Face à face

Par Sebours

La trêve séculaire ne peut être rompue sous peine de voir l’ensemble des bannières se liguer contre le peuple contrevenant. C’est ainsi que Nunn a créé les guerres lemniscates. À la fin de chaque conflit, une paix de cent ans doit être respectée. Seules sont tolérées les escarmouches frontalières des orcs pour leur portée religieuse. Ces raids sont acceptés parce qu’ils ont vocation à procurer des esclaves pour les sacrifices religieux en l’honneur Abath-Khal. L’ordre des vénérateurs de la guerre étant fortement implanté sur la totalité du bouclier-monde, aucun royaume n’ose s’opposer à cette pratique par peur de générer des dissensions internes dans sa propre société. De plus, l’Orcania produisant peu de richesses par elle-même, elle constitue un marché économique très attractif. Les autres nations ne sont pas prêtes à sacrifier des substantiels profits pour de simples conflits frontaliers anecdotiques. Des limites claires existent cependant. Les rapts doivent être raisonnables, aucune conquête territoriale ne doit être réalisée et les autres cultes doivent être respectés. Ainsi, les raids orcs s’apparentent plus à du brigandage à grande échelle qu’à des opérations militaires structurées.

« De la difficile interprétation de la trêve séculaire »

Traité sur les sociétés du bouclier-monde

du maître architecte Vinci

« Qui toi es ? Pourquoi toi rentrer dans le tumulus sacré Télésphore ? »

Face à ces questions hurlées dans un elfique approximatif, Gal se terrait dans le silence. C’était sa meilleure défense. Gagner du temps était à présent son obsession. Chaque minute le rapprochait d’une potentielle libération par ses lieutenants, Vlad et Borg. Alors il attendait en tentant de contrôler sa rage. Il acceptait de se retrouver au milieu de la clairière, à genoux, les mains nouées dans le dos, quatre lourdes cordes attachées à son cou et chacune tenue fermement par un soldat satyre. Selon les préceptes des servants dragons et des vénérateurs de la guerre, jamais un orc ne devait accepter une telle humiliation. Mais Gal savait que la déchéance de l’Orcania trouvait son origine dans cette philosophie rétrograde. L’oniromancien savait que la résilience constituait aussi une qualité primordiale pour un guerrier. Le héros n'est pas celui qui se précipite dans une belle mort ; c'est celui qui se compose une belle vie. Pourtant, il n’était pas facile de courber l’échine. Il se répétait dans son for intérieur le précepte qui guidait son attitude. Pour rester debout, le roseau pliait sous le vent.

« Réponds Orc ! »

Exaspéré par le mutisme du géniteur royal, son interrogateur le gifla. Le colonel pourpre refusa de relever les yeux pour ne pas être tenté de répliquer. Le soldat lui envoya un coup de sabot dans le ventre.

« Toi moins faire malin devant prince Hector ! Dryades venir emmener toi bientôt ! Ha ! Ha ! Ha ! »

Sur ce le garde lui cracha au visage. Gal ne put retenir un grognement mais conserva sa posture soumise tout en se jurant d’arracher en temps venu le cœur de cet insignifiant avorton. Peu à peu, ses conditions de détentions commencèrent à l’affaiblir. Il avait faim. Il avait soif. Il avait chaud sous ce soleil de plomb. Il grelottait dans la nuit glaciale. Les plaies de ses cuisses s’infectaient et purulaient. Dix jours plus tard, une cavalière montée sur un hippogriffe atterrit. Gal leva la tête et ne perçut qu’une silhouette avant que son menton ne retombe sur sa poitrine. La nouvelle venue tira ses cheveux pour pouvoir planter ses yeux dans les siens.

« Si ! C’est bien toi ! Tu me reconnais ordure ! Tu te souviens de moi ? Réponds ! Je sais que tu parles l’elfique !»

Gal ne comprenait pas. Cette dryade semblait le connaître. Comment était-ce possible ? Le colonel pourpre n’avait aucune pitié sur un champ de bataille. Lui et ses soldats exterminaient tous leurs adversaires. Et s’il faisait des prisonniers, ceux-ci mourraient en esclaves dans les mines des Marteaux d’Airain. La mystérieuse cavalière donna des directives aux gardes.

« Emmenez-le dans ce cabanon et attachez-le solidement ! Je veux m’entretenir seul avec ce chien ! Nous enverrons un message quand j’en saurais plus ! »

Les vigiles déplacèrent l’oniromancien sans aucun ménagement en tirant vigoureusement sur ses liens. Gal refusa de s’abaisser à l’attitude des faibles qui ne luttaient qu’en se laissant traîner dans la poussière. Péniblement, il se leva et suivi ses tortionnaires en boitant. Après cette longue période agenouillé, les satyres semblaient avoir perdu la notion de la créature imposante qu’était le géniteur royal. En se redressant ainsi, le guerrier rouge lu à nouveau la crainte dans leurs regards. Il poussa un grognement en direction du garde à sa droite. Celui-ci effectua deux pas de recul et les trois autres s’affolèrent. Ils tirèrent de toute leur force sur les cordes sans parvenir à bouger la montagne de muscle qu’était le chef de guerre d’Udgog. La quarantaine de satyres présents l’encercla en le menaçant de leurs lances à double croissant. Les membres du peuple des forêts le craignaient au plus haut point ! Mais ces pleutres le voulaient vivant. Avec un sourire de dédain, le colonel pourpre poursuivit son chemin vers le cabanon désigné par l’inconnue.

« Rrrr ! Je ne vais pas ouvrir cette porte tout seul ! Rrrr ! J’ai les mains attachées dans le dos je vous rappelle ! »

« Ouvrez-moi cette porte ! Je vous garantis qu’il ne va pas fanfaronner longtemps ! »

Pourtant, Gal comptait bien fanfaronner jusqu’à plus soif. Il espérait fanfaronner jusqu’à l’arrivée de Vlad et Borg. On l’attacha à une chaise de bois au milieu de la pièce et on le laissa seul avec la dryade. Elle sortit un petit cylindre métallique de sa poche. D’un coup, comme par magie, un fouet liquide apparut à l’extrémité du tube. La petite femelle lui lacéra la joue.

« J’ai tellement rêvé de ce moment ! Tu vas payer pour tout ce que tu nous as fait endurer à moi et à ma princesse ! »

La dryade commença à le cravacher frénétiquement. Elle portait chaque coup avec une précision chirurgicale pour infliger un maximum de douleur. Elle s’acharna ainsi pendant dix bonnes minutes, jusqu’à perdre haleine. Gal ne broncha pas. Les différents rites initiatiques de la culture orc l’avait suffisamment endurci pour supporter l’accès de colère d’une insignifiante femelle qui frappa comme une petite pucelle. A bout de souffle, l’inconnue interpella à nouveau son prisonnier.

« Regarde-moi ! Tu te souviens de moi maintenant ! Iphigénie ! A Neptnas ! Les vierges de Génoas-Khal que tu as enlevé ! La traversée jusqu’à l’île d’Abath-Khal, au bout du monde ! Tu vois, on s’en est sorti ! On est parvenu à s’évader ! Et maintenant, tu vas payer ! Tu vas payer pour tout ce que tu nous as fait subir ! »

C’était une des dryades qu’il avait ramenées au maître après avoir vu ses ordres en rêve ! Maintenant il la reconnaissait. Comment avaient-elles survécu ? La petite fouine plongea sa main dans un sac et lui jeta une poignée de poudre sur le corps. Qu’était-ce ? Ses plaies brûlaient ! Du sel ! Cette catin l’aspergeait de sel ! Gal sera les dents pour ne pas crier. Il ne voulait pas lui faire ce plaisir. La femelle s’empara du sac de l’oniromancien qui avait été déposé sur une table. Elle commença à le fouiller.

« Tu vas souffrir, pourriture ! Et d’abord, dis-moi ce que tu manigançais ici !? »

Elle sortit la corne d’abondance. Le guerrier rouge s’excita comme un chien retenu par une chaîne. Il défia son interrogatrice de son regard doré en montrant les crocs.

« Rrrr ! Repose ça, sale petite garce ! »

Elle ignora la menace et examina l’objet sous toutes ses coutures.

« Qu’est-ce que c’est ? Un présent des Sept ? C’est la mythique corne d’abondance d’Abath-Khal ? Le prince Hector va être ravi d’une telle prise ! »

Gal passa de la colère à la stupéfaction.

« Tu pensais être le seul à connaître les sept présents des Sept ? Comme tu es naïf ! » Iphigénie déposa délicatement la corne sur la table et poursuivit sa fouille. « Qu’est-ce que tu caches d’autre dans ton sac, ordure ?! Une dague elfe, un pot d’onguent, des bandages, une outre, une pipe et une boussole ! » La dryade plaça la pipe brumeuse à côté de la corne d’abondance et reprit avec une arrogance grandissante. « Incroyable ! Un deuxième objet sacré ! Tu en as d’autres ? C’est des présents des Sept que tu cherchais dans le tumulus sacré de Télésphore ? C’est ça ? Abath-Khal t’a envoyé les chercher ? Mais alors... »

Perplexe, Iphigénie commença à examiner la boussole de Ziric. Gal s’excita tellement sur chaise qu’il tomba à la renverse. La dryade le fouetta avec sa dague clepsydre. Elle se rapprocha et lui asséna un coup de pied en plein visage. L’oniromancien avait envie de sauter à la gorge de cette furie pour lui sectionner la carotide avec les dents, mais il se retint. Il pouvait briser cette chaise comme un fétu de paille et se libérer de ses liens. Mais il n’avait pas contenu sa colère durant ces longs jours pour gâcher son plan au dernier moment. Il espérait de tout son cœur que Kaa exposa sa crainte d’un incident diplomatique à Vlad et Borg. Ses deux fidèles lieutenants pouvaient simuler une attaque elfe. Ils l’avaient déjà fait ! Pour l’instant, il devait se contenter d’encaisser les coups sans broncher. La résilience n’étant pas la qualité première des orcs, cela lui demandait des efforts incommensurables.

Après s’être acharné sur sa victime, Iphigénie reprit son inspection de la boussole. Elle déposa son bracelet, la pipe, la corne et la dague chacun dans un coin différent de la pièce. Elle appuya sur le bouton. Après quelques pressions, son visage s’illumina.

« Abath-Khal t’a envoyé à la recherche des présents des Sept avec la boussole de Ziric ! C’est pour ça que tu te trouvais dans le tumulus de Télésphore ! Incroyable ! La confrérie élémentaire sera fière d’apprendre que j’ai récupéré trois artefacts magiques. Voir plus si Diodore nous autorise à fouiller la tombe ! Ha ! Ha ! Ha ! Et quand Epiphone te verra, tu regretteras d’être encore en vie ! »

Iphigénie commença à écrire un message. Gal ne pouvait plus attendre. Si l’information quittait cette pièce, tout son plan tombait à l’eau. Il banda ses muscles jusqu’à briser les barreaux de la chaise. Le bruit de dislocation du meuble de bois figea la dryade un bref instant. Le colonel pourpre saisit ce moment de surprise pour lui asséner un coup de poing qui l’assomma. Une pulsion animale monta en lui. Il réprima son envie d’arracher la tête de son ennemie. Il alla calmement ramasser la dague elfe et la planta dans le cœur de la belle en maîtrisant sa force. L’illusion était parfaite. On aurait pu jurer que la dryade avait été tuée par un elfe calculateur. Aucune sauvagerie orc n’apparaissait dans la scène de crime.

Puis Gal ramassa la boussole de Ziric. Il s’interrogeait sur l’attitude de la dryade. En manipulant l’artefact, il confirma rapidement ses suppositions. Le bracelet qu’Iphigénie avait déposé par terre était un des sept présents des Sept ! A présent, il fallait contrôler l’entrée dans la pièce jusqu’à l’arrivée des renforts. Heureusement, le meurtre avait été silencieux et personne ne pénétra dans la cabane. L’attente parut durer des heures, jusqu’au moment où les flèches sifflèrent provocant des cris de panique et des râles de douleurs parmi les troupes attaquées.

Gal se précipita dans la mêlée. Comme il s’y attendait, Vlad et Borg simulait une attaque elfe en utilisant la tactique et les armes de la bannière de Batum-Khal. Parcourant le champ de bataille, il arracha à la volée des flèches plantées dans les corps inertes des satyres. Il courra droit sur l’hippogriffe d’Iphigénie. Déjà un garde l’enfourchait pour fuir et prévenir son peuple. Tel un jaguar, l’oniromancien bondit et planta les pointes dans le poitrail de la monture ailée. Il cria à ses troupes : « Tirez sur l’hippogriffe ! Il ne doit pas décoller ! » Une pluie de fer s’abattit sur l’hybride mi-cheval, mi-aigle. Malgré ses efforts pour s’éloigner au plus vite de la cible, Gal fut transpercé dans l’épaule et dans la cuisse par les traits de ses archers.

Lorsque tous les ennemis furent tombés, les troupes d’Udgog déferlèrent. Vlad envoya à son chef de guerre une épée elfe. Celui-ci la saisit au vol et trancha la gorge du soldat qui avait tenté de fuir sur l’hippogriffe. Méthodiquement, les orcs plantèrent leurs lames d’acier dans les corps de leurs ennemis. Nul ne devait survivre. Puis les guerriers orcs ramenèrent deux esclaves elfes qui se débattaient vigoureusement. Avec une précision maniaque, Vlad les transperça avec les lances des cadavres satyres les plus proches. Ce n’est qu’une fois l’holocauste totalement consommer que Borg et Kaa s’enquirent de l’état physique du colonel pourpre.

« Rrrr ! C’est bon ! Ce ne sont pas deux fléchettes qui viendront à bout d’un orc ! »

Le géniteur royal accepta toutefois de bonne grâce de se faire bander après avoir arraché les flèches sans ménagement. Il retourna dans la cabane pour récupérer ses effets personnels. Il profita ensuite de la puissance de ses troupes pour faire ouvrir le tumulus. Au centre de l’immense pièce circulaire, la momie du mythique Télésphore gisait sur un autel de pierre. Au pied de celui-ci reposait d’innombrables objets. La boussole de Ziric s’excita rapidement. Elle désigna tout d’abord une poulie, puis à la pression suivante un marteau. Gal avait atteint son but ! Il avait retrouvé le magique marteau de Dmor-Khal capable de changer le diamant en charbon ! Et il possédait à présent six des quarante-neuf artefacts magiques offerts par les Sept.

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