FPS

Par Rimeko
Notes de l’auteur : (Atelier : écrire sur une playlist d'un.e autre membre... j'ai été inspirée lol)

Les néons éclaboussaient la pièce d’un rose bonbon. En y ajoutant les coussins recouvrant le sol et les posters colorés aux murs, on obtenait une ambiance oscillant entre enfantine et écœurante.

Pourtant la jeune femme assise en tailleur au centre du tapis n’était plus une enfant depuis plusieurs années déjà, même si son visage rond et ses yeux encore agrandis par ses lunettes rondes la faisaient paraître plus jeune. Dans son miroir, elle avait même déjà surpris quelques cheveux blancs se mêlant dans sa tresse à leurs comparses plus sombres.

Actuellement, la tablette entre ses mains concentrait toute son attention. La lumière crue, constamment changeante, passant en l’espace d’un battement de cils d’un côté de l’arc-en-ciel à l’autre, creusait les ombres sur son visage et se reflétait dans les verres de ses lunettes au point qu’on ne distinguait qu’à peine ses prunelles à travers – on entrevoyait seulement leur mouvement fébrile alors qu’elle suivait ce qu’il se passait sur l’écran. Ses phalanges avaient blanchi.

L’activité frénétique de la tablette se suspendit un instant alors qu’une icône de recherche de signal s’affichait en larges traits écarlates. Zoë siffla entre ses dents, ses traits doux soudain tordus par une brusque mimique d’exaspération. Elle replaça une mèche échappée de sa coiffure d’un geste brusque.

L’affichage revient et aussitôt elle se repencha dessus, sa nuque formant un angle qui ne pouvait être confortable. Toute sa frêle silhouette se ramassait sur elle-même, créant une poche d’ombre au milieu du rose électrique, ses coudes et ses genoux des pointes osseuses contrastant avec les courbes accueillantes des coussins. Ses doigts s’activaient sur les commandes à droite et à gauche de l’écran, presque trop rapides pour que l’œil humain puisse les suivre.

La pluie cinglait le toit sans discontinuer et ses piques incessantes se réverbéraient contre les parois métalliques de la cellule de Zoë. De l’unique fenêtre en verre blindé se déversait par intermittence l’intolérable clarté d’éclairs déchirant le ciel. Le tonnerre résonnait jusqu’au creux du ventre de la jeune femme, presque sans discontinuer. En comparaison avec cet accès de rage céleste, la musique aux accents pop qui s’échappait de la tablette paraissait bien ridicule. Le bruitage des tirs – de petits « pops » sortis tout droit d’un dessin animé – y ajoutait sa propre mélodie discordante et tout aussi incongrue. Autour de sa cheville fine, son bracelet de surveillance joignant régulièrement ses « bips » secs et brefs à cette singulière ambiance sonore.

Les lunettes de Zoë se paraient de jaune, de rose, de bleu pâle et de vert pomme, clignotant à un rythme presque épileptique alors que couleurs et motifs défilaient sur les huit parties différentes de son écran. Elle ne cillait pas, ne bougeait pas, son visage tout à fait inexpressif. Seules ses mains s’agitaient – elles, et le léger tic qui plissait le coin de ses lèvres, juste en-dessous d’une fine cicatrice argentée qui courrait tout le long de sa joue, souvenir de son dernier échec.

Alors que l’écran de signal perdu s’affichait une fois de plus, la jeune femme autorisa son esprit à divaguer du côté du souvenir en question. Elle revoyait le regard paniqué de la jeune recrue débarquant en trombe dans leur repaire, la porte claquant contre le béton avec un fracas qui l’aurait fait sursauter si son attention n’était pas entièrement concentrée sur sa tâche, l’avertissement haché se déversant de ses lèvres alors qu’elle tentait en vain de reprendre son souffle. Zoë avait lentement ôté son casque, avait regardé la gamine sans un mot. De la porte ouverte s’infiltrait doucement les tentacules de la brume qui avait tout recouvert au dehors. À son odeur piquante, il n’était pas difficile de comprendre de quoi il s’agissait. Elle surprit une main sur son bras, perçut le regard inquiet d’un de ses collègues, mais elle ne se tourna pas vers lui. Elle remit son casque, recommença à taper, à un rythme soutenu, mais très calme. Lentement, elle sentait son rythme cardiaque se ralentir, remarquait que les angles de sa vision se brouillaient. Ses mains s’engourdissaient au-dessus du clavier. Il lui semblait qu’elles se détachaient progressivement de son corps, à moins que ce ne soit son esprit seul qui se dissolve dans le gaz. Elle rassembla ses dernières forces pour appuyer sur la toucher entrée. Esquissa un sourire quand les lignes de code virèrent au bleu, juste avant que tout son monde à elle vire au noir.

Elle entendit plus tard qu’elle souriait encore lorsqu’on vint chercher son corps inconscient, malgré la longue estafilade qui ensanglantait son visage et les morceaux de verre plantés dans ses mains, fragments de son écran brisé.

Le signal revint et aussitôt le corps de Zoë se recroquevilla tout autour de l’écran.

Dehors, au milieu du fracas de l’orage, se mêlaient de lointains crépitements. Le tic qui agitait le coin de sa bouche se mua en une esquisse de sourire. Elle commença à fredonner au rythme entraînant de la musique de son jeu. Elle en était arrivée à ce niveau où elle n’avait plus besoin de réfléchir, où un réseau direct reliait ses yeux à ses doigts, où avant même que son cerveau enregistre la présence d’un assaillant les boules roses qui lui servaient de projectile l’avait déjà atteint. Son score augmentait à une cadence très satisfaisante, et la barre d’objectif approchait des quatre-vingt-dix pourcents. La tour dans lequel elle était détenue emplissait maintenant presque la moitié de son écran quand elle tournait son personnage dans la bonne direction.

