mer, moi. J’peux partir des heures sans qu’on s’inquiète, pis je reviens avec du poisson et de la joie, expliqua-t-il aux enfants.

Il alluma le feu habilement sous des yeux admiratifs.

- J’peux pas rester sans rien faire, sans bouger : dans la mer, il y a toujours des choses à découvrir. La mer est fascinante : elle est d’un calme serein et l’instant suivant, tumultueuse et dangereuse.

Ils commencèrent à manger avec appétit. Dividi raconta quelques anecdotes, et Luce, auquel Raffi ajoutait quelques mots, lui retranscrivait ses pérégrinations.

- Sensationnel ! commentait Dividi, sincèrement enthousiaste.

 

Raffi planta un poisson au bout d’une brindille, et de concentration il tira la langue. Une tendresse engouffra l’âme de Luce devant cette douce scène. Puis elle admira le tableau qu’ils créaient.

Les flammes frétillaient avec de vives couleurs. Le bois calciné noircissait, et de là partait, avec une légère touche bleutée, un mélange magnifique de nuances rousses. Quelques étincelles sursautaient dans l’air, pétillantes de vie. L’odeur du poisson grillé survolait la plage. Le soleil rougissait et paraît le ciel d’un sublime dégradé que la mer, reflet frissonnant, réfléchissait. Quelques étoiles, là-haut, commençaient leurs entrées successives telles des milliers de clins d’œil. Un bonheur immense alimentaient le feu crépitant autour des silhouettes. Piccola Luce débordait d’un espoir fou : certaines personnes étaient déjà colorées, et à eux tous, ils pouvaient effacer la grisaille. Leurs rires déjà complices accompagnaient les chants des insectes. Même si la nuit drapaient le paysage d’obscurité, les astres étincelaient.

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mariedeloin
Posté le 26/12/2020
Hé ben! Tu as tout concentré dans un seul paragraphe. La mer te fait perdre l'orthographe!
"La ligne d’horizon devenait flou" -->> floue
"tant ciel et mer se confondait" -->> confondaient
"des cris de joies aiguës" -->> des cris de joie aigus
"L’intrépide y glissa ses pieds nues" -->> pieds nus

Quoique...

"il ne tarda pas la rejoindre" -->> à la rejoindre
Piccola Luce s’était tu, songeuse -->> s'était tue
"une légère touche bleuté" -->> bleutée

C'est trop beau lorsqu'il découvre les couleurs, comme un enfant qui veut tout savoir ensuite.
Ton conte est plein d'amour et d'énergie positive, c'est un régal...
Elf
Posté le 26/12/2020
Oh (⊙_⊙;) La honte.
Désolée pour tes petits yeux aha x) Je corrige ça illico presto !
Merci énormément pour tes retours <3 Ça fait chaud au coeur :)
mariedeloin
Posté le 26/12/2020
Un échange agréable, ça fait aussi chaud au cœur de te lire !
Slyth
Posté le 23/11/2020
Bonjour Elf ^_^

J'ai dévoré tous ces chapitres comme autant de tranches d'un savoureux gâteau. Quel texte agréable et lumineux !

J'adore les contes, c'est un genre que j'apprécie vraiment beaucoup de lire (j'espère être capable d'en écrire un, un jour ^^'') et le tien n'a pas fait exception.
On y retrouve cette simplicité caractéristique et, en même temps, ce n'est jamais "juste simple" car les thématiques abordées ouvrent plein de portes et amènent à la réflexion. Mais on est tout de suite embarqués dans les aventures de Luce et chaque personnage qu'elle rencontre nous marque à sa façon, impossible de ne pas s'attacher. Et cette jolie poésie autour des couleurs et des sentiments, c'est vraiment beau !

Du coup, je suis vraiment contente d'avoir pu découvrir ton univers grâce aux Histoires d'Or !

J'ai lu ce dernier chapitre tôt ce matin avant d'aller travailler et toutes ces allusions aux couleurs m'ont rapidement amenée (mentalement) à la chanson "True Colors" de Cyndi Lauper que je trouve superbe (la version du films "Les Trolls" est également magnifique !). Et je me suis tout de suite mise à l'écouter (les deux en fait xD)

Bref, c'est une anecdote peut-être un peu bizarre, mais j'ai passé un moment tellement agréable grâce à toi ce matin que j'avais envie de te la partager ! <3

Donc voilà, merci à toi pour ce magnifique conte dont j'espère bien découvrir la suite prochainement ! ;)
Elf
Posté le 23/11/2020
Hiiiiiii. Mais. Waouh. (⊙o⊙)
Je sais pas quoi dire. Ça me touche IMMENSEMMENT ! Je... waw. Merci. du. fond. du. cœur.

En fait, tu viens de résumer ce que je veux que ce conte procure... et... bah... je savais pas si j'y arrivais x) Bon bah, tu as refait ma journée aha ^-^

Oh, j'adore les petites anecdotes ! Je connaissais Cyndi Lauper, je connaissais la chanson True colors mais la reprise (?) de Tom Odell. Du coup, j'ai écouté les deux autres versions hihi :) Oh, j'adore les petites anecdotes comme ça !

Et bien, merci infiniment Slyth ! J'espère que la suite te plaira (Si tout ce passe bien, c'est un chapitre par semaine) \(^0^)/
Slyth
Posté le 23/11/2020
Oh mais merci à toi pour ta réponse, tes propos me touchent beaucoup !

Si à travers ce commentaire, j'ai pu te transmettre un peu de la joie que j'ai eue à te lire, alors c'est avec grand plaisir ^_^

Ah ah oui Cyndi Lauper c'est la version originale et la version du film "Les Trolls" est chantée par Justin Timberlake et Anna Kendrick. Si tu ne l'as pas vu, c'est un film que je te conseille d'ailleurs : il est très coloré, joyeux et plein de belles chansons ! (en V.O de préférence... mais là je m'impose peut-être un peu trop, pardon ! xD)

Je ne doute absolument pas que la suite me plaira en tout cas ! ;)
Belle inspiration à toi et sûrement à bientôt
Elf
Posté le 23/11/2020
Ahah, t'en fais pas, j'aime les conseils, surtout que je regarde vraiment très peu de films alors je prends ! (*^_^*)
Du coup, j'ai écouté les musiques, de quoi remplir encore ma culture musicale déjà, hum, assez remplie.

Hihi, merci encore <3
Slyth
Posté le 24/11/2020
Petit coup de pression pour moi du coup ah ah, j'espère que le film te plaira ! ^^"

C'est toujours chouette de découvrir de nouvelles musiques =)

Merci à toi et belle journée, à bientôt !
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