Gris du poil

Par Pouiny

Face à son importance dans ma vie et à sa capacité à me faire vibrer comme personne d'autre n'avait pu le faire auparavant, je me rendis à l'évidence, et lui avouait non sans le ridicule d'un adolescent vivant sa première histoire d'amour de jeunesse. On a beau se moquer de notre naïveté et de notre maladresse de l'époque au fur et à mesure que celle-ci s'éloigne, pour autant la force des sentiments qui nous étreignent sur l'instant T font parti des sentiments les plus forts et les plus sincères que j'ai pu ressentir de ma vie. À l'approche des examens de fin d'année et de la fin de ma vie de collégien, je me lançai dans la plus étrange des histoires, une histoire que j'avais toujours boudée jusqu'à présent, une histoire d'amour. À la suite de ma pathétique confession, elle se jeta à mon cou et m'embrassa avec toute la peur et l'excitation de s'engager, tout comme moi, dans notre première histoire, une histoire que l'on vivrait et qu'on ne lirait pas, pour une fois.

Peu de choses changèrent au départ. Nous étions déjà très proche et jeune, nous ne ressentions pas le désir d'aller plus loin. Pétri de maladresse, nous avions déjà du mal à s'embrasser sans en ressentir de la gêne. Nous nous appelions désormais tous les soirs, même si parfois nous n'avions rien à dire. Nous sourions, chacun de notre coté, sûr que l'autre était présent. Elle n'habitait pas très loin de chez moi et ainsi, je lui indiquais mon adresse pour qu'elle puisse me rejoindre un week-end.

 

Jusqu'alors nous passions juste notre vie ensemble au collège et vivions notre vie familiale chacun de son coté ; pour la première fois, ces deux vies différentes, de collégien et d'adolescent allaient se rejoindre. C'était un samedi de mai, le soleil était à son zénith, pas un nuage dans le ciel. Soumis au stress je partis me réfugier dans mon jardin avec un livre pris au hasard. Je m'allongeai dans l'herbe que mon père n'avait pas encore tondue et faisais semblant de lire, espérant tromper mon impatience. Je la vis arriver en robe légère et sandales, cheveux légèrement attachés par une pince en forme de papillon. Elle avait les joues complètement rouge et transpirait à grosses gouttes ; descendant vivement de son vélo en le rangeant rapidement, elle s'arrêta pour reprendre son souffle. Je me redressai vivement, elle me remarqua et me sourit. Elle se colla contre moi, sentant légèrement la sueur et j'éclatais de rire. Ses joues déjà rouges s'empourprèrent davantage.

« Oui, et ben, la prochaine fois tu n'auras qu'à faire le trajet toi-même, je savais pas que c'était autant en pente, chez toi ! »

 

Je la rassurai. Elle posa son sac, et s'allongea auprès de moi en prenant mon livre des mains. Sa tête contre mon épaule, ses jambes contre les miennes, bercés par le chant des oiseaux, on aurait presque pu s'endormir si l'on était pas trop heureux d'être juste l'un contre l'autre. Dites moi, vous qui êtes adulte, ressentirez vous un jour cette même intensité pour une situation pareille de nouveau ? Les sentiments nouveaux sont ressenti avec force, comme si ils avaient besoin de briser une porte pour s'immiscer en nous et ainsi inonder les moindres parcelles de notre cerveau. Désormais, une fois adulte, cette rivière tranquille a creusé son lit et il est difficile de reformer les premières crues d'autrefois. D'où l'importance toute particulière que j'accorde à ce moment, de ce presqu'été de jeunesse. Mon regard était noyé dans tout ce bleu si profond et sans fin d'un ciel pourtant constamment identique. Sa grandeur m'enveloppait ; il était lisse comme un jour sans fin, d'une clarté éblouissante ou le vert de la mauvaise herbe et des vieux arbres ne semblaient que mieux le mettre en valeur. Je sentis sa tête se redresser légèrement, elle aussi, vers le ciel, tout en m'embrassant. On resta longtemps ainsi, sans se soucier du temps qui passait, comme dans une bulle de bonheur. Elle rentra en fin d'après midi, et chaque samedi après midi cette scène se répétait, plus ou moins les mêmes. Parfois elle était triste, et je la consolais tout en regardant le ciel. Parfois on travaillait nos examens dans l'herbe, l'un contre l'autre. Parfois, elle était juste fatiguée et dormait contre moi lovée comme un chat sur mon épaule.