Après tout, elle n’avait pas eu grand-chose d’autre à faire ces derniers mois que de jouer – et de peaufiner son programme. Le plus long avait été d’attendre que ses comparses encore en liberté parviennent à dérober suffisamment de drones militaires.

Charger des textures à rajouter à leur vue caméra avait été un jeu d’enfant – peut-être parce que la réalité augmentée avait représenté, une décennie plus tôt, la dernière mode en matière de divertissement notamment à l’égard de ces créatures que Zoë désignait mentalement comme des futurs humains. Elle avait trouvé ça tout à fait charmant de transformer les gratte-ciels de la Cité en arbres géants, le macadam en prairie fleurie, et les militaires en petits renards violets. Des poussins de couleurs différentes, une pour chacun des drones, voletaient joyeusement dans ce décor idyllique.

Zoë ne tressaillit même pas lorsque les balles firent exploser en morceaux la fenêtre de sa cellule. Après tout, sur l’un de ses huit écrans, un petit poussin bleu layette venait d’atteindre la colonne de lumière signalant l’objectif. En quelques gestes rapides, elle envoya une dernière salve de boules roses aux assaillants trop proches de l’objectif en question puis, un grand sourire sur le visage, elle appuya sur l’icône « terminer la partie ». Les poussins disparurent au profit d’une espèce de vache toute ronde dotée de deux minuscules ailes disproportionnées. À sa cheville, le bracelet de surveillance se désactiva avec un sifflement déçu.

L’hackeuse déplia sa silhouette et, sa tablette toujours à la main, le verre brisé crissant sous ses pieds, se dirigea d’un pas nonchalant vers l’ouverture béante. Un instant, elle tendit sa main libre au dehors, savourant les piques de la pluie sur sa peau nue. Les rafales de vent lui giflaient le visage, envoyant valser sa tresse dans son dos et constellant ses lunettes d’une myriade de gouttes d’eau. En face de la fenêtre, ses deux phares comme plongés dans ses yeux, s’immobilisa lentement un croiseur citadin. Le vrombissement de ses deux moteurs éclipsait presque celui, plus aigu, du drone militaire qui faisait du sur-place à ses côtés.

Zoë enjamba l’appui de fenêtre, ignorant les fragments de verre lui entaillant la paume – ce ne serait que quelques cicatrices de plus – et se glissa par la portière ouverte du croiseur. Le siège était déjà trempé, mais elle n’y prêta pas garde. Alors qu’elle mettait en route le pilote automatique, une partie de son attention revenait déjà à sa tablette. D’une pression du pouce, elle relança une partie.

Un éclair illumina sa cellule, toute récemment désertée, et pendant un instant elle pensa que sa tranquillité lui manquerait un peu. Mais ils avaient besoin d’elle, au-dehors, et ses talents ne pouvaient pas briller à leur juste valeur avec une simple tablette comme seul intermédiaire.

Le grondement du tonnerre se mêlait à celui du croiseur, au martèlement de la pluie et à la petite musique pop. La carlingue gémissait alors qu’elle encaissait les tirs ennemis, et lui répondait le crachotement ininterrompu des mitraillettes de drones, venus se placer en formation autour de celle qui les guidait. Dans un bref instant de répit au milieu de l’orage, comme une respiration de ce ciel cataclysmique, Zoë entendit le cri de l’homme qu’elle venait d’abattre. Elle grimaça.

Elle préférait les renards violets – eux, ils ne faisaient pas de bruit.

 

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Liné
Posté le 31/10/2020
Coucou Rim' !

T'ai-je déjà dit que ta plume ne faisait que s'améliorer ? En tout cas j'ai l'impression que cet atelier d'écriture (ou autre chose ?) te fait gagner en aisance ! Tu a toujours eu une très belle écriture, et je trouve qu'elle s'affine avec le temps ;-)

Sur cette nouvelle, je suis pas sûre d'avoir distingué ce qui relevait du réel ou d'un jeu vidéo - à moins que la confusion soit volontaire ?

Et par pure curiosité, c'était quoi, exactement, la consigne de cet atelier ? S'inspirer des styles de musique et des titres issus d'une playlist ?
Rimeko
Posté le 31/10/2020
Coucou Liné ! Ravie de te revoir par ici <3
Eh, non, je crois pas, mais ça me fait très plaisir ! L'atelier me pousse à écrire plus qu'à ma première année à l'université, ça c'est sûr, et surtout à tester des trucs, sans pression, à partir dans des directions nouvelles... j'ai en tous cas l'impression que ça m'aide à trouver ce que j'aime écrire, donc ça se ressent peut-être ?
La confusion est volontaire, oui et non, parce qu'en fait Zoë contrôle à distance les drones qui viennent la libérer, sauf qu'au lieu d'avoir un simulateur "réaliste" comme on peut en voir dans certains films (et comme il doit en exister dans l'armée), elle a transformé la vision des caméras des drones en un mode de jeu vidéo très "kawai", parce qu'elle aime pas le sang, voilà voilà xD
La consigne, c'était vraiment juste d'écrire avec en fond une playlist élaborée par un autre membre, c'était un de nos ateliers "chill", sans vraiment de contrainte xD Une des premières chansons que j'ai eu c'était "Psycho", très pop / électro, ça m'a inspirée, mais c'était presque un hasard !
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