Gourmandise

Notes de l’auteur : Texte initialement prévu pour un AT sur le thème du voyage !

Quand j’ai envie de voyager, je mange. 

Comme on ne prend plus l’avion, je dévore.

Puis, pour sortir de chez moi, je me ressers. 

Des boulettes d’insectes du Cambodge revenus dans du piment. Du pâté de betterave à la sauce Dunkerque. Des sushis de tofu au gaspacho andalou. Baguettes, cuillères, bols, tous ces ustensiles qui deviennent l’instrument de mon appétit en adagio de sucré-salé. Ils cognent, trépignent, teintent, passent sous l’eau, se garnissent de salive grasse. On entend crépiter l’huile tandis que l’on fait frire quelques acras. Depuis ma piaule, perdue au creux d’un immeuble de bois, ombres et néons filtrent à travers les stores. Du rouge, du parme, des ténèbres et sous mon plancher, la cuisine d’où montent parfums d’oignon et d’épices. Tout n’est que noir et couleurs. Senteur. Saveur. 

En contrebas grimpe la rumeur de la soirée, qui gronde et s’emporte comme un lion prisonnier de ces étroites allées. Les marmites frissonnent, j’éclate la crème pâtissière sur mon palais, beurre, sucre, et cacao. Avec la limitation des voyages, les échoppes ont poussé comme des champignons en caverne. L’écologie a le goût de nems. La simulation des papilles me suffit en réalité, vivre dans ce labyrinthe de spécialités où chaque monde se déguste sans se voir.

Donnez-moi une pastèque, sucrée à s’y noyer, donnez-moi du pain ailé, des amandes, des strudels, donnez-moi tout, car je suis un ogre et que je ne veux quitter le banquet. 

Ma langue voyage là où mon corps demeure. Je suis un baroudeur des saveurs. Sans la viande, interdite. Je suis un ogre à principes. 

Si on se faufile à l’embrasure de ma fenêtre, qu’on y ôte la mousseline qui assourdit la lumière, alors l’œil glisse dans un spectacle enchanteur, celui du quartier où vivent en amants le jour et la nuit. La ruelle est semblable à chacune de celles qui sillonnent ce quartier. Elle est si étroite que je distingue ma voisine attablée devant une tarte où s’affadit une mozzarella crémeuse, sans se soucier d’imbiber la pâte feuilletée. J’imagine le goût fade du lait sur ma bouche, le trait d’huile d’olive par-dessus, le croquant du sel sous la dent. Est-ce donc à cela que ressemble l’Italie ? J’y superpose les images piochées sur Internet et le pays de Cicéron prend le goût d’un vin boisé et capiteux.  

Il y a une femme un peu plus bas, l’œil errant, la bouche luisante. Les enseignes palpitent le long des immeubles et renvoient des ombres fantasques où se nichent fées et lutins de cuisine. Elle s’arrête face à une devanture d’où s’échappe le glougloutement du curry, un curry thaï aussi vert que la coco est blanche. De gros morceaux flottent et quand la louche répand son parfum sur le riz, la femme avance. Besoin de plages, de temples. Besoin d’ailleurs. Loin des frontières qui empâtent ses sens et aveuglent son front dans le labeur. La foule noire autour tourbillonne.

J’attrape un houmous doucereux, un pain pita plat et farineux. Si je vous l’offrais, voyageriez-vous avec moi, humble guide de palais ?

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Elore
Posté le 12/11/2021
Hello ♥

Je viens de manger, pourtant cette nouvelle m'a donné l'eau à la bouche ! C'est une façon originale d'aborder le voyage, à travers la nourriture et la culture qu'elle porte. Ça faisait un moment que je ne t'avais plus lue, je trouve que ta plume s'est beaucoup affinée, il y a un vrai travail sur le rythme et les sons, ça se lit tout seul ♥ bref, tu le comprendras, j'ai beaucoup aimé.

Merci pour ce voyage gustatif !
Alice_Lath
Posté le 13/11/2021
Salut Elore !
C'est génial si elle te plaît haha, c'était pour les Utopiales, ils avaient fait un AT sur le voyage :') bon, le texte a pas été retenue, mais jsuis plutôt contente du résultat
Et ravie d'entendre ça ! Oui, ma plume continue de progresser j'ai l'impression, jsuis contente d'en entendre la confirmation
Bon appétit à toi en tout cas <3 et merci encore pour cet adorable commentaire
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