 

Les examens passèrent. Elle-même n'en avait pas, mais moi je passais celui de fin d'année de collège et le réussi haut la main, sans grande surprise. Tout le monde me félicita, elle plus que les autres. Désormais, les vacances d'été étaient arrivées. Elle arrivait donc chaque après midi, et revenait chez elle quand le soleil commençait à se cacher derrière les montagnes. Des fois, je prenais mon vélo et l'accompagnait jusqu'à devant chez elle avec plaisir. Quelque fois même, elle restait dormir chez moi. Nous étions encore trop jeune pour tenter quoi que ce soit ; nous restions dehors, cette fois ci à regarder un ciel sombre rempli d'étoiles.

 

L'été passa ainsi et au final ne fit pas plus de vague que les autres étés de ma vie. J'étais particulièrement heureux sans me rendre compte de la puérilité de notre relation. L'été se termina, les fleurs se fanèrent. J'étais désormais un lycéen, avec une charge de travail plus importante, des horaires plus lourds à tenir. J'étais de nouveau délégué, mais devant l'insistance de certains professeurs, je m'inscris pour être dans la vie active du lycée avec d'autres délégués pour s'occuper des revendications globales propre à l'établissement, en plus d'être représentant ma classe. Elle était encore dans ce qui était autrefois mon ancien lieu de vie, où je n'allais plus, que je dédaignais. N'étant pas aussi bonne élève que moi, il lui fallait travailler plus longtemps, ayant désormais des examens blancs qu'elle n'arrivait pas à réussir aussi parfaitement que moi. Alors que l'été s'enfuyait, que les fleurs fanaient, les ennuis propre à notre jeunesse commençaient doucement à s'installer en toile de fond. Nous n'avions aucun différend ; pour autant on trouvait de moins en moins le temps de se parler, être dans l'humeur, être mentalement disponible pour les histoires de l'autre.

 

Un de nos derniers samedi dans mon jardin, le ciel n'était déjà plus aussi parfait qu'à son habitude. Nous avions nos vestes qui nous séparaient davantage. Brusquement, elle leva son bras et me lança en souriant :

« Regarde, tu as les yeux exactement de la même couleur que ces nuages ! »

J'eus un tressaillement.

« Dis pas n'importe quoi, je répliquais, acerbe.

– Qu'est-ce qu'il y a ?

– J'ai pas du tout les yeux de cette couleur, tu déconnes ou quoi ? »

Je me rendis compte trop tard de l'agressivité de mes paroles. Elle ne répondit pas de suite, laissant entre nous un silence tendu.

– Ça va, je disais juste ça comme ça, qu'est-ce qui te prend ?

– Juste, laisse mes yeux tranquille. Je n'ai pas envie d'en parler.

– Bah moi ça m'interroge ! Ils ont quoi, tes yeux ? »

Je ne répondis pas. Elle ne souriait plus du tout. Je l'avais peut-être même blessée. Me sentant coupable, je laissa échapper.

– Je ne les aime pas, c'est tout. J'ai pas envie que tu les compares à des nuages d'orage, en plus.

– Mais pourquoi ?

– J'ai besoin d'avoir une raison ? Je répondis, agacé. »

Elle ne dit plus rien. Elle inspira longuement et lança :

« Dis, c'est quoi que tu as remarqué en premier, chez moi ?

– Ton décolleté.

– Tu te fous de moi ?! »

Elle se redressa d'un coup et me gifla. Je la fixai dans les yeux avec colère en me redressant. Elle s'éloigna de moi et se tint les genoux contre sa poitrine, comme pour la cacher. J'ai tenté doucement en levant le bras vers elle :

« Excuse-moi... »

Elle rejeta vivement mon bras. Elle se remit debout et me lança froidement :

