FIN/ Des ennemis naturels

Notes de l’auteur : LA FIN !

C'était un long voyage. Pour moi... et j'espère pas trop pour vous.

J'espère que ça vous a plu.

Perdus dans un château délabré, lui-même perdu au milieu d’une comtée pauvre et ignorée, deux personnes se tenaient en face-à-face au milieu d’une pièce froide, aux murs de pierres fissurées, avec la faible lumière du jour se faufilant par une meurtière. Sur deux chaises en bois pourries séparées par une table couverte de quelques documents, les deux personnes se fixaient sans rien dire, chacune préparant son discours, anticipant les réponses de l’autre.

La princesse Adélaïde Arris se racla la gorge et débuta d’une voix claire : 

— Bien le bonjour, Inquisiteur. Je suis navrée si je vous ai fait attendre. J’ai eu de nombreux problèmes à régler ces derniers temps. 

Avec ses cheveux attachées dans une tresse, son regard fatigué mais intense et son visage concentré et barré d’une cicatrice blanchâtre, l’Elfe ne put s’empêcher de penser qu’elle ne ressemblait pas à un princesse typique. Il sourit poliment :

— Je vous en prie, Princesse. J’ai conscience que ce n’est pas facile pour vous. Je vois que vous êtes venue seule et que vous aviez congédié mes gardes. Dois-je attendre une discussion difficile ? 

Elarwin n’était plus le même. Son uniforme d’Inquisiteur était en haillons, sa peau autrefois brillante était couverte d’une couche de crasse, ses mains menottées étaient calleuses et sales, sa silhouette bien plus maigre qu’elle ne l’avait jamais été. Son visage était amoché par une constellation de cicatrices, et il savait bien que rien dans ce monde ne pourra lui rendre son harmonieux visage d’antan. Adélaïde en était aussi consciente : 

— Je suis navrée du… traitement que mes soldats ont eu à votre encontre. J’ai essayé de les en empêcher...

— Et vous aviez magnifiquement réussi. Certes, certains viennent encore me tabasser la nuit tombée, mais aucun n’a cherché à m’étrangler dans mon sommeil.

— Aviez-vous vu le visage des responsables ? Je m’assurerai qu’ils soient punis.

— Vous savez bien que vous ne pouvez pas faire ça. Je pense que beaucoup de rumeurs se sont multipliées sur le fait que vous me protégiez autant. Et puis, ponctua-t-il avec un léger rire, dites-vous que moi non plus je n’ai pas été très bon pour vous protéger quand nos rôles étaient inversés.

Adélaïde se pencha légèrement en avant, un éclat dans les yeux.

— Sans vous je serai morte. Je ne l’oublierai jamais.

Puis la princesse parcourut ses documents, relisant à toute vitesse, tandis qu’Elarwin la regardait en silence. 

— Dîtes-moi Princesse, où sommes-nous ?

— Dans un château d’un de mes cousins. Il a été pillé il y a déjà quelque semaines après que mon cousin eût fuit la guerre. Excusez l’état déplorable des lieux, mais c’est un repère très correct pour mon armée.

— Qu’est-il arrivé au fort elfe ?

— Il a été ravagé. Tous les elfes ont été massacrés avant que je puisse faire quoi que ce soit. Je suis désolée. 

Elarwin perdit son sourire. Adélaïde n’osa rien ajouter.

Après quelques instants, l’Elfe hocha les épaules : 

— Mes félicitations à votre armée, Princesse.

— Ce n’était pas uniquement mes soldats, mais aussi ceux de ma sœur Alwenn. Les deux armées avaient fusionné peu de temps après ma reddition. 

— Votre projet de submerger la région…

— Est en train de se dérouler. Pendant mon absence, ma sœur, mon frère et le chevalier Miland ont tout organisé pour cette opération de grande envergure. Moi, je n’étais qu’une gêne.

— L’êtes-vous toujours ?

