Fast car - Tracy Chapman

Par Pouiny
Notes de l’auteur : https://youtu.be/JpscHOoGIqQ

Je n’ai honnêtement plus aucune idée de l’âge que je pouvais avoir. Nous étions en voiture, j’étais seul sur la banquette arrière. Le véhicule défilait, alternant entre autoroute et nationale. Nous partions quelque part, je ne sais plus où. Sûrement en vacances, mais je ne me rappelle plus la destination. Tout ce dont je me souviens de ce trajet, de cet instant, était la vitesse de la voiture, mon père au volant, ma mère qui regardait négligemment les nombreuses pochettes de CD de la boite à gant. Nous étions habitués à faire de longues heures de route, ainsi nous en avions tout un stock, dans différents styles. Et sur ce trajet-là, alors que l’humidité du temps entrait dans l’habitacle par la ventilation et que les gouttes de pluie rebondissaient sur la vitre, tout près de mes yeux, ma mère s’était décidée pour cette Musique Capsule : Fast Car de Tracy Chapman.

Elle avait hésité entre elle et Bob Dylan. Peut-être que le chanteur avait suivi, dans ce même trajet, quelques instants plus tard. Elle m’avait dit : « Elle a de très beaux textes. » Ainsi que : « J’aime l’écouter les jours de pluie. » Et la voix chaude et grave de Tracy Chapman, résonnant dans les enceintes grésillantes, l’avait fait taire.

Je n’avais pas compris pourquoi ma mère m’avait parlé du sens des paroles. Chantant en anglais avec un léger accent, je n’étais clairement pas en âge de saisir ce qu’elle pouvait dire. J’attrapais quelques mots, au vol. Fast Car. Driving. Be someone. J'arrivais à entendre qu’il était question d’une voiture et de l'envie de s'échapper, de rouler vite, de devenir libre, je me créais et imaginais ma propre histoire en regardant la route s'enfuir sur du goudron trempé depuis l'intérieur du véhicule de mon père. La guitare douce et tranquille avait du mal à passer au-dessus du bruit de l’eau sur le pare-brise et du ronronnement du moteur. Tout comme le son de la voiture, la rythmique se suivait et se répétait, identique à elle-même. Le sentiment qui vibrait dans les enceintes fut alors unique en son genre. Une profonde sérénité s'imposa à ce voyage, marquant son souvenir d'une trace qui ne se délave pas.

Je compris à cet instant la remarque de ma mère : l’odeur de la pluie emplissait les notes de la guitare de Tracy Chapman. C’était la première fois que je l’entendais, ce jour-là, et je ne l’ai jamais écoutée sous le soleil depuis lors. Sa voix d’un grave profond a accompagné nombre de jours pluvieux, sans relâche, pendant des années. À l'abri entre les murs de ma chambre ou entre les portes d'une voiture chauffée et lancée à vive allure, la chaleur de son timbre s'échappait jusqu'à atteindre les nuages d'orage. 

J’étais heureux de découvrir, bien plus tard, qu’elle avait une chanson et même un album entier au nom de « Let it rain ». C’est comme si, d’une certaine manière, la chanteuse nous donnait raison. En grandissant, chaque jour de pluie, je réécoutais cette chanson et simplement à l'écoute, je commençais à comprendre de plus en plus le texte, l'histoire et sa désillusion. Elle explique avec amertume que, malgré la vitesse nous conduisant follement vers un ailleurs rêvé et idéal, il est impossible de se soustraire à ce qui nous constitue. Et quand j'appréhendais la tristesse de cette histoire suivant l'impuissance d'une femme qui avait toujours espéré mieux, je me rappelai avec vivacité cette première écoute, perdu sur la route, à en entendre ce qui était, peut-être, en dépit de tout, le plus important. Be someone. Cette musique n'a pas besoin de ses paroles pour être comprise, ses mots sont superflus pour recevoir de plein fouet tout le message qu'elle contient. Car toute l'émotion se transmet déjà avec la voix grave et vibrante de Tracy Chapman, l'accompagnement doux et stable à la guitare et la basse de soutien invisible.

C’est le genre de chansons et le genre de souvenir qui ont plus de puissance en demeurant dans le brouillard. Comme si l’humidité de la pluie leur avait donné leur forme par l’érosion. Ainsi, la tendre mélancolie de Fast Car est tout ce qu’il me reste de ce voyage de vacances : mais c'était sûrement ce qui était le plus important à retenir.

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Ewen
Posté le 23/05/2021
Tu m'as donné envie de réécouter Talking 'Bout A Revolution, et queeeel plaisir. Les frissoooons, ça faisait si longtemps !
Sinon, je croyais jusqu'alors que Tracy Chapman était un mec 😮 je ne connaissais que sa voix et la jaquette de son premier album, donc... 😅

Coup de coeur pour ce passage : "C’est le genre de chansons et le genre de souvenir qui ont plus de puissance en restant flous. Comme si l’humidité de la pluie leur avait donné leur forme par l’érosion."
Pouiny
Posté le 24/05/2021
hahah xD C'est vrai qu'elle a une voix très grave et son style aussi fait que ça peut porter à confusion, mais non c'est bien une femme x)

Merci beaucoup ! :D moi aussi, ça faisait longtemps, puis un jour il pleuvait, je l'ai remise, je me suis dit qu'il fallait absolument que j'en parle x')
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