« Moi, la première chose qui m'a plu chez toi, c'était ton sourire. Tu as un petit sourire ravageur quand tu lis, il est magnifique, on sent qu'il n'est pas forcé, que c'est juste pour toi et que tu peux pas t'en empêcher. J'aimais ça. Puis j'aimais tes cheveux, t'as des beaux cheveux, jamais bien coiffés mais ça a son style. Puis j'aimais ta taille, ta carrure, tu es grand et même si tu n'es pas très musclé, au moins, tu es fin. La seule chose qui me mettait mal à l'aise, c'est que tu passes ton temps à baisser les yeux. Alors que tu es grand, tu pourrais surplomber tout le monde, mais pourtant tu ne regardes jamais personne en face ; tu es toujours en train de fuir. Je trouve ça gênant. Maintenant je comprends mieux pourquoi. Je suis déçue de toi, là. »

Elle s'en alla. Je ne fis rien pour la retenir ; étrangement, ça m'importait peu. Je rentrai chez moi et m'avançai dans mon travail, sans un mot, sans une pensée pour elle, sans même tenter de m'interroger.

 

Elle revint quelques temps après, en pleurs. Je la consolai. On ne revint pas sur l'accident. Elle ne revint plus souvent, mais on continua notre relation, sans un mot. On continuait à s'aimer mais au final on ne se parlait que très peu. Les années passèrent ainsi. J'eus mon bac, et elle aussi. Je me lançais dans des études littéraires, elle réussi ses études scientifiques. On s'installa dans un appart étudiant, sans se marier ou autre papiers officiels mais on continuait à se supporter l'un l'autre, sans jamais aborder les sujets qui fâche, comme si une bulle grise, depuis ce jour, des années en arrière, s'était installée pour qu'on s'éloigne l'un de l'autre par la force de sa membrane opaque.

 

Récemment, alors que je publiai mon nouveau roman et rentrait de chez mon éditeur plus tôt que prévu, je l'ai croisée avec un autre homme dans notre appartement. Elle a paniqué en me voyant et s'est dépêché de se rhabiller. Pour autant… tout cela ne m'a pas étonné. Comme toujours, le ricochet que je suis n'a pas fait de vague. Sans un mot, j'ai pris mes affaires, retourné chez moi, mélancolie au ventre. C'était l'hiver, il faisait froid et le soleil était enveloppé dans une couche de nuages gris foncés, mais comme poussé par une sorte de nostalgie, après avoir prévenu mes parents de ce qui s'était passé, je suis parti rebrousser chemin en reprenant les pas que j'avais quand j'étais gamin. Je m'approchais de l'herbe morte de mon jardin, m'allongeai sur la terre froide, et le regard vide, terne, tout comme ce que je me sentais en mon fort intérieur, et ne fit rien d'autre que regarder. Très vite, le temps me sembla long, là ou des années auparavant il semblait s'arrêter de bonheur. Le froid transperçait mon manteau, mon âme. Je me retrouvai dans une sorte d'incompréhension de mon existence. Des questions que je ne m'étais jamais posées avant, ou que j'avais fuis, surgirent. Au même moment, un chat gris-bleu s'approcha de moi. D'un pas feutré, de ce regard pénétrant que peuvent avoir les chats, il s'approcha près de moi, testa ma résistance à ses griffes pour finalement s'allonger sur mon ventre. Sa tête face à la mienne, il semblait me regarder avec moquerie en ronronnant. Il avait les yeux dorés, avec des traits cuivrés, et ses pupilles en amandes presque rondes semblaient aspirer mon âme. J'ai murmuré :

« Toi, je te connais pas… Un nouveau compagnon de mes parents ? »

Le chat n'eut aucune réaction. Je soupirai.

« Un homme de trente ans qui parle aux chats, on aura tout vu… »

Le chat ferma ses yeux. Il semblait prêt à s'endormir, effrontément. Je bougeai légèrement juste pour le plaisir de le regarder à nouveau dans les yeux. Une étrange jalousie s'empara de moi alors que je le contemplais.

« Hé, le chat… Tu n'as pas envie de me donner tes yeux ?

– Ce n'est pas l'envie qui me manque, humain, mais je doute pouvoir chasser correctement avec les tiens.

– Oh, certes, tu ne verrais pas très bien dans le noir, mais tu pourrais appréhender les couleurs, voir les choses plus nettement que tu ne les a jamais vu. Chasser de jour ne sera pas bien compliqué. Nous autres humains, avons une vision proche des prédateurs en terme de couleur et de précision des mouvements.

– Si c'est le cas, me répondit le chat en se léchant les pattes, pourquoi veux-tu mes yeux ?

– Pour leur esthétique. Les tiens sont si beaux, si riches, si plaisant à voir… Là où les miens ne valent pas grand-chose et n'ont aucun intérêt…

– Tu es un imbécile, me répondit le chat. Tu ferais peur à tout le monde, si toi, humain, avait mes yeux. Ils me vont bien parce que je suis ce que je suis. N'étant pas un chat, plus personne n'oserait te regarder.

– Peut-être… mais au moins je serais mémorable. Etrange. Comme dans les livres, en somme… Il y aurait une raison pourquoi les gens dans la rue me reconnaîtraient.

– Tu serais un monstre, humain. Mais peut-être l'es tu déjà. Après tout, tu parles à un chat. »

Trop occupé à le contempler, je ne répondis pas de suite.

– Sincèrement, chat, dis-je, ne te sens-tu pas supérieur en voyant tout ce que tes yeux arrivent à faire ressentir comme émotion aux humains ?

– Pour tout te dire, je m'en fiche, je suis un chat, me répondit le chat. Mais je pense que plus que mon regard, c'est mon caractère, ce que je suis qui donne des illusions aux poètes. Après tout mes yeux ne sont pas différents que ceux d'autres animaux. Pourquoi les miens seraient-ils plus beaux que les autres ? Simplement parce que moi, le chat, n'est pas un animal comme les autres. »

Je ne répondis pas. Le chat gris, assis sur mon ventre, me surplombait, comme elle il y a quelques années.

« Le regard n'est rien. Tu ne vois en un regard que le reflet de ce que tu es. C'est ça qui te dérange, humain, bien plus que le gris, non ?

– Le gris n'est pas une belle couleur. Elle n'évoque rien, mis à part l'ennui, la lassitude, la tristesse, les journées où il ne se passe jamais rien.

– Ben voyons, fit le chat d'un air moqueur, je t'évoque de l'ennui, moi ?

– Tu n'as pas les yeux de cette couleur.

– Regarde moi. Je suis un chartreux. Mon pelage n'est et ne sera rien d'autre que du gris de ma naissance jusqu'à ma mort. A la moindre tâche blanche, je serais appelé « bâtard ». Le gris, c'est ce que je suis, bien plus que tu ne l'es, humain. A moins que le gris que tu reproche à tes yeux est le gris de ton âme, non ?

– Que veux-tu dire ?

– Tes yeux ne sont ternes que parce que tu l'es toi même. Cette tristesse, cette lassitude, cette morne mélancolie que tu passes ton temps à décrier, c'est la tienne. Tes yeux ne sont en rien responsable de ton désespoir, espèce d'idiot. Pourquoi t'acharner à voir ce gris vitreux, plutôt que constater que tu as des beaux cheveux blonds ? Je ne veux pas de tes yeux, mais si je pouvais avoir la couleur de ton poil, je n'hésiterais pas.

– Tu vois que le gris ne te plait pas, chat, répliquai-je.

– Je plaisantais, humain, fit-il en s'étirant. »

Je restais interdit. Le chat s'était allongé en boule sur mon ventre. Je lançais avec amertume.

« C'est elle que tu aurais du aller voir. C'est elle qui aime le fantastique, pas moi.

– Mais c'est toi que je viens voir, parce que c'était elle que tu aimais.

– Moarf, c'était elle, ç'aurait été n'importe qui, cela n'aurait rien changé.

– Vous n'êtes resté ensemble par habitude plutôt que par amour. Vous êtes bien pathétique, vous autres. Vous avez le don de parole mais vous n'êtes pas capable de comprendre ce que vous ressentez. C'est ainsi qu'un homme de trente ans se retrouve célibataire et parle aux chats. Vous êtes des animaux bien étranges, tu ne trouves pas ?

– Tu n'es pas bien mieux, toi. Tu n'es pas capable d'être amoureux.

– Peut-être, mais au moins je ne mens pas. Si j'ai faim, je miaule, et on me donne à manger. Si j'ai froid, je gratte à la porte pour rentrer. Je n'ai pas besoin de fuir mon reflet pour me demander quoi que ce soit.

– Je n'ai pas menti non plus.

– Ne rien dire est un mensonge. Combien d'année dans ta vie tu as menti, humain ? Tu as trompé ton existence et ton être dans tes récits, et maintenant te voilà comme un idiot dehors en hiver. Tu es bien pire qu'un chat errant. Tu parles bien plus aux chats qu'à celle que tu disais aimer. Nous, les chats, n'aimons peut-être pas avec autant de force et de symbole que vous, mais au moins nous savons communiquer et être sincère. Et surtout, nous savons qui nous sommes et ne cherchons pas à être autre chose. Tu sais qui tu es, humain ?

– J'ai l'impression d'avoir tout raté…

– Sans aucun doute.

– Tu n'as pas envie de m'aider, chat ?

– Moi ? Ne rêve pas trop, humain, je ne suis qu'un chat. Je ne comprends rien de vos problèmes. Je sais juste être là quand il le faut. Ne m'en demande pas plus. »

Je restai silencieux. Je ne savais plus quoi penser de rien. Mon existence grise, banale, me frappa d'un seul coup. La boule de poil,en voyant mes yeux, eut une sorte de rire.

« Et après vous dites être les seules créatures possédant une conscience. Ne jamais rien savoir est pourtant votre spécialité. »

Car, de mes yeux gris, sans raison, sortaient des larmes, des larmes qui n'avaient plus vu le jour depuis ma jeunesse. Enveloppé dans du gris, le gris du ciel, le gris du chat, le gris de mon âme, je prenais enfin conscience de ce que j'étais et de ce que je me reprochais vraiment. J'aurais aimé être quelqu'un d'autre, de plus courageux, de plus insensé, j'aurais aimé avoir une vie avec des erreurs et des rebondissements. Au lieu de ça, j'ai encaissé tous les problèmes et tout gardé pour moi sans jamais m'en rendre compte, j'assumais tous les problèmes de ma vie sans un mot et sans jamais me plaindre, j'ai toujours été sage et écouté ce qu'on attendait de moi sans jamais tenter d'être quelqu'un dont l'existence n'est pas dicté par les autres. Je pensais être socialement ouvert, au final je n'étais qu'une pâte à modeler s'adaptant à ce qu'on attendait de moi. Sans m'en rendre compte, ce n'était pas ce que je voulais être, cette chose difforme et sans sentiment propre n'était pas ce que j'étais et ne me correspondait pas. J'étais au final très seul, tout simplement. Effectivement, je n'avais conscience que de très peu de chose avant que ce chat n'intervienne. Celui ci me parla encore :

« Alors, humain, tu veux toujours mes yeux ?

– Non, je me débrouillerais, chat.

– Tu veux être à ma place, alors ?

– Non plus. J'ai un potentiel de création et d'influence sur le monde que tu n'auras jamais. Un potentiel que je n'ai jamais utilisé, certes, mais je le possède. Et puis, il faut bien des humains pour te donner à manger, chat.

– Pour ça, je ne peux qu'approuver, affirma le chat en agitant la queue. D'ailleurs, je veux de la nourriture en récompense de l'aide que je t'ai apportée.

– Pas de soucis.

– Sais-tu ce que tu vas faire, alors ?

– Non. Peut-être je vais la retrouver et tenter de réparer ce que j'ai laissé s'effilocher. Peut-être que je tournerais la page. Peut-être que je trouverais quelqu'un d'autre, peut-être que je vais réussir à enfin être ce que je veux. Peut-être je vais rater. J'en sais rien. Dans tous les cas, pour l'instant, je vais rentrer chez mes parents, leur dire ce que j'ai sur le cœur, demander du réconfort, de l'aide.

– Sais-tu qui tu es ?

– Non, mais je suis terriblement triste, chat.

– Ça ne m'étonne pas de toi, humain. Ça se lit dans tes yeux. »

Un orage résonna au loin. J'ouvris les yeux. Une goutte d'eau de pluie me tomba sur le visage. Je me redressai, avec le sentiment d'avoir vécu quelque chose d'étrange. Au coin du mur de ma maison, je pouvais apercevoir de loin une queue d'un chat gris, comme me narguant d'avoir une longueur d'avance sur moi. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens exister.

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