— J’essaie de l’être. » Adélaïde soupira. « La situation est en notre faveur. Les Elfes fuient massivement la région. Le Conseil semble complètement nous ignorer. Les batailles sont plus rares, les victimes aussi. J’essaie de faire balader mon armée, de couvrir le plus de terrain possible en évitant les zones dangereuses.

— Plus vous marchez sans combattre, plus vos soldats se sentiront en sécurité, plus ils se lasseront et auront envie d’arrêter les combats, n’est-ce-pas ?

— Je l’espère. Mon frère et ma sœur sont ravis : eux obtiennent des victoires faciles et récoltent la gloire. Avec mon inactivité, je suis de plus en plus illégitime pour la succession au trône. Peut-être ne tenteront-ils rien à mon égard.

— Ou alors ils préfèreront s’entretuer et vous aurez le champ libre pour réunir tous les humains sous une même bannière plus pacifique et encline à discuter avec le Conseil, n’est-ce pas ?

Adélaïde sourit faiblement. Ce n’était pas un sourire narquois de ceux qui pensent leur victoire acquise, mais le sourire de ceux qui sont trop habitués aux imprévus sanglants. Elarwin avait le même sourire désabusé. 

Puis Elarwin se rappela de la raison principale du pessimisme de la princesse :

— Dîtes-moi, qu’est-il arrivé au chevalier Miland et à l’officier Orland ? Ont-ils avoué leurs torts ?

— Je vois… que vous avez toujours la désagréable manie de poser les questions qui fâchent.

— Les réflexes du métier.

— Après que nous avions été capturés par les soldats humains, nous avions été emmenés jusqu’au cœur de mon armée. J’ai pu sur le chemin leur donner de nombreux détails que seule la princesse pouvait connaitre. Votre simulacre d’agression à mon égard les avait convaincus de m’écouter plus attentivement, et lorsque sur place certains soldats m’ont reconnue malgré mes blessures j’ai pu enfin les convaincre un à un. Par chance, Miland était parti guerroyer au fort, sûrement pour s’assurer de ma mort. J’ai pu confronter l’officier Orland seul. J’avais pris soin d’être accompagnée par un grand nombre de soldats convaincus de mon identité. Orland ne pouvait rien faire d’autre que de me laisser prendre les commandes de l’armée qui me revient naturellement de droit.

— Ne l’avez-vous pas puni ?

— Orland reste un officier qui m’a aidé en de nombreuses occasions. Sans lui je ne serais pas là. Il est venu se repentir quelques jours plus tard : ma sœur Alwenn et Miland l’auraient menacé.

— Vous le croyez ?

— Pour l’instant, il m’est loyal… et je le surveille de près. Quant à Miland, lorqu’il est revenu de bataille j’avais complètement repris le contrôle de mon armée. Il n’avait plus le choix.

Adélaïde perdit son sourire, et son regard se fit plus dur.

— Il s’est comporté comme s’il était ravi de mon retour, faisant fi de retenir des larmes de joie. Je l’ai rassuré. Nous avions plus tard raconté la même histoire à tous mes soldats : en patrouille pour rejoindre l’armée de ma sœur j’ai été capturée et emmenée dans le bastion en me faisant passer pour une simple gueuse. Miland et Orland ont tenu de garder le secret de mon enlèvement, prétendant que j’avais rejoint le quartier général de l’armée de ma sœur pour ne pas répandre la panique.

— Et les soldats vont ont cru ?

— Bien sûr, ils ont soupçonné qu’il y avait anguille sous roche. Le départ du chevalier Miland le lendemain pour rejoindre définitivement l’armée de ma sœur les a confortés dans leurs doutes.

— Pourquoi ne pas avoir dévoilé la vérité ? De mon point de vue, vous êtes une victime innocente dans cette histoire.

— Et admettre que ma propre sœur a cherché à se débarasser de moi ? Et que Miland et Orland sont des traitres ? Non. Pour éviter cela j’ai dû employer une stratégie très risquée : répandre la rumeur qu’un espion dans notre camp a dévoilé ma position et que les Elfes en ont profité pour me capturer. Ce ne sont que des rumeurs sans aucun fondement, propagées avec un grand soin, sans ne donner aucun nom. Cela a quand même occupé leur esprit.

— Plutôt que de vous questionner vous ou votre sœur, vos soldats sont trop occupés à se méfier de ceux qui les entourent. L’espion sans visage peut-être n’importe qui. Une diversion risquée en effet. Cependant, je suppose que le départ précipité de Miland n’a pas arrangé son image. 

Adélaïde se crispa légèrement. Toujours aussi vif, cet Inquisiteur.

En effet, le départ de Miland avait fait de lui le principal suspect. On est jamais autant coupable que quand on cherche à fuir et quand on avait quelque chose d’inavouable à cacher. 

La rumeur était tellement forte qu’elle s’était répandue à la fois dans l’armée d’Adélaïde et celle d’Alwenn, comme un virus pourrissant un corps. Même sous les proches ordres d’Alwenn, Miland faisait face à la méfiance générale. Avoir un tel homme sous son commandement n’a pas du faire plaisir à Alwenn. 

Miland a disparu dans la nuit, laissant un message d’excuse derrière lui, dans une écriture qui n’était pas la sienne. Sans prendre ses affaires. 

Adélaïde se demanda : si elle expliquait à l’Inquisiteur qu’elle n’avait pas voulu se venger de Miland, le croirait-il ? Probablement pas. 

Il vaut mieux changer de sujet.

— Vous devez vous demander pourquoi je viens vous voir maintenant ?

— Je ne peux pas dire que je ne suis pas curieux.

— Les Résistants font de plus en plus de prisonniers Elfes. Nul doute que cela motivera le Conseil a engager des négociations. Cela nous permettera de discuter de la fin de cette guerre insensée.

— Vos frères et sœurs seront-ils d’accord ?

— S’ils héritent du trône, oui. Je les laisse discuter entre eux pour savoir qui exactement.  

Adélaïde sourit tristement. 

— Ça ne sera pas facile. Je pense que la Melcénie ne pourra jamais récupérer ses frontières d’antan. Et le Conseil exigera sûrement des indémnités de guerre.

— C’est là que tous les prisonniers Elfes comme moi-même entreront en jeu ?

— C’est le plan, oui. Je vous mentirai si je vous disais que tout se passera bien. Je ne sais même pas quand le Conseil se décidera à parlementer. 

Adélaïde s’avança, posant son menton sur ses doigts entrecroisés. 

— Je suis venue pour vous demander d’attendre encore un peu. Je vous assure que votre situation ne pourra que s’améliorer à partir de maintenant, Inquisiteur.

— Je ne mérite plus ce titre, répliqua-t-il avec un sourire narquois. Appelez-moi Elarwin plutôt.

Adélaïde hocha la tête. Un silence pensif en découla. Elarwin ouvra la bouche, puis la referma, en posant sur la princesse un regard interrogateur et hésitant. Il faillit lâcher une plaisanterie acerbe mais il se retint. Adélaïde irradiait une présence pesante, ferme sans être hostile, qui le poussait sans cesse à bien choisir ses mots. Une princesse, en effet.

— Dîtes-moi Princesse, que pensez-vous de votre reddition dorénavant ?

— Que voulez-vous dire ?

— Regrettez-vous votre décision ? Ou au contraire…

— Je vois. » Adélaïde prit une longue inspiration. « D’un point de vue stratégique, c’était misérable. Mon acte ne pouvait que désespérer mes soldats ou les pousser à des représailles sanglantes. C’était aussi naïf de ma part de penser que je pourrais parlementer avec le Conseil Elfique directement, à partir d’un simple bastion abandonné ! Je n’ai comme… excuse mon désespoir et le fait que le chevalier Miland… enfin, sans m’avoir directement convaincue, m’a mise sur cette voie.

— Vous l’aimiez ? Excusez ma question, c’était inaproprié de ma part, s’excusa Elarwin en la voyant se cripser.

— J’avais un grand respect et une immense affection pour lui. De l’amour ? » Adélaïde hésita. « Je ne sais pas, Elarwin.

— Donc... regrettez-vous votre acte ?

— Ma reddition a tout de même eu un impact décisif : cela m’a permis de découvrir les traitres, de me réorganiser entièrement, de constater l’état déplorable de l’armée Elfe et de récupérer…

— Moi ?

— Entre autre.

Adélaïde sourit encore un peu, puis son regard changea. Il se fit plus intense, semblant perçer Elarwin de part en part. Celui-ci le ressentit bien, et lui adressa son sourire le plus mielleux et le plus imperturbable.

Adélaïde relut une dernière fois ses documents, Elarwin se prépara mentalement : il s’attendait depuis longtemps à ce qui allait arriver.

La Princesse se racla la gorge, et énonça d’une voix autoritaire. 

— Inquisiteur Elarwin, je vais maintenant vous poser différentes questions sur le commandement Elfe, le Conseil, l’état des armées, de l’administration et des communications de votre pays, ennemi du mien en cette heure. Je veux apprendre tout ce qui est susceptible d’aider mon peuple.

— N’oubliez pas que je reste un Elfe. Pensez-vous que je vais facilement tout vous dévoiler ?

— Bien sûr que non, répliqua Adélaïde en tapotant sa cicatrice au visage. Mais j’ai appris avec le meilleur.

— J’espère bien. 

Et l’interrogatoire débuta.

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Zosma
Posté le 30/03/2021
Oh nooooon c'est la fin !

Mais une jolie fin. J'ai beaucoup apprécié cette petite histoire et je trouve qu'elle a vraiment du potentiel dans son concept et dans ce qu'elle raconte.

Pour la fin, j'ai trouvé les moments d'actions très bien maitrisés, j'étais à fond dedans. Et cette inversion des rôles à la fin, c'est malin ! Ca nous permet de voir à travers cette dernière conversation que les personnages ont évolué de façon logique tout au long de l'histoire et que leur relation est devenue une forme de respect mutuel.

Bref, une bonne petite surprise et d'un point de vue global j'ai vraiment préféré le début et la fin, le milieu péché un petit peu mais je saurais pas te dire pourquoi et c'est juste mon ressenti, même si ça restait très bien, je pinaille juste x)

De mon côté je vais aller voir les autres histoires que tu as écris !
Le Saltimbanque
Posté le 30/03/2021
Content que ça t'a plu !

Eeeeeet oui, c'est la fin du récit d'Elarwin et d'Adélaïde. Même si j'ai adoré écrire cette histoire (ma plus longue à ce jour...), je ne vois pas vraiment comment continuer. Comme le dit Adélaïde, j'ai l'impression que tout va mieux aller pour eux à partir de maintenant. Je vois mal comment je pourrais renouveler "l'intensité" de l'interrogatoire et du bastion assiégé.

À la limite, continuer le récit de cette guerre à travers d'autres personnages. Peut-être Alwenn, ou Miland... leur fourberie me parle bien...

Peut-être que le milieu était un peu faible parce qu'il était surtout consacré à préparer le climax et que j'hésitais encore entre rester dans le cachot ou étendre la portée de l'histoire. J'ai décidé dès le chapitre 3 qu'ils s'enfuiront (en ajoutant l'élément du chemin caché), mais pour trouver une stratégie d'évasion plausible c'était DUR.

Merci immensément d'avoir lu l'histoire jusqu'au bout et d'avoir commenté. J'espère que mes autres histoires te plairont !
Zosma
Posté le 31/03/2021
Oui, l'histoire est à la bonne taille et je vois pas non plus ce que tu pourrais rajouter d'autres, ça laisse une fin ouverte c'est bien :D

C'est une bonne idée également de partir sur d'autres personnages vu que tu as construit un monde assez intriguant et ça nous permettrait d'en savoir plus

J'imagine que c'est pas évident x) Mais cette tentative d'évasion était bien pensé de ta part, ça m'a pas parut loufoque et sorti de nul part

Bonne continuation à toi !
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