Fauteuil et canapé

Par Dédé
 

— Je n'ai peut-être plus aucun souvenir mais je sais ce que je dis.

— Permets-moi d'en douter !

— Je ne vous permets rien ! Rien ne me prouve que vous êtes mon mari, après tout...

— On va encore aller sur ce terrain-là ?

— C'est vous qui venez me parler à chaque fois que l'on se croise dans la rue. Si la discussion ne vous plaît pas, libre à vous de vous en aller ! Je ne vous retiens pas.

— C'est pas faux...

— Donc, vous allez partir ?

— Non, je vais apprécier chacune de nos petites conversations.

— Quel dommage...

— Je vais faire comme si je n'avais rien entendu.

— Doublement dommage...

— Vraiment, je suis comme sourd aujourd'hui.

— Triplement dommage...

— Et si on arrêtait de discuter ? Cette discussion est sur le point de me filer la migraine...

— Vous aussi, vous avez des migraines ?

— Pas vraiment. C'est surtout que cette discussion ne nous sert à rien.

— C'est ce que je vous ai dit au moins cent fois !

— Quatre-vingt-dix-huit fois depuis ta perte de mémoire, pour être exact.

— Votre obsession du détail est énervante. Tout chez vous est énervant, de toute manière.

— J'aime toujours autant les compliments, tu sais.

— Quelle heure est-il ?

— On va parler de la pluie et du beau temps maintenant ?

— Non, je demande juste l'heure. Je me fiche de la météo. Quelle heure est-il ?

— Treize heures quarante-deux minutes et trente trois secondes.

— J'en demandais pas tant.

— Pourquoi tu voulais savoir l'heure ?

— Ça ne vous regarde pas.

— Ah...

— Bon, d'accord. J'ai rendez-vous chez ma psy en début d'après-midi.

— A quelle heure exactement ?

— Ça ne vous regarde pas, voyons !

— Tu seras assise sur un fauteuil ou sur un canapé ?

— Hein ?

— Euh... J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?

— En tant qu'amnésique, je suis douée pour poser des questions idiotes mais celle-ci vient de remporter la palme d'or !

— J'ai entendu dire que les psychologues recevant leurs patients sur des fauteuils étaient meilleurs que les autres.

— Ah...

— Personnellement, je trouve ma question extrêmement pertinente.

— Pourquoi pas.

— Alors, fauteuil ou canapé ?

— Figurez-vous que je n'ai pas demandé lorsque j'ai pris rendez-vous.

— Grave erreur, si je puis me permettre.

— Je ne vous permets pas !

— Je me permets quand même, c'est plus fort que moi...

— D'ailleurs, quelle est la différence entre un canapé et un fauteuil pour un psy ?

— C'est une devinette ?

— Du tout. Mon nom est une assez grande devinette comme ça, je m'en contente largement.

— Je pourrais te dire ton nom mais tu refuses que je te le révèle...

— Je veux des preuves et sans vouloir vous vexer, je n'ai aucune confiance en vous.

— Arf...

— Donc, quelle différence faites-vous entre un fauteuil de psy et un canapé de psy ?

— C'est toujours pas une devinette ?

— Toujours pas.

— Et tu as confiance en ce que je vais te répondre ?

— A voir...

— D'accord.

— Alors ? Vous allez me le dire ?

— Oui, oui... Sache que le fauteuil est connu pour étouffer quiconque s'y assoit, et le psy le sait très bien. C'est pour ça qu'il fait paniquer ses patients de la sorte pour qu'ils se confient plus facilement. Et plus les patients se confient, plus riche devient le psy.

— Intéressant... Et le canapé, c'est mieux ?

— Avec un canapé, le patient est tellement à l'aise qu'il s'endort aussitôt. Le psy s'en réjouit dans un premier temps mais se lasse de gagner de l'argent en se roulant littéralement les pouces pendant les siestes de ses patients.

— C'est pas si terrible, le canapé.

— Parce que je n'ai pas fini...

— Ah...

— Le psy à canapé ne doit pas s'endormir durant tout ce temps-là ou bien se réveiller avant son patient. Car, dans tous les cas, si le patient s'aperçoit de la sieste du psy, ce dernier ne sera pas payé pour un sou.

— Que c'est fâcheux...

— Le psy à canapé devient encore plus désespéré quand ce sont des patients bavant dans leur sommeil qui consultent ! La salive va s'incruster sévèrement sur le canapé, au grand désespoir du psy... La faute à tous ces médicaments qui peuvent rendre la salive aussi mousseuse qu'une crème fouettée.

— Je ne mangerais plus jamais de crème fouettée...

— Pourquoi ça ?

— Je... Je ne veux pas continuer de parler de ça avec vous.

— Avec ce que je t'ai dit, tu es donc plutôt fauteuil ou canapé ?

— Je suis obligée de répondre ?

— Pas vraiment, mais je pense que c'est bien si tu as une idée sur la question avant d'aller à ton rendez-vous.

— Je dois y aller, d'ailleurs !

— N'oublie pas, fauteuil ou canapé ?

— Je ne veux plus jamais vous revoir. Vous me faites peur à chaque fois.

— Ah.

— Oui ! Adieu, donc.

— N'oublie pas ce que je t'ai dit, je ne veux que ton bien, tu sais.

— Je m'en fiche ! Je me fiche de vos fauteuils ou de vos canapés ! Je vais rester par terre ou debout, voilà !

 

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Cliene
Posté le 24/02/2018
— Très bonne trouvaille cette différence entre le psy fauteuil et le psy canapé ! C'est original. Je ne pensais pas avant de lire ces trois chapitres qu'il était possible de ne faire qu'un texte avec des dialogues. Il y a le théâtre bien sûr mais les didascalies ne sont jamais loin et donne des indications sur le décor... Là, elles sont inserées dans le dialogue avec parcimonie et permettent la visualisation de la scène...
—   T'as fini ?
—   Non ! Finalement en y réfléchissant, on finit par partager les doutes de l'héroïne amnésique. Et si son prétendu mari n'était vraiment que prétendu ? Le fonctionnaire avait raison de l'inciter à se méfier... C'est intéressant de voir que l'histoire peut partir dans plusieurs directions. Je me demande quelle va être la suite...
—   Tu devrais te le demander en écrivant...
—   Ou en t'étranglant nan ?!
Dédé
Posté le 24/02/2018
Je suis vraiment heureux de voir que tu arrives à t'immerger dans les dialogues et que "cela te suffit" (dans le sens où tu y trouves ton compte et que la narration ne te manque pas cruellement).
Je pense que tu t'en doutes mais la paranoïa quant au bien fondé des dires du prétendu mari est voulue ! J'adore quand le lecteur fait des hypothèses et que j'arrive à le faire réfléchir comme tu le fais. 
Sans doute vais-je attendre la fin du PaCNo pour mettre la suite ! L'histoire est écrite intégralement, je la re-publie par vagues de 3 chapitres. Je vais voir quand je mets la suite, ça va demander réflexion...
Dans tous les cas, merci encore pour tous ces retours ! Je ne m'y attendais pas et c'est ce qui rend la chose encore plus belle. Merci, merci, merci ! 
PS : un petit conseil, si jamais tu veux la suite... évite de t'étrangler ! xD